UN CALCUL D INTÉGRALE CHEZ PASCAL

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Transcription:

UN CALCUL INTÉGRAL CHZ PASCAL Objectif Notions utilisées Lire et comprendre un texte historique, l adapter en langage moderne, redémontrer certains de ses résultats. S initier aux sommes de Riemann. éfinition de l intégrale. Interprétation en terme d aire. Il a fallu attendre Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1715) pour qu apparaisse le signe d intégration, ainsi que la notation dx. C est à ce même mathématicien, concurremment avec Isaac Newton (1642-1727), que l on doit aussi des conceptions et des méthodes simples et claires dans le domaine de l intégration. Cependant, bien avant eux, depuis Archimède (282-212 avant Jésus-Christ), des mathématiciens pratiquaient des calculs que nous appellerions intégrations, qui prenaient la forme de calculs d aires, de volumes ou de longueurs, ou de déterminations de centres de gravité. Leibniz trouva sa source d inspiration dans l œuvre de son illustre prédécesseur Blaise Pascal (1623-1662). Celui-ci, grand philosophe et grand écrivain, est aussi l auteur d une œuvre mathématique de première importance. Ses lettres regroupées sous le titre «la Roulette et autres traités connexes» sont considérées comme le premier traité de calcul intégral. Mais Pascal n utilise bien sûr ni le mot, ni le signe d intégrale ; il ne parle que de sommations. ans le texte présenté ci-après, Blaise Pascal calcule une «somme de sinus», c est-à-dire, avec notre vocabulaire, l intégrale de la fonction sinus sur un intervalle. Il s agit d étudier ce texte, de traduire certaines expressions en langage moderne et de comprendre la démarche de Pascal. La partie A présente le texte original de Pascal. Les parties B et C adaptent le raisonnement de Pascal dans le langage actuel. La partie, enfin, donne une traduction moderne de l énoncé de la proposition 1 de Pascal. VII - Intégration Un calcul d intégrale chez Pascal 1

A. Texte historique Traité des sinus du quart de cercle Soit ABC un quart de cercle, dont le rayon AB soit considéré comme axe, et le rayon perpendiculaire AC comme base ; soit un point quelconque dans l arc, duquel soit mené le sinus I 1 sur le rayon AC ; et la touchante 2, dans laquelle soient pris les points où l on voudra, d où soient menés les perpendiculaires R sur le rayon AC ; B K ' Je dis que le rectangle compris du sinus I et de la touchante 3 est égal au rectangle compris de la portion de base (enfermée entre les parallèles) et du rayon AB 4. Car le rayon A est au sinus I comme à RR ou à K : ce qui paraît clairement à cause des triangles rectangles et semblables IA, K, l angle K ou I étant égal à l angle AI. A R' I R C Proposition I 5 La somme des sinus d un arc quelconque du quart de cercle est égale à la portion de la base comprise entre les sinus extrêmes 6, multipliée par le rayon. 1 Ce que Pascal nomme «le sinus I» n est autre que le segment [I]. La longueur de ce segment n est d ailleurs pas égale au sinus de l angle IA, mais à AB. sin(ia) ; le mot «sinus» avait au XVII e siècle un sens légèrement différent du nôtre 2 La «touchante» est la tangente au quart de cercle en. 3 La «touchante» désigne ici la longueur du segment [ ] de la tangente ( ). 4 Cette phrase peut se résumer par l égalité : I. = AB. RR ; mais Pascal utilise un vocabulaire très géométrique. 5 «Proposition» a ici, comme encore souvent de nos jours en mathématiques, le sens de «théorème». 6 «la portion de la base comprise entre les sinus extrêmes» désigne la distance AO. VII - Intégration Un calcul d intégrale chez Pascal 2

Préparation à la démonstration Soit un arc quelconque BP divisé en un nombre indéfini de parties aux points, d où soient menés les sinus PO, I, etc. (...) émonstration de la proposition I Je dis que la somme des sinus I (multipliés chacun par un des arcs égaux, comme cela s entend de soimême) est égale à la droite AO multipliée par le rayon AB. Car en menant de tous les points les touchantes, dont chacune coupe sa voisine au point, et ramenant les perpendiculaires R, il est visible que chaque sinus I, multiplié par la touchante, est égal à chaque distance RR, multipliée par le rayon AB onc tous les rectangles ensemble des sinus I, multipliés chacun par sa touchante (lesquelles sont toutes égales entre elles) sont égaux à tous les rectangles ensemble faits de toutes les portions RR multipliées par AB ; c est-à-dire (puisqu une des touchantes multiplie chacun des sinus, et que le rayon AB multiplie chacune des distances) que la somme des sinus I, multipliés chacun par une des touchantes, est égale à la somme des distances RR, soit à AO multipliée par AB. Mais chaque touchante est égale à chacun des arcs égaux. onc la somme des sinus multipliés par un des petits arcs égaux est égale à la distance AO, multipliée par le rayon. B = A = I R I R I R I R O = I P = C Avertissement Quand j ai dit que toutes les distances ensemble RR sont égales à AO, et de même que chaque touchante est égale à chacun des petits arcs, on n a pas dû en être surpris, puisqu on sait assez qu encore que cette égalité ne soit pas véritable quand la multitude des sinus est finie, néanmoins l égalité est véritable quand la multitude des sinus est indéfinie; parce qu alors la somme de toutes les touchantes égales entre elles ne diffère de l arc entier BP, ou de la somme de tous les arcs égaux, que d une quantité moindre qu aucune donnée: non plus que la somme des RR de l entière AO. (...) VII - Intégration Un calcul d intégrale chez Pascal 3

B. Transcription moderne de la démarche de Pascal à propos de la Proposition I. ans sa «préparation de démonstration», Pascal «divise l arc BP en un nombre indéfini de parties aux points». On dirait aujourd hui que l arc BP est divisé en n arcs de même longueur :,,,..., 0 1 1 2 2 3 n 1 n avec 0 = P et n = B. Chaque point k a pour projeté orthogonal sur la droite (AC) le point I k. Le point d intersection de deux tangentes successives au cercles, menées par k 1 et k, est noté k (1 k n) et on pose n + 1 = B. Le projeté orthogonal de k sur (AC) est noté R k (1 k n) et on pose R n + 1 = A. Pascal démontre d abord que, pour tout entier naturel k compris entre 1 et n 1 : k I k. k k + 1 = AB. R k R k + 1. (1) B = 4 4 3 3 2 1 P = 0 A = I R I R I R 2 I 1 R 1 O C 4 3 3 2 4 = I 0 Puis Pascal introduit le nombre égal à «tous les rectangles ensemble des sinus I, multipliés chacun par sa touchante». Pour suivre son idée, on note s la somme s = 1 I 1. 1 2 + 2 I 2. 2 3 +... + n I n. n n + 1. On montre que s = R 1 A. AB. (2). Lorsque le nombre de subdivisions n de l arc PB tend vers +, s tend vers AO. AB. (3) Mais Pascal s intéresse en fait à la limite quand n tend vers + de la somme s suivante : s ' = 11 I long 01+ 2I2 long 12 + + n I n long n 1 n où long i i + 1 désigne la longueur de l arc i i + 1. Pascal admet que cette dernière limite est égale à celle de s, lorsque n tend vers +. (4) Conclusion : La limite de la somme s lorsque n tend vers + vaut : AO. AB. 2 1 C. Questions sur la démarche de Pascal 1. Énoncer le lemme en langage moderne et le démontrer. 2. a. émontrer l affirmation (1) pour 1 k n 1 et aussi pour k = n. b. émontrer alors l affirmation (2). 3. xpliquer par des considérations géométriques pourquoi les affirmations (3) et (4) semblent valables. 4. On a ici exprimé les affirmations (3) et (4) grâce au vocabulaire actuel des limites, dont ne disposait pas Pascal. Relever dans l Avertissement les expressions grâce auxquelles Pascal évoque l idée du passage à la limite. VII - Intégration Un calcul d intégrale chez Pascal 4

. Transcription moderne de l énoncé de la proposition I : «Un calcul d intégrale par la méthode des rectangles» 1. Pascal a donc calculé dans ce texte la limite lorsque n tend vers + de la somme s ' = I long + I long + + I long 11 0 1 2 2 1 2 n n n 1 n ans l énoncé du théorème, il dénomme cette limite «Somme des sinus» de l arc BP. Nous allons montrer qu il s agit en fait d une intégrale. Pour simplifier, on se place désormais dans le cas particulier où le rayon AB du cercle vaut l unité. On note p = x 0, x 1, x 2,... x n = 2 les longueurs B = 4 3 respectives des arcs CP, C, C,, C n. 1 2 2 émontrer que : s' = long 01 sin( x1) + long 12 sin( x2) + + long sin( x ) n 1 n n 1 2. On considère maintenant la courbe représentative de la fonction sinus dans un repère orthonormal, puis les points P = X 0, X 1, X 2,..., X n de l axe des abscisses, d abscisses respectives p = x 0, x 1, x 2,... x 1 P = 0 x n = 2 (voir la figure ci-dessous). a. Vérifier que s apparaît alors comme la somme des aires des rectangles dessinés sur la figure dans le cas où n = 4. A = I 4 I 3 I 2 I 1 P = I 0 C b. xpliquer pourquoi, lorsque n, nombre de points de la subdivision, tend vers +, la somme s des aires des rectangles semble tendre vers l aire a de la portion de plan P P B B comprise entre (Ox) et la sinusoïde d une part, et entre les droites d équations x = p et x = 2, d autre part. 0 1 p = x0 x 1 x 2 x 3 2 P' = X 0 X 1 X 2 X 3 X 4 = B' VII - Intégration Un calcul d intégrale chez Pascal 5

La «somme des sinus» dont parle Pascal, qui est la limite de s, peut donc être interprétée graphiquement comme étant égale à l aire a, c est-à-dire encore comme l intégrale 2 sin( x ) dx. ailleurs le p signe d intégration, qui se lit «intégrale» ou «somme», dû à Leibniz, est une déformation de «S» initiale du mot «somme». 0 1 P' P'' p 2 B'' B' c. ans le cas où AB = 1, vérifier que le résultat de Pascal se traduit par : 2 sin( x ) dx = cos( p ) p Vérifier ce résultat à l aide d un calcul intégral. VII - Intégration Un calcul d intégrale chez Pascal 6