Top sharing concilier vie privée et vie professionnelle Par Corinne Mentha et Constant Gbaguidi Dans le cadre du dernier Salon des Ressources Humaines 2012 qui s est tenu à Genève les 3 et 4 octobre derniers, Françoise Piron a présenté le concept de «Top sharing», une solution novatrice pour les cadres et managers qui souhaitent mieux concilier vie privée et vie professionnelle. Portrait Françoise Piron est diplômée ingénieure en génie civil à l EPFL. Elle a travaillé dans un bureau spécialisé en géotechnique, puis à l Office fédéral de l environnement, avant de créer en 1994 le bureau de l égalité de l EPFL. En 2002, elle fonde l association Pacte (www.pacte.ch) au sein de laquelle elle s engage activement dans les projets et activités d accompagnement des femmes dans leur parcours professionnel et de développement de la mixité en sein des entreprises. Elle vient d éditer un ouvrage portant sur le sujet : Le fruit de la mixité aux Editions Xénia. Etat des lieux C est un constat, le niveau de qualification des femmes est de plus en plus élevé en Suisse. Cependant, si au stade des études elles représentent environ 50% des participants, leur représentation est de moins de 20% au niveau des cadres et seules 3 à 4% font partie des top managers. Ces chiffres sont à prendre comme ordre de grandeur car sujets à de fortes variations selon les secteurs. Quelle que soit la raison de cette différence (évolution démographique, migration des talents ou simplement choix de ne pas faire carrière), il en résulte pour les entreprises un gâchis de compétences qui Le niveau de qualification des femmes est de plus en plus élevé. Mais elles ne représentent que 20% des cadres et 3 à 4 % des top managers.
restent inexploitées et, pour les femmes qui se trouvent dans l impossibilité de mettre en pratique leurs aptitudes, un grand sentiment de frustration. Certes, le temps partiel permet de mieux concilier vie privée et vie professionnelle mais, bien qu en la matière la Suisse soit positionnée en 2 ème place derrière la Hollande, il faut admettre que la pratique n est pas encore suffisamment développée. En parallèle, chaque personne engagée à temps partiel subit encore trop un apriori négatif persistant qui allie présence partielle avec manque d engagement envers l entreprise. Enfin, et c est le facteur le plus grave, les employés à temps partiel occupent trop souvent des postes qui ne correspondent pas réellement à leurs qualifications. En effet, difficile, très difficile, pour les hommes comme pour les femmes de se voir confier un poste à responsabilité si le taux d occupation est inférieur à 80% ou 100%! Or, on constate que non seulement les mères de famille, mais également les jeunes hommes (génération Y) expriment de plus en plus fréquemment le besoin de réduire leur temps de travail. Le top- sharing Pour leur répondre, une nouvelle approche fait (trop) lentement son apparition : le top sharing. Il s applique aux postes directoriaux et exige une parfaite coordination des processus de travail induisant une période de présence simultanée dans l entreprise. Dans le cadre d un top sharing, quel que soit le taux d activité ou la part des tâches assumées, la responsabilité du poste est de 100% pour chacun des composants du binôme. En cela le top sharing se différencie du temps partiel et du job sharing qui peuvent également être répartis entre deux personnes mais qui sont dédiés à des postes administratifs ou à niveau de responsabilités réduit. Dans un temps partiel, chacun est responsable de ses tâches, dans un job sharing, comme pour le top- sharing, la responsabilité du poste est assumée à 100% par chacun(e).
Avantages et risques pour l entreprise Pour les entreprises, ce type de contrat qui réunit deux cerveaux pour une fonction, présente de multiples avantages : accroissement de la productivité accroissement de la créativité réduction significative du burn- out et du bore- out absentéisme réduit fidélisation du personnel (qui n est pas prêt à renoncer à cet équilibre travail vie privée) Si deux personnes se partagent un emploi à 50% chacune, chacune d entre elles est responsable de la fonction à 100%. Certes, l entreprise prend un certain nombre de risques en ouvrant des postes en top sharing. En termes de coûts tout d abord car il faut bien admettre que le binôme se compose rarement de deux 50% ; il est plus réaliste de prévoir deux 60% au moins : en effet, le binôme a besoin de passer au moins 10% de temps ensemble afin d échanger des informations et de se synchroniser. Au niveau de l organisation de l entreprise, le top sharing exige également de revoir le schéma organisationnel et de communication interne ; les RH sont également impliquées puisqu elles se voient devoir gérer deux profils au lieu d un seul. Enfin, il peut advenir que le binôme ne fonctionne pas dans le poste attribué. Avantages et concessions pour le salarié Pour le salarié, les avantages que procure un tel travail sont indéniables; occupant un poste à haute responsabilités qui correspond à son niveau de compétences il bénéficie simultanément d un taux d occupation partiel. Il gagne en qualité de vie, sa santé risque donc moins d être fragilisée par des facteurs liés à son activité professionnelle. Il en retire une motivation accrue, une stimulation bénéfique dans la conduite de son activité. Bien entendu, le top- sharing ne saurait se concevoir sans certains aménagements, voire concessions. Il est en effet indispensable de mettre en place une organisation sans faille, définie d un commun accord avec la personne qui partage le poste. Le facteur financier est également à prendre en compte puisque le salaire sera adapté à un taux d activité réduit. Enfin, la résistance au stress doit être avérée car non seulement les responsabilités sont accrues, mais
l employé, à tout moment, doit être prêt à remplacer son «jumeau» s il venait à être empêché d assurer sa présence dans l entreprise. Postulation et accompagnement Un binôme qui viendrait à postuler pour un top sharing se doit de peaufiner sa préparation, d élaborer un CV et une lettre de motivation communs, d exposer l ensemble des compétences disponibles. Afin de rassurer l employeur potentiel et lui démontrer les avantages qu il tirera d une telle collaboration, il est également indiqué de présenter les valeurs communes des postulants et de proposer une charte de fonctionnement. Une fois le contrat signé, il faudra suivre de près le fonctionnement du tandem. Les trois premiers mois sont déterminants pour créer le matching, découvrir l autre en situation réelle. Françoise Piron conseille vivement que l équipe soit suivie individuellement par un coach qui va, si nécessaire, indiquer les ajustements à réaliser pour un fonctionnement optimal. Si le coaching est en général assuré directement par les intéressés en phases de préparation et postulation, le suivi une fois en poste devrait être assuré par l entreprise elle- même. Il est un point sur lequel il faut être particulièrement attentif, c est qu aucune des deux personnes, dévoilant des ambitions cachées, ne prenne le pouvoir sur l autre. L équilibre et l harmonie doivent guider cette équipe de deux leaders. Pour le cas où l une des deux personnes venait à quitter son poste, il est absolument indispensable que celle qui reste soit impliquée dans le processus de sélection et recrutement de son partenaire. Entre autres activités touchant au domaine du travail, l association Pacte est engagée dans une démarche de sensibilisation visant à la mise en place d une procédure d intégration du top sharing. Elle dispose d un important réseau en Suisse romande aussi bien parmi les entreprises, qu auprès des demandeurs d emploi qualifiés qui viennent consulter Pacte, participent à ses «Café Emploi» ou à d autres manifestations. Pacte va accompagner et mettre en contact les personnes entre elles, les suivre dans leur préparation et dans leurs démarches de postulation.
Par son action, Pacte vise à faire évoluer les mentalités dans un système qui souffre encore de nombreux freins. Les investissements de départ à consentir ainsi que les apriori touchant au temps partiel ankylosent les entreprises, et l idée d assumer 100% des responsabilités pour un taux d occupation situé aux alentours de 60% est une notion encore abstraite pour les cadres et managers. Les exemples sont par conséquent quasi inexistants. Françoise Piron regrette ce manque de modèle propre à rassurer et convaincre. Il faut que les entreprises adhèrent Une évolution des mentalités est nécessaire aussi bien du côté des entreprises que du côté des salariés travaillant en job ou top sharing. au processus, concèdent l investissent de base et prennent les mesures propres à intégrer cette nouvelle forme de management et en assurent le suivi. Des expériences réussies pourront déclencher l effet «boule de neige» et servir de référence pour convaincre d autres entreprises. Alors, pour les femmes comme pour les hommes qui souvent n osent pas demander un taux d activité réduit pour un poste de manager, un équilibre vie professionnelle vie privée pourra réellement être réalisé, leur apportant satisfaction et motivation, facteurs favorisant la productivité et la fidélité envers l employeur. Sources complémentaires: Migros Magazine du 23 avril 2012 «La société programme les femmes à ne pas faire carrière» 24 Heures du 27 septembre 2012 Femmes et job sharing : des mentalités à changer