la nouvelle revue française

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1 n 621 novembre 2016 la nouvelle revue française sous la direction de michel crépu GALLIMARD

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3 n 621 novembre 2016 la nouvelle revue française sous la direction de michel crépu GALLIMARD

4 NOTES DE LECTURE Éric Faye, Éclipses japonaises Le Seuil, 2016, 240 p. 18 En littérature, comme partout, sinon plus qu ailleurs, il y a des modes. Le fait divers, les biographies romancées, la Première et la Seconde Guerre mondiale ou encore certaines zones du monde sont régulièrement à l honneur. C est le cas de la Corée du Nord. Rencontrée chez Jean Echenoz dans Envoyée spéciale, elle réapparaît chez Éric Faye dans Éclipses japonaises. Ce n est plus la Corée de la guerre froide, celle des romans d espionnage, mais un grand vide peuplé de mystères, une boîte à fantasmes qu on commence seulement à ouvrir. Éric Faye raconte une histoire passionnante de disparitions, de réapparitions et de métamorphoses. Des destins se croisent, au tournant des années 1970, tous liés à cette zone aveugle du monde et à une histoire à peine croyable et pourtant vraie : des Japonais enlevés au hasard pour servir de professeurs de langue à de futurs espions nord-coréens, qui seront chargés de commettre des attentats en se faisant passer pour des Japonais, afin de déstabiliser le régime sud-coréen et ainsi assurer la suprématie du Nord. Ce sera le cas en 1987 avec l attentat du vol 858 de la Korean Air, dont l une des terroristes est une Nord-Coréenne qui s exprime dans un japonais parfait, qu elle a appris avec l un de ces «Disparus». Ceux-ci sont d abord des déracinés, brutalement amputés de leur vie. Les Japonais enlevés qui se retrouvent en Corée du Nord ont interdiction de parler leur langue entre eux ; ils doivent

5 NOTES DE LECTURE 151 oublier leur pays et leur passé tout en ayant pour mission de les transmettre. Une scène formidable montre la toute jeune Naoko racontant aux Nord-Coréens avides de culture japonaise les séries télévisées pour adolescents qu elle regarde : «On avait interrompu l enfance de Naoko et on lui demandait de l enseigner à des adultes.» Leur identité même se dissout : «Ils veulent que j oublie qui j étais. [ ] Naoko Tanabe s écoulait en eux : c était une transfusion d elle-même souvenirs et jours anciens qui glissaient d elle à eux, transfusion de mots, de noms et d événements. Quand ses élèves seraient devenus des Naoko Tanabe, elle-même aurait tari. C en serait fini d elle.» La capacité du romancier à se fondre dans cette histoire est stupéfiante. Certes il connaît bien la culture japonaise, et l importance qu y prennent à la fois les fantômes et les «évaporés», ces très nombreux disparus volontaires : en témoignent quelques-uns de ses précédents livres, Nagasaki (étonnante histoire vraie d une femme vivant dans le placard d un homme et se déplaçant dans son appartement dès qu il part travailler) et son journal Malgré Fukushima, récit d une année passée à Kyoto. Les changements d identité, les impostures et les disparitions lui sont également familiers (L homme sans empreintes et Il faut tenter de vivre). Mais si Éric Faye raconte avec un même talent la disparition de Japonais, l imposture répétée d une femme ou les identités multiples d un écrivain qui désire l anonymat, c est que tous ceux qui, librement ou sous la contrainte, changent brutalement de vie se ressemblent. Déracinement, antagonisme de l ancienne et de la nouvelle vie Quelle réapparition possible après une disparition? Revivre sa vie d avant? Retourner au Japon? Brûle toujours, au fond de la conscience, ce moment où la vie bascule en destin, parce qu on a voulu faire un détour pour acheter une glace, ou, comme ce GI américain, parce qu on a déserté au mauvais endroit, au mauvais moment : «Cela ne tient donc qu à ça, songe Selkirk [ ]. Un canot masqué par les roseaux ; deux gredins ; et le tour est joué, vous entrez dans l histoire.» La disparition, page blanche ouverte sur l inconnu, est un terrain de jeu idéal pour l imagination romanesque. Serait-elle, en japonais, en coréen ou en français, l autre nom de la fiction? Blanche Cerquiglini

6 TABLE DES MATIÈRES Éditorial 5 Littérature Muriel Barbery, Dans toute cette plaine 11 Luc Lang, Fantômes d Afrique 18 Javier Marías, Les cinémas de Harry Towers 27 Stéphane Hoffmann, Georges Duhamel 33 Marie Darrieussecq, Le beau Danube bleu 41 La dernière mode Eva Ionesco & Simon Liberati, L été Schiaparelli 49 Entretien Une rencontre avec Adam Gopnik 61 Critique Stéphanie Cochet, Charlotte Delbo. Ce que sténographier veut dire 69 Véronique Taquin, La machine à récit : l Auteur, l Internet et l Inconscient 81

7 Documents Arts Benoît Peeters, Tintin l inconcevable (entretien réalisé par Michel Crépu) 97 Pierre Michon, Hurry up, boys! 106 Frédéric Pajak, La dictature du divertissement 116 Renaud Nattiez, Tintin est-il un monstre? L ordinaire et l extraordinaire dans le monde d Hergé 121 Frank Lloyd Wright & Lewis Mumford, Correspondance (extraits) 135 Notes de lecture Philippe Vasset, La légende, par R. Pasquier 147 Jean Starobinski, La beauté du monde. La littérature et les arts, par P. Kéchichian 148 Éric Faye, Éclipses japonaises, par Bl. Cerquiglini 150 Nicolas Cavaillès, Les huit enfants Schumann, par É. de la Héronnière 151 Stéphane Hoffmann, Un enfant plein d angoisse et très sage, par M. Crépu 153 Journal littéraire Michel Crépu, Reza, Liberati, Malraux, Saint-Exupéry, Navel 157

8 Blanche Cerquiglini Éric Faye, Éclipses japonaises (Éditions du Seuil) Cette édition électronique a été réalisé le 25 octobre 2016 par les Éditions Gallimard. Elle est extraite de La N.R.F. n 621 (novembre 2016), (ISBN : Numéro d édition : ). Code Sodis : R ISBN : Numéro d édition :