LES AMBIANCES VÉCUES A GRENOBLE :un regard brésilien 1

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1 MENDES, Patricia B.M.T., Social Worker specialized in Environmental Risk Perception and Social Management, MA Social Work PUC/SP,PhD Public Health FSP/USP, Researcher member of the Research Center of Communication and Management in Environmental Risk at São Paulo University (USP), Socio-environmental Project Manager of PARTICIPARE, São Paulo, Brazil LES AMBIANCES VÉCUES A GRENOBLE :un regard brésilien 1 RÉSUMÉ: L ambiance est l identité d un espace. L'ambiance est appréhendée par la subjectivité : elle est vécué, éprouvée au singulier dans un temps et un espace et en fonction d une appartenance sociétale. Cet article propose une réflexion sur la notion d ambiance à partir de l expérience de la ville de Grenoble vécue au quotidien pendant 12 semaines par une chercheure brésilienne. Cette expérience révèle la manière dont des ambiances ordinaires mais étrangères peuvent être appréhendées. D une part, nous mettons en évidence qu un répertoire brésilien influence la perception et l appropriation des ambiances et qu en retour les ambiances urbaines agissent sur ce répertoire. D autre part, nous révélons de quelle manière cette expérience a pu nourrir une réflexion théorique sur la notion d ambiance. 1.INTRODUCTION: L ambiance donne une identité à un espace car elle est produite par l expérience des hommes. Elle est indivisible, comparable à un «fruit» constitué de diverses couches successives: la couche externe porte l ambiance physique (l espace construit), la couche intermédiaire porte l ambiance vécue (la mémoire des évènements qui ont pris place dans un lieu) et la couche la plus interne porte l ambiance humaine (l histoire qu un homme partage avec ses semblables au quotidien et qui comprend toutes ces couches). L ambiance s éprouve par une expérience sensible inscrite dans un espace-temps. L ambiance est le «milieu» au sein duquel se vit une expérience. Elle établit la manière dont une situation va être perçue. En effet, l ambiance est un contexte sensoriel qui spécifie les conditions dans lesquelles les phénomènes émergent et se déroulent. En retour, il n existe pas d ambiance sans sujet car elle se forme à partir de lui (Thibaud, 2004). Cet article est une réflexion sur la notion d ambiance à partir de l expérience de la ville de Grenoble vécue au quotidien pendant 12 semaines par une chercheure brésilienne. Cette expérience révèle la manière dont des ambiances ordinaires mais 1 La recherche de post-doctorat dont est issu cet article a bénéficié du soutien financier de la Fondation CAPES- Brasil et de l accueil du laboratoire CRESSON (situé au sein de l Ecole Nationale Supérieure d Architecture de Grenoble). 1

2 étrangères peuvent être appréhendées. D une part, nous mettons en évidence qu un répertoire brésilien influence la perception et l appropriation des ambiances et qu en retour les ambiances urbaines agissent sur ce répertoire. D autre part, nous révélons de quelle manière cette expérience a pu nourrir une réflexion théorique sur la notion d ambiance. 2.GRENOBLE, DE L ESPACE AU LIEU Selon Augoyard (1979) Habiter est qualifier de manière vécue un espace et un temps singulier. Pendant 12 semaines, de septembre à novembre 2007, une chercheure brésilienne a habité Grenoble. Malgré la connaissance «touristique» de quelques villes françaises, Grenoble était totalement inconnue. J étais une habitante étrangère de passage, où la liaison avec Grenoble était différent de celui qui habite là, une liaison à construire. Comme le dit Tuan(1977)Espace et lieu sont différents: quand un homme construit son histoire dans un espace, celui-ci devient un lieu. De cette expérience, j avais plusieurs attentes :de vivre dans un pays de premier monde, des attentes concernant mon laboratoire d accueil et ses chercheurs, de comuniquer en Français etc. Devant ces attentes, la découverte de la ville me surprit. Grenoble est une ville plate, plutôt charmante, harmonieusement composée d architectures ancienne et moderne, clouée au pied de plusieurs montagnes que donnant l air de décor de cinéma et non d'une ville réelle. Je suis originaire d'une ville complètement différente de Grenoble. São Paulo est une mégalopole, l urbanisation y est extensive et désordonnée, les territoires sont trés hétérogènes spatialement et socialement. L'architecture patrimoniale a été détruite et la ville a été reconstruite au gré des intérêts économiques. La ville est organisée en ghettos socio-économiques ou l'utilisation et l occupation de l'espace est inégal et autoritaire. D'un côté, l'élite construit une ambiance sophistiquée et internationale et de l autre coté, les populations défavorisées, en périphérie, vivent au sein de et développent des ambiances au marge de l'illégalité (occupation territoriale illégale, installation électrique précaire, travail au noir). Mon premier logement grenoblois se situait dans le centre ville. Je m y rendai en tramway. Ma première sensation fut d'entrer dans le futur pour percevoir le passé, parce que le Tramway se détachait du décor ancien de la ville. Il possède un design moderne, il est silencieux, à l intérieur le mobilier y est ergonomique, l espace généreux, il est accessible à tous. A São Paulo, les transport en commun sont difficilement accessibles (trottoirs troués, passages étroits, etc) et inadaptés au voyage de personnes en fauteuil roulant et au transport d objets encombrants. J ai été touchée par la beauté architecturale et végétale de la ville et par la manière dont la population utilise et occupe démocratiquent l'espace urbain. C'est une ville très ancienne, mais l on perçoit qu'elle s'est modernisée dans le temps sans oublier son passé. C'est une ville moyenne, mais qui semble petite. Une ville qui se caractérise par son horizontalité sans être vraiment dense. Une ville où les rues 2

3 principales sont larges et le trafic concentré sans être trop dense. Les rues secondaires sont étroites, mais les voitures n y circulent pas tellement. Le centre ville est vertical mais la densité humaine n est pas vraiment perceptible. Le réseau de transports urbains (autobus et tramway) spatialement et temporellement. Grenoble affiche une qualité de vie. La promotion de l'accessibilité et de l'autonomie de tous ses habitants est également perçue sur ses trottoirs plats et réguliers et les passages dans les rues sont sans barrières. Des personnes âgées et des personnes à mobilité réduite se déplacent de manière autonome en transports en commun et sur quasimment la totalité des voiries piétonnes. Une réalité qui n'existe pas à São Paulo et un rêve tout brésilien. L espace public est utilisé démocratiquement, il est respecté par tous. Ils utilisent l'espace pour s'intégrer et interagir avec les autres et ne pas s imposer, comme au Brésil, où les espaces publics n appartiennent à personne. Ils sont graffités et détruits par la population. J ai vécu une expérience où la citoyenneté semble être une réalité et non uniquement un désir comme cela peut être le cas au Brésil. Ce nouveau quotidien est peu a peu appréhendé les nouvelles information qui vont être introduites. Le laboratoire a été le décor de nouvelles amitiés faites : des étrangers comme moi, venus d'europe, d'afrique et d'amérique du Nord, cela a été une rencontre de différentes cultures. La majorité d entre eux étaient des architectes et faisaient des recherches sur les ambiances sonores. Ces nouvelles amitiés, aussi bien françaises qu étrangères, m ont fait connaître Grenoble à travers différents regards,,m on appris le Français, donné une signification aux nouvelles situations, aidé à m'adapter dans mon nouveau quotidien et présenté quelques habitudes locales, comme les ballades en montagne du week-end. Là, je suis stimulé par eux à écouter les différents sons du bruit ordinaire de la vie quotidienne et aussi de les sons de la nature pendant les promenades en montagnes, les sensations auxquelles je n avais jamais fait attention. L homme perçoit l espace avec son répertoire. Son répertoire est une somme d informations récoltées au sein de sa société, à travers son histoire, sa culture, ses valeurs. Son répertoire conditionne sa manière d intéragir avec les autres, son mode d habiter, ses manières de s approprier un espace et de le vivre. Le comportement des français est totalement différent de celui des Brésiliens. Ils parlent bas, ils sont réservés et formels, respectent beaucoup les limites territoriales et les cultures différentes. Nous, brésiliens, sommes très bruyants, parlons trés fort, nous sommes affectifs et envahissants. En conséquence, nous vivons en fonction du feed-back des autres dans les petites questions du quotidien, donc un comportement totalement différent du Français. Il fallait apprendre une nouvelle manière de partager, de cohabiter et de demander de l aide. Une autre trace différente est leur comportement devant la consommation. Ils ne sont fascinés par le nouveau comme nous, brésiliens, qui achetons tout. Il existe un respect pour tout, pour les actions qui se pratiquent dans leur quotidien. J'ai pris un temps pour comprendre cette manière vivre la vie. 3

4 La langue est la médiation du vivre en société, elle est ce qui permet de construire du sens et du signifié. Parler français était l expérience la plus incroyable de mon parcours grenoblois. Je ne pensais pas pouvoir y arriver. Les premiers jours, j étais complètement perdu, des fois je croyais avoir compris et ce n était pas le cas, d autres fois mes interlocuteurs pensaient que j avais compris et ne leur signifiant pas le contraire, je perdais des morceaux d information. Je me suis souvent sentie comme «sourde fonctionnelle», j entendais des bruits mais je n y comprenais rien. Au-delà de la difficulté de parler français, le quotidien de travail était trés différent de celui auquel je suis habituée au Brésil. Dans la salle où je travaillais, il y avait 4 doctorants et 3 professeurs et le silence était presque nul. On peut écouter le son d une touche ordinaire produit par quelqu un dans la salle. Mes collègues parlaient très bas et travaillaient de manière très solitaire. Au Brésil on travaille bruyamment, de manière informelle, les discussions de groupe sont omniprésentesj ai souvent interpellé mes collègues pour tout et n importe quoi et tout me repondait trés gentiment. J ai mis longtemps pour percevoir cette ambiance sans bruit et à savoir comment y réagir. Le mode de logement du Français perçu et vécu lors de cette expérience est bien différente de celui du Brésilien, surtout en ce qui concerne la notion d'espace. Selon Tuan (1983), combien d espace un homme a besoin pour vivre bien on n a pas une question simple. Au Brésil, la loi permet un métrage minime de 36 m! pour un appartement. L appartement que j occupais à Grenoble en location faisait 18m!, alors que j avais laissé au Brésil un appartement de 400m!. Donc, ma notion d espace pour vivre bien est autre, comme la classe moyen brésilien qui est habitué de vivre dans un espace grand. Je me sentais au début en cage et j ai mis du temps à trouver ma place dans un si petit lieu. Nos peurs sont écrites dans notre histoire de vie, beaucoup sont culturelles. Je pensais au départ que les peurs s expriment face à des situations inconnues. J ai eu peur alors qu il ne le fallait pas ; je marchais très rapidement les bras croisés sur mon sac comme au Brésil. J ai découvert que les espaces qui me paraissaient abandonnés et détériorés ne l étaient pas. Je me suis vite rendue compte que je transposais mes peurs brésiliennes à des situations grenobloises ne présentant pourtant aucun risque, alors que je n avais pas peur de situations que mes amis français reconnaissaient comme effrayantes parce que ce n était pas ma perception. Grenoble est une ville qui invite à la parcourir, sans dénivelé important, ses trottoirs sont larges et réguliers, la signalétique urbaine est très claire. Les premiers jours, j avais du mal à traverser les rues. Ma peur s est faite à partir de mon répertoire brésilien de danger et qui m a donné un sentiment d insécurité. Je ne reconnaissais pas les limites pédotactiles entre trottoir et rue dont j avais l habitude au Brésil. Mon répertoire brésilien n avait pas reconnu cette information. Au Brésil, les trottoirs ont une démarcation territoriale forte par rapport à la rue (une étape), la rue est considérée comme un espace réservé aux voitures, marcher dans la rue signifie se faire renverser. 4

5 S habituer à ces nouveaux repères et se les approprier est un long processus. 4. CONCLUSION Au cours de cette courte réflexion, Grenoble est présentée à travers le regard d une brésilienne, un regard qui se modifie, qui se nuance au fil de l expérience. Grenoble s est d abord avérée petite puis de plus en plus grande. Grenoble s est révélée ancienne puis moderne, jeune, accessible et promotrice de qualité de vie. Le répertoire de la chercheure s est modifié au fur et à mesure que les nouvelles ambiances ont agi sur lui. Les modifications liées à ce répertoire ont bouleversé la manière de percevoir et d interagir avec les autres au quotidien. Vivre les ambiances de Grenoble a changé ma manière d habiter. Bibliografie AUGOYARD, Jean- François. Pas à pas. Essai sur lê cheminement quotidien em milieu urbain. Collection «Espacemants», Edtions du Seuil,Paris, France, 1979 THIBAUD, Jean-Paul. O Ambiente Sensorial das Cidades: para uma abordagem de ambiências urbanas. L ambiance sensoriale des villes par in Psicologia e Ambiente. Tassara, E.; Rabinovich, E. e Guedes, M.C. (ORGS), EDUC, São Paulo, TUAN, Yi-Fu. Espaço e Lugar. A Perspectiva da Experiência Espace et Lieu. La perspective de l experience. São Paulo, DIFEL,