L expertise, l expertise-arbitrage et le témoignage-expertise
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- Anne-Sophie Bertrand
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1 L expertise, l expertise-arbitrage et le témoignage-expertise Jean-Baptiste Zufferey, Professeur à l Université de Fribourg I. Sources choisies BOSSHARD Pierre-Yves, La «bonne» expertise judiciaire, RSPC 2009, p. 207 ss ; BOSSHARD Pierre-Yves, La réglementation de la preuve par l expertise dans le projet de Code de procédure civile suisse, RSPC 2008, p. 333 ss ; DOLGE Annette, Bakomm., ad art , Bâle 2010 ; GUYAN Peter, BaKomm., ad art. 175, Bâle 2010 ; GASSER/RICKLI, Schweizerische Zivilprozessordnung Kurzkommentar, Zurich 2010, ad art. 175 et ; HOFFMANN/LÜSCHER, Le Code de procédure civile, Berne 2009, p. 95 ss ; MARAZZI Luca, Erranze alla scoperta del nuovo Codice di procedura civile svizerro, RDS 128 II, p. 323 ss, p. 375 ss ; Zivilprozessrecht nach dem Entwurf für eine Schweizerische Zivilprozessordnung und weiteren Erlassen unter Einbezug des internationalen Rechts, Zurich 2008, p. 292 ss ; STAEHELIN/STAEHELIN/GROLIMUND, VOUILLOZ François, La preuve dans le Code de procédure civile suisse (art. 150 à 193 CPC), PJA 2009, p. 830 ss ; WALDER-RICHLI/GROB-ANDERMACHER, Zivilprozessrecht Nach den Gesetzen des Bundes und des Kantons Zürich unter Berücksichtigung weiterer kantonalen Zivilprozessordnungen und der Schweizerischen Zivilprozessordnung vom 19. Dezember 2008 sowie unter Einschluss internationaler Aspekte, 5ème éd., Zurich 2009, p. 354 ss. II. Articles de lois Art. 175 Témoignage-expertise Lorsqu un témoin possède des connaissances spéciales, le tribunal peut également l interroger aux fins d apprécier les faits de la cause. Section 5 Expertise Art. 183 Principes 1 Le tribunal peut, à la demande d une partie ou d office, demander une expertise à un ou plusieurs experts. Il entend préalablement les parties. 2 Les motifs de récusation des magistrats et des fonctionnaires judiciaires sont applicables aux experts. 3 Lorsque le tribunal fait appel aux connaissances spéciales de l un de ses membres, il en informe les parties pour qu elles puissent se déterminer à ce sujet. 1
2 Art. 184 Droits et devoirs de l expert 1 L expert est exhorté à répondre conformément à la vérité; il doit déposer son rapport dans le délai prescrit. 2 Le tribunal rend l expert attentif aux conséquences pénales d un faux rapport au sens de l art. 307 CP et de la violation du secret de fonction au sens de l art. 320 CP ainsi qu aux conséquences d un défaut ou d une exécution lacunaire du mandat. 3 L expert a droit à une rémunération. La décision y relative peut faire l objet d un recours. Art. 185 Mandat 1 Le tribunal instruit l expert et lui soumet, par écrit ou de vive voix à l audience, les questions soumises à expertise. 2 Il donne aux parties l occasion de s exprimer sur les questions soumises à expertise et de proposer qu elles soient modifiées ou complétées. 3 Le tribunal tient à la disposition de l expert les actes dont celui-ci a besoin et lui fixe un délai pour déposer son rapport. Art. 186 Investigations de l expert 1 L expert peut, avec l autorisation du tribunal, procéder personnellement à des investigations. Il en expose les résultats dans son rapport. 2 Le tribunal peut, à la demande d une partie ou d office, ordonner que les investigations de l expert soient effectuées une nouvelle fois selon les dispositions applicables à l administration des preuves. Art. 187 Rapport de l expert 1 Le tribunal peut ordonner que le rapport de l expert soit déposé par écrit ou présenté oralement. L expert peut en outre être cité à l audience pour commenter son rapport écrit. 2 Le rapport de l expert présenté oralement est consigné au procès-verbal; l art. 176 est applicable par analogie. 3 Lorsque plusieurs experts sont mandatés, chacun fournit un rapport séparé à moins que le tribunal n en décide autrement. 4 Le tribunal donne aux parties l occasion de demander des explications ou de poser des questions complémentaires. Art. 188 Retard et négligence 1 Le tribunal peut révoquer l expert et pourvoir à son remplacement lorsque celui-ci n a pas déposé son rapport dans le délai prescrit. 2 Il peut, à la demande d une partie ou d office, faire compléter ou expliquer un rapport lacunaire, peu clair ou insuffisamment motivé, ou faire appel à un autre expert. Art. 189 Expertise-arbitrage 1 Les parties peuvent convenir que des faits contestés soient établis par un expert-arbitre. 2 La forme de la convention est régie par l art. 17, al Le tribunal est lié par les faits constatés dans le rapport lorsque les conditions suivantes sont réunies : a. le litige est à la libre disposition des parties ; b. aucun motif de récusation n était opposable à l expert-arbitre ; c. le rapport a été établi avec impartialité et n est entaché d aucune erreur manifeste. 2
3 III. Commentaires 1. Expertise Les éléments vraiment nouveaux sont très limités : 1. L expertise privée n est pas codifiée (l avant-projet d art. 182 a été retiré). La question reste dès lors ouverte de savoir si elle ne vaut que comme allégation d une partie ou si sa force probante est à apprécier suivant les circonstances. 2. Même si l art. 183 al. 1 CPC prévoit que le juge peut demander une expertise d office, on peut partir de l idée que les parties pourront continuer à suggérer des noms d expert (si possible d entente entre elles ou alors en cascade). Le Code ne tranche pas la question de savoir si une personne morale peut fonctionner comme expert. 3. Le juge peut citer les experts à l inspection locale (art. 181 al. 2 CPC). 4. En vertu de l art. 185 CPC, les questions à l expert ne pourront plus être simplement des numéros d allégués. Elles devront être formulées, soumises par les parties, corrigées par le juge et faire donc l objet d une ordonnance d instruction sujette à recours. 5. L expert pourra procéder personnellement à des investigations, mais il devra pour cela avoir l accord du tribunal (art. 186 al. 1 CPC). 6. L art. 188 CPC règle les conséquences d un retard de l expert. La norme de responsabilité qui figurait dans le projet n a pas été retenue. 2. Expertise-arbitrage «L expertise-arbitrage est une institution originale de procédure. Elle permet de cahrger un tiers, jouissant de connaissances spéciales, de procéder à la constatation, obligatoire pour les parties, de faits pertinents. Celles-ci peuvent faire établir ainsi, sans possibilité de contestation ultérieure, certains faits concernant un procès actuel ou futur.» 1 L art. 189 CPC fixe les conditions à respecter afin que le juge soit lié par les conclusions de l expert-arbitre : (1) une convention écrite ou part tout autre moyen permettant d en établir la preuve par un texte (art. 17 al. 2 CPC) ; (2) le litige est à la libre disposition des parties (il faut qu il soit arbitrable) ; aucun motif de récusation n était opposable à l expert-arbitre (renvoi à l art. 47 CPC par l intermédiaire de l art. 183 al. 2) ; le rapport a été établi avec impartialité et n est entaché d aucune erreur manifeste. On sent là que le législateur se méfie par principe de l expertise-arbitrage 2. La convention d expertise-arbitrage manque son but si une partie refuse de collaborer à l élaboration de l expertise. Ce faisant, la partie déjoue l exécution de la convention, de telle sorte que celle-ci devient officiellement caduque. Il en va de même lorsque le rapport d expertise-arbitrage n est pas déposé dans le délai convenu. C est alors le tribunal qui doit procéder à la constatation des faits. 1 Mess. CPC, FF 2006, p ss, ad art Cf. Rapport sur l avant-projet, ad art. 184 (Il serait intolérable et incompatible avec l idée même de justice qu un tribunal puisse fonder sa décision sur un rapport entaché de graves lacunes) ; cf. ég. ATF 129 III
4 Ce système dispense le tribunal de procéder à l administration des preuves concernant ces faits. Au même titre que la procédure de preuve à futur (art. 158), il peut également dissuader une partie d ouvrir ou de poursuivre un procès après avoir constaté par expertise-arbitrage que ces chances de succès sont très réduites. L expertise-arbitrage est possible jusqu à la fin de la procédure probatoire 3. La codification de l expertise-arbitrage n est ainsi que très partielle : le Code ne traite pas du tout de l expertise-arbitrage sur les questions de droit. Cette dernière est admise dans son principe, mais sa portée n équivaut pas à celle d une sentence arbitrale : en cas de non-respect par le débiteur, le créancier n a pas d autre solution que d intenter une action en exécution du contrat d expertise-arbitrage ou en dommages-intérêts. 3. Témoignage-expertise Il s agit là d une nouvelle figure en procédure civile ; les juristes suisses l utilisaient déjà en procédure d arbitrage où traditionnellement les règles sont moins formelles et l appréciation du tribunal très étendue («expert-témoin» ; «expert-witness») 4. Dans la procédure de consultation, certains cantons ont jugé cette institution inutile 5. Conformément à l art. 169 CPC (témoignage objet), celui qui n est pas partie peut témoigner sur des faits dont il a eu une perception directe. En vertu de l art. 175 CPC désormais, lorsque ce témoin a en plus des connaissances spéciales en lien avec le domaine en cause, le tribunal peut l interroger à la fois sur sa perception des faits et sur l appréciation qu il en fait. A ne pas confondre le témoignage-expertise avec l audition comme témoin de l expert qui a déjà déposé son rapport ou auquel on demande un rapport oral complémentaire. Le témoignage-expertise présente peut-être l avantage d être moins coûteux et plus rapide qu une expertise ; pour avoir ce choix, encore faut-il qu il existe une personne qui remplit à la fois la qualité de témoin (perception directe des faits) et celle d expert pour les fait en cause (connaissances particulières). Le tribunal est tenu d informer les parties sur le statut de témoin-expert du témoin 6. Cas d application possibles (et cités ça et là dans les travaux législatifs) : le médecin traitant d une partie ; le médecin qui a constaté les faits au lieu de l accident ; l architecte qui a dirigé le chantier litigieux ; une personne qui a constaté des faits dans l exercice de ses fonctions. De sa qualité de témoin, il découle (1) que le témoin-expert est tenu de dire la vérité (art. 171 al. 1 CPC), tout comme un expert ordinaire (art. 184 CPC) ; (2) qu il ne peut refuser de collaborer que si les exigences de l art. 160 CPC sont respectées. Comme le rôle du témoinexpert se rapproche également de celui d un expert, il est soumis aux règles de l art. 184 al. 2 CPC (secret de fonction et conséquences d un défaut ou d une exécution lacunaire du mandat) et de l art. 183 al. 2 CPC (récusation) 7. 3 Expressément : Mess. CPC, ad art Exemples : Chambre de commerce internationale, art. 1.1.A du règlement d expertise ; Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, art. 54(b) et 55(c) des règles d arbitrage ; art. 25 al. 2, 4 et 5 ainsi que 42 al. 1 lit. c du règlement suisse d arbitrage international. 5 Cf. Classement des réponses à la procédure de consultation sur l avant-projet relatif à une loi fédérale sur la procédure civile suisse, Berne 2004, ad art Idem, ad art. 175 n 2. 7 GUYAN, BaKomm., ad art. 175 n 1. 4
5 L idée du législateur est louable de vouloir faire bénéficier les tribunaux d une combinaison entre la perception sensorielle des faits par une personne et une appréciation de ces faits fondée sur les compétences propres à cette même personne 8. Néanmoins, le témoignageexpertise soulève des interrogations de fond : 1. Quel est le périmètre d application de cette institution? S agit-il uniquement des faits dont le témoin-expert a eu une perception directe ou s agit-il de tous les faits litigieux? Les sources législatives ne répondent pas à cette question le texte légal n a jamais vraiment évolué en cours de procédure non plus que la doctrine pour l heure à disposition. Quand on lit l art. 175 CPC, on a l impression qu il s agit de tous «les faits de la cause». On peut alors cependant se demander où est encore la qualité de témoin du témoin-expert. 2. Y a-t-il un ordre de priorité entre le témoignage-expertise et l expertise ou le juge peut-il cumuler les deux? Certains cantons ont proposé que le témoignage-expertise devrait n être possible qu une expertise ne l est pas. A défaut, les parties risquent souvent de tenter d avoir recours à des expertises déguisées. Le témoignage-expertise se justifierait par exemple lorsque l objet à expertiser n existe plus Quelle sera la force probante du témoignage-expertise? Vis-à-vis des autres témoignages, le juge appréciera librement cette preuve (en fonction en particulier de la proximité du témoin-expert par rapport aux parties). Face à un rapport d expert judiciaire, s agira-t-il d une véritable expertise (avec alors la possibilité pour le juge de choisir le rapport qui le convainc) ou d une expertise de type plutôt privé au motif que les parties ont désigné le témoin en question? Il faut être conscient d un risque de dérive, les parties pouvant tenter de faire entendre des spécialistes de leur choix, sans aucune connaissance directe des faits de la cause, soit pour s épargner l expertise judiciaire soit pour jeter le discrédit sur cette dernière. C est cependant la première conception qui devrait s imposer puisque le témoignage-expertise est un véritable témoignage, qu il fait donc partie des moyens de preuve et n est pas qu un allégué d une partie. 4. Comment dès lors garantir l objectivité du témoin-expert en tant qu expert? D aucunes proposent de lui appliquer les règles de récusation que l art. 47 CPC impose aux magistrats et fonctionnaires judiciaires 10 ; on peut cependant craindre qu à ce régime les tribunaux ne trouvent plus de témoin-expert. Il serait dès lors plus judicieux de renvoyer ici à la liberté qu a le juge d apprécier les dires des témoins. 8 Expressément : Rapport accompagnant l avant-projet de la commission d experts, juin 2003, ad art Cf. Classement des réponses à la procédure de consultation, ad art GUYAN, BaKomm., ad art. 175 n 1. 5
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