A V R I L 2 0 1 4 / Rédacteur PÔLE TD2S Les copropriétés : un enjeu de taille pour les collectivités Cette note a pour objet de présenter les enjeux en matière de copropriétés dégradées et les réponses des collectivités, au vue des évolutions réglementaires présentées par la loi ALUR. Les réformes de la loi ALUR La loi pour l Accès au Logement et un Urbanisme Rénové, présentée en conseil des Ministres en juin 2013, a été publiée au Journal Officiel du 26 mars 2014. Les premiers décrets d application sont attendus pour l été 1. Elle apporte de nombreuses réformes qui auront un impact considérable sur la gestion et le développement de nos villes. Elle apporte notamment des mesures spécifiques à la prévention, à la gestion et au traitement des difficultés rencontrées dans les copropriétés. Gros chantier lancé en 1994, avec l introduction d un outil programmatique spécifique aux copropriétés (OPAH 2 copropriété), le traitement des copropriétés fait l objet de mesures qui touchent au droit de copropriété, au fonctionnement des syndics et aux mécanismes d alerte et de traitement des copropriétés fragilisées. Prévenir et guérir : ces deux principes encadrent les mesures de la nouvelle loi en matière de copropriétés, suivant les recommandations du rapport Braye publié en 2012 (Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés, ANAH, janvier 2012). Prévenir Le rôle des syndics est renforcé en matière de prévention, avec la constitution d un fonds de travaux alimenté par des cotisations annuelles obligatoires des copropriétaires, un diagnostic technique obligatoire révisé tous les dix ans, et l immatriculation des copropriétés (en premier lieu les copropriétés de plus de 200 logements devront être enregistrées avant le 31 décembre 2016). La loi abaisse la majorité de vote pour les travaux nécessaires notamment à 1 Le volet logement de cette loi fera l objet de plusieurs notes, celle-ci se focalise uniquement sur les nombreuses mesures affectant les copropriétés. 2 OPAH - Opération programmée d amélioration de l habitat
2 la conservation de l immeuble, à la préservation de la santé et à la mise en conformité afin de limiter les situations de blocage. Elle clarifie les relations entre syndics et copropriétaires, avec la création d un compte bancaire séparé au nom de la copropriété et un système forfaitaire de rémunération des syndics. Acheter en copropriété sous-entend une compréhension des droits et obligations, alors que, souvent les acquéreurs connaissent mal son fonctionnement. Dans la nouvelle loi, les acquéreurs seront surtout mieux informés lors de l achat, l annonce devant obligatoirement mentionner, par exemple, le montant des charges, le nombre de lots et les procédures à l encontre du syndic au titre des copropriétés dégradées. Guérir La loi ALUR vise à ouvrir, accélérer et renforcer les procédures d alerte et de traitement des copropriétés en difficulté. Jusqu à présent, la possibilité de déclencher les procédures d alerte et de redressement (mandataire ad hoc et administrateur provisoire) était assez limitée (15% des copropriétaires, le syndic, le procureur). La loi rend le déclenchement plus rapide en élargissant la liste de personnes habilitées à saisir le juge et, dans le cas de la procédure d alerte, en permettant de tirer la sonnette d alarme plus tôt. Les outils de redressement des copropriétés ont également été renforcés, avec la possibilité d annuler les dettes des syndics les plus en difficulté, de remembrer le syndic et de rétrocéder les parties publiques, comme les voies, qui sont coûteuses et complexes à maintenir. La programmation des travaux sera structurée autour des outils plus performants, avec l administration provisoire renforcée et les nouvelles Opérations de Requalification de Copropriétés en Difficulté (ORCOD, opérations de portage massif de lots de copropriétés et initiées par l Etat. L administration provisoire renforcée permet une prise en main des travaux nécessaires au redressement de la copropriété, les ORCOD mobilisent des financements et des acteurs autour d une opération d envergure. Ces mesures ont été majoritairement saluées, mais certains professionnels craignent une hausse des charges provoquée par la constitution d un fonds de prévoyance, perçu comme inadapté pour les immeubles plus récents, et par les frais administratifs liés au registre des copropriétés et à l information accrue des copropriétaires. Observer les copropriétés pour mieux les guérir En 2009, l ANAH et la DGALN confient une étude au CETE Nord Picardie à partir de la source Filocom. Environ 520 000 copropriétés ont été étudiées (8 millions de logements) soit 95% des logements en copropriété en France Métropolitaine. L étude a évalué à environ 19% la part des copropriétés en difficulté, soit près de 1 068 000 logements.
3 La Région PACA, avec un quart de copropriétés dans un état fragile, est une des régions où les copropriétés en difficulté représentent un enjeu particulier, après le Languedoc Roussillon et la Corse.. Cette étude a été commandée pour pallier un manque de données permettant de connaître le nombre et la localisation des copropriétés fragiles, avec comme objectif d améliorer la connaissance des enjeux, susciter le dialogue entre les acteurs et mieux coordonner la programmation budgétaires. Pour les pouvoirs publics l enjeu est double : bien identifier les copropriétés en difficulté et intervenir avant qu il ne soit trop tard mobiliser des financements pour redresser les copropriétés sur le plan financier et structurel D où l intérêt d un observatoire des copropriétés, quoique complexe à monter. Les causes de fragilisation des copropriétés sont complexes, souvent dû à un cumul de défaillance technique, aux évolutions socio-économiques et à un effet de quartier. Il s agit non seulement de chercher la donnée statistique, mais également le partenariat, d autant que les domaines d intervention des professionnels se chevauchent pendant les phases de repérage et de traitement (syndics, assistants sociaux, magistrats). L intervention peut s avérer d autant plus complexe que certaines grandes copropriétés font l objet de mesures de protection,
4 comme les immeubles à taille importante construits dans les années 50 ou 60 à Marseille qui sont inscrits au patrimoine du 20 siècle (les Rosiers, la Maurelette), et qui figurent parmi les copropriétés les plus fragilisées. Les processus de fragilisation - une complexité avérée Les problèmes rencontrés par les copropriétés peuvent être de différent ordre : Technique : dégradations du bâti, incapacité des copropriétaires à payer ou à voter les travaux. Les caractéristiques des copropriétés sur le plan technique dépendent souvent de la période de construction et sont liées à des politiques de construction massive de logements. Les copropriétés plus récentes souffrent également de formes techniques et juridiques complexes (formes architecturales complexes, urbanisme sur dalle). Les formes de commercialisation ont également un impact ; les copropriétés des années 80 90 commercialisées avec le prêt accession à la propriété (PAP) progressif dont l augmentation des mensualités pénalise les propriétaires, ou plus récemment l investissement locatif qui produit des formes d habitat spécifique inadaptées à la gestion en copropriété (Scellier, LMNP ) avec une part souvent importante de locataires. Ces dernières font l objet de recommandations dans le rapport Braye 2012 3. Financier : insolvabilité des copropriétaires lourdement endettés. Le taux d impayés est souvent lié à l importance des équipements techniques et à la vétusté des installations qui entrainent une consommation énergétique excessive. Social : pourcentage important de propriétaires occupants précaires, une part importante de locataires, propriétaires indélicats, spéculateurs. Les copropriétés dégradées attirent souvent les marchands de sommeil qui louent les logements chers à des familles modestes et nombreuses Juridique : une situation juridique complexe, notamment en raison d une mixité des parties publiques et privées, de la multiplicité des bâtiments, de la présence de syndicats secondaires, d espaces privés à usages publiques, du chauffage urbain, de la présence de voiries, etc. Gestion : Absence de syndic, dysfonctionnements des instances de copropriétaires, procédures de recouvrement. Le faible taux de participation rend impossible le vote et l exécution des travaux et les copropriétés sont souvent confrontées à l impuissance du syndic. 3 Dominique Braye, «Prévenir et guérir les difficultés des copropriétés», ANAH, janvier 2012. Ce rapport, présenté par le directeur de l Agence Nationale de l Habitat, dresse un bilan au niveau national des copropriétés dégradées et propose des mesures pour remédier aux difficultés.
5 Les charges de copropriété représentent un premier écueil. La première chose à faire serait de les baisser pour réduire l écart entre le pouvoir d achat des occupants et le coût de fonctionnement. En réalité, les charges ont augmenté de 47%, avec 71% pour le chauffage et l eau chaude, 35% pour le maintien et l entretien de l équipement 4. S ajoutent également les travaux de mise aux normes, notamment des ascenseurs, qui pèsent sur les budgets des copropriétés. Pour certaines copropriétés les liens avec le quartier peuvent avoir un impact important sur les charges, avec par exemple des coûts de gardiennage, pour empêcher certains trafics en bas des immeubles, (qui peuvent représenter des charges supplémentaires pouvant monter jusqu à 250 par mois et par logement). La question énergétique touche tout le parc ancien, mais représente pour le parc des grandes copropriétés un défi énorme. Souvent construites dans l urgence certaines copropriétés tombent vite dans l obsolescence et aujourd hui sont de vraies passoires thermiques. Le processus de dégradation d un immeuble prend souvent la forme d une spirale «imparable» d endettement, de dégradation et de travaux non réalisés. Les problématiques affectant les grandes copropriétés (de plus de 100 logements) sont particulières. Le problème principal des occupants de ces immeubles étant des charges trop élevées pour leurs revenus; ce sont effectivement des immeubles à prestations presque luxueuses mais avec une population souvent précaire. L occupation de ces copropriétés relève souvent de paradoxes étonnants : le parc privé attire des propriétaires modestes car le parc social est trop cher, y accéder est complexe et les listes d attente longues. Généralement, les copropriétés en voie de dégradation assistent à une évolution de leur occupation, les propriétaires occupants solvables tendent à partir, pour laisser place soit à une population plus locataire, certains immeubles avoisinant les 70% ou 80% de locataires, soit à des propriétaires modestes. D où l entrée dans la spirale de dégradation : des travaux importants ne sont pas votés, le taux d impayés grimpe. Les mesures de traitement des difficultés des copropriétés Les mesures existantes se distinguent en 2 types : judiciaires et administratives. Les premières sont à l initiative du juge qui est saisi par les organismes habilités, et recouvrent le mandataire ad hoc, l administration provisoire et la carence. Les 2 dispositifs administratifs sont à l initiative des pouvoirs publics, il s agit de l OPAH copropriétés et du Plan de Sauvegarde. Seuls deux de ces outils sont coercitifs : l administration provisoire et la carence et sont réservées aux cas extrêmes de dégradation. Généralement curatifs, les outils visant à identifier et à traiter les difficultés constatées, deux mesures visent une approche plus préventive : le mandataire ad hoc instaurée en 2009, et les Programmes opérationnels de 4 Le Monde 25 septembre 2013 supplément Argent et Patrimoine
6 prévention et d accompagnement en copropriété (POPAC), financement à titre expérimental de l ANAH introduit en 2012. Les outils par ordre croissant de l état de dégradation des copropriétés : Le mandat ad hoc, ou procédure d alerte, a été instauré par la loi Molle de 25 mars 2009. Il se déclenche automatiquement lorsque le taux des impayés des dépenses courantes et de travaux excédent 25%. C est le président du tribunal de grande instance qui désigne le mandataire, une fois saisi par le syndic ou les copropriétaires si le syndic est inactif. Les coûts sont répartis entre la copropriété et le syndic, aucun financement n existant. o Ce qui change avec la loi ALUR : le seuil de déclenchement est abaissé à 15% pour les copropriétés de plus de 200 lots et la saisine est élargie aux communes, EPCI, préfet ou procureur de la République L OPAH copropriété est un programme initié par la collectivité et financé par subvention entre l Etat, l ANAH et la collectivité pour traiter les cas de graves difficultés sur les plans technique, social et financier. Suite au diagnostic réalisé par la collectivité, les partenaires signent une convention qui fixe le programme de travaux. Le programme dure 3 ans avec possibilité de prolongation de 2 ans. L OPAH peut relever d un caractère préventif suivant la capacité des collectivités à identifier les difficultés suffisamment tôt. L administration provisoire consiste à se substituer aux pouvoirs de décision du syndic et partiellement à ceux de l assemblée générale lorsque l équilibre financier du syndic est compromis au point de ne plus être en mesure de garantir la conservation de l immeuble. Le juge est saisi par les copropriétaires (15% des droits de vote), le syndic ou le procureur. Le juge peut suspendre des poursuites engagées par les créanciers pour récupérer les dettes pendant une période de 6 mois, renouvelable une fois. o Ce qui change avec la loi ALUR : la possibilité de saisir le juge est élargie aux maires, présidents d EPCI actuel 5 avec la compétence habitat, au préfet, ainsi qu au mandataire ad hoc. Les pouvoirs de l administrateur provisoire sont élargis. Ainsi, il peut céder les biens du syndicat par ordonnance du juge, modifier le règlement de copropriété et l état descriptif de division et rétrocéder des voies à la commune. Il peut demander au juge l effacement partiel ou total des dettes irrécouvrables. Il peut recourir à l administration provisoire renforcée en passant une convention avec des opérateurs (bailleur social, SEM ) qui définit les travaux et les financements permettant de redresser la copropriété. 5 Et à partir de janvier 2016 aux présidents de Métropole dans le cadre de la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 (Modernisation de la l action publique territoriale et d affirmation des métropoles).
7 Le plan de sauvegarde est une procédure à l initiative du préfet qui nomme une commission qui élabore le plan qui est ensuite approuvé par arrêté préfectoral. Le plan dure 5 ans et concerne les structures d administration, les statuts des équipements, les travaux, la formation et l information des occupants et des mesures d accompagnement. Les financements sont généralement plus importants que dans le cas d un OPAH, avec contribution de l ANAH ou de l ANRU possibilité de cofinancement Caisse des Dépôts ou 1% logement. o Ce qui change avec la loi ALUR : l initiative est ouverte au président de l EPCI ou à l administrateur provisoire qui peuvent demander la mise en place du plan de sauvegarde Procédure de carence : c est l expropriation du droit commun qui met fin à la copropriété, lorsque, pour des raisons de graves difficultés financières ou de gestion et de l importance des travaux à mettre en œuvre, la copropriété ne peut plus assurer «la conservation de l immeuble ou la sécurité des occupants». Le maire ou le président de l EPCI saisit le juge qui, après expertise, peut déclarer la carence, l immeuble est exproprié (en dérogation au droit d expropriation) pour soit être réhabilité, soit être démoli par la puissance publique. o Ce qui change avec la loi ALUR : ce sont surtout des mesures pour réduire les délais de la procédure de carence, et donner la possibilité de n exproprier que les parties communes au profit de la commune, de l EPCI ou d un opérateur désigné. Opérations de Requalification des copropriétés dégradées : Nouvel outil introduit par la loi ALUR, ce sont des opérations de portage qui permettent de stopper les processus de dégradation du bâti, elles peuvent être initiées par l Etat, les collectivités sur un périmètre défini. Une convention défini les actions, comme le portage de lots, l accompagnement social, les dispositifs coercitifs pour l habitat indigne et les plans de sauvegarde. L Etat peut la déclarer d intérêt national si le périmètre comprend plusieurs copropriétés en plan de sauvegarde et nécessite de lourds investissements au regard d enjeux particuliers en matière d habitat indigne et de la complexité de traitement. L Etat peut confier l opération d intérêt national aux Etablissements Publics Fonciers, avec financement à partir de la taxe spéciale d équipement. Le contexte local Marseille accueille un nombre important d immeubles d habitat privé et public à taille importante. La période d après guerre ainsi que les années 60 et 70 ont connu des phases de construction massive en réponse à un important flux de populations. Un premier travail de repérage a été conduit entre 2000 et 2001, et a permis d identifier environ 300 copropriétés de plus de 100 logements. Des analyses statistiques, des visites de terrain et des entretiens auprès des syndics ont enrichi ces travaux par une appréciation des copropriétés dégradées sur le territoire. En parallèle, quatre plans de sauvegarde ont été conduits sur les copropriétés
8 les plus dégradées. La mise en œuvre d un véritable observatoire des copropriétés sur Marseille reste un enjeu important pour le territoire pour bien identifier et faire des arbitrages nécessaires au traitement de l habitat ancien. Actuellement la Ville de Marseille pilote une démarche qui regroupe plusieurs partenaires, dont l AGAM.