Jan Hannemann j.hannemann@d-nb.de. Jürgen Kett j.kett@d-nb.de

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1 Date de soumission : 22/06/2010 Traduction: Alexis Rivier, Bibliothèque de Genève, alexis.rivier@ville-ge.ch, 29/07/2010 «Linked Data» pour les bibliothèques Jan Hannemann j.hannemann@d-nb.de et Jürgen Kett j.kett@d-nb.de Bibliothèque nationale allemande Francfort, Allemagne Session: 149 Technologie de l'information, Catalogage, Classification et Indexation, Gestion du savoir WORLD LIBRARY AND INFORMATION CONGRESS: 76TH IFLA GENERAL CONFERENCE AND ASSEMBLY August 2010, Gothenburg, Sweden Résumé Le web sémantique de manière générale et l'initiative "Linking Open Data" en particulier encouragent les institutions à publier, partager et interconnecter leurs données. Le potentiel est considérable pour les bibliothèques, qui peuvent ainsi enrichir leurs propres données en les reliant avec d autres sources d informations externes. Cet article décrit le premier service de données liées ouvertes créé par la Bibliothèque nationale allemande. Il met l'accent sur les difficultés rencontrées au début de la mise en place de ce service. A partir de ces expériences, l'article discute ensuite le point de vue de la Bibliothèque nationale allemande sur l avenir des échanges de données entre bibliothèques et l'éventualité de créer un réseau de données bibliothéconomiques global. Il expose brièvement comment ces processus peuvent être facilités et comment de nouveaux services peuvent être offerts sur la base de ces collections de métadonnées en pleine croissance. 1. Introduction Aujourd hui les bibliothèques sont largement isolées en terme d'échanges de données, du fait que celles-ci sont essentiellement collectées par et pour les bibliothèques. L'échange et l'utilisation des données avec d'autres institutions n'en sont encore qu'à leurs balbutiements. Les collaborations se font essentiellement entre bibliothèques et les données 1

2 bibliothéconomiques ne font pas partie intégrante du web. Cette situation est due en grande partie au faible niveau d'interconnexion entre les ensembles de données des bibliothèques avec ceux des autres domaines, mais aussi aux modes de collecte et aux formats de données en usage qui mettent naturellement l'accent sur les scénarios d'utilisation classiques pour bibliothèques. Le web sémantique, et plus particulièrement l'initiative Linking Open Data, encouragent les institutions à publier, partager et interconnecter leurs données grâce au web. La visibilité des données peut être grandement améliorée par la mise en relation avec d'autres sources d'informations. Ceci est valable autant pour les institutions publiques que pour les entreprises commerciales. Faire partie du web de données ou "nuage sémantique", signifie également que les bibliothèques peuvent mieux répondre aux attentes des usagers, comme, par exemple, en mettant à disposition de façon permanente leurs informations dans un format compréhensible pour des non bibliothécaires. Le fait de travailler au sein d une base de connaissances croissante sur le web peut également aider les bibliothèques lors de tâches multiples et complexes auxquelles elles sont confrontées pour la gestion et l'optimisation de leurs ensembles de données locales. Par exemple: le dédoublonnage, la désambiguïsation, l'individualisation, le contrôle de qualité des données ou leur enrichissement. Cela ouvre ensuite la voie à de nouveaux services qui exploitent ces données plus que ne le fait une bibliothèque isolée. De son côté, la communauté du web de données profite des initiatives menées par les bibliothèques ou d'autres institutions patrimoniales. Les données des bibliothèques sont de qualité très élevée, étant collectées et gérées par des professionnels qualifiés. A ce titre elles ont le potentiel de former la colonne vertébrale de confiance tant nécessaire pour le web sémantique en pleine croissance. Des bibliothèques ont reconnu ce potentiel et quelques institutions prévoient de rendre publiques leurs données en tant que données liées. Elles rencontrent cependant de nombreuses difficultés dans la pratique. En plus des obstacles organisationnels, la maîtrise des aspects techniques requis pour publier les données dans le web sémantique et les exploiter peut poser des difficultés importantes pour des institutions patrimoniales comme les bibliothèques, particulièrement si leur budget informatique est limité. L intention de cet article est d examiner le thème des données liées du point des bibliothèques et des autres institutions patrimoniales, ainsi que de dresser un compte-rendu de l'expérience concrète de la Bibliothèque nationale allemande dans la mise en place d'un tel service. 2. Vision: le graphe culturel global Le problème principal du web des données liées concerne la fiabilité: les données sontelles correctes? Existe-t-il des processus qui puissent assurer une haute qualité des données? Qui en est responsable? Assurer la fiabilité dans la durée est tout aussi important: est-ce que la ressource est suffisamment stable pour être citée? Ou risque-t-elle tôt ou tard de disparaître? Ces questions sont cruciales pour la recherche, où la citabilité est essentielle, et pour des services haut de gamme basés sur ce type de données. Bien qu'il ne soit pas nécessaire que chaque ensemble de données aient un niveau maximum de fiabilité pour être utile, nous estimons que le centre du web de données doit être constitué par un noyau stable, une colonne vertébrale de confiance, et que les institutions patrimoniales sont dans une position privilégiée pour fournir des éléments de ce noyau: relier toutes les bases de connaissances locales des institutions patrimoniales pour générer un vaste graphe culturel global d'informations à la fois fiables et pérennes. 2

3 Pour rendre compte de différents niveaux de qualité et de fiabilité, les données du graphe culturel global devraient être organisées dans un modèle en couches (voir figure 1). Chaque couche serait associée à des directives de plus en plus contraignantes en allant vers le centre du noyau fiable de cette base de connaissances. Les entités situées dans le noyau sont persistantes et peuvent ainsi être citées de façon fiable. Les descriptions de ces entités devraient être munies d'un numéro de version afin que les modifications dans les assertions et la provenance soient documentées de manière permanente. Des directives transparentes seront utilisées pour chacune des couches, fondées sur des normes et des règles de catalogage bien documentées et reconnues. Afin de garantir la qualité et la pérennité des données, les données situées dans le noyau doivent être maintenues par une ou plusieurs institutions publiques dignes de confiance. Figure 1: modèle en couches de fiabilité et de pérennité Ce modèle peut inclure des métadonnées générées automatiquement pour autant que la provenance de ces informations soit documentée. Il est essentiel que l'information puisse se déplacer vers le noyau s'il satisfait aux directives requises. De cette façon, le noyau d'informations certifiées, de même que la valeur de l'agrégation globale des données, peut croître avec le temps. Les conditions pour concrétiser cette vision sont prometteuses: les institutions patrimoniales emploient déjà des normes élaborées en commun et bien documentées, telles que MARC21 ou RAK-WB 1, ainsi que des règles de production et de gestion de leurs données, même si elles doivent être adaptées pour l'échange général de données sur le web. Au sein de la communauté des bibliothèques allemandes, la pratique de l'échange de données et la maintenance coopérative de bases de données centrales ont produit des processus qui forment une excellente base pour mettre à disposition sur le web des ensembles de données stables. Les fichiers d'autorité allemands de personnes, de collectivités et de matières (respectivement PND, GKD et SWD 2 ) gérés en commun sont de bons exemples. Des processus bien définis de suppression, de mise à jour et de dédoublonnage, ainsi qu'un système d'identifiants déjà existant, garantissent un degré de 1 Note du trad. RAK-WB: Regeln für die alphabetische Katalogisierung. Wissenschaftliche Bibliotheken - Règles de catalogage alphabétiques allemandes - bibliothèques scientifiques 2 Note du trad. PND: Personennamendatei - Fichier de noms de personnes GKD: Gemeinsame Körperschaftsdatei - Fichier commun de collectivités SWD: Schlagwortnormdatei - Fichier normalisé matières 3

4 stabilité élevé. C'est pourquoi nous avons choisi ces ensembles de données pour réaliser notre premier service de données liées. La publication de nos bases locales selon la forme de données liées est une étape essentielle vers la vision décrite ci-dessus. Dans la suite de cet article, nous mettons en évidence les défis que cette entreprise a occasionné et les expériences que nous en avons tirées. 3. Défis impliqués par la mise en place d'un service de données liées Contrairement aux affirmations fréquemment entendues, la mise en place d un service de données liées n'est pas triviale. Les institutions patrimoniales intéressées à participe au web de données doivent affronter une multitude de défis, qui peuvent être regroupés dans les catégories suivantes Défis techniques Disposer d un certain niveau d'infrastructure est nécessaire pour pouvoir mettre sur pied un service de données liées. Cela comprend généralement un dispositif de stockage de données (usuellement un "triple store" ou une base de données), un serveur web, un résolveur qui interprète des demande provenant du web, les traduit en requêtes pour le serveur de données, et retourne les résultats correspondants. Etant donné la relative nouveauté du mouvement des données liées, les options techniques sont encore largement en développement et souvent mal documentées. En particulier, il est souvent difficile pour les institutions nouvelles dans le domaine de savoir quelles options sont les plus adaptées à leurs besoins parmi les nombreuses à disposition Défis conceptuels La modélisation des données est un autre problème fondamental. Il faut choisir parmi des douzaines d'ontologies plus ou moins largement établies, chacune ayant ses avantages et ses inconvénients. Dans ce contexte, la définition des propriétés particulières est un point important à examiner, celles-ci pouvant convenir ou non aux données à modéliser. Si aucune ontologie existante ne convient parfaitement, alors il peut être nécessaire de combiner différentes ontologies, et/ou d'étendre celles-ci avec des propriétés particulières. Certaines informations sont particulièrement difficiles à modéliser, comme les assertions sur des assertions. Il s'agit par exemple de spécifier la provenance d'une certaine assertion ou de spécifier les processus et règles utilisées pour créer les données. Ce dernier point est particulièrement important non seulement pour les données ayant été produites par des algorithmes automatiques, mais est également nécessaire pour documenter les règles et normes de catalogage manuelles en usage. Il existe différentes manières d'aborder ce problème, telles que les relations n-aires 3, l'axiome annotations dans le langage OWL 2 4, la réification 5, les quadruplets ou encore les extensions personnalisées

5 de l'ontologie. Chacune de ses approches possède des avantages et des inconvénients. Il n'y a pas de bonnes pratiques établies dans ce domaine et aucun consensus parmi la communauté sur l'approche la plus adaptée pour les bibliothèques. Fondamentalement les expériences de la modélisation des données bibliothéconomiques avec ces méthodes manquent encore. La spécification des URI est encore un autre problème. Généralement les organisations (pas les bibliothèques) qui publient leurs données ont des ensembles de données isolés sans aucun identifiant public ni processus existant d'échanges de données. Introduire de nouveaux URI pour les entités et leur description n'est donc pas un problème. En revanche les bibliothèques utilisent des séries d'identifiants publics pour leurs données et les entités qu'elles décrivent et elles échangent massivement leurs données. Nous pensons qu'il est préférable de ne pas dissocier le monde des données liées de celui des procédures d'échange de données traditionnels, mais au contraire de les réunir. Un schéma d'identifiant approprié devrait fonctionner pour tous les processus: les identifiants ne devraient pas changer selon le protocole d'échange ou de la représentation des données (par ex. en RDF ou en MARC21) Défis légaux D'un point de vue juridique, deux problèmes sont importants: les droits de publication et de mise sous licence des données liées. Les institutions patrimoniales comme les bibliothèques collectent des données, souvent en collaboration avec d'autres institutions. Dans de tels cas, il doit être clairement établi quelles données peuvent être publiées en tant que données liées, c'est-à-dire accessibles publiquement. Les questions liées à la vie privée peuvent être un souci pour les données bibliographiques et les fichiers d'autorité. Si une bibliothèque collecte des informations sur des auteurs, il est possible que ceux-ci ne souhaitent pas que certaines informations sur eux soient publiées: année et lieu de naissance, lieu de résidence, relation avec certaines collectivités, etc. Les questions de licence peuvent être tout aussi problématiques. Les conditions d'utilisation des données liées doivent être décidées longtemps à l'avance, car les contrôles légaux prennent du temps. Il peut être utile de distinguer entre usage commercial et non commercial, ce dernier étant souvent offert gratuitement Défis généraux Une difficulté qui touche globalement les trois catégories précédentes est le manque de rapport d'expériences dans l'établissement de services de données liées, manque que cet article entend précisément combler. Les modes d'emploi, étape par étape, sont très rares et laissent de nombreuses questions non résolues. Divers guides de bonnes pratiques existent. Mais en offrant ainsi une flexibilité bienvenue pour les institutions souhaitant participer au web de données, ces guides ne fournissent aucune directive stricte comme le ferait une norme. 5

6 4. Services de données liées de la DNB Cette partie décrit nos expériences dans l'établissement d'un service de données liées. Nous avons intentionnellement limité les ambitions du projet afin d'éviter une organi - sation trop lourde et la fixation d'objectifs irréalistes. Pour la même raison, nous avons décidé dès le départ de nous concentrer sur des sélections de nos ensemble de données, plutôt que d'offrir une solution globale pour la totalité. Nous avons choisi une méthode itérative pour les développements techniques et conceptuels nécessaires. Chaque cycle d'une durée de 1 à 2 mois a abouti à un prototype fonctionnel, toujours plus élaboré. Cela nous a permis d'obtenir rapidement des réactions de la communauté et des usagers potentiels, et de les intégrer dans la conception du service final Réalisation technique La figure 2 représente l'architecture du système. Toutes nos données bibliothéconomiques sont stockées dans une base de données centrale, où les données sont en permanence ajoutées et modifiées. Pour rendre accessibles une partie de celles-ci comme données liées, un composant dénommé RdfExporter extrait les métadonnées de notre système de catalogage central 6, les convertit en RDF et les stocke dans un entrepôt RDF sous Jena TDB 7. Dans une seconde étape, les données sont enrichies avec des références vers des sources externes. La transformation des données est réalisée par une série de modules de conversion (un pour chaque type de données, soit personnes, collectivités et sujets), fournis par notre Service de conversion central (Conversion Service). Un serveur Joseki permet d'accéder aux données. Figure 2: Architecture actuelle du système 6 OCLC CBS:

7 Nous avons choisi ces technologies spécifiques pour le stockage des données et leur accès parce que nous les avions déjà utilisées pour un projet antérieur. Il faut cependant remarquer qu'elles sont toujours en cours de développement et que la documentation reste lacunaire. Bien que fonctionnelle, la solution actuelle devra être remplacée à l'avenir. En particulier nous devons empoigner le problème de l'extensibilité. Les grandes quantités de données impliquées posent déjà problème: la conversion complète de nos trois ensembles de données au moyen d'un ordinateur moderne dure environ deux jours, sans compter l'ajout de liens externes, ni la mise en relation des bases elles-mêmes. Le serveur Joseki a également des besoins en mémoire vive élevés (plusieurs gigaoctets, en augmentation avec la taille de la base de données) et nous n'avons pas trouvé de moyen jusqu'à présent pour la réduire. Le lancement manuel de transformation des données est un autre inconvénient de la solution actuelle. Cela fait partie des problèmes que nous voulons résoudre. Dans l'idéal la conversion des données et leur enrichissement avec des liens extérieurs devraient s'effectuer sur demande (c'est-à-dire lors de la réception d'une requête) ou associée avec un mécanisme de mise à jour automatique, qui se déclencherait chaque fois que la base de données CBS serait modifiée de façon significative Sélection des données Lorsque l'on met en place un service de données liées, une question importante est le choix des données à publier et des sources de données externes auxquelles les lier. Nous avons décidé de nous concentrer sur les données du fichier d'autorité, en particulier les informations sur 1.8 millions de personnes (provenant du fichier PND), 160'000 entrées matières (provenant du fichier SWD), et 1,3 millions de collectivités (provenant du fichier GKD). Ce choix est motivé principalement par les demandes externes pour les données mentionnées, parce qu'il constitue un objectif maîtrisable, ainsi qu'en raison des caractéristiques des données (cf. également section 2): - Les données sont déjà utilisées par plusieurs organisations. - Le processus de maintenance de ces données convient à leur publication et permet d'assurer un haut niveau de persistance. - Un schéma d'identifiant pour ces données est déjà établi et agréé. - En matière de liens vers des sources de données externes, nous avions la chance de pouvoir nous appuyer sur les résultats de plusieurs projets de coopération entre bibliothèques pour la mise en ligne d'ensembles de données. Des liens peuvent être proposés vers l'encyclopédie Wikipedia allemande 8 et DBpedia 9, ainsi que vers VIAF 10, LCSH 11 et Rameau 12. Nos données bibliographiques sont cependant bien plus étendues et elles feront l'objet d'un prochain projet

8 4.3. Choix de l'ontologie Le choix d'une ontologie établie comme base de la modélisation des données est fortement encouragé au sein de la communauté du web sémantique, dans la mesure où il rend les données publiées plus faciles à partager et à échanger. C'est pourquoi nous en avons également fait un objectif. En pratique, nous avons dû réaliser cependant que les ontologies existantes n'étaient que partiellement adaptées à la modélisation de nos données. Elles contenaient des définitions qui ne correspondaient pas avec nos ensembles de données, si bien qu'aucune n'a été jugée acceptable. Nous avons dû plutôt déterminer avec beaucoup de soin une sélection d'ontologies dont les éléments permettent ensemble de représenter la plupart de nos données. Pour le reste, nous avons défini nos propres propriétés, avec l'objectif futur de faire enregistrer l'ontologie résultante. La modélisation des données représentant des personnes ou des collectivités utilise plusieurs ontologies existantes, tel que les ensembles d'éléments RDA, le vocabulaire FOAF et le Vocabulaire des relations. RDA constitue la base de notre modélisation, dans la mesure où il couvre très bien les entités pertinentes (soit personnes et collectivités) du Functional Requirements for Bibliographic Records (FRBR). Nous avons complété ces ontologies en utilisant des propriétés créées par la Bibliothèque nationale allemande (Vocabulaire du Fichier standard commun - Gemeinsame Normdatei - GND). La modélisation des données pour les matières est basée sur l'utilisation de Simple Knowledge Organization System (SKOS) et des élément du Dublin Core, lesquels sont également complétés par des propriétés GND particulières. On trouvera dans la documentation sur notre service de données liées une discussion détaillée des différentes ontologies que nous avons examinées et les raisons qui nous ont conduit au choix final d'éléments Exemples Les exemples suivants illustrent le travail réalisé dans notre projet: - La représentation XML/RDF de l'auteur allemand Bertolt Brecht ( se trouve à l'adresse: - La représentation XML/RDF de la collectivité "IFLA / Section of Public Libraries <The Hague>" ( se trouve à l'adresse: - La vedette matière "Führungskraft" (français: "manager") se trouve sous: et la représentation qui lui est associée en XML/RDF à: 5. Expériences Nous étions déjà impliqués dans le web sémantique depuis quelque temps avant de décider la mise en place de notre propre service de données liées. C'est pourquoi nous imaginions être bien préparés pour affronter les difficultés. Notre expérience pratique, bien que positive, a mis en évidence plusieurs écueils et des attentes quelque peu

9 exagérées. En particulier, l'affirmation populaire qu'un tel service est aisé à mettre en place doit être prise avec des pincettes. Voici nos conclusions: - La mise en place d'un service de données liées n'est pas triviale. Les initiatives relatives aux données liées sont un développement assez récent. Pour cette raison, les solutions logicielles dans ce domaine ne sont pas encore matures. Cela signifie entre autre que la documentation n'est pas suffisamment détaillée. Pour rendre un service opérationnel, il est nécessaire de faire interagir plusieurs composants logiciels ensemble, ce qui demande de l'expertise. Il est probable que les données doivent être transformées en un format approprié (RDF), ce qui requiert non seulement une modélisation convenable des données et de la transformation (effort potentiellement considérable si la modélisation des données doit correspondre très exactement aux données initiales), mais également la création d'un programme de conversion ou de filtres d'exportation. Les données finales doivent être encodées en UTF-8, même si les bibliothèques utilisent en interne un encodage différent. - La modélisation des données peut être complexe. Lorsque l'on publie des données sur le web, il est avantageux d'utiliser des ontologies existantes agréées. Malheureusement celles-ci ne correspondent pas toujours avec la représentation des données de chaque bibliothèque particulière (cf. section 3). En particulier, les définitions des propriétés individuelles peuvent varier considérablement. Il y a deux grandes façons d'aborder ce problème: soit les ontologies existantes sont prises en l'état, soit de nouvelles propriétés doivent être définies pour correspondre aux données. La première approche est la plus facile, mais elle peut dénaturer les données; alors que la seconde est plus complexe, mais elle représente les données de façon adéquate. Il n'y a pas de réponse simple à la question de savoir quelle est la bonne manière de faire. Nous avons choisi le modèle qui recouvre nos données aussi exactement que possible, car nous estimons que faire autrement aurait compromis la qualité de nos données. - La mentalité d'échange de données ouvertes n'est pas répandue partout. Bien avant l'émergence des données liées, les bibliothèques ont échangé et mis en relation leurs ensembles de données. Les résultats de tels projets pourraient être une source d'informations primordiale pour interconnecter des ensembles de données liées. Il est regrettable de constater que toutes les institutions impliquées ne partagent pas cette mentalité d'échange libre et que le partage de la propriété des données rend la publication des résultats difficile. Nous avons fait sur ce point aussi bien des expériences positives que négatives, et nous recommandons que les bibliothèques dans un contexte semblable, mènent des discussions préalables approfondies avec tous leurs interlocuteurs avant d'envisager utiliser les résultats d'une telle collaboration. - Les bonnes pratiques sont considérées comme des règles. Le domaine des données liées ouvertes est largement fondé sur les bonnes pratiques plutôt que des règles. Cependant cette approche pragmatique n'est pas considérée comme fondamentale parmi tous les membres de la communauté des données liées. Les écarts par rapport à ce que est perçu comme une norme tendent à être critiqués, ce qui induit les nouveaux arrivants dans le web sémantique à douter de leurs décisions même si elles font sens pour leurs organisations. Les bibliothèques ne devraient pas se sentir découragées par de telles réactions et devraient plutôt les considérer comme une raison supplémentaire de contribuer à la communauté par leurs propres expériences et leurs connaissances. Les directives et les bonnes pratiques devraient être considérées attentivement dans le contexte des besoins de chaque institution, tout particulièrement dans cette phase précoce du web sémantique. Ainsi nous avons été critiqués pour ne pas avoir offert un point d'accès SPARQL (SPARQL-endpoint). Il s'agit certainement d'une extension utile, mais on ne voit pas clairement en quoi elle devrait être considérée comme indispensable, compte tenu en particulier des alterna- 9

10 tives existante et déjà bien établies pour la recherche (par ex. Search and Retrieval via URI 14 (SRU) et OpenSearch 15 ) et pour la synchronisation de données bibliothéconomiques (par ex. ORI 16 ). - Les utilisateurs restent le plus souvent anonymes. Nous nous sommes posés deux questions fondamentales au début de notre projet pour améliorer notre service: qui utilise nos données? Et quelle usage pour ces données? Bien que nous ayons invité les usagers à s'exprimer sur notre service, leurs attentes et leurs expériences, la plupart n'y ont pas donné suite. C'est une conséquence du concept d'accès anonyme aux données liées, qui fait que nous sommes en relation seulement avec ceux qui prennent concrètement contact avec nous. Cela signifie également que nous ne pouvons fournir de l'aide particulière. Nous avons ainsi observé un développement curieux: quelqu'un a, selon toute vraisemblance, écrit un programme pour parcourir nos données de façon très naïve (il essayait toutes les combinaisons numériques permettant de constituer un IDN pour générer des URI). Ce programme a tourné pendant des mois avant d'arriver à son terme. Il aurait été bien plus simple de renvoyer cet utilisateur vers la version téléchargeable des données que nous mettons à disposition, mais comme cet usager utilisait une connexion par modem, nous n'avions pas la possibilité de le contacter. - Modéliser correctement des données est très utile. Une fois que la modélisation est terminée et que les données sont disponibles, elle peut être utilisée par autrui. Un collègue de l'université technique de Braunschweig a ainsi montré que les données correctement modélisées peuvent conduire à des application très utiles: en une seule journée, il a pu importer nos données dans une base, lui ajouter une interface web et créer un accès recherchable à nos données. Nous pouvons globalement tirer un bilan positif des défis évoqués ci-dessus. Une fois les obstacles franchis, il est relativement facile d'utiliser les données et d'étendre le service. 6. Perspectives En réalisant un service de données liées, nous avons fait un pas en direction de notre vision d'un graphe culturel global mais de nombreux autres pas sont encore nécessaires et les objectifs à long terme ne pourront être atteints que si d'autres institutions nous rejoignent. Les organisations patrimoniales dans leur ensemble doivent adapter leurs infrastructures techniques, leurs processus, leurs règles, leur stratégies et licences afin que leurs métadonnées remplissent les exigences du web. Ce changement radical requiert une approche progressive et maîtrisable. Il faut avant tout prendre conscience des enjeux spécifiques pour les institutions patrimoniales. A mesure que le nuage grandit, des stratégies globales peuvent être développées. Dans cette partie, nous exposons nos plans pour l'avenir, de même que des objectifs plus lointains à atteindre en collaboration avec d'autres institutions

11 6.1. Objectifs à court terme - Une infrastructure améliorée: notre objectif immédiat pour l'avenir est d'améliorer notre service actuel, tant au niveau de l'infrastructure et de la représentation des données, que de l'ajout de nouveaux ensembles de données. La prochaine version du service intégrera un mécanisme de mise à jour automatique pour nos données (cf. cidessus), également pour les liens vers d'autres sources de données. Une architecture plus extensible devra aussi être mise en place. Une interface SRU offrira un accès plus large à nos données. - De nouveaux ensembles de données: nous ajouterons des classifications et nous améliorerons la modélisation des données déjà disponibles. Les nouveaux ensembles de données comprendront entre autre un sous-ensemble choisi de la Bibliographie nationale allemande et la traduction allemande de la Classification décimale de Dewey. Pour les données représentant des titres, une décision doit être prise en ce qui concerne le schéma d'uri et un processus d'enregistrement qui soit également compatible avec les projets actuels d'optimisation d'échange et de réutilisation des données bibliographiques en Allemagne. Nous discutons actuellement de cette question avec les bibliothèques allemandes et espérons obtenir un accord prochainement. L'ontologie pour modéliser les données de titre sera également un point important. De nouveau, nous devrons trouver un compromis entre l'exploitation de vocabulaires tels que le Dublin Core 17 et le Bibliographic ontology 18, tout en considérant l'évolution des normes comme RDA et nos structures de données existantes. - Services pour l'usager final: une raison de la mise à disposition de données sur le web et de permettre, à nous ainsi qu'à des tiers, de constituer des services enrichis. Les institutions patrimoniales ne devraient pas être les seules à fournir des services avec leurs données; le potentiel créatif de la communauté du web est bien supérieur à ce que peuvent accomplir seules des institutions particulières. Notre objectif est de fournir au moins une application de référence d'un service qui illustre le potentiel des ensembles de données liées bibliothéconomiques. Ce service s'adresse à deux groupes cibles: les autres institutions patrimoniales (particulièrement en Allemagne), afin de les motiver à participer au graphe culturel global; et la communauté du web, afin d'attirer leur attention sur ces ensembles de données de haute valeur. Le service fournira la résolution d'un URI identifiant une entité particulière (par ex. un livre, une œuvre, une personne, une collectivité, un sujet,...) et renverra à un site informatif muni de liens vers tous les ensembles de données enregistrés qui fournissent (directement) des ressources connexes. Ce service suivra les conventions pour les données liées et offrira une représentation en RDF des entités Objectifs à long terme Il est évident que les objectifs à long terme ne sont atteignables que si les organisations patrimoniales, les fournisseurs de logiciels, les centres de recherche et les autorités publiques, agissent de concert. La Bibliothèque nationale allemande utilisera son influence et ses compétences techniques pour poursuivre les développements avec ses partenaires. Nous avons identifié les points suivants comme les plus urgents: - Modèle de licence partagée: les bibliothèques indexent toujours plus de manière coopérative. La création de la Bibliothèque numérique allemande (Deutsche Digitale

12 Bibliothek) 19 a même rapproché les bibliothèques, les musées et les archives. Dans un monde où les métadonnées sont générées conjointement, des modèles de licences appropriés ne peuvent être mis au point qu'en collaboration. Sans cela, la réutilisation des données sur le web sera drastiquement limitée, au point que nous devrions gérer les licences de données non pas au niveau de l'enregistrement, mais au niveau de chaque champ de métadonnées particulier (par ex. lorsqu'une institution enrichit les données d'une autre institution). Mais une telle pratique serait beaucoup trop compliquée et un non sens économique. - Adopter des processus et des directives: les organisations patrimoniales devraient adopter des processus qui rendent leurs ensembles de données moins redondants et plus pérennes (tout particulièrement les données des titres aux niveaux Œuvre et Manifestation). Nous avons besoin de nous mettre tous d'accord sur des identifiants publics citables et de les utiliser. En Allemagne, le Gemeinsame Normdatei (GND) pourrait servir de modèle à de telles initiatives. - Des patrons de conception reconnus plus nombreux pour la modélisation des ontologies: les institutions patrimoniales ne peuvent résoudre elles-mêmes les problèmes fondamentaux liés à la modélisation des données (par ex. les assertions sur des assertions) et les réalisations techniques, mais elles peuvent fournir des cas d'utilisation pratiques. Des fournisseurs de logiciels et des institutions de recherche sont nécessaires pour développer des solutions capables de résoudre ces problèmes. - Des solutions techniques avancées: l'état de l'art actuel en matière solutions techniques, n'est pas adaptée aux environnement des organisations patrimoniales. Des outils et des kits de composants sont nécessaires pour faciliter la publication des données sur le web ainsi que pour utiliser les sources de données déjà disponibles. La technologie pour les données liées doit s'intégrer sans difficulutés avec les environnements et processus existants. C'est pourquoi les nouveaux développements devraient être indépendants des plate-formes, suivre des normes ouvertes, et utiliser une architecture largement structurée en modules avec des interfaces de programmation ouvertes (API). Les systèmes de gestion de bibliothèques existants doivent évoluer en parallèle: ils devront être capables à l'avenir de gérer des informations de provenance et de version granulaires. 7. Résumé L'interconnexion de données liées présente un grand potentiel pour des institutions patrimoniales telles que les bibliothèques. Non seulement l'usage des données peut être de cette manière bien plus répandu, mais la valeur des nuages de données résultant de l'interconnexion des ensembles de données augmente également. Grâce à cette technique, les bibliothèques et d'autres organisations, peuvent créer des services novateurs et étendus. En établissant un service de données liées, nous avons fait un pas en direction de la vision d'un graphe culturel global, mais elle ne pourra être effectivement réalisée à plus long terme, que si cette approche de la publication et de l'échange de données reçoit un large soutien (en allemand) 12