Université Lyon 1 Classes préparatoires 2015-2016 Algèbre linéaire Serge Parmentier 1 L ensemble des matrices Soit K un corps et n, m N \ {0} Chapitres 5 Les matrices Définition et notations: on appelle matrice m par n à coefficients dans K tout tableau A a 11 a 1n a 21 a 2n a m1 a mn constitué de m lignes (ou rangées) et de n colonnes d éléments a ij K, 1 i m, 1 j n Lorsque le nombre de lignes de A est égal au nombre de ses colonnes, ie lorsque n m, on dit que A est une matrice carrée de taille n L ensemble des matrices m par n à coefficients dans K est noté M m,n (K); lorsque m n, cet ensemble est noté M n (K) (au lieu de M n,n (K)) La i ème ligne de A est et la j ème colonne de A est L i ( a i1 a i2 a in ) C j On écrit A (a ij ) m,n (K) et on dit que a ij est le coefficient ou la composante ij de A Deux matrices A (a ij ), B (b ij ) m,n (K) sont égales ssi pour tout couple (i, j), a ij b ij Exemples de matrices et matrices particulières 1 M 1 (K) K 2 Les éléments de M 2,3 (K) sont les tableaux a 1j a 2j a mj a b c, a, b, c, d, e, f K d e f 3 La matrice nulle O m,n (K) est la matrice dont tous les coefficients sont nuls: O (o ij ) avec pour tout (i, j), o ij 0 4 On dit qu une matrice carrée A (a ij ) n (K) est diagonale si a ij 0 pour tout (i, j) tel que i j 1 0 Par exemple, 1 1 0 2 2 (R) est diagonale et ne l est pas 0 2 1
5 La matrice unité 1 n n (K) est la matrice diagonale dont les coefficients diagonaux valent 1: 1 1 1, 1 2 1 0, 1 3 1 0 0 0, 0 Pour (i, j) {1,, n} 2 on définit le symbole de Kronecker δ ij par δ ij 0 si i j et δ ij 1 si i j On a 1 n (δ ij ) n (K) 2 Somme de matrices et multiplication par un scalaire On introduit deux lois naturelles: La somme et la multiplication scalaire M m,n (K) M m,n (K) M m,n (K) (A (a ij ), B (b ij )) A + B (a ij + b ij ) K M m,n (K) M m,n (K) (λ, A (a ij )) λa (λa ij ) Proposition: Muni de ces deux lois, l ensemble M m,n (K) est un espace vectoriel sur K de neutre la matrice nulle O preuve: il s agit d observer que les lois étant définies composantes par composantes, les propriétés de K sont conservées, ie que l on a bien pour tout A, B, C m,n (K) et λ, µ K, (A + B) + C A + (B + C), A + O O + A, A + A O, A + B B + A, où A ( a ij ), λ(a + B) λa + λb, (λ + µ)a λa + µa, (λµ)a λ(µa), 1 n A A Base de M m,n (K) comme espace vectoriel sur K Pour k {1, m}, l {1, n} on définit la matrice E kl m,n (K) en déclarant que E kl est la matrice dont toutes les composantes sont nulles sauf la composante kl qui vaut 1 Exemples: dans M 2,1 (K), E 11 1, E 0 21 0 1 Dans M 2 (K), E 11 1 0, E 0 2, E 0 0 21 0 0, E 1 0 22 0 0 Proposition: la famille de matrices (E kl ) k {1,,m}, l {1,,n} constitue une base du K- espace M m,n (K) On a dim K (M m,n (K)) mn 2
Exemple: Toute matrice A (a ij ) 2 (K) s écrit dans cette base comme suit: a11 a A 12 a 21 a 22 1 0 0 0 0 0 a 11 + a 0 2 + a 0 0 21 + a 1 0 22 preuve: Cette famille est génératrice car tout A (a ij ) m,n (K) s écrit A 1 k m,1 l n a kl E kl Elle est libre car la condition de combinaison linéaire nulle: λ kl E kl O 1 k m,1 l n équivaut à demander que la matrice Λ (λ ij ) soit la matrice nulle, ie à demander que λ ij 0 pour tout (i, j) 3 Multiplication matricielle Soient m, n, p N \ {0} On définit le produit des matrices A (a ij ) m,n (K) et B (b ij ) M n,p (K) en posant n A B : ( a ik b kj ) m,p (K), ie le produit AB est la matrice m par p dont la composante ij vaut Exemples: n a ik b kj a i1 b 1j + a i2 b 2j + + a in b nj 1 Prenons A ( a b ) 1,2 (K) et B et a b 2 A AB ( a b ) c d 2,1 (K) On a c ac + bd d 1 (K) K c ca cb BA ( a b ) d da db 2 (K) 1 2 3 2 (R) et B 4 5 6 2,3 (R) On a ( a b AB ) 1 2 3 4 5 6 Par contre, BA n est pas défini 1 1 1 0 3 A, B 1 1 2 (Q) a + 4b 2a + 5b 3a + 6b c + 4d 2c + 5d 3c + 6d 2,3 (K) 3
On a 1 1 1 0 2 1 AB 1 1 1 1 1 1 1 1 BA 1 1 1 2 Observer que AB BA, ie la multiplication matricielle n est pas commutative 4 Soit 1 n n (K) la matrice unité Pour tout A n (K) on a A1 n 1 n A A Propriétés: Pour tout A, A m,n (K), B, B n,p (K), C p,q (K) et λ, λ K on a (AB)C A(BC), (λa + λ A )B λ(ab) + λ (A B), A(λB + λ B ) λ(ab) + λ (AB ) preuve: on a AB ( n a ikb kj ) et BC ( p l1 b ilc lj ) D où p n n p (AB)C ( ( a ik b kl )c lj ) ( a ik ( b kl c lj )) A(BC) l1 Je vous laisse vérifier les égalités de distributivité Observer que le produit de deux matrices carrées A, B n (K) est toujours défini et est une matrice carrée AB n (K) On a doneux lois de composition interne sur M n (K): - l addition matricielle + : M n (K) 2 M n (K) : ((a ij ), (b ij )) (a ij + b ij ) - le produit matriciel : M n (K) 2 M n (K) : ((a ij ), (b ij )) ( n a ikb kj ) Proposition M n (K) muni des lois + et est un anneau unitaire, d unité la matrice identité 1 n Pour n 2 cet anneau n est pas commutatif preuve: on sait déjà que l addition + est associative, de neutre la matrice nulle, à opposés (l opposé de A (a ij ) est A ( a ij )) et commutative L associativité (AB)C A(BC), l unité A1 n 1 n A A, la distributivité A(B + B ) AB + AB, (A+A )B AB +A B et le fait que le produit n est pas commutatif ont été vus en propriétés et/ou en exemples plus haut Matrice inversible: on dit qu une matrice carrée A n (K) est inversible s il existe B n (K) telle que AB BA 1 n Observer que si une telle matrice B existe, elle est unique: en effet, si B est telle que AB 1 n, alors BAB B et donc B B (car BA 1 n ) Lorsque A est inversible, l unique B pour laquelle AB BA 1 n est notée A 1 et est appelée la matrice inverse de A L ensemble des matrices inversibles de M n (K) est noté Gl n (K) Exemples et contre-exemples 1 La matrice unité 1 n est inversible, d inverse 1 n ; la matrice nulle O n (K) n est pas inversible car pour toute matrice B n (K) on a OB O 1 n 1 1 a b 2 A 2 (R) est inversible: si B est telle que AB BA 1 2, on a a + c b + d 1 0 AB, 4 l1
ie a + c 1, b + d 0, c 0, d 1 ie 1 1 B 1 1 pour laquelle on a aussi BA 1 2 Conclusion A 1 a b 3 A 2 (K) n est pas inversible: si B est telle que AB BA 1 2, on a AB 1 0 ce qui conduit à d 0 1! a11 a 4 Une matrice A 12 a 21 a 2 (K) est inversible ssi δ a 11 a 22 a 21 a 12 0 auquel cas 22 A 1 1 δ ( a22 a 12 a 21 a 11 ) Propriétés: (i) 1 n est inversible (ii) si A, A n (K) sont inversibles alors AA l est aussi (iii) L inverse A 1 d une matrice A n (K) est inversible preuve: (i) on a 1 n 1 n 1 n (Cf exemple 1) (ii) on a (AA )(A 1 A 1 ) A(A A 1 )A 1 A1 n A 1 AA 1 1 n et (A 1 A 1 )(AA ) 1 n Conclusion: l inverse de AA est A 1 A 1 (iii) on a A 1 A AA 1 1 n, ie (A 1 ) 1 A 4 Matrices et espaces vectoriels Soit E un K- espace de dimension n de base e (e j ) 1 j n, F un K- espace de dimension m de base f (f i ) 1 i m On sait que tout élément u E s écrit d une et une seule manière comme combinaison linéaire u n j1 x je j des éléments de la base (e j ) 1 j n ; se donner u équivaut donc à se donner la liste de ses composantes (x 1,, x n ) K n dans la base (e j ) 1 j n C est ce qu exprime, sous forme matricielle, la proposition qui suit: Proposition: l application est un isomorphisme d espaces vectoriels Mat e : E M n,1 (K) x n 1 u x j e j Mat e (u) j1 x n 5
preuve: mq cette application est linéaire: pour u j x je j et u j x j e j, on a x 1 + x 1 x 1 x 1 Mat e (u + u ) + Mat e (u) + Mat e (u ) x n + x n x n x n De même, pour λ K et u E, on a Mat e (λu) λmat e (u) Pour montrer que cette application est bijective, il suffit d observer que l application est la réciproque de Mat e x 1 x n n x j e j Remarque: Lorsque E K n cet isomorphisme est simplement (x 1,, x n ) x n Définition: 1 La matrice Mat e (u) n,1 (K) est appelée la matrice de u E dans la base e 2 Soit v (v 1,, v p ) une famille de vecteurs de E La matrice j1 Mat e (v 1,, v p ) n,p (K) dont la j ième colonne C j est la matrice de v j dans la base e ( ie C j Mat e (v j )) est appelée la matrice de la famille v dans la base e Soit maintenant φ : E F une application linéaire On a vu au chapitre 4 que φ est déterminée par l image (φ(e j )) 1 j n de la base (e j ) 1 j n de E Et l on vient de voir que pour tout j {1,, n}, se donner le vecteur φ(e j ) équivaut à se donner la matrice Mat f (φ(e j ) de ses composantes dans la base f (f i ) 1 i m de F Dès lors se donner φ équivaut à se donner la matrice de la famille (φ(e j )) 1 j m dans f On est donc naturellement amené à poser la Définition: soit φ : E F une application linéaire La matrice Mat e,f (φ) : Mat f (φ(e 1 ),, φ(e n )) m,n (K) est appelée la matrice de φ rapportée aux bases e et f Voici comment obtenir cette matrice: pour tout j {1,, n}, écrire φ(e j ) F dans la base f de F : m φ(e j ) a ij f i a 1j f 1 + a 2j f 2 + + a mj f m i1 6 x 1
On a alors Mat e,f (φ) a 11 a 1j a 1n a 21 a 2j a 2n a m1 a mj a mn ie Mat e,f (φ) est la matrice m par n dont la j ème colonne C j est constituée des composantes de φ(e j ) dans la base f de F : a 1j a 2j C j a mj Calcul de Mat f (φ(u)) en fonction de Mat e (u) et de Mat e,f (φ): Soit u n j1 x je j E et écrivons comme plus haut φ(e j ) m i1 a ijf i On a n n m m n φ(u) x j φ(e j ) x j ( a ij f i ) ( a ij x j )f i j1 j1 i1 La matrice des composantes de φ(u) dans la base f est donc n j1 a 1jx j n j1 Mat f (φ(u)) a 2jx j n j1 a mjx j i1 a 11 a 1j a 1n a 21 a 2j a 2n a m1 a mj a mn Mat e,f (φ) Mat e (u) j1, x 1 x j x n On rappelle que l ensemble L(E, F ) des applications linéaires φ : E F est un espace vectoriel sur K pour les opérations (φ + L ψ)(u) φ(u) + ψ(u) et (λ L ψ)(u) λ(ψ(u)) Proposition L application de L(E, F ) vers M m,n (K) qui à l application linéaire φ associe la matrice Mat e,f (φ) est un isomorphisme d espaces vectoriels esquisse de preuve: pour vérifier la linéarité, il s agit de mq Mat e,f (φ + L ψ) Mat e,f (φ) + Mat e,f (ψ) Mat e,f (λ L φ) λ Mat e,f (φ) Pour mq c est une bijection, on définit l application réciproque: Soit A (a ij ) m,n (K); on sait déjà qu il existe une unique application linéaire φ A : E F telle que, pour tout j {1,, n}, φ A (e j ) a 1j f 1 + a 2j f 2 + + a mj f m 7
(Cf Chapitre 4: une application linéaire est déterminée par l image d une base) L application M m,n (K) L(E, F ) : A φ A est la réciproque de l application L(E, F ) M m,n (K) : φ Mat e,f (φ) Composition et produit matriciel Soient trois K- espaces E, F, G de dimensions respectives n, m et p et de bases respectives e (e j ) 1 j n, f (f i ) 1 i m et g (g k ) 1 k p On sait déjà que si φ : E F et ψ : F G sont des applications linéaires, alors l application composée ψ φ : E G est linéaire Voici le lien fondamental entre la composition d applications et le produit matriciel: Proposition: On a Mat e,g (ψ φ) Mat f,g (ψ) Mat e,f (φ) preuve: Ecrivons Mat e,f (φ) A (a ij ) m,n (K), Mat f,g (ψ) B (b ij ) p,m (K) Mat e,g (ψ φ) C (c ij ) p,n (K) Il s agit de montrer que C BA, ie pour tout (i, j) {1,, p} {1,, n}, Voici le calcul: c ij m b ik a kj p c ij g i (ψ φ)(e j ) i1 ψ(φ(e j )) m ψ( a kj f k ) m a kj ψ(f k ) m p a kj ( b ik g i ) i1 p m ( b ik a kj )g i La famille (g i ) 1 i p étant une base de G, on a pour tout (i, j), c ij m b ika kj i1 Lorsque E F G, l isomorphisme entre L(E, F ) et M m,n (K) et le lien entre composition et produit matriciel nous permettent d identifier les anneaux L(E) et M n (K): Proposition: soit E un K- espace de base e (e j ) 1 j n L application 8
L(E) M n (K) : φ Mat e,e (φ) est un isomorphisme d anneaux qui envoie l application identité id E sur la matrice unité 1 n preuve: on sait déjà que c est une bijection compatible avec la somme: Mat e,e (φ + L ψ) Mat e,e (φ) + Mat e,e (ψ) La proposition qui précède nous dit que c est aussi compatible avec la composition: Mat e,e (ψ φ) Mat e,e (ψ) Mat e,e (φ) Enfin, Mat e,e (id E ) 1 n car pour tout j {1,, n}, id E (e j ) e j 9