Éthique de la décision médicale Dr Samia Hurst Institut d éthique biomédicale Faculté de médecine, UNIGE
Programme Ethique dans la décision : Les valeurs dans la décision à prendre Autonomie du patient Limites de l'autonomie du patient et du soignant Éthique dans la façon de décider Comment oublier le moins possible de valeurs en route (une introduction à demain) Intégrité des participants Responsabilité(s)
Mme Irène, 78 ans Mme Irène est retraitée, vit seule, et n a pas de médecin traitant. Elle est hospitalisée pour chute à domicile. Aux urgences: Anamnèse: douleur de la jambe gauche gênant la marche depuis quelques jours Examen clinique: pas d état fébrile, oedème inflammatoire du MIG avec tracé lymphangitique, adénopathie inguinale sensible, mycose interdigitale. Examens complémentaires: hyperglycémie (pas d antécédent connu de diabète)
Mme Irène, 78 ans Donc: une infection probablement bactérienne de la jambe gauche, qui cause une poussée de diabète qu il va falloir traiter. Cela nécessitera un traitement antibiotique intraveineux, et certainement aussi de l insuline Cette attitude est acceptée par la patiente, qui est admise dans votre service.
Mme Irène, 78 ans Le lendemain, Mme Irène est irritable et demande à rentrer chez elle. Le profil glycémique est meilleur, mais elle a toujours besoin d insuline. L inflammation de sa jambe, par contre, a un peu augmenté et ça lui fait toujours aussi mal. Elle ne peut pas marcher. Lorsque l équipe la confronte avec la difficulté qu elle aura à s occuper d elle-même, elle les remercie de leurs soins mais persiste dans sa demande. Elle souhaite arrêter les piqûres et rentrer.
Le bien de la patiente: quelles priorités? Être chez elle Ne plus avoir mal Que son infection guérisse Attendre la visite de sa petite-fille, qui ne sait pas qu elle est à l hôpital Marcher pour ne pas oublier comment Que son infection guérisse Marcher pour ne pas oublier comment Ne plus avoir mal Être chez elle Attendre la visite de sa petite-fille, à qui l on peut faire dire qu elle est à l hôpital
Les valeurs dans la décision Il y a des valeurs dans toute décision D ailleurs, c est grâce à elles qu on arrive à décider! Quand aucunes valeurs, rien de ce qui nous importe, ne vient pencher la balance, cela nous est forcément égal L éthique dans la décision, ce n est donc pas un ajout facultatif: il y a des valeurs dans toute décision, et des valeurs morales dans toute décision qui affecte d autres humains.
Les valeurs dans la décision Des personnes raisonnables peuvent ne pas privilégier les mêmes valeurs Et donc ne pas être d accord entre elles C est vrai pour vous Et pour une équipe soignante Et aussi pour un patient et son médecin
Le bien du patient, ce n est pas simple On peut être en désaccord sur La quantité de bien qu on est en droit d attendre d une intervention, mais aussi L ordre des priorités La quantité de bien qu il faut pour qu une intervention soit souhaitable en tant que moyen pour l obtenir.
Jusqu où aller? Très utile Qu est-ce qui est médicalement indiqué? Très peu utile? Il y a une différence fondamentale entre: C est utile parce que ça apporte un bénéfice et C est utile parce que ce bénéfice vaut la peine. C est la différence entre: Une description Nous sommes experts et Un jugement de valeur C est une question personnelle
Combien de bien pour qu un moyen soit le bon? Très utile Qu est-ce qui est médicalement indiqué? Très peu utile Votre seuil Celui de la patiente «Ce médecin rationne, il s occupe mal de moi» «Ce médecin s acharne, je n ai pas besoin de ça»
L autonomie du patient Le patient est une personne raisonnable comme une autre: Il peut aussi ne pas être d accord Le patient n est pas une personne raisonnable comme une autre: Il doit être au centre des soucis des autres Il est le premier concerné
L éthique dans la façon de décider
Il y a des valeurs dans la décision Et l on risque d en oublier C est utile d être systématique Quelles sont les valeurs que je peux reconnaître dans cette situation? Quelles sont les valeurs que d autres personnes concernées reconnaissent dans cette situation?
Pour ne pas oublier de valeurs «en route» 1. Identifier les difficultés éthiques 2. Être systématique dans leur approche 3. Systématiquement inclure autant que possible toutes les personnes concernées. Vous aurez l occasion de passer aux travaux pratiques demain et jeudi
Intégrité des participants Dans un hôpital, les décision engagent de plus en plus souvent plusieurs personnes. Dans une décision en groupe, plusieurs situations sont possibles: Une personne décide et le groupe suit car il le doit Une personne décide et le groupe suit car il est convaincu Le groupe est spontanément d accord Le groupe décide ensemble, malgré des désaccords
Une personne décide et le groupe suit car il le doit C est le modèle «traditionnel» du rapport entre médecin et autres professions de la santé Il part du principe que le médecin est seul responsable de la décision. Les autres personnes sont des exécutants.
Une personne décide et le groupe suit car il le doit Problèmes: d autres doivent aussi agir et seront donc à ce titre responsables Ce modèle force des personnes, des agents moraux, à agir parfois contre leur propre conscience pour obéir à des ordres donnés Il accepte que des éléments pertinents dont disposent les «exécutants» ne soient pas pris en compte Ce modèle mets à risque l intégrité des participants et la qualité éthique de la prise de décision.
Une personne décide et le groupe suit car convaincu C est une version participative du précédent. Mais en fait, si l on part du principe que c est de toute façon cette personne qui décide, cela peut tourner au «causes toujours».
Le groupe est spontanément d accord Cela arrive! Mais la médecine nous confronte avec.des situations où des personnes raisonnables ne sont pas d accord. Donc ce cas de figure ne sera de toute façon pas systématique.
Le groupe décide ensemble, malgré des désaccords C est possible! Les désaccords portent souvent sur les moyens (technologies à utiliser ou non) alors qu on est d accord sur le but (faire le bien de la patiente, limiter les complications, respecter son autonomie) Se mettre d accord peut aussi être un but. Mais on le voit, le mode de décision soulève ses propres enjeux éthiques. Ici, l éthique clinique fait aussi appel à des notions de philosophie politique
Être systématique Les faits Les valeurs Les acteurs C est important de commencer par là. Pour être systématique, il faut souvent plus de faits que ceux que l on récolte pour un dossier médical «classique» Elles peuvent être difficiles à articuler. Il peut être difficile d admettre une transgression, quelle qu elle soit. Et pourtant, dans notre vie morale, nous visons souvent des buts contradictoires Faire de bons actes Permettre de bonnes conséquences «Qui doit être inclus?» est une questions importante et parfois compliquée. Si une valeur est importante, le fait que la personne qui l exprime a peu de pouvoir ne doit pas en diminuer l importance. Une aide extérieure est parfois utile pour une délibération commune.
Le but de la démarche Quel est la bonne attitude et pourquoi est-elle la bonne? Le but est, dans une situation éthiquement difficile, d atteindre une solution mutuellement acceptable entre personnes capables de s écouter respectueusement. et que l on puisse justifier vis-à-vis de soi-même ou d autres personnes Parfois, c est possible! Quand ça ne l est pas, il faut au moins que tous se soient sentis entendus
Intégrité des participants Lorsque des décisions sont imposées, les exécutants peuvent en souffrir On parle de «détresse morale» pour décrire cette perte de l intégrité personnelle dans la pratique de sa profession. Décider ensemble, autant que possible doit être un but: Les métiers de la santé ont de multiples manières d être difficiles. N en rajoutons pas en faisant violence à la conscience de nos collègues. ni à la nôtre.
Responsabilité(s) Plus d autonomie pour le patient Plus de respect pour l intégrité des collègues La responsabilité médicale est-elle en voie de disparition?
Responsabilité(s) En fait, ces évolutions entraînent des responsabilités plus complexes pour les médecins. Respecter, mais aussi soutenir, l autonomie des patients demande du temps et des connaissances Gérer respectueusement des décisions en groupe est parfois difficile Ne pas être seul responsable ne signifie pas que l on n est plus responsable à part entière d une décision prise.
Points à retenir Il y a des valeurs dans nos décisions, mais aussi dans notre manière de décider. Il y a différentes manières de partager la prise de décision Entre un médecin et son patient Entre membres d une équipe soignante «La bonne» peut changer selon les circonstances Toute personne concernée à droit à une voix au chapitre Le patient est en général le premier concerné! Il n est pas seulement le premier concerné par la décision, il est aussi le premier concerné par le choix de la manière de décider!
Demain Vous mettez la main à la pâte Nous entrerons dans le vif du sujet avec des cas cliniques. Nous avons prévu des cas pour cela, mais si vous en avez un que vous voudriez discuter, venez nous le raconter. Nous ne vous promettons pas de le mettre au programme, mais nous verrons!