C oncepts et ratique Hépatite alcoolique aigu e grave : de bonnes nouvelles tricolores! Acute severe alcoholic hepatitis: good news from France! Alexandre Pariente Centre hospitalier de Pau, Unite d hepatogastroenterologie, 6446 Pau Cedex, France e-mail : <alexandre.pariente@ch-pau. fr> References Mathurin P, Moreno C, Samuel D, et al. Early liver transplantation for severe alcoholic hepatitis. N Engl J Med 1 ; 365 : 179-8. Nguyen-Khac E, Thevenot T, Piquet M-A, et al. Glucocorticoids plus N-acetylcysteine in severe alcoholic hepatitis. N Engl J Med 1 ; 365 :1781-9. «i La France est un pays d alcoolisme et de cirrhose» : c est ainsi que commençait la question d internat d Yves Lenormand dans la Vie Medicale des annees 197 ; on pourrait des lors s etonner de ne pas lire plus souvent dans les grandes revues des travaux cliniques français de haut niveau sur le sujet. Pourtant, en France, environ 7 deces et environ un tiers (3) des transplantations hepatiques sont dues chaque annee a la cirrhose alcoolique. On ne peut donc qu ^etre ravi de voir des equipes tricolores s attaquer brillamment a un sujet trop delaisse, et coloniser les colonnes du New England Journal of Medicine. Transplantation hépatique (TH) précoce pour hépatite alcoolique aigu e (HAA) grave ne répondant pas à la corticothérapie La survie apres TH pour cirrhose alcoolique est bonne (environ 8 % a 1 an, % a 5 ans), mais l indication reste hypothequee par le risque de reprise d une consommation excessive d alcool, d autant plus frequente que la periode d abstinence avant la transplantation est plus faible. La «regle des 6 mois d abstinence», m^eme si elle n est plus consideree comme intangible, reste sans doute largement appliquee [1]. La règle des 6 mois d abstinence n est pas intangible mais... En cas d HAA severe, l equipe de Lille a montre qu en calculant au septieme jour de traitement medical incluant les corticoïdes le score qu elle a mis au point (www.lillemodel.com), on peut identifier precocement une population de malades «non-repondeurs» dont la mortalite est d au moins 7 % a 6 mois. Il etait donc raisonnable, comme l avait propose la conference de consensus de 25 [1] d evaluer la faisabilite d une transplantation hepatique precoce dans cette indication. L equipe de Lille a conduit une etude ouverte, franco-belge, dans 7 centres, chez 26 malades hospitalises pour une premiere poussee d hepatite alcoolique severe (score de Maddrey [= 4,6 (TPmal TPtem en sec) + Bilirubinemie en mg/dl] > 32, preuve histologique), ne repondant pas a la corticotherapie (score de Lille restant >,45 a 7 j ou score MELD continuant a augmenter). Ils avaient 35 a 6 ans (mediane 47), il y avait 58 % d hommes, une corticotherapie fut prescrite chez 24 d entre eux, le score de Maddrey allait de 36 a 165 (mediane 76), le score de MELD de 3 (22-47). Il s agissait de la premiere manifestation de la maladie alcoolique du foie. Les malades devaient avoir un bon soutien familial, ne pas avoir d antecedent somatique ou psychia- Pour citer cet article : Pariente A. Hepatite alcoolique aigu e grave : de bonnes nouvelles tricolores! Hepato Gastro 2 ; 19 : 28-284. doi : 1.1684/hpg.2.79 doi: 1.1684/hpg.2.79 28 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
Concepts et Pratique trique severe, et s engager a une abstinence a vie. Le processus de selection impliquait les proches et l ensemble de l equipe soignante incluant infirmieres, medecins, addictologues, anesthesistes et chirurgien selon un schema sequentiel preetabli. Les malades furent inscrits sur liste de TH apres une mediane de 13 jours et furent transplantes 9 jours plus tard (mediane) avec un foie de cadavre. Ils representaient environ 2 % de l ensemble des malades hospitalises pour HAA severe, et 3 % de l ensemble des TH. Le critere principal de jugement etait la survie a 6 mois. Survie à 6 mois, 77 % chez les transplantés contre 23 % chez les témoins La survie a 6 mois etait de 77 8 %, significativement meilleure que celle de 26 sujets temoins non transplantes apparies prospectivement (23 8%, p <,1), 9 % des deces des non transplantes survenant dans les 2 premiers mois (figure 1). Les temoins n etaient pas tires au sort mais apparies au plus pres pour l ^age, le sexe, le score de Maddrey et le score de Lille. Les 6 deces post-th etaient dus 5 fois a une infection dont 4 aspergilloses. La survie actuarielle a 2 ans etait de 71 9%. La survie des malades transplantes etait egalement significativement superieure a celle de 69 temoins apparies non repondeurs a la corticotherapie, mais similaire a celle 1 5 77 ± 8 % de 92 temoins repondeurs apparies (cette fois les temoins etaient retrospectifs, tires au sort dans la base de donnees de Lille, avec des regles de concordance [^age a 1 ans pres, m^eme sexe, m^eme classe de score de Maddrey < 6, 6-9, > 9, et score de Lille a,15 pres]) (figure 2). A 6 mois, tous les malades restaient abstinents, mais a 2-3 ans, 3 malades avaient repris de l alcool, dont 2 regulierement sans complication. Cette etude etablit la faisabilite et l excellente efficacitede la TH dans des conditions particulierement difficiles, chez des malades hautement selectionnes. Tout malade a priori transplantable et ne s ameliorant pas ou s aggravant dans la premiere semaine doit desormais ^etre transfere dans un centre de TH. Tout malade a priori transplantable ne s améliorant pas rapidement doit ^etre transféré dans un centre de transplantation On voit apparaître des complications infectieuses particulieres (aspergillose) dont la reconnaissance precoce permettra sans doute d ameliorer les resultats ulterieurs, et il faudra peut-^etre discuter de protocoles plus legers d immunosuppression chez ces malades spontanement tres immunodeprimes. L existence d une HAA per se (tous criteres de gravite etant egaux par ailleurs) ne semble pas, dans un travail retrospectif etasunien recent, alterer le Malades transplantés P <,1 à 6 mois (critère principal de jugement) P <,1 à 24 mois (suivi prolongé) 71 ± 9 % 25 23 ± 8 % Contrôles appariés 23 ± 8 % Malades transplantés 26 Témoins appariés 26 6 12 18 24 Mois 2 6 15 6 14 5 13 4 Figure 1. Survie actuarielle (Kaplan-Meier) de 26 malades transplantes precocement pour une HAA severe sans amelioration a J7, comparee a celle de 26 temoins apparies au plus pres. HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive 281
1 Témoins répondeurs à la corticothérapie 85 ± 4 % Malades transplantés 77 ± 8 % P =,33 5 Témoins non-répondeurs à la corticothérapie P <,1 25 3 ± 6 % Témoins répondeurs 92 Malades transplantés 26 Témoins non répondeurs 69 pronostic a 5 ans de la TH pour cirrhose alcoolique [2], mais les malades etaient sans doute plus graves dans l etude française. Enfin, noter que chez un malade le diagnostic d HAA, non fait sur la biopsie, l a ete sur l explant hepatique : je serais tres heureux qu on calcule enfin, a Lille ou ailleurs, ou les bases existent, des scores biocliniques predictifs d HAA qui permettraient sans doute d eviter beaucoup de biopsies et de discuter le resultat de celles apparaissant faussement negatives... Faut-il ajouter de la N-acetylcystéine (NAC) aux corticoïdes en cas d HAA sévère? C etait a priori une hypothese plausible : la N-acetylcysteine (NAC) est le precurseur du glutathion (dont les hepatocytes sont depletes en cas d hepatite alcoolique aigu e (HAA), elle a egalement des proprietes antioxydantes, elle est le traitement de choix de l intoxication au paracetamol, et elle a ete montre efficace au cours des hepatites fulminantes, qu elles soient liees ou non au paracetamol [3, 4]. L equipe d Amiens a conduit une etude multicentrique française (11 centres), randomisee, contr^olee, ouverte, chez 18 malades (dont 174 finalement analysables en intention de traiter), avec seulement 6 perdus de vue ayant une HAA severe (score de > 32, preuve histologique) traites par 4 mg de prednisolone/j/28 j per os. Apres 2 4 6 Mois 77 Figure 2. Courbe de survie actuarielle pendant les 6 premiers mois des 26 malades transplantes, compares a 92 temoins repondeurs a la corticotherapie et 69 temoins non repondeurs, tires au sort dans la base de donnees de Lille (voir texte). 71 2 19 tirage au sort, la moitie reçut une perfusion de NAC (tableau 1), l autre la perfusion d une quantite equivalente de serum glucose a 5 %. Le critere principal de jugement etait la survie a 6 mois, et l effectif calcule pour permettre une augmentation brute de la survie de 67 % a 87 % avec un risque a de 5 % et un risque b de 1 %. Les malades des 2 groupes etaient comparables (en moyenne ^age 52,5 ans, 52,5 % d hommes, Child-Pugh 11,2, Maddrey 58, bilirubinemie 249 mm, TP 39 %, albuminemie 24,5 g/l, creatininemie 73 mm). Mortalité non significativement réduite sous prednisolone + N-acetylcystéine A 6 mois la mortalite etait de 38 % sous prednisolone seule, et de 27 % dans le groupe avec NAC (p =,7) ; la Tableau 1. Mode d administration de la N-acétylcystéine pour le traitement de l hépatite alcoolique aigu e sévère. 15 mg/kg/25 ml de sérum glucosé à 5 % en 3 minutes. puis 5 mg/kg/5 ml de sérum glucosé à5 % les 4 h suivantes. puis 1 mg/kg/1 L de sérum glucosé à5 % les 16 h suivantes. puis 1 mg/kg/1 L de sérum glucosé à5 % j pendant 4 jours. 282 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive
Concepts et Pratique 1,,9,8 Prednisolone-N-acétylcystéine,7,6 Prednisolone seule difference de mortalite etait significative a 1 mois (24 % vs 8 %, p =,6), limite a 3 mois (34 vs 22 %, p =,6) (figure 3). Syndrome hépatorénal moins fréquent sous prednisolone + N-acétylcystéine Les causes de mortalite etaient similaires, sauf les syndromes hepatorenaux, plus frequents sous prednisolone seule (22 % vs 1 %, p =,2). Il y eut cependant 5 ruptures de varices œsophagiennes mortelles sous traitement combine, contre une seule sous prednisolone seule, (la NAC peut faire beaucoup vomir). La baisse de la bilirubinemie aj7eta J14 etait predictive de survie, et plus frequemment obtenue sous traitement combine. La conclusion est donc incertaine : la significativite n est pas obtenue pour le critere principal de jugement (la survie,5,4,3,2,1, Prednisolone seule 89 Prednisolone + N-acétylcystéine 85 P =,7 par le test du log-rank 3 6 9 12 15 18 Jours 69 78 Figure 3. Survie cumulative a 6 mois chez 174 malades atteints d hepatite alcoolique aigu e traitee par prednisolone ou prednisolone + N-acetylcysteine. 61 73 6 66 56 63 55 63 a 6 mois), malgre une mortalite relativement elevee dans le groupe prednisolone seule, ce qui peut ^etre d^u a l absence d efficacite supplementaire de la NAC, a une efficacite plus faible que prevu dans le calcul d effectif (on avait prevu une reduction supplementaire de 2 %, on a observe 11 %), ou a un vice cache de la randomisation. Cette derniere hypothese n est pas impossible, notamment parce que l on ne sait rien de la frequence ni de l intensite de la consommation de paracetamol chez les malades de cet essai ; on sait qu elle est habituelle, et qu elle peut entraîner des insuffisances hepatiques severes a doses «therapeutiques» chez les malades ayant une maladie alcoolique du foie. En attendant le prochain essai necessaire pour affirmer le benefice du traitement combine, en l absence d effets indesirables importants, la tentation sera forte d administrer de la NAC en plus de la prednisolone, au moins chez les malades ayant pris recemment du paracetamol. 46 48 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive 283
Conclusion Deux tres belles etudes donc, avec des etudes confirmatives sans doute deja en route, et des implications pratiques immediates ou la conscience personnelle du prescripteur peut (doit) aller au-dela de la seule evidence based medicine! Conflits d inter^ets : aucun & Références 1. Conference de consensus : Indications de la transplantation hepatique. Lyon 25. www.hassante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/trnasplantation_ hepatique_25_long.pdf. 2. Singal AK, Bashar H, Anand B, et al. Outcomes after liver transplantation for alcoholic hepatitis are similar to alcoholic cirrhosis: Exploratory analysis from the UNOS database. Hepatology 2 (epub ahead of print). 3. Lee WM, Hynan LS, Rossaro L, et al. Intravenous N-acetylcysteine improves transplant-free survival in early stage non-acetaminophen acute liver failure. Gastroenterology 29 ; 137 : 856-64. 4. Louvet A, Dharancy S, Mathurin P. La mesaventure therapeutique au paracetamol chez le buveur excessif. Presse Med 29 ; 38 : 72-3. 284 HEPATO-GASTRO et Oncologie digestive