Item 252 : INSUFFISANCE RENALE AIGUË - ANURIE * OBJECTIFS PEDAGOGIQUES : - Diagnostiquer une insuffisance rénale aiguë et une anurie - Identifier les situations d urgence et planifier leur prise en charge Auteur : Docteur Christine AZEMA Référent : Docteur François BOUISSOU (bouissou.f@chu-toulouse.fr) Version 2008 Points importants : prédominance des étiologies pré rénales chez le nouveau né, mesures préventives critères biologiques différents de l adulte et savoir se référer aux normes en fonction de l age enquête étiologique méthodique urgence thérapeutique, traitement symptomatique et étiologique *Ce chapitre ne traite que ce qui concerne l enfant
La survenue d une insuffisance rénale aigüe (IRA) chez le nourrisson et l enfant reste une situation assez fréquente qui impose une démarche diagnostique : reconnaître l étiologie, évaluer les perturbations cliniques et biologiques adapter la thérapeutique. Il faut également insister sur la prévention de l insuffisance rénale dans les situations à risque. 1 ASPECTS CLINIQUES Définition L IRA se caractérise par une chute brutale du débit de filtration glomérulaire, met en jeu le pronostic vital par accumulation croissante des déchets azotés, par les troubles hydroélectrolytiques et de l équilibre acidobasique. - Le critère fondamental du diagnostic est biologique : élévation de la créatinine et urée par rapport aux normes (voir tableaux 1 et 2 ) - L IRA se présente le plus souvent par une réduction de la diurèse : Anurie < 1 ml / kg / j Oligoanurie < 300 ml / m 2 / 24 h ou 0.5 ml / kg / h enfant Parfois diurèse conservée mais inefficace Conséquences La conséquence de l IRA est le syndrome d urémie aiguë, d autant plus marqué qu il existe une oligoanurie. Il comporte des anomalies humorales avec tardivement des conséquences cliniques, viscérales. Syndrome d urémie aiguë Rétention azotée : Créatininémie, urée sanguine, uricémie Hyperkaliémie Hyperhydratation : intracellulaire, extracellulaire, globale Acidose métabolique Hypocalcémie, hyperphosphorémie Anémie Thrombopathie et tendance hémorragique Hypercoagulabilité et tendance thrombotique Mode de découverte Très variable en fonction de l étiologie. - dosage systématique de la créatininémie ou d urée sanguine sans signe clinique : rare
- réduction de la diurèse chez un enfant hospitalisé Il faudra éliminer rapidement devant une anurie une rétention aiguë d urine. Il faut se méfier également d une diarrhée aqueuse mouillant les couches et masquant l anurie. - contexte clinique pathologique où l IRA est attendue et recherchée : IRA des états de choc septicémique, hypovolémique (hémorragie, diarrhée) HTA Signes suggérant d emblée une néphropathie : hématurie, protéinurie +/- oedèmes - signes cliniques révélateurs plus atypiques: convulsions, vomissements, hyperthermie 2- ENQUETE ETIOLOGIQUE ET MESURES THERAPEUTIQUES SPECIFIQUES 3 objectifs initiaux pour guider la thérapeutique : - différencier IRA IRC - déterminer la cause et le mécanisme de l IRA - apprécier le retentissement IRA 2-1 Enquête étiologique de première intention : - Antécédents familiaux et personnels ( écho anténatales, IU, profil mictionnel croissance staturopondérale). - Histoire de la maladie et contexte (souvent suffisant au diagnostic étiologique) Examen clinique : poids, taille, température, état d hydratation extracellulaire, hémodynamique (TA, FC, FR), palpation abdomen et fosses lombaires, estimation de la diurèse ( +/- sondage vésical ) Signes extrarénaux ( cutanés, articulaires ) Examens biologiques Sanguin : FNS plaquettes, CRP Ionogramme sanguin, réserve alcaline +/- gaz du sang ( ph) Osmolalité Créatininémie, urée ( rapport urée / créatinine plasmatique) Protidémie, albuminémie Acide urique Bilan hépatique +/- CPK, LDH, haptoglobine, schizocyte Composition de l urine ( sur échantillon) Labstix Ionogramme urinaire ( FE Na, Na/K ) Urée, créatininurie ( rapport U/P ) Osmolalité ( rapport U/P osmolalité ) Protéinurie Hématurie +/- uroculture Imagerie : échographie doppler rénale URGENT, radiographie thoracique On retiendra en faveur du caractère aiguë de l IR l absence d ATCD familiaux ou personnels des reins normaux ou de grande taille, d échostructure homogène l absence d anémie profonde d origine centrale, d hypocalcémie, d ostéodystrophie rénale Cette première analyse permet d emblée le diagnostic ou oriente les investigations complémentaires ( bilan immunologique, PBR.).
2-2 Les causes L IRA peut être classée en 3 catégories étiologiques anatomophysiologiques : Pré rénale ou fonctionnelle par baisse de la perfusion rénale, réversible si corrigée tôt. Organique ou intrinsèque par atteinte parenchymateuse, +/- réversible en fonction de l étiologie Post rénale ou obstructive 2-2-1 Pré rénale Le contexte clinique est en général évocateur d une IRA fonctionnelle. Elle est caractérisée par une diminution de la perfusion rénale conduisant à une baisse du débit de filtration glomérulaire. Elle est due à la survenue d anomalies hémodynamiques intrarénales sans qu apparaissent des lésions parenchymateuses anatomiques ( vasoconstriction de l artériole afférente glomérulaire et / ou vasodilatation de l artériole efférente avec diminution secondaire de la pression de filtration). Elle est généralement réversible ( en 48 heures ) avec la correction de la cause. Sinon, l hypoperfusion peut évoluer vers une nécrose tubulaire aiguë. La circonstance de survenue la plus classique est la diarrhée du nourrisson avec déshydratation. Mais elle peut se rencontrer dans d autres contextes. Principales étiologie de IRA pré rénale de l enfant HYPOVOLEMIE CHOC VASOPLEGIQUE INSUFFISANCE CARDIAQUE SYNDROME HEPATORENAL DROGUES Déshydratation par GEA Hémorragie Syndrome néphrotique Brûlure étendue Acidocétose diabétique Choc septique Cardiopathie décompensée Chirurgie cardiaque Insuffisance hépatique Greffes hépatiques AINS,IEC, Ciclosporine Les éléments sémiologiques en faveur de l IR «réversible» fonctionnelle : - réduction de la diurèse ( 100 à 300 ml / m 2 / 24 h ) - fonction tubulaire conservée avec élévation de la densité et de l osmolalité urinaire - pouvoir de concentration préservée
Critères biologiques urinaires en faveur d une IRA pré rénale de l enfant Osmolalité urinaire > 500 Densité urinaire > 1020 Rapport U/P osmolalité > 1.3 Rapport U/P urée > 8 Rapport U/P créatinine > 40 * FE Na % < 1 Na U mmol/l < 20 * FE excrétion fractionnée Na = ( U/P Na : U/P Créat ) x 100 Par ailleurs, l échographie rénale retrouve 2 reins normaux en général, parfois une discrète hyperéchogénicité corticale. Le traitement consiste à rétablir rapidement une volémie et un état hémodynamique corrects. L absence d amélioration au bout de 12 heures indique que l insuffisance rénale est devenue organique et nécessite un traitement conservateur ou substitutif. En effet, l hypo perfusion prolongée peut entraîner des lésions de tubulonéphrite réversibles mais chez le petit nourrisson elle peut être responsable de nécrose corticale et / ou médullaire irréversible. 2-2-2 obstuctives Ce type d IRA est du à une obstruction de la voie excrétrice qui doit être bilatérale ou survenant sur rein unique. Dans ces cas, un examen clinique rigoureux somatique et neurologique associé à une échographie des voies urinaires ( rénale et vésicale ) permet de faire facilement le diagnostic. L échographie précise - le présence d 1 ou 2 reins - l existence d une uropathie sus ou sous vésicale - l échogénicité et la taille des reins - l existence d une pathologie lithiasique Etiologie de IRA obstructive de l enfant UROPATHIE MALFORMATIVE Valves de l urethre postérieur Urétérocele intra vésicale obstructive Hydronéphrose bilatérale Mégauretère bilatéral Uropathie rein unique ( Sd jonction) VESSIE NEUROLOGIQUE OBSTRUCTIONS ACQUISES lithiases COMPRESSION EXTRINSEQUE Pathologie tumorale TRAUMATIQUE Urétral ou pelvien
Le traitement est urgent, le plus souvent chirurgical : vésicostomie, néphrostomie, urétérostomie, sonde urétérale. Il faut se méfier du syndrome de levée d obstacle, importante polyurie responsable d hypovolémie, hypokaliémie et d hyponatrémie. Elle implique le compensation de la diurèse horaire avec contrôles hydroélectrolytiques sanguins réguliers. 2-2-3 IRA organique ou intrinsèque Le contexte clinique est ici très variable d une situation à l autre. L étiologie varie en fonction de l âge. Chez le nourrisson, c est le syndrome urémique et hémolytique qui prédomine. Chez l enfant plus grand, les 2 principales causes sont les néphrites tubulo-interstitielles aiguës et les glomérulonéphrites à début aigu. Dans les IRA d origine parenchymateuse surtout les néphropathies tubulo-interstitielles aiguës, les urines ne sont pas concentrées ( osmolalité < 350 ), la polyurie est fréquente, leur contenu en sodium est relativement élevé ( > 40 mmol/l ), la protéinurie modérée ( < 1 g /l ) associée à une glycosurie normoglycémique et leucocyturie aseptique. Dans les atteintes glomérulaires ( GNA ou SHU ), la fonction tubulaire est souvent préservée, le pouvoir de concentration est conservé avec des urines concentrées ( osmolalité > 500 ) peu abondante et un contenu en sodium peu abondant ( < 10 mmol/l ). Par ailleurs les anomalies du sédiment urinaire ( hématurie macroscopique, protéinurie abondante ) oriente également vers l atteinte glomérulaire. Etiologie de IRA intrinsèque de l enfant GLOMERULAIRE SHU nourrisson Glomérulonéphrite aiguë Syndrome néphrotique GN membranoproliférative Lupus Néphropathie IgA. TUBULO-INTERSTITIELLE Néphrites interstitielles virales Médicaments : AINS, ATB NITU Toxines endogènes : urate, phosphate (lyse cellulaire après chimiothérapie) Hb, myoglobine Toxiques : métaux lourds Produits de constraste.
3 TRAITEMENT SYMPTOMATIQUE DE L IRA Trois objectifs - Corriger les troubles hydro électrolytiques (Na, K, acidose, Ca, Phosphore) - Traiter les complications cliniques - HTA - Convulsions - Maintenir équilibre biologique et nutrition - mesures «conservatrices» - nutrition Restriction des apports hydro sodés : Apport hydrique limité aux pertes insensibles (20ml/kg/jour) + diurèse en ml /j à moduler en fonction de la température corporelle des pertes digestives ( vomissements, diarrhée ) Traiter une hyperkaliémie menaçante Plusieurs moyens thérapeutiques à notre disposition en fonction de leur mode d action: antagoniste:gluconate Ca répartition : salbutamol IV, inhalation glucosé hypertonique bicarbonate de sodium extraction: résine echangeuse, EER réduction d apport: régime de 6 à 6,5 meq/l avec ECG normal diminuer les apports résines échangeuses : 1 g/kg PO ou par voie intra rectale Furosémide : 1 mg/kg de 6,5 à 7,5 meq/l et/ou ondes T pointues. corriger l acidose BiNa 4,2 % 1 à 2 mmol / kg en IV 15 mn. Gluconate de calcium 10% IV : 0,5-1 ml/kg sur 10 min. Glucosé 0,5 g/kg/h +/- insuline 0,2 U/g de glucose sur 2 h... Salbutamol: IV : 5 µg/kg sur 20 min. Inhalation : < 25 Kg = 2,5 mg, >25 Kg= 5 mg sévères > 7,5 meq/l et/ou anomalies ECG sévères. Calcium IV et dialyse d urgence Corriger l acidose quantité de BiNa en mmol = 1/3 x poids (kg) x BD (mmol/l) si ph < 7.20 BiNa 4.2 % 10 ml / kg IV ( attention solution hyperosmolaire ) ou BiNa 1.4 % si pas de surcharge volémique plus modérée PO 1 à 3 mmol / kg / j pour mémoire BiNa 1gr = 12 mmol Epuration extrarénale les moyens hémodialyse intermittente
méthode la plus employée, première séance brève (2 h ) abord vasculaire veino-veineux cathéter mono ou double voie veine fémorale, jugulaire ou sous-clavière hémodiafiltration ou hémofiltration continue dialyse péritonéale (nourrisson) indications le plus souvent IRA anurique hyperhydratation extracellulaire ou globale avec OAP et HTA sévère troubles hydroélectrolytiques majeurs hyperkaliémie > 7.5 mmol / l acidose RA < 10 mmol / l hyperphosphorémie > 4 mmol / l rétention azotée majeure avec troubles neuropsychiques CONCLUSION La survenue d une insuffisance rénale aiguë (IRA) chez le nourrisson et l enfant reste une situation assez fréquente qui impose une démarche diagnostique : reconnaître l étiologie ( IRA fonctionnelle, obstructive ou organique ) et les perturbations cliniques et biologiques pour mettre en route rapidement la thérapeutique adaptée. Il faut également insister sur la prévention de l insuffisance rénale dans les situations à risque. La surveillance d un enfant en IRA doit être rigoureuse et pluriquotidienne. Les points essentiels à surveiller - état d hydratation ( clinique, poids, diurèse, bilan entrée-sortie) - état cardio-vasculaire ( TA, ECG, radio thoracique) - constantes biologiques Cette surveillance a pour but d éviter les complications : - intoxication par l eau avec troubles de la conscience et convulsions - HTA avec risque d atteinte neurologique et cardiaque - Hyperkaliémie - Acidose sévère - Hypocalcémie avec convulsion Grâce à l EER, le pronostic de l IRA a été transformé et la mortalité directement liée à l IRA est devenue presque nulle. Le pronostic à long terme des IRA de l enfant est fonction de leur étiologie.
Annexe Valeurs de référence de la fonction rénale chez l enfant Tableau 1 Valeurs normales de la créatinine plasmatique et de la créatininurie âge Créatininémie ( µmol/l) Créatininurie (µmol/kg/j) Nouveau-né 2 semaines 2 ans 8 ans puberté adulte homme adulte femme 50-88 30-58 20-35 30-60 30-70 65-110 50-90 62-88 62-88 108-188 132-212 177-265 177-230 124-195 Tableau 2 Valeurs normales de la filtration glomérulaire en fonction de l âge âge Filtration glomérulaire ml /mn/1.73 m 2 Nouveau-né 2-8 jours 9-22 jours 35-95 jours 3-6 mois 6-12 mois 12-24 mois 2 12 ans adulte homme adulte femme 18 ( 10 25 ) 22 ( 10 37 ) 39 ( 21 55 ) 58 ( 30 86 ) 77 ( 41 103 ) 103 ( 49 157 ) 127 ( 103 191 ) 127 ( 89 165 ) 131 ( 88 174 ) 117 ( 87 147 ) Tableau 3 Attention, le pouvoir de concentration des urines varie en fonction de l âge âge Nné à terme < 3 sem 4 6 semaines 2 mois 2 ans 12 ans adulte Osmolalité maximale MOsm/kg/H2O 350-430 480-630 700-1200 870-1300 800-1400 Densité maximale 1008-1010 1011-1015 1023-1040 1025-1043 1026-1046