Note TDTE N 21. Ces travaux ont bénéficié du soutien de la Caisse des Dépôts



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Transcription:

Note TDTE N 21 1 L épargne-retraite institutionnelle en France : nouveaux enjeux Auteurs Didier Folus, Université de Paris Ouest Nanterre Ces travaux ont bénéficié du soutien de la Caisse des Dépôts 15 Avril 2013 «Seul le prononcé fait foi et ce compte-rendu n engage pas les intervenants» Séminaire «L impact du vieillissement sur la gestion de l épargne retraite» (2013),

SOMMAIRE 1 La retraite en France : faits et projections 2 Investisseurs de long terme : choix de portefeuille et préconisations 3 Orienter l épargne retraite vers les actifs corporate 2 Conclusion

L épargne en vue de la retraite constitue un thème récurrent de la vie économique dans les sociétés vieillissantes. Deux éléments éclairent ce thème d un jour nouveau : un contexte de taux d intérêt réels bas dans la plupart des économies développées, d une part, un système de retraite en difficulté de financement en France, d autre part. Le faible niveau des taux d intérêt implique en effet une rémunération très mesurée des capitaux investis par les épargnants et par les institutions offrant des produits de capitalisation en vue de la retraite. Cette situation pousse les investisseurs de long terme à rechercher une meilleure rentabilité de leurs placements, tout en diversifiant leur portefeuille afin d en limiter le risque. Les actifs corporate actions ou obligation privées, semblent alors indiqués, comme le préconisent les études empiriques du comportement des différentes classes d actifs sur longue période (Siegel, 2008). Pourtant, l évolution récente de la composition des portefeuilles individuels ou institutionnels n est pas conforme à ces attendus, probablement pour des raisons liées à l incertitude économique et au durcissement anticipé des règles prudentielles prochainement imposées aux acteurs institutionnels européens assurance et fonds de pension notamment. 3 En France, la retraite est financée par un système essentiellement fondé sur la répartition, même si des dispositifs de capitalisation, encore modestes en termes d encours, sont offerts au public, et que l assurance vie joue un rôle important en matière d épargne. Les récentes projections économiques du Conseil d orientation des retraites (COR, 2012) tracent un chemin chaotique pour les régimes obligatoires actuels, dans la plupart des scénarios économiques envisagés pour les prochaines décennies : l extrapolation faite à partir du scénario médian laisse entrevoir une baisse des prestations de retraite d environ 30 milliards d euros en 2030, d environ 65 milliards en 2040, par rapport au niveau actuel du ratio pension/revenu d activité. Cette perspective implique de trouver des solutions originales, afin de favoriser le développement d une offre de produits d épargne retraite adaptés. La présente note se propose donc de formuler des propositions en matière d épargne-retraite, en fonction des transitions économiques et démographiques à venir. La première section décrit les grandes lignes des régimes de retraite en France et extrapole les projections du COR publiées à la fin de l année 2012, afin de jauger le gap des prestations de retraite aux horizons 2030 et 2040. La deuxième section donne les caractéristiques des portefeuilles d actifs financiers des investisseurs de long terme et rappelle les préconisations théoriques et empiriques principales de la finance, de façon à identifier l intérêt social de l épargne-retraite. Enfin, la troisième section commente les propositions les plus récentes en matière d épargne-retraite et formule une proposition alternative qui vise deux objectifs : accroître l intérêt social des pensions en drainant vers les entreprises une épargne retraite finançant la croissance future et limiter la charge publique subséquente au financement des retraites. 1 La retraite en France : faits et projections La France de 2011 compte plus de 16 millions de retraités, le rapport démographique étant de 1 retraité pensionné pour 1,8 actif cotisant. Les prestations de retraite ont atteint 295,7 milliards

d euros, provenant pour 214,7 milliards des régimes de base et pour 81,0 milliards des régimes complémentaires obligatoires. Les régimes supplémentaires facultatifs ont versé environ 6,0 milliards d euros de pensions, la même année. 1.1. Aperçu des régimes obligatoires Les régimes obligatoires des salariés sont construits autour de régimes de base régime général, salariés agricoles et agents de l Etat et de régimes complémentaires obligatoires pour les mêmes catégories, gérés par des caisses ou regroupement de caisses de retraite ARRCO, AGIRC, RAFP, IRCANTEC. Les personnes non-salariées artisans, commerçants, industriels, exploitants agricoles, professions libérales, etc. cotisent obligatoirement à des régimes de retraite spécifiques, de base, complémentaires obligatoires et même supplémentaires obligatoires. Pour l année 2011, en voici la répartition : Les régimes de retraite obligatoires en France Source des données : AGIRC-ARRCO, 2012. 4 OUVRIERS ET EMPLOYES DE L AGRICULTURE CADRES DE L AGRICULTURE CADRES DE L INDUSTRIE, DU COMMERCE ET DES SERVICES OUVRIERS ET EMPLOYES DE L INDUSTRIE, DU COMMERCE ET DES SERVICES SALARIES D ENTREPRISES A STATUT PARTICULIER SALARIES NON TITULAIRES DU SECTEUR PUBLIC ET PARAPUBLIC FONCTIONNAIRES CIVILS ET MILITAIRES AGENTS DE LA FONCTION PUBLIQUE TERRITORIALE ET HOSPITALIERE AUTRES SECTEURS (PUBLIC, PARAPUBLIC ET DIVERS) SALARIES REGIMES DE BASE REGIMES COMPLEMENTAIRES OBLIGATOIRES MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE 665 000 COTISANTS 2 522 000 RETRAITES REGIME GENERAL DE LA SECURITE SOCIALE CNAV 17 800 000 COTISANTS 13 100 000 RETRAITES ARRCO 18 240 000 COTISANTS 11 650 000 RETRAITES REGIME DES AGENTS DE L ETAT 2 112 000 COTISANTS 2 022 000 RETRAITES CNRACL 2 152 000 COTISANTS 861 000 RETRAITES CANSSM, ENIM, FSPOEIE, CRPCEN, RATP, SNCF, CNIEG, BANQUE DE FRANCE, COMÉDIE FRANÇAISE, OPÉRA DE PARIS... 477 000 COTISANTS CRPNPAC 31 000 COTISANTS 18 000 RETRAITES IRCANTEC 2 780 000 COTISANTS 1 869 000 RETRAITES AGIRC 4 000 000 COTISANTS 2 645 000 RETRAITES RETRAITE ADDITIONNELLE DE LA FONCTION PUBLIQUE 4 600 000 COTISANTS 110 000 LIQUIDATIONS 4 081 RENTES VERSEES EN 2011

NON-SALARIES EXPLOITANTS AGRICOLES ARTISANS, COMMERÇANTS ET INDUSTRIELS PROFESSIONS LIBERALES MINISTERE DES CULTES REGIMES DE BASE 1 118 000 RETRAITES MUTUALITE SOCIALE AGRICOLE 518 000 COTISANTS 1 685 000 RETRAITES REGIMES COMPLEMENTAIRES OU SUPPLEMENTAIRES OBLIGATOIRES 535 000 COTISANTS 508 000 RETRAITES REGIME SOCIAL DES INDEPENDANTS 1 999 000 COTISANTS 1 999 000 COTISANTS 1 999 000 RETRAITES 1 149 000 RETRAITES CNAVPL 620 000 COTISANTS REGIMES 258 000 RETRAITES COMPLEMENTAIRES 627 000 COTISANTS 244 000 RETRAITES CNBF 53 000 COTISANTS 53 000 COTISANTS 13 000 RETRAITES CAVIMAC + ARRCO 15 000 COTISANTS 56 000 RETRAITES 11 0000 RETRAITES REGIMES SUPPLEMENTAIRES OBL. 324 000 COTISANTS 113 000 RETRAITES 5 L écheveau des régimes de retraite obligatoires inclut, dans le cas des professions libérales, un échelon supplémentaire. Cette originalité sera considérée dans la troisième partie de la présente note, à l occasion de la proposition de réforme systémique qui y sera faite. 1.2. Les régimes supplémentaires facultatifs et l assurance vie Les produits de retraite supplémentaires correspondent à des régimes facultatifs offerts aux personnes, soit via des plans souscrits individuellement, soit via des plans proposés dans le cadre d une activité professionnelle. L encours total de ces produits est actuellement modeste, environ 136 Md de provision mathématique en 2011, au regard de ceux des régimes de base et des régimes complémentaires obligatoires. La raison principale est que la France a fait le choix de promouvoir l assurance vie et non pas les fonds de pension. La bonne qualité de la gestion financière des contrats d assurance vie, alliée à une garantie en capital et une fiscalité avantageuse, en ont fait le produit phare de l épargne en France, quel que soit le motif de cette épargne, précaution ou retraite. A titre d élément de comparaison, l assurance vie concerne 24,5 millions de personnes, contre 2,1 millions pour le PERP, 1,3 pour les contrats «Madelin» ou encore 1,2 million de salariés (dans 155 000 entreprises) pour les PERCO. C est pourquoi il est logique d inclure l assurance vie parmi les dispositifs permettant de financer la retraite, même si ce n est pas là son objectif premier. 1 1 La même remarque pourrait être faite à propos de l épargne salariale ; cependant son horizon temporel est généralement plus court.

Les tableaux suivants donnent une rapide description des principaux produits disponibles et de leur encours à la fin de l année 2011 (provision mathématique). Produits individuels Produits collectifs 6 Il est à noter que les produits d épargne retraite ont des natures réglementaires différentes et ne sont pas encadrés par les mêmes contraintes prudentielles. Leur succès commercial dépend au moins de trois facteurs : la performance des produits de capitalisation, la préférence du public pour la sécurité et sa prise de conscience de la fragilité intrinsèque du modèle des régimes de répartition. La performance financière d un produit d épargne retraite est influencée par l allocation du portefeuille en différentes classes d actifs et par les règles prudentielles, notamment les directives européennes Solvency (pour les produits d assurance) et IORP Institutions for Occupational Retirement Provision (pour les fonds de pension et plans assimilés).

1.3. Extrapolation des besoins futurs à partir des projections du C.O.R. Dans son document publié en décembre 2012, le Conseil d orientation des retraites (COR) a projeté l évolution des régimes de retraite en France, notamment en termes de rapport démographique, de pensions et de financement. Plusieurs scénarios ont été envisagés : 7 Source : COR, 2012. Les projections portent sur différentes variables, selon une hypothèse sur les rendements (constants ou décroissants) des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO, à partir de l année 2011 et pour les horizons 2020 à 2050 (voir tableau ci-après). Dans la suite de l analyse, nous retiendrons le scénario médian (scénario B) 2 et les projections pour 2030 et 2040, afin d extrapoler un gap de prestations-retraite. La lecture des projections du COR à l horizon 2030 indique : - un revenu moyen qui passe de l indice 100 à l indice 123,5 ; 2 Ce choix pourrait sembler audacieux au vu de la conjoncture économique du début 2013, à la lecture des hypothèses en termes de croissance de la productivité du travail (1,5 %) et de taux de chômage (4,5 %). Rappelons qu il s agit d indications de long terme ; les extrapolations faites ici doivent donc être considérées de la même manière.

- qu en suivant la même progression, les pensions d un montant de 295,7 Md versés en 2011 devrait atteindre 365,2 Md, alors que la projection du COR est de 336,5 Md (indice 113,8). La prestation manquante porterait ainsi sur 28,7 Md à l horizon 2030. Un même calcul conduit à extrapoler un gap de 65,0 Md à l horizon 2040. 8 Source : COR, 2012. Plusieurs questions découlent de l extrapolation proposée ici : - l offre de produits de retraite supplémentaire en France devrait-elle être complétée? - quelle articulation envisager entre les produits de capitalisation et les régimes de retraite par répartition? - quel rôle l Etat pourrait-il jouer dans la perspective du gap de prestations de retraites attendu? Une analyse en termes de coûts et avantages, mais également en termes de diversification des régimes de financement de la retraite est de nature à éclairer le débat. La formulation de propositions implique de s intéresser aux investisseurs de long terme, de comprendre l évolution de leur allocation de portefeuille et d analyser leurs contraintes de passif. 2 Investisseurs de long terme : choix de portefeuille et préconisations Les ménages, les institutions d assurance et fonds de pension, les fonds d investissement sont les agents économiques dont la part des placements investie en capital permanent est la plus grande. La théorie financière et les études empiriques sur de longues séries de données

préconisent ou suggèrent des choix de portefeuille, que la pratique ne confirme pas forcément, à la fois pour des raisons liées à une forte préférence pour la sécurité et pour des raisons réglementaires, prudentielles ou fiscales. 2.1. Les investisseurs de long terme Les données issues de la Banque centrale européenne permettent de ventiler la nature des avoirs financiers par bloc de grands secteurs institutionnels détenteurs, au 31 décembre 2012. Détention d actifs financiers en zone euro (en milliards d euros au 31 décembre 2012) 9 Source : Banque centrale européenne (mai 2013) et calculs de l auteur. Les ménages de la zone euro détiennent 19 626 milliards d euros d avoirs financiers, dont 61 % investis à long terme, directement ou indirectement (obligations, actions et titres assimilés, parts de fonds d investissement, contrats d assurance vie et autres réserves techniques d assurance). Les entreprises d assurance et les fonds de pension détiennent 7,383 milliards d euros d avoirs, dont 80 % de titres financiers à long terme. Il ressort de ces données que les investissements de portefeuille en actifs longs sont surtout le fait des entreprises d assurance et fonds de pension, des ménages et d une partie des intermédiaires financiers non bancaires.

10 Pour la France, les données sont exprimées dans le tableau ci-contre, pour le troisième trimestre 2012. On notera la part très faible d actions cotées directement détenues par les ménages ou par les entreprises d assurance (moins de 4 % de leurs avoirs), même si des actions sont également détenues indirectement via des organismes de placement collectif en valeur mobilières. Les actifs des contrats d assurance vie, ces derniers constituant l essentiel de l offre d épargne financière à long terme, sont représentatifs d actions et d obligations émises par les entreprises non financières pour 20 à 30 % de leur montant (voir par exemple l étude de Durant, Guérin, Lekehal (2009)). Détention d actifs financiers en France (en milliards d euros au 30 septembre 2012) Source : Banque de France et calculs de l auteur. L évolution de la composition des portefeuilles institutionnels de long terme illustre également la part relativement faible d actifs corporate par rapport aux obligations souveraines. A titre d illustration, les 5 500 entreprises d assurance d Europe gèrent un encours de placements dont l allocation évolue comme suit : Evolution de l allocation d actifs des entreprises d assurance en Europe 2001-2010 Source : Insurance Europe, European insurance in figures, janvier 2013.

La part des actifs corporate y est relativement faible, souvent inférieure à 30 % du portefeuille : en effet, la majeure partie des lignes obligataires détenues sont des emprunts émis par des Etats ou par des banques, ce qui a contribué à dégrader la rentabilité des portefeuilles dans un environnement de décrue du niveau général des taux d intérêt. 11 Dans le cas des fonds de pension, l enquête Mercer (2013) fait apparaître la part plus importante des actions dans l allocation des placements (cf. graphique ci-après). Cette même enquête indique une baisse continue de la part des portefeuilles investie en actions sur les dix dernières années (notamment dans le cas des fonds de pensions britanniques) et un accroissement de la part des actifs «alternatifs» ou non-domestiques détenus par les fonds de pension gérant un encours élevé. Et dans tous les cas, la part des emprunts d Etat s est sensiblement accrue, affaiblissant d autant la rentabilité des portefeuilles dans un environnement de baisse du niveau des taux d intérêt. Allocation des placements des fonds de pension en 2012 en Europe Source : Mercer, 2013.

12 Plus largement, les institutions d assurance ou de gestion de fonds dédiés à la retraite font face à des contraintes de passif, notamment liées à l horizon de restitution des fonds ou de paiement des pensions et à la réglementation prudentielle. 2.2. Les préconisations théoriques et empiriques Théoriquement, les portefeuilles devraient être composés de façon à optimiser le couple rentabilité-risque, les investisseurs de long terme pouvant a priori accroître la part des actifs risqués avec l horizon de détention. Cependant, la pratique montre des biais, notamment celui lié à l horizon de détention et celui provenant de la réglementation prudentielle des assurances et des banques ; en outre, la question de l actif sûr (safe asset) se pose avec acuité depuis que les économies occidentales sont entrées dans une phase de croissance faible (année 2008 et suivantes). 2.2.1. L horizon de détention Il est a priori surprenant que la part du portefeuille des investisseurs de long terme allouée aux obligations dépasse généralement celle allouée aux actions. En effet, alors que l allongement des horizons individuels (vieillissement) pourrait inciter l investisseur de long-terme à prendre plus de risque, c est en fait le mouvement inverse qui s esquisse : la part des actions, détenues directement et indirectement dans les portefeuilles institutionnels, a diminué ces dernières années. Certes, les actions sont une classe d actifs traditionnellement considérée comme plus

risquée, mais elles restent incontestablement plus rentables à long terme que les obligations, comme l illustrent les deux graphiques suivants : 13

14 Ces constatations empiriques sur l excès de rentabilité, à long terme, des actions sur les obligations, est confortée par une littérature théorique abondante, qui conclut elle aussi à l intérêt d allouer une part significative des portefeuilles en actifs longs et risqués, dès lors que l horizon de l épargnant s accroît (voir par exemple Campbell et Viceira [2002], Siegel [2005], Bec et Gollier [2008], Garnier et Thesmar [2009]). Précisément, ces travaux mettent en évidence le caractère mean reverting des actions, c est-à-dire le fait que le rendement des actions est caractérisé par une autocorrélation négative sur des périodes de 10 à 30 ans, alors que les rendements obligataires semblent être positivement autocorrélés (à cause de la persistance des chocs sur les taux d intérêt). 2.2.2. Sur le prix des actifs financiers La littérature théorique a cherché à analyser le lien entre le vieillissement des populations et le prix des actifs financiers, notamment en termes de «prédictibilité». L intuition sous-jacente est que la période d accumulation des actifs est suivie d une période de dés-accumulation pour couvrir les besoins de vie d un nombre accru de retraités. Des travaux ont analysé cette hypothèse pour les actions, notamment Favero et al. [2009], Favero et Tamoni [2010]. Selon ces auteurs, il existerait une co-variation positive significative entre le ratio démographique de dépendance (rapport entre la population jeune et la population âgée) et le price earning ratio des actions, finançant le capital productif. A titre d illustration, Liu et Spiegel [2011] proposent le lien graphique ci-après, entre PER et M/O ratio (middle to old age). A la suite des travaux de Fama [2006] sur l identification de la composante de long terme du rendement obligataire souverain, Favero et al. [2011] présentent le lien entre cette composante obligataire et le ratio de dépendance (MYR, voir supra). Selon ces derniers auteurs, les prédictions issues de ces analyses seraient plus robustes que celles issues des modèles d équilibre général.

15 Compte tenu de ces perspectives, que penser des choix des investisseurs de long terme? 2.2.3. La question de l actif safe Nombre d investisseurs recherchent, temporairement ou durablement, un actif permettant une récupération certaine du capital investi, idéalement à tout moment. Traditionnellement, les emprunts d Etat sont vus comme de tels actifs, mais l histoire économique récente (défauts de remboursement célèbres, Russie, Argentine et aussi crise de la période 2008-2011 ) en

démentent la véracité. Ce phénomène est clairement illustré par l évolution des spreads souverains des principaux emprunteurs européens : Source : Agence France Trésor, juin 2012. 16 D un point de vue théorique, la définition de l actif sans risque peut être (i) celle d un actif au rendement certain ou (ii) celle d un actif «zéro-bêta», c est-à-dire de corrélation nulle avec le portefeuille de marché (rassemblant lui-même l ensemble des actifs disponibles pour l investissement). Quelques pistes s offrent pour proposer aux investisseurs un actif répondant mieux à leur demande de sécurité : - portefeuille d emprunts de plusieurs Etats, afin de limiter l aléa moral qui caractérise le lien actuel entre un Etat empruntant facilement dans un monde aux liquidités abondantes ; - portefeuille mixte d emprunts d Etat et de titres de financement d infrastructures avec une garantie de l Etat sur ces titres, mais le risque serait alors celui d une mauvaise sélection des projets d infrastructures ; - portefeuille d emprunts d Etat indexés sur des variables comme l inflation ou un indice du rendement des infrastructures, la difficulté est alors d évaluer ces titres structurés ; - portefeuille mixte d emprunts d Etat et d emprunts privés, la difficulté étant alors d identifier une quantité suffisante d emprunts privés d excellente qualité. 2.2.4. Les contraintes prudentielles Les banques et les entreprises d assurances, les fonds de pension dans une moindre mesure, sont des entités contraintes par une réglementation prudentielle, contrairement aux entreprises non financières. Le ratio prudentiel des banques repose sur une exigence en capital, la surveillance de l appréciation du risque par la banque et la qualité de l information fournie :

l exigence en capital est une pondération du risque de crédit, des risques de marché et du risque opérationnel. Les fonds propres requis sont donc d autant plus élevés que la banque détient des actifs longs et le passage de Bâle II à Bâle III devrait accroître cette exigence. De même, la très prochaine réglementation prudentielle des entreprises d assurance (Solvency II, dont l entrée en vigueur semble être repoussée à 2015 ou 2016 ) reposera sur une exigence en capital, sur la gouvernance, le contrôle interne et sur la qualité de l information communiquée au marché ; les fonds propres requis seront donc d autant plus élevés que les placements se feront en actifs longs et risqués (Garnier [2011]). Le «calage» des contraintes prudentielles sur des notations financières est évidemment problématique pour diverses raisons, notamment parce que le risque de défaut implicite évolue dans le temps, pour une même note (tableau ci-contre). 17 Il semble en outre que la perspective de mise en œuvre des règles de la directive Solvency II soit de nature à réduire la part des actifs corporate dans les portefeuilles des produits d assurance, comme le montrent Arias, Foulquier, Le Maistre (2012). L ensemble des considérations précédentes plaide en faveur d un accroissement de l exposition de l épargne retraite aux actifs corporate, dans l intérêt social des futurs pensionnés. Actuellement, seuls quelques produits disponibles via les régimes supplémentaires de retraite, presque tous facultatifs, le permettent. Une articulation plus étroite avec les régimes obligatoires pourrait envisagée. 3. Orienter l épargne retraite vers les actifs corporate Plusieurs raisons rendent peu soutenable le financement de la retraite exclusivement par répartition : l évolution défavorable du rapport démographique, le besoin d ajustements paramétriques périodiques, l aléa moral provenant du comportement de l Etat et l ignorance de l intérêt social des pensions de retraite. L ampleur des besoins futurs dépasse largement les

visées des propositions conservatrices telles que celles du rapport Berger-Lefebvre (2013). 3 C est pourquoi, après un rapide constat, une proposition iconoclaste sera faite ici, visant à introduire une part de capitalisation dans les régimes obligatoires, de façon à prendre en compte cet intérêt social, tout en renforçant la soutenabilité des régimes fonctionnant par répartition. 4 3.1. Sur la soutenabilité du système de retraite par répartition La retraite en France est essentiellement financée par un mécanisme de redistribution, dont la variable centrale est le rapport démographique cotisants/retraités. Cette variable évoluant défavorablement, les régimes de répartition (base, complémentaires) doivent être périodiquement ajustés selon des réformes paramétriques visant à : - allonger la durée de cotisation (réformes Balladur de 1993, Fillon de 2003) ; - retarder l âge légal minimum de départ à la retraite (réforme Woerth de 2010) ; - abaisser le niveau des pensions futures (désindexation des salaires, Balladur 1993). 18 Le succès d une réforme paramétrique est à chaque fois conditionné par (1) la pertinence des prévisions ou projections économiques faite par les instances idoines (le Conseil d orientation des retraites par exemple) et par (2) l acceptation politique de l ajustement, c est-à-dire le dénouement du rapport de force entre les insiders (les bénéficiaires, cotisants et retraités actuels, des dispositions du régime avant sa réforme paramétrique) et les outsiders (les cotisants et retraités futurs, après la réforme paramétrique). Clairement, la dépendance d une réforme paramétrique de la prévision économique, exercice difficile, en fragilise inévitablement les résultats ; quant à la dimension politique de l ajustement des paramètres, elle paralyse la prise de décision qui devrait pourtant être fondée sur les seules considérations démographique, économique ou sociale (exemple de la tentative de réforme Juppé de 1995). De plus, les gouvernements successifs ont une tendance naturelle à se préoccuper de leur propre avenir politique (ce qui n a rien de choquant) et cela peut induire des choix qui vont à l encontre d un fonctionnement pérenne des régimes de retraite par répartition. Par exemple, le Fonds de réserve des retraites, créé en 1999 pour étayer le régime par répartition, s était vu attribuer par le législateur la mission de «gérer les sommes qui lui sont affectées, afin de constituer des réserves destinées à contribuer à la pérennité des régimes de retraite éligibles». Cela n empêcha pas le gouvernement de ponctionner ce fonds de précaution en 2010, au motif (discutable) que la réforme de la même année l aurait rendu inutile (Amenc et alii, 2010). Enfin, l intérêt social des pensionnés futurs est que le rendement du régime de retraite soit convenable. Face à la décroissance du ratio démographique du régime par répartition d une part, 3 Ce rapport s intéresse à l épargne en général, et non à l épargne-retraite ; une proposition y est faite d allonger la durée des contrats d assurance vie, conditionnant le maintien des avantages fiscaux attachés pour l assuré. Ces contrats seraient en échange plus largement investis en actifs corporate et garantis uniquement à l échéance. L objectif affiché serait de contraindre les contrats à encours individuel élevé à s investir plus largement en actifs risqués afin de financer la croissance économique. L esprit colbertiste du rapport fait de cette proposition un moyen d optimisation fiscale pour les patrimoines les plus importants, ne répondant ainsi pas au besoin d un produit de capitalisation-retraite pour tous. 4 Et ceci sans débattre ici de l opportunité de mettre en œuvre un mécanisme de retraite par points.

et compte tenu de la localisation d une part croissante du développement économique futur dans les économies émergentes d autre part, il semble raisonnable d offrir aux retraités futurs une participation à cette croissance via des produits de capitalisation. 3.2. Sur l intérêt social de l épargne retraite Trois éléments caractérisent l intérêt social de l épargne retraite : la rentabilité du régime choisi, le risque d inflation et le niveau de la garantie possible sur les pensions. Quant à la rentabilité : Accroître la part des actifs risqués d un fonds d épargne retraite permet d en augmenter le rendement sur longue période. Les actifs corporate tels que les actions ou les obligations privées sont un moyen d aller «chercher» de la prime de risque, comme l illustre le graphique cidessous : Prime de risque historique annualisée (%), 1900-2012 Source : Crédit Suisse, 2013. 19

Plus encore, investir dans les actifs corporate d économies jeunes à fort potentiel de croissance, offrirait aux retraités futurs des sociétés vieillissantes une participation aux fruits de leur expansion. Ainsi, une plus grande diversification internationale de la part des portefeuilles d investissement institutionnels serait de nature à améliorer la situation des futurs pensionnés, sans en accroître le risque. Quant au risque d inflation : Un investisseur de très long terme est également sensible à la survenue éventuelle d inflation. Les différentes classes d actifs n ont pas la même sensibilité à ce risque. Le constant empirique montre que les obligations, qui constituent aujourd hui l actif majeur des portefeuilles, y sont particulièrement sensibles, les actions relativement moins, comme le montre l analyse empirique ci-contre. Rentabilité réelle des classes d actifs et inflation, 1900-2011 20 Source : Crédit Suisse, 2012. Quant au niveau de garantie : La garantie de percevoir sa pension, en temps et en heure et pour le montant promis, est naturellement importante pour un retraité. Le régime d épargne offre ainsi un cadre plus ou moins protecteur. Les fonds de pension classiques à prestations déterminées ou à cotisations déterminées présentent chacun un risque important : celui d un sous-financement pour les régimes à prestations déterminées (risque de baisse du rendement des actifs face à l engagement initial), celui d une baisse des pensions pour les régimes à cotisations déterminées (risque de baisse du rendement des actifs, risque de longévité accrue des bénéficiaires). Quant à l assurance vie, elle permet une sortie en rente, dont le montant est garanti en permanence, moyennant de coûteuses contraintes prudentielles. Ces raisons conduisent à favoriser l idée d un régime d épargne à prestations cibles, dont le principe est de viser un niveau de prestations donné avec un degré de garantie élevé (mais pas absolu), au-delà duquel la performance des placements génère une élévation de la prestation. L intérêt social de l épargne retraite réside ainsi dans l optimisation du couple risque-rentabilité du/des régimes en vigueur. Le système par répartition offre un rendement essentiellement fonction de l évolution de son rapport démographique et des risques paramétriques et

politiques ; le système par capitalisation offre une rentabilité fonction des taux d intérêt de l économie et contient des risques d inflation et en capital. Pourquoi ne donc pas conjuguer les deux systèmes pour la partie obligatoire des régimes de retraite? 3.3. Sur la création d un fonds de pension complémentaire pour tous L idée serait de proposer au public, de façon obligatoire, un complément ou un supplément de retraite par capitalisation, en échange d un rachat par l Etat d une (petite) partie des droits à la retraite actuellement financés par répartition. Le rachat de ces droits pourrait prendre la forme d un abondement du fonds de pension complémentaire (ou supplémentaire) pour tous ainsi constitué. Les avantages d une telle solution seraient : - de faire évoluer notre système de retraite vers un meilleur équilibre entre répartition et capitalisation, sans «spolier» les acquis ; - d aller dans le sens de l intérêt social de l épargne retraite, en exposant partiellement les pensions futures à la croissance économique d économies plus jeunes et dynamiques ; - de mieux responsabiliser les bénéficiaires futurs des pensions de retraite ; - d alléger la dette publique provenant de l insoutenabilité économique des régimes actuels en France. 21 Les futurs retraités ont naturellement intérêt à disposer d une pension dont l effort de constitution aura été le moins coûteux possible ; cela rejoint l intérêt d un investissement le plus rentable possible, compte tenu d un niveau de sécurité jugé suffisant. Les fonds à prestations cibles répondent a priori à cette attente et permettre un équilibre intergénérationnel raisonnable (Brown & Meredith, 2012). Le principe des fonds à prestations cibles est de conjuguer la recherche d une cible de prestations atteinte avec un pourcentage élevé de chances (mais pas garantie) et un coût de constitution du régime connu à l avance (comme dans le cas d un régime à cotisations déterminées). Instaurer un tel mécanisme permettrait de mieux équilibrer le système de retraite français, en le rendant moins dépendant d ajustements paramétriques périodiques remettant en cause les droits promis et limiterait le coût public élevé (instabilité sociale et fiscale) des conflits politiques que ces ajustements engendrent. Ce dernier point n est en effet pas négligeable : l équilibrage du régime général des retraites coûte, chaque année, environ 30 % de la partie principale gérée par la Caisse nationale d assurance vieillesse (CNAV).

22 Source : CNAV, 2012. Les données publiées par la CNAV en 2012 (ci-contre) montrent que l Etat abonde les produits pour 10,1 % en 2011, soit 10,3 milliards d d impôts et taxes affectés ; quant au Fonds de solidarité vieillesse (FSV), il couvre 18,8 % des produits, soit 19,1 milliards d, ses dépenses s étant élevées à 22,4 milliards d. Le FSV est un établissement public dont l objet est de se substituer à des cotisants non appelés (chômeurs), de prester des compléments (majorations de pensions, minimum vieillesse) et d assumer le minimum contributif. Structurellement déficitaire, sa dette est reprise et refinancée par la Caisse d amortissement de la dette sociale (CADES). Cette dernière émet ainsi des emprunts obligataires auprès d investisseurs domestiques ou internationaux. L article 9 de la Loi de financement de la Sécurité sociale pour 2011, a chargé la CADES de la reprise du déficit du FSV conjointement avec ceux du régime général pour 68 Md au titre des déficits passés, et pour 62 Md et dans la limite de 10 Md par an au titre des déficits prévisionnels des exercices 2011 à 2018 de la branche vieillesse et du FSV. Clairement, une fuite en avant s organise, dont l issue n est certainement pas de pérenniser le mécanisme de répartition actuellement en vigueur : l accumulation de droits à des pensions futures désormais partiellement financées par de la dette publique et par de l impôt (faute de cotisations), constitue une charge que les actifs futurs, proportionnellement moins nombreux, ne pourront à l évidence assumer. C est pourquoi il semble raisonnable de proposer une réduction de ces droits partiellement fictifs, dans le cadre d un rachat par l Etat, pouvant prendre la forme d une dotation initiale (ou d un abondement) à un fonds de pension pour tous. Dans un premier temps, le caractère obligatoire de ce fonds viserait à éviter qu une partie des retraités futurs, les actifs aux revenus modestes ou les actifs insouciants, deviennent un jour des retraités pauvres. Il pourrait être assigné à ce fonds, complétant le mécanisme de répartition, l objectif d atteindre un niveau minimal de pension à taux plein (ce niveau a vocation à être discuté par les partenaires sociaux et l Etat, avant une adoption éventuelle par la représentation nationale). Un régime à prestations cibles pourrait être envisagé comme cadre d installation du fonds.