Mémoires. L histoire d une vie CAMILLE CONSALVO

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1 Mémoires Ou L histoire d une vie De CAMILLE CONSALVO

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3 Introduction Pourquoi ces mémoires? Comment l idée de les écrire m est-elle venue? Tout simplement, en regardant tous les agendas de poche que j avais plus ou moins remplis depuis des dizaines d années. Une fois à la retraite, j ai passé de nombreuses soirées à condenser et mettre au net sur des cahiers d écolier, l essentiel des notes consignées dans ces petits agendas, en commençant par ceux allant de 1952 jusqu en En mai 2008, j ai acheté un ordinateur, un scanner et une imprimante, pour réaliser des D.V.D vidéo avec les centaines de diapositives que j avais en boites, les premières datant de Ce fut le début d un passe-temps agréable, celui de répertorier toutes les photos, de les scanner, de les corriger, de les titrer, et enfin de les regrouper par thème pour les graver sur D.V.D, en y ajoutant un fond musical. Ayant l ordinateur, l imprimante, et surtout incité par mes petits-enfants, Guillaume et Coralie, je n ai donc pas hésité à redonner vie à mes cahiers en écrivant ces quelques pages et en y ajoutant quelques photos pour illustrer le texte. Ils pourront ainsi connaître mes origines, le milieu dans lequel j ai grandi. A l école, on nous apprend l histoire de nos ancêtres les Gaulois, mais très souvent, les enfants ignorent tout, sur la propre histoire de leurs grands-parents, de ce que fût leur existence.

4 Je raconte la façon dont j ai vécu ma prime jeunesse à Marles, mon adolescence comme interne à l école professionnelle d Alembert dans la banlieue parisienne, de troufion à l armée, (actuellement le service militaire obligatoire n existe plus). Enfin, je veux surtout expliquer, comment le jeune homme que j étais devenu, indépendant à dixhuit ans, était libre d organiser sa vie comme il le voulait, et a su la diriger correctement, sans subir de mauvaises influences, tout en n ayant de comptes à rendre, ni rien devoir à quiconque. En résumé, ce qui est important, c est de savoir ce que l on veut, de ne pas se laisser influencer, d être libre, dans ses choix, ses idées, ses sentiments. La mémoire, c est notre passé, mais c est également notre présent et notre futur. Elle est nécessaire car elle permet de comparer et de mieux apprécier la vie au fil des années qui s écoulent. La mémoire peut être belle quand on l aide un peu, mais dans la rédaction de ces pages, je n ai pas eu besoin d embellir quoi que ce soit, ni de trafiquer mon histoire. Ce que je raconte est le récit de quelques tranches de vie, que j essaie de restituer le plus fidèlement possible. Le passé d une vie constitue son histoire. La mienne d histoire est tout ce qu il y a de plus ordinaire, de plus limpide et aucune zone d ombre ne vient la ternir. Ce récit n est pas un journal intime à qui l on confie ses états d âme avec ses joies et ses peines. Avec mes notes, j ai pu reconstituer une grande partie de mon histoire. Je suis surpris de constater qu une simple date, un mot, font ressurgir du passé, des évènements oubliés depuis longtemps. Certains passages peuvent paraître fastidieux car ils sont écrits presque au jour le jour, un peu comme un journal de bord dans lequel le commandant consigne tous les évènements de la journée, mais je l ai voulu pour raconter les faits tels qu ils se sont déroulés et aussi faire connaître une certaine façon de vivre, voici quelques décennies déjà. C est ce que j appellerai le journal de ma vie. Si j ai parfois glissé beaucoup de détails concernant les prix, c est surtout pour faire éventuellement des comparaisons avec les coûts de la vie actuelle. A soixante-dix-neuf ans, je ne pense pas avoir raté ma vie, je suis ce que j ai voulu être. Ce que j ai fait, ce que j ai acquis, m appartient en propre, je ne dois rien à personne, heureux d avoir vécu cette existence au cours de laquelle, je n ai jamais éprouvé de regret sur ce que j aurais pu faire, mais que je n ai pas réalisé, ni ressenti d amertume envers qui que ce soit, compte tenu d un mauvais départ dans la vie. Au final, ce récit ne peut donc intéresser que ceux de la famille, ou encore ceux parmi les amis qui m ont connu et suivi assez longtemps, pour avoir quelques souvenirs en commun.

5 Avis au lecteur. Surtout ne sautez aucune ligne car vous pourriez passer à côté de la seule phrase intéressante parmi toutes ces pages. Camille Consalvo Naissance le 07 août 1932 à la maternité Baudeloque-Fondation Valencourt, 123 boulevard de Port Royal à Paris 14ème. Fils de Nunziata Consalvo née le18 août 1895 à Bovezzo? ou Bernezzo? (Italie) Arrivée en France en 1928 avec son mari Mr Gangi, elle habite à l hôtel, 32 rue Neuve des Boulet. Paris 11ème. Ils sont les parents d une fille légitime. Mr Gangi décède peu après son arrivée en France. Veuve, ma mère a eu une liaison, s est retrouvée enceinte. Elle habitait au moment de ma naissance, au n 40 rue Jacob, Paris 6ème.

6 A l état civil, elle n a pas voulu communiquer le nom de mon père. J ai donc été déclaré sous son nom de jeune fille CONSALVO, à la mairie du 14ème à Paris le 8 Août Décidée à m abandonner, probablement bien avant ma naissance, elle refusa toutes les propositions de l administration générale de l Assistance Publique à Paris : Secours financiers, aide pour un retour au pays avec son enfant. Résolue dans sa décision, elle signa l acte d abandon le 17 août Déclaré catholique par ma mère, je suis baptisé à la crèche de la maternité le 17 août. Admis le 23 août au service des Enfants Assistés, catégorie A (Abandonné). Deviens Pupille du département de la Seine avec le matricule Très rapidement, le 16 septembre 1932, je suis confié à Mr et Mme Leshave-Creton, demeurant à Calonne-Ricouart dans le département du Pas de Calais, sous la tutelle du Directeur de l agence de Saint-Pol sur Ternoise. Peu après, le 1er décembre 1932, je suis retiré de cette famille, probablement par manque de soins, et confié cette fois, à Monsieur et Madame Pamart-Hechter, demeurant 20 rue d Anvers à Marles les Mines (Pas de Calais). Calonne-Ricouart est une petite ville limitrophe de Marles les Mines, et c est à pied, normal pour l époque, que Marie Pamart est allée me chercher chez mes premiers nourriciers. Mr et Mme Pamart ont déjà quatre enfants. Lucienne : née à Chocques le Simone : née à Chocques le Maurice : né à Chocques le Henri : né à Marles les Mines le Le père, Maurice Pamart, est employé aux chemins de fer des Mines de Marles. La mère, Marie Pamart Hechter, est mère au foyer. Maurice PamartMarie Pamart-Hechter Les familles qui prenaient des enfants en nourrice, étaient surtout motivées dans leur démarche, par l allocation que versait l Assistance Publique, chaque trimestre. En plus de l allocation, l enfant percevait un trousseau chaque année. Les vêtements étaient simples mais très solides et surtout très chauds pour l hiver. Des visites médicales, périodiques et obligatoires, ainsi que les soins médicaux nécessaires, étaient assurés par un médecin généraliste agrée par l Assistance Publique et rétribué directement par elle. Le pharmacien était lui aussi, payé directement par l A.P. En avril 1935, j allais sur mes trois ans, quand mon père nourricier décède brutalement d une crise cardiaque en rentrant du travail, il avait 37 ans.

7 Ma mère nourricière se retrouve très jeune, à trente six ans, veuve avec ses quatre enfants, et moi le gosse de l assistance, comme on nous appelait à l époque. Que faire? Aucune des deux aînées ne travaille encore. Les difficultés financières ne vont pas tarder. Me rendre à l assistance publique, c est une solution, mais c est également un revenu assuré qui risque de manquer : 720 francs par trimestre en 1933, 1980 francs en Il y a aussi l affection que l on porte à un enfant que l on élève depuis plus de deux ans, avec son propre fils, Henri, plus âgé que moi, de six mois seulement. Nous avons d ailleurs été nourris ensemble aux seins. Je peux donc dire qu Henri est mon frère de lait. Intéressée bien sûr, par nécessité, mais également poussée par des sentiments affectifs, ma mère nourricière décida de me garder, mais après avoir obtenu l accord de l Assistance Publique, compte tenu de la nouvelle situation familiale. Je continuai donc à vivre dans cette famille, et à grandir sans distinction avec les autres enfants qui sont devenus tout naturellement mes frères et sœurs. A la mort de mon père nourricier, la maigre-pension que percevait sa veuve, ne permettait pas de faire vivre toute la famille. En plus, pour conserver le droit d habiter la maison qui appartenait à la Compagnie des Mines de Marles, il fallait que quelqu un de la famille y travaille à nouveau. Lucienne, l aînée de la famille, fût élevée en grande partie, par ses grands-parents maternels, Monsieur et Madame Auguste Hechter à Chocques, petit village situé à six kilomètres de Marles les Mines. C est donc par obligation que devenue soutien de famille à 14 ans, elle dût travailler rapidement. Bien que titulaire du certificat d étude primaire, elle entra aux Mines pour conserver le droit d habiter la maison, et aussi pour faire vivre toute la famille. Comme beaucoup de jeunes filles de son âge embauchées aux Mines, elle travailla au «triage», c est le terme utilisé pour désigner le secteur d activité, qui consistait à enlever les pierres du charbon qui défilait sur un tapis roulant. La plupart des jeunes filles d ouvriers mineurs, effectuaient ce travail bien souvent jusqu à leur mariage. Mariée en août 1942 avec Maurice Marquis, Lucienne cessa donc de travailler pour s occuper de son ménage. Maurice Marquis était employé de bureau aux chemins de fer des Mines de Marles. Les maisons appartenant aux Mines, n étaient pas toujours vacantes. Lucienne et son mari furent dans l obligation d habiter avec nous et ils s installèrent dans une pièce au rez de chaussée, qu ils occupèrent pendant deux ans. C est d ailleurs dans cette pièce, que naquirent, deux de leurs trois enfants, Maurice l aîné, le 12 mars 1943, et Claudine le 3 février Ils finirent par obtenir une maison des Mines, au 121 rue de Nice, dans une cité que l on appelait

8 les corons polonais, parce que la majorité des habitants était issue de l immigration massive de Polonais venus travailler dans les mines. Rue de Nice, cité 2 bis à Marles, peu après sa construction vers Lucienne habitait une des maisons à étages. Simone, à peine deux ans plus jeune, est allée à l école jusqu en J étais en classe préparatoire, lorsqu elle était en dernière de primaire. Je me souviens que j allais l attendre à la fin de la classe pour rentrer avec elle à la maison. Comme elle n était pas passionnée par l école, elle n a pas obtenu, comme Lucienne, son certificat d études. A quatorze ans, elle n est pas allée travailler aux Mines, mais comme bonne à tout faire dans quelques familles bourgeoises de Roubaix-Tourcoing. Elle n était pas très heureuse, et je crois me souvenir qu elle pleurait souvent lorsqu elle revenait à la maison. Comme il était absolument nécessaire de travailler, elle repartait bon gré mal gré, dans une nouvelle famille, pour garder les enfants et faire le ménage. Elle est allée aussi pendant quelque temps, faire des heures de ménage, chez Mr et Mme Collier Gaston, à 15 minutes à pied de la maison. Si je me souviens de cela, c est que l hiver, la nuit tombe très vite, et comme Simone avait peur de rentrer seule à la maison, j allais parfois la rechercher. J étais bien jeune encore, pas beaucoup plus vaillant qu elle, mais à deux, les soirs sans lune, on se soutient et on se sent plus rassuré. Il faut préciser que Mme Collier passait tous les vendredis dans les rues de la cité, avec sa voiture à bras, pour vendre le poisson fraîchement arrivé du port de pêche de Boulogne. Pour la petite histoire, elle était aussi la grand-mère maternelle de Ginette que j ai épousée bien des années plus tard. Simone finit par être embauchée dans l entreprise de tissage Péter à Lapugnoy, dans laquelle elle travailla jusqu à son mariage avec Joseph Flament début 1942, elle n avait pas encore dix-neuf ans. Lapugnoy, est un village limitrophe de Marles, et l usine à une demi-heure à pied de la maison. A cette époque la plupart des déplacements se faisaient à pied, parfois à vélo, mais Simone n en possédait pas, et de sa vie n est jamais montée sur un vélo. Joseph Flament était mineur de fond, et dès leur mariage, Simone et lui, habitèrent à l angle d une rue proche du cimetière à Allouagne, dans une petite maison appartenant aux parents de Joseph. C est là qu est né en 1943, Lionel leur fils unique. Après son mariage, Simone revenait de temps en temps à la maison et lorsqu elle fut enceinte, je me souviens que les discussions au sujet de sa grossesse se faisaient à voix basse lorsqu il y avait des enfants à proximité. Le mot enceinte était peut être tabou car il n était jamais prononcé devant moi, et la discussion s arrêtait même quand je posais des questions sur la naissance des bébés. C était l époque où les enfants naissaient encore dans les roses pour les

9 filles et dans les choux pour les garçons. J aimais beaucoup Simone et j allais la voir assez souvent, surtout le jeudi. Je déjeunais parfois avec elle et je jouais avec le petit Lionel. Seul, je partais à pied en me promenant sur un étroit chemin de terre qui traversait les nombreux champs entre Marles et Allouagne. Il m est arrivé de rentrer à la maison alors qu il faisait nuit, et chaque fois que je passais devant le cimetière, j accélérais le pas. A deux reprises, j ai vu des lueurs, comme des flammèches qui sortaient de terre près des tombes, et seul dans le noir, je n étais pas rassuré. Lorsque j ai raconté ces visions, on s est un peu moqué de moi, mais par la suite j ai appris qu il s agissait en fait d un phénomène naturel que l on appelle feu-follet et qui se produit parfois dans les cimetières. N empêche que, même plus grand, en passant le long de ce cimetière, je repensais toujours à ces lueurs. Les enfants rient de tout et de rien, de la même façon qu ils ont peur de tout et de rien, et aiment aussi, parfois, à se faire peur. Les feux follets me font penser à une autre histoire, une histoire de sorcière comme celle que tous les enfants adorent se faire raconter et je n ai pas échappé à cet état d esprit. Sur la route que j empruntais tous les jours pour me rendre à l école, il y avait au fond d un jardin, une bicoque construite de bric et de broc habitée par une dame âgée. Quand elle était dans son jardin, je la voyais toujours attifée d une longue robe noire, avec de longs cheveux hirsutes, voûtée, se déplaçant avec difficulté, une canne à la main. Cette femme avait la réputation d être une sorcière, c est ce que racontaient les plus grands. Je me souviens que tout gamin, j avais peur en passant seul devant la maison, même si personne n était dans le jardin. Au fur et à mesure que je grandissais, la bicoque m effrayait de moins en moins pour enfin cesser de me terrifier. Plus tard la bicoque fut rasée, remplacée par une vraie maison et ma sorcière est tombée dans l oubli. Simone et Joseph ont déménagé quelques années plus tard pour se rapprocher des mines de Marles où travaillait Joseph, et sont allés habiter, eux aussi, dans les «corons polonais» au 99 rue de Lyon, pas très loin de chez Lucienne. Les maisons étaient semblables dans toutes les rues de cette cité 2 bis à Marles, et Simone a obtenu une des maisons basses. Maurice, le troisième enfant de la famille, apprenait bien à l école et il avait obtenu le certificat d études primaires très tôt. Il aurait bien aimé aller au collège comme plusieurs de ses camarades, mais malheureusement, la situation familiale ne le permettait pas. Pour faire vivre la famille, ma mère n hésitait pas à effectuer des lessives chez les gens, leur faire quelques courses. Je me souviens qu elle a également effectué pendant quelque temps, le ménage à l école, le soir après la classe. J étais alors très jeune et je l attendais pour rentrer avec elle à la maison. Pendant un certain temps, elle a travaillé quelques heures par semaine, à faire le ménage et la lessive, chez les patrons d une scierie à Lozinghem, pas très loin de la maison. Quelquefois, je l accompagnais et j en profitais pour traîner à proximité des ateliers afin de regarder les ouvriers qui sciaient les arbres en planches. Ma mère réussit à faire engager Maurice dans cette scierie, mais très mal payé, il y resta peu de temps. Il est allé ensuite à Lapugnoy, dans l entreprise de tissage, où travaillait déjà Simone. Après avoir passé quelques mois dans cette filature, il a fini par entrer à 15 ans ½ aux Mines de Marles. Aux Houillères, il y avait deux catégories d ouvriers. Les mineurs du fond, ceux qui travaillaient à plusieurs centaines de mètres sous terre, et parmi eux, ceux qui effectuaient la tâche la plus pénible dans la profession, l abattage du charbon.

10 Joseph Flament, le mari de ma sœur Simone, ici à l abattage du charbon, au fond d une galerie vers Le marteau piqueur avait remplacé la pioche du début de l exploitation. Il y avait d autre part les mineurs du jour, dont l activité à la surface était considérée moins pénible et surtout moins risquée, mais également moins bien rémunérée. Maurice a travaillé au triage les trois premiers mois, et ensuite au fond pendant quelques années, mais jamais à l extraction du charbon, qui était comme je l ai déjà dit, la tâche la plus pénible. En 1948, il est enfin remonté travailler au jour, et affecté aux chemins de fer des Mines. A Pâques 1950, il s est marié avec Jacqueline Vasseur. En attendant d obtenir un logement des houillères nationales, ils s installèrent à la maison dans la pièce de devant comme l avait fait Lucienne, quelques années auparavant. Dépôt et ateliers d entretien du matériel roulant à Marles Henri et moi, beaucoup plus jeunes, sommes allés à l école primaire Pasteur de Marles, jusqu à nos 14 ans, en 1946.

11 Mon portrait en 1937, à l âge de cinq ans Il s agit d un croquis que j ai réalisé pendant mes vacances en 1950 à partir d une photo sur laquelle nous étions tous deux, Henri et moi. C était la seule photo prise pendant notre scolarité à l école Pasteur de Marles le Mines. Cette photo, que j ai toujours vue accrochée au mur, j aurais aimé la récupérer, mais j ignore ce qu elle est devenue après le décès de ma mère. Me voici avec mon frère Henri sur l une des rares photos prises pendant notre adolescence, et sur laquelle nous portons nos dernières culottes courtes Photo prise en juin 1946par notre voisine, Marie Jourdain qui est la maman des jumeaux Jean-Claude et Nicole que j ai sur les genoux, et qu il m est arrivé de promener dans leur landau.a la maison personne ne possédait d appareil photo. Henri, né en 1932 comme moi, mais en début d année, est allé à l école un an avant moi, ce qui ne m a pas empêché de le rattraper et même de le dépasser en sautant des classes. Les deux dernières années, nous nous sommes cependant retrouvés ensemble dans les mêmes

12 classes. Comme j avais souvent de très bonnes notes, à la maison on me citait en exemple pour l encourager à bien travailler, mais sans trop y croire. Parfois le matin, quand notre mère criait du bas de l escalier qu il était l heure de se lever pour aller à l école, Henri faisait semblant d être malade en répondant d une façon plaintive «j ai mal au ventre». Quelques fois ça marchait et il restait au lit, mais d autres fois il était contraint de se lever. Il n était pas très attiré par l école, et rechignait à faire ses devoirs ou apprendre ses leçons, il suffisait d observer la manière de s y prendre pour le comprendre. Gamin il s allongeait à plat ventre sur le sol avec ses cahiers pour écrire ou lire, et sa façon de soupirer faisait bien rire ceux qui le regardaient. Il était loin d être bête, mais il n aimait pas l école, tout simplement. Compte tenu de ses résultats scolaires, Henri n a évidemment pas été présenté au certificat d études dont il se moquait d ailleurs éperdument. A la fin, il venait en classe pour passer le temps. Notre instituteur, Monsieur Penel, l envoyait parfois faire des courses, et Henri était toujours volontaire dès qu il s agissait de sortir de l école. Je me souviens qu un jour, il lui confia son vélo pour le faire réparer chez ses parents qui tenait un magasin de cycles à l entrée d Allouagne, c est-à-dire assez loin de l école. Henri était aux anges, et il a pris tout son temps. Cette liberté avec les règlements scolaires ne serait plus possible aujourd hui. Si Henri n aimait pas l école, il avait peut-être un don, celui de jouer correctement de l accordéon. En effet, Maurice Marquis, le mari de Lucienne possédait un petit accordéon d un ancien modèle diatonique. Alors qu il habitait encore avec nous, il laissait Henri en jouer et s apercevant que ce dernier était à l aise avec les touches, il finit par lui laisser. Sans rien connaître à la musique, Henri avait probablement de l oreille comme on dit, car il jouait d instinct en reproduisant des airs entendus. Peu après, devenudéfectueux, l instrument n a jamais été remplacé faute de moyens et à la maison on a fini par l oublier. Je n oubli pas non plus que Maurice Marquis, s il aimait amuser ses amis en jouant de l accordéon, il nous amusait également en racontant beaucoup d histoires dont celles de Cafougnette. Cafougnette étant un personnage à qui il arrivait toujours des aventures invraisemblables et amusantes. Dès qu il pût travailler, Henri est allé se faire embaucher aux Mines de Marles, où il débuta au «triage», comme beaucoup de jeunes sans formation professionnelle, avant d être affecté comme Maurice au chemin de fer des Mines, au dépôt des machines, et ensuite aux ateliers d entretien du matériel appelé «le mouvement» situé en contrebas de notre cité. Quant à moi, malgré la volonté d apprendre régulièrement mes leçons pour le lendemain, je n étais pas un surdoué. Il m est arrivé, à moi aussi, de rentrer en classe et ne plus me rappeler la récitation que j avais pourtant bien apprise la veille. Je priais alors le bon Dieu pour ne pas être interrogé le premier. En effet, en écoutant les premiers élèves réciter la poésie, je finissais par retenir le texte et lorsque mon tour venait, j étais en mesure de bien réciter. Dans le cas contraire j avais droit à une punition, qui consistait parfois à copier des quantités de lignes. Pour de multiples raisons, des lignes, j en ai copiées de nombreuses et comme les punitions sont toujours considérées comme une corvée, j ai fini par m organiser afin de m en débarrasser rapidement. J avais installé deux plumes à l extrémité du porte-plume et j écrivais ainsi deux lignes en même temps. Ce n était pas toujours facile mais avec de l entraînement je parvenais à copier correctement mes lignes de punition. J avais également poussé l astuce, en mettant une troisième plume, mais c était beaucoup plus difficile pour former les lettres car les lignes devenaient trop serrées. Souvent le premier de la classe, ma dernière année scolaire s est écoulée sans difficulté. En fin d année, Monsieur Penel me répétait qu il espérait bien me voir décrocher le titre de premier du canton au certificat d études. Comme cela arrive dans beaucoup de domaines,

13 c est quand on compte sur vous, que vous décevez. En juin, j ai bien été reçu à l examen, mais pas le premier du canton. Je suis quand même allé en classe jusqu au dernier jour de l année scolaire, qui se terminait à cette époque, le 13 juillet. Depuis quelques mois, à la maison, je consacrais mes loisirs à réaliser une maquette d avion, comme le faisaient d autres élèves, en prévision de cette fin d année scolaire. Il s agissait d un modèle réduit d environ 80 cm d envergure, réalisé en balsa. A partir d un plan que j avais acheté, où chaque pièce était dessinée grandeur nature, j ai tout découpé et assemblé par collage. Toutes les ossatures, ailes et fuselage, ont été revêtus d un papier spécial que j ai collé, et ensuite verni pour le renforcer et le tendre comme la peau d un tambour. J ai passé beaucoup d heures à réaliser cette maquette, mais j étais passionné par ce travail de création. A l école, nous avons passé les quelques jours qui ont précédé les vacances à nous distraire. Avec notre instituteur, nous avons mis au point nos maquettes d avion en leur installant des hélices actionnées par des élastiques torsadées. Sur un terrain vague près de l école, nous sommes tous allés faire voler nos avions. Je dois reconnaitre qu il y eût beaucoup de casse. J ai bien réparé mon avion, mais je n ai plus jamais essayé de le faire voler. Il est resté dans ma chambre à l étage, à se détériorer peu à peu, pendant mes années passées à l école d Alembert. Les années ne passent qu en apparence et les moments les plus simples de mon enfancerestent ancrés à jamais. Vraiment, je garde un très bon souvenir de ma prime jeunesse à Marles les Mines Je me souviens cependant que très jeune, je n allais pas encore à l école, j ai reçu une ou deux fois, des remarques du genre «si tu n es pas sage, on te renvoie à l Assistance Publique». Cette menace n était pas proférée par ma mère nourricière, mais par Maurice plus âgé de sept ans, qui voulait peut être jouer au grand frère. Bien sûr, cela me faisait de la peine et provoquait quelques sanglots, mais cela ne durait pas, car ma mère intervenait immédiatement en m assurant que Maurice voulait simplement me faire peur. En grandissant, je n ai plus jamais entendu ce genre de brimade et j ai fini par oublier. Bien plus tard, lorsque ces propos me sont revenus en mémoire, je n en ai reparlé à qui que ce soit, et je n en ai jamais tenu grief à Maurice. Contrairement à certains pupilles de l Assistance Publique placés à la campagne, chez des nourriciers agriculteurs qui les faisaient travailler comme de vrais valets de ferme, tout en percevant les indemnités pour les élever, j ai toujours été libre comme la plupart des enfants de la cité. Libre d aller jouer avec qui je voulais, et quand je voulais. Je n ai subi aucune contrainte de quelque nature que ce soit, et je n ai jamais été maltraité ni négligé. Pour résumer, j ai grandi normalement avec Henri, le dernier des enfants de la famille, sans qu il y ait une quelconque préférence. Je vois encore les soirées de Noël où très jeunes, avec Henri, nous mettions nos chaussures près de la cheminée avant d aller au lit. Le matin au lever, nous trouvions coincées dans nos chaussures, une ou deux oranges avec un bonhomme en pain d épice et quelques bonbons avec des chocolats. Les oranges que l on trouve surtout en hiver, n étaient pas encore très répandues chez l épicier en bas de la rue, et elles devaient être à l époque, probablement très chères, car elles étaient le principal cadeau de Noël pour les enfants des cités minières. Le soir de Noël, quand on me disait que le Père Noël allait descendre par la cheminée pendant que je dormais, il m est arrivé de demander comment il allait pouvoir entrer dans la maison, car s il y avait effectivement une cheminée dans chaque pièce, elle était fermée et seul le tuyau du poêle s encastrait dedans. J acceptais la réponse qui m expliquait que le Père Noël pouvait rentrer dans la maison, même avec une cheminée fermée. Dans le nord de la France, en plus de Noël, la tradition voulait que l on fête également, la SteCatherine aux filles le 25 novembre et la St-Nicolas aux garçons le 6 décembre. C était

14 l occasion d échanger de très belles cartes postales représentant souvent de jeunes couples d amoureux. J ai d ailleurs conservé une ou deux cartes que l on m avait envoyées quand j étais adolescent. Je me souviens que tout petit, à l école, on nous offrait un bonhomme StNicolas en pain d épice. Je me souviens d une coutume pratiquée le jour de l an, par les enfants du quartier, qui frappaient aux portes de toutes les maisons, afin de souhaiter la bonne année dans le but de recevoir une petite pièce. En ce qui me concerne, je me contentais d aller présenter mes vœux aux gens de notre rue et uniquement à ceux, chez qui j étais à peu près sûr d obtenir quelques pièces. J avais une petite bourse en toile et j étais le plus heureux des gamins quand j y glissais les sous que j avais glanés. J allais aussi chez les deux commerçants en bas de la rue et jamais je n ai essuyé de refus, ce qui paraît naturel de leur part, car ils étaient assurés de récupérer leur argent en nous vendant le lendemain, des bonbons ou des souris en chocolat. Malgré un manque évident d argent à la maison, Henri et moi, n étions pas vraiment malheureux. La vie était simple et les besoins limités. Nous n avions donc pas le sentiment de manquer de quelque chose. Les jouets étaient peu nombreux dans le commerce, et à la maison il n y en avait pas, pour les raisons évoquées plus haut. Comment réagit-on quand on ouvre les yeux sur un matin gris et pluvieux d hiver, qu il est jeudi ou dimanche, jours de congé, qu il n y a pas un chat dehors avec qui jouer? Pour nous amuser dans la maison, il fallait donc inventer des jeux. C est avec toutes les boîtes que nous pouvions récupérer : Boîtes de conserves, boîtes en carton, boîtes d allumettes, et des bouts de ficelle, que nous réalisions des camions, des grues et bien d autres choses encore. Arrive pourtant un moment dans la journée où l on tourne en rond, ne sachant plus quoi faire. Je sortais alors dehors, au coin de la maison, guettant la rue en espérant voir apparaître un copain qui aurait eu la même idée que moi au même moment, afin de bavarder et trouver de quoi se distraire. Honnêtement, je dois admettre que certains jours d hiver, je me suis ennuyé ferme, mais curieusement on ne se lamentait pas en disant «je ne sais pas quoi faire». Les hivers étaient rudes et la neige abondante. Notre cité est construite sur les hauteurs de Marles avec un dénivelé très important. Quand il neigeait, il y avait les traditionnelles batailles avec les boules de neige, mais il y avait aussi de belles glissades, d abord sur la rue en pente et ensuite sur les versants qui descendaient vers le centre ville. On s accroupissait au creux de vieux couvercles de poubelles métalliques, ou encore sur des cartons et il n y avait plus qu à se laisser descendre. J ai fait beaucoup mieux en construisant une luge en bois. Pour la manœuvrer, j avais adapté sur chaque côté un bâton articulé fixé verticalement sur son axe. Pour virer, il suffisait d abaisser un des bâtons dans la neige, à droite ou à gauche, et pour ralentir, d abaisser les deux. Pas besoin d aller très loin à la montagne, nos petites collines de l Artois suffisaient à nos jeux et de toute façon à cette époque là, on ne parlait pas encore des vacances de neige à la montagne. Dans la rue, j avais plusieurs camarades qui avaient la chance d avoir encore un père qui travaillait. Chez eux, les fins de quinzaine étaient quand même moins difficiles, et les enfants possédaient quelques jouets. De temps en temps, il m arrivait d aller jouer, tantôt chez l un, tantôt chez l autre, mais la plupart du temps, les jeux se passaient dehors, et de préférence dans la rue. Pendant les beaux jours, il y avait plus de possibilité pour jouer à l extérieur. Le plus souvent avec les billes, en terre cuite, c était les moins chères, tous les gamins de la rue en possédaient un plein sac, et parfois quelques billes en verre teinté, les plus convoitées à gagner. Il y avait aussi un jeu que l on pratiquait à deux ou à quatre sur la chaussée. On creusait un petit trou au milieu de la rue qui était revêtue à cette époque de cailloux et gravillons. Un bâtonnet de 15 cm environ, taillé en pointe aux extrémités, était posé sur le trou. Avec un

15 bâton de 70 cm environ, le batteur soulevait le bâtonnet pour l expédier le plus loin possible en criant «kiss», puis «bat» et l adversaire, c est-à-dire l attrapeur, placé à quelques mètres devant le trou, devait le rattraper en l air. Si le bâtonnet était saisi, l attrapeur le lançait sur le grand bâton que le batteur avait posé sur le trou. Si le bâton était touché, la partie était gagnée par l attrapeur et les rôles changeaient. Le batteur devenait attrapeur. Par contre, quand le bâtonnet n était pas rattrapé, le batteur pouvait le frapper au sol, sur l une de ses extrémités pointues pour le soulever de terre et le frapper à la volée afin de l expédier encore plus loin, car la distance en nombre de pas était prise en compte pour déterminer les vainqueurs à la fin de chaque partie. Quand nous étions nombreux, cela pouvait durer un après-midi entier. La rue nous appartenait, nous étions rarement dérangés par le passage des voitures, tout d abord parce que personne dans la cité n en possédait, et ensuite parce que pendant la guerre, celles des commerçants étaient rares à circuler. Comment ce jeu est-il né dans notre rue? Je l ignore, car je ne me souviens pas l avoir vu ailleurs. Quant aux mots bizarres que l on criait, je n avais aucune idée de leur signification, encore moins de leur orthographe, n ayant jamais eu besoin de les écrire. C est seulement en racontant cette histoire, que je fais, à tort ou à raison, une petite similitude avec le jeu de baseball ou de cricket, à cause de la balle que l on doit rattraper avec une batte. Je dois ajouter qu à ce jeu, plusieurs carreaux de fenêtres furent cassés dans la rue. Des carreaux de cassés, il y en a eu aussi, même beaucoup, avec les jeux de ballon, mais surtout avec des petites balles plus fermes, qui se lançaient beaucoup plus loin et avec beaucoup plus de force. Bien sûr, les parents criaient un bon coup, «encore un carreau de cassé! Allez donc jouer ailleurs», mais ailleurs, c était un peu plus bas ou un peu plus haut, devant la maison d un autre copain. Cela ne faisait jamais d histoires entre les familles, on collait provisoirement un carton sur le carreau cassé, en attendant que le vitrier passe dans la rue, en claironnant «vitrier, vitrier». Heureusement que toutes les maisons avaient les mêmes modèles de fenêtres à croisillons, ce qui réduisait le format des vitres, et leur coût. Tous ces jeux dans la rue, avaient en plus des vitres cassées, un autre inconvénient, ils étaient bruyants. Les ouvriers mineurs pratiquaient pour la plupart, les horaires «des trois huit» une semaine du matin, une semaine de l après-midi, une semaine de nuit. Cela veut dire qu une semaine sur trois, ils travaillaient la nuit et dormaient le jour ou tout au moins jusqu à midi. Pendant les vacances scolaires et les jeudis qui étaient en ce temps là, jour de congé, nous étions donc souvent priés, d «aller jouer ailleurs», quand un voisin se reposait. Il y avait également le traditionnel jeu du gendarme et du voleur où l on était tantôt gendarme, tantôt voleur. Les révolvers en bois étaient taillés au couteau dans de vieilles planches, ou encore dans une branche tordue. Nous fabriquions aussi des épées en bois, des arbalètes, pour jouer à «Robin des Bois» dans les bosquets, pas très loin de la cité, où l on pouvait grimper dans les arbres pour faire vrai. Nous fabriquions aussi des frondes (lancepierres) avec des branches en forme de fourche Y, équipées d élastiques. On organisait des concours de tir, en tirant des cailloux sur des boîtes de conserves. Certains adolescents prenaient même un malin plaisir à tirer au lance-pierres sur les lampadaires qui éclairaient les lignes du chemin de fer des Mines. Les ampoules étaient souvent cassées. Le vandalisme existait déjà, mais sans commune mesure avec celui de maintenant. Il y avait aussi de temps à autre des disputes qui dégénéraient en batailles entre les enfants appartenant à des rues différentes. Je n ai jamais été un violent mais je me suis laissé entraîner une ou deux fois à ce genre de jeu. Quand il s agissait d affronter les jeunes des

16 corons polonais, ceux des rues d Anvers, de Bruxelles, et de Liège, se regroupaient pour faire cause commune. Je me souviens avoir participé une fois à une bagarre contre les jeunes polonais venus nous chercher des noises. La rencontre eut lieu sur les terrains en friche, audelà de la décharge du quartier. Sur cette décharge que l on désignait «ach mont d ordures», il n y avait pour ainsi dire que les cendres du charbon que l on utilisait dans les poêles. Chaque semaine, un tombereau tiré par un cheval passait dans les rues pour ramasser ces cendres que l on entreposait dans une poubelle en acier. Ces cendres étaient parfois dispersées sur la terre du jardin. Je me souviens qu à plusieurs reprises, avec quelques camarades, pour nous amuser, nous creusions des galeries dans les couches de cendres durcies. En sortant de là, je peux dire que nous n étions pas beaux à voir. Cet après-midi là, (Les bagarres se déclenchaient toujours le jeudi après-midi), nous avons réussi à refouler les polonais jusqu aux lignes des chemins de fer des Mines qui séparent les corons polonais, des talus à proximité de notre quartier. Au cours de cette bataille, j ai reçu sur le crâne un sérieux coup de bâton qui mit fin à ma participation au combat. Ces jeux de gamins turbulents ( je devais avoir dans les onze ans) étaient quand même dangereux surtout avec les lance-pierres que l on utilisait pour projeter sur l ennemi des cailloux mais aussi de petites pièces métalliques plates et cylindriques que l on trouvait sur les voies de chemin de fer. Bien entendu, ces batailles n avaient aucun sens et elles n altéraient en rien la camaraderie qui existe tout naturellement entre jeunes, qu ils soient polonais ou français, surtout quand le lendemain on se retrouvait à l école. De toute façon, n ayant pas un esprit particulièrement belliqueux, j ai vite renoncé à fréquenter ceux des autres rues qui prenaient un plaisir à se bagarrer. Un jour, dans la rue, près de la maison, avec mon copain Jacques Duhamel, alors que nous nous amusions à nous lancer des cailloux à la main, j en ai reçu un, probablement très coupant puisqu il m a ouvert l arcade sourcilière de l œil gauche. J ai eu beaucoup de chance, reçu un peu plus bas, le caillou m aurait abîmé l œil et je l aurais probablement perdu. Aujourd hui encore la blessure reste visible car les sourcils n ont jamais repoussé sur la plaie. Des cailloux, nous n en manquions pas car la chaussée en était recouverte, mais je crois qu après cet accident, j ai préféré les laisser par terre, et participer à des jeux moins stupides et moins dangereux. En parlant des chaussées recouvertes de cailloux, cela me rappelle qu il m est arrivé de les balayer. A la maison, la cour était fermée par un assemblage de tôles disparates dont l aspect plutôt misérable, était commun d ailleurs à beaucoup de maisons. Cela ne semblait choquer personne, car aucun mineur n étant propriétaire de sa maison, rare étaient ceux qui investissaient dans l achat de matériaux coûteux pour clôturer leur cour. Comme il n y avait pas d argent pour acheter des plaques toute faites en ciment, j ai aidé Maurice à en fabriquer. J ai balayé les rues de la cité pour récupérer les gravillons qui ont servi à faire le mortier. Dans un châssis en bois posé sur la terre recouverte de papier journal, le mortier était coulé, décoffré après séchage. Nous avons fabriqué quelques plaques, ce qui a permis à Maurice d améliorer l aspect de notre cour, tout au moins la partie visible depuis la rue. En réalité, nous n avons fait qu imiter de nombreux voisins qui avaient clôturé leur cour depuis quelque temps déjà, en procédant de la même façon. Lorsque je rentrais de l école, et que le temps n était pas trop mauvais, je me défoulais parfois dans la rue, près de la maison, en courant derrière une vieille roue de vélo qui avait perdu ses rayons et je la faisais rouler en tapant dessus avec un bâton. J avais même inventé un système pour améliorer mon jeu. J avais remplacé le bâton par une tige en fil de fer rigide dont une extrémité était pliée en forme de «U», pour guider la roue tout en la poussant et la maintenir verticale. Chaque année pendant les beaux jours, il y avait aussi la période des cerfs-volants. Dans le commerce on en trouvait bien sûr, mais relativement chers. Je n avais pas les moyens d en

17 acheter et d ailleurs je trouvais plus amusant de les fabriquer. La haie qui clôturait l extrémité du jardin me fournissait les tiges flexibles que je décortiquais. Du papier journal, une pomme de terre cuite à l eau en guise de colle, de la ficelle, et j avais tous les éléments pour réaliser un cerf-volant. Les camarades de la rue en fabriquaient également et nous pouvions ainsi, passer de longues heures à courir, la ficelle à la main pour faire décoller nos cerfs-volants. Lorsque, sous la pression d une bourrasque, le cerf-volant tombait brutalement et se cassait, je n avais aucun regret car je pouvais en refaire autant que je le souhaitais. Tous ces jeux que je décris plus ou moins bien, paraissent désuets et n ont peut être aucun sens pour les enfants de maintenant, mais si j en parle c est surtout pour démontrer que les jeunes des années quarante savaient s occuper et s amuser, même avec peu de moyens. Vers 13/ 14 ans, nous jouions parfois pour de l argent, pour tenter de gagner quelques pièces de monnaie. D abord aux cartes avec un jeu appelé «au pot» ou au jeu du bouchon, qui consistait à lancer des grosses pièces de monnaie vers le bouchon sans le faire tomber et le joueur qui se plaçait le plus près empochait la mise. Un peu plus tard encore, vers 15/16 ans, pendant mes vacances scolaires, lorsque les baby-foot firent leur apparition dans les cafés, j allais avec des copains faire quelques parties dans un estaminet en bas de la côte de Lozinghem à Marles. On se contentait de glisser les pièces dans l appareil pour jouer, et le patron ne nous obligeait pas à consommer. Avec quelques camarades, nous allions parfois nous promener vers le village de Lozinghem, en passant par un petit chemin qui serpentait entre des vergers. Comme beaucoup de gamins de ans, nous n avons pas fait exception à la règle, en allant marauder pour le plaisir, une ou deux pommes que nous trouvions meilleures que chez nous, mais surtout quelques cerises pour s en faire des boucles d oreilles. Je tiens à préciser qu il n y à jamais eu de vandalisme de notre part, aucune branche d arbre n était cassée, et lorsque nous étions surpris par le propriétaire, on se sauvait tout simplement sans faire d histoire. A cette époque, il était impensable de saccager quoi que soit, et encore moins d agresser le propriétaire par esprit de vengeance, comme on peut le déplorer parfois, actuellement. Dans ce village de Lozinghem, il y avait plusieurs fermes avec des vaches laitières, et le soir après la traite, le lait frais était vendu immédiatement aux clients. Pendant la guerre, faute de pouvoir circuler avec leur voiture, les commerçants passaient rarement dans les rues de nos cités pour livrer à domicile. Il fallait donc se déplacer, et très souvent, en fin de journée, je faisais le long trajet à pied pour aller à Lozinghem, chercher le lait dans un bidon en aluminium. L été, c était une promenade d une heure environ aller-retour, mais pendant les mois d hiver, lorsqu il fait nuit beaucoup plus tôt, le trajet devenait moins attractif. Malgré tout, je me proposais chaque fois que cela s avérait nécessaire. Pendant la guerre et même encore après, le sucre était rare. Il y avait bien les sachets de saccharine pour le café, mais ce n était vraiment pas l idéal. Je me souviens qu à la maison, j ai essayé de fabriquer du sucre avec des betteraves. Les fermiers des environs, sur les communes de Lozinghem et d Allouagne cultivent beaucoup de betteraves sucrières qui alimentent la sucrerie de Lillers. Au moment des récoltes, il m est arrivé d aller dans les champs récupérer quelques unes de ces betteraves. A la maison, après les avoir lavées, râpées, je les faisais fondre sur le poêle avec un peu d eau dans un faitout afin d obtenir une mélasse brunâtre sucrée, que l on pouvait utiliser comme succédané. Les quelques tentatives que j ai faites, sont restées des moments d expériences, et surtout considérées comme un divertissement, car le résultat n était pas très convaincant. Les épouses de mineurs ne travaillaient pas à l extérieur. Elles avaient de quoi s occuper à la maison. D abord avec les enfants, car la plupart des familles en avaient plusieurs et parfois

18 même beaucoup, jusqu à 10, voire 11, comme dans quelques familles de notre cité «Sainte Barbe». L entretien de la maison, les repas, tout devait être prêt quand le mari rentrait du travail. A cette époque, il n y avait pas de douches sur le lieu de travail. Les ouvriers devaient faire leur toilette à la maison. Les vrais mineurs, ceux qui travaillaient au fond, à l abattage du charbon, étaient méconnaissables quand ils remontaient de la mine. Je me souviens que dans la rue, j avais des difficultés à reconnaître les voisins qui rentraient du travail. Les visages étaient tout noirs de la poussière de charbon, et on ne voyait que le blanc des yeux, c est pourquoi ils étaient surnommés «les Gueules noires». La mère de famille devait donc préparer le bain pour le mari. Aucune maison des corons n étant équipée d une salle de bain, il fallait se nettoyer dans un grand chaudron. L eau était chauffée dans des bassines, plus petites pour pouvoir les porter, puis versée dans le grand chaudron placé sur le sol près du poêle, surtout l hiver pour ne pas avoir froid. La peau était tellement imprégnée de la poussière de charbon, qu il fallait la frotter énergiquement, pour qu elle retrouve son aspect naturel Il fallait aussi prendre beaucoup de précautions avec les vêtements de travail, très poussiéreux, afin de ne pas salir toute la pièce. Les mêmes vêtements étaient d ailleurs réutilisés le lendemain, et n étaient lavés qu une fois par semaine. Bref, c était une vraie contrainte qui se répétait quotidiennement. A la maison, les corvées de toilette ont duré de nombreuses années pour ma mère. D abord avec Lucienne jusqu à son mariage en 1942, ensuite avec Maurice jusqu à son mariage en 1950, enfin avec Henri jusqu à son mariage en C est bien plus tard, que les ouvriers mineurs, ont pu bénéficier des améliorations de confort. L installation de douches sur les lieux de travail après la guerre, a permis aux mineurs de fond de rentrer propre à la maison, et ainsi d améliorer la vie de la mère de famille, mais les ouvriers du jour, faisaient encore leur toilette à la maison. A la maison, un seul poêle fonctionnait pour chauffer les trois pièces du rez de chaussée. Les deux chambres à l étage n étaient jamais chauffées. Il n y avait aucun volet aux fenêtres et l hiver lorsqu il gelait, le matin au réveil, les vitres étaient décorées de grandes feuilles blanches du givre qui s était formé pendant la nuit. C était très joli, mais une fois sorti du lit, on ne s attardait quand même pas trop longtemps à admirer ce phénomène, car la chambre était glaciale. Au rez-de-chaussée, les vitres étaient également givrées, car le poêle s était éteint, sa faible réserve de charbon ne permettant pas de le maintenir allumé toute la nuit. Je me souviens que certain matin, il fallait longtemps avant que la pièce retrouve une chaleur suffisante pour faire fondre le givre. Le poêle restait allumé toute l année, car il servait également à chauffer l eau, pour préparer le traditionnel café du matin, l eau pour la toilette, pour cuire tout ce qui était nécessaire à la préparation des repas. L été bien sûr, sauf nécessité, il fonctionnait au ralenti, mais il fallait le surveiller pour qu il ne s éteigne pas complètement, car le rallumer était plutôt contraignant. Pour ranimer le feu, il fallait le tisonner énergiquement afin de dégager les cendres, ce qui entraînait toujours un nuage de poussière. Le nettoyage autour du poêle était quasipermanent. Par la suite, les poêles s améliorèrent et des cuisinières plus moderne firent leur apparition, mais le chauffage au charbon resta quand même une contrainte. Le personnel des Mines, toutes catégories confondues, avaient droit gratuitement à une

19 certaine quantité de charbon qui était livrée à domicile plusieurs fois dans l année. Il s agissait de poussières de charbon complétées par une petite quantité de morceaux de charbon les «gaillettes» et de quelques bûches de bois que l on fendait en bûchettes pour allumer le feu dans le poêle. Le charretier (ch carrieux d carbon ) transportait le charbon dans un tombereau tiré par un cheval et le versait devant la maison. Il fallait ensuite rentrer ce joli tas de charbon poussiéreux dans notre cour avec des seaux et enfin nettoyer les trottoirs. La livraison par camion vint beaucoup plus tard après la guerre, ce qui permit aux transporteurs de servir en même temps, plusieurs maisons dans la rue. Pour compléter la ration de charbon allouée par la Sté des mines, certaines personnes se transformaient parfois, non pas en chercheurs d or, mais de charbon. Ils grimpaient sur les flancs des terrils proches des corons, afin de récupérer les quelques «gaillettes» qui auraient échappées au service du triage. Cette activité était interdite car dangereuse, surtout quand les bennes déversaient au sommet, leur chargement de résidus miniers. Lorsque j allais à pied à Auchel où plusieurs corons étaient vraiment très proches d un terril, je voyais souvent des gens, jeunes et adultes, entrain de l escalader pour trouver de quoise chauffer un peu plus.. Par contre, notre cité étant très éloignée des terrils, personne parmi les voisins n effectuait ce genre de glanage. Née le 11 février 1899 à Chocques, ma mère nourricière, également fille de mineur, aînée d une famille de cinq enfants, n a pas eu une enfance très agréable. Tout ce que j ai retenu, c est qu elle a quitté l école très tôt pour travailler, elle devait avoir onze ou douze ans. Mariée, devenue elle-même, mère de quatre enfants auxquels elle a bien voulu m ajouter, moi le gosse de l assistance publique, pour faire le cinquième. Il lui fallait beaucoup de courage pour affronter toutes les difficultés quotidiennes. Toujours levée la première, vers quatre heures trente, ma mère, commençait par allumer le poêle à charbon dans la pièce principale, celle où l on vivait toujours, les autres pièces n étaient jamais chauffées. Préparer les quelques tartines et le bol de café chaud pour un petit déjeuner que Lucienne et Maurice avalaient rapidement avant de partir vers cinq heures à la mine qui se trouvait à trente minutes environ de marche à pied. C est pourquoi, je pense pouvoir affirmer, qu à la maison, c est ma mère qui a le plus souffert, sans jamais le laisser paraître, surtout pendant les quinze années qui ont suivi son veuvage, c est-à-dire jusqu au mariage de Maurice en 1950, où les journées devinrent moins pénibles, malgré le manque d argent toujours aussi évident.mais c est un peu plus tard, quand Henri a quitté la maison après son mariage en juin 1954, qu elle put s accorder enfin de réels moments de détentes. Baptiste Lhost, l oncle et parrain de Ginette qui travaillait encore à la mine, s était installé à la maison et son salaire a permis à ma mère de vivre beaucoup mieux. Les courses à crédit chez les commerçants du coin n étaient plus qu un mauvais souvenir. Baptiste né le 22 juillet 1908 a pris sa retraite en juillet 1958 après avoir travaillé comme mineur de fond pendant trente-quatre ans. Ma mère est décédée le 6 juin 1974 et Baptiste le 4 janvier 1979.

20 Marles-les-Mines, comme son nom l indique, est une ville minière, mais très agréable, comparée à d autres villes minières de la région. Il y a le vieux Marles avec son église, un centre ville avec ses commerces, un très bel Hôtel de ville moderne construit en 1933 dans un style flamand XVIIème siècle (N oublions pas que l Artois fait partie de la Flandre), avec sa grande place triangulaire sur laquelle ont lieu les marchés et les fêtes foraines (les ducasses), quelques cités ouvrières, bien réparties sur la commune. C est à l école Gambetta que j ai passé mon certificat d études primaires en juin Notre quartier est très éloigné des puits de mines et des terrils. Construite sur les hauteurs de Marles, les collines d Artois, la cité bien aérée, n était ni polluée ni trop poussiéreuse. De notre cité, nous passions sur cette passerelle qui surplombait les lignes de chemin de fer des

21 mines pour aller à l école Pasteur et vers le centre ville.

22 Après la découverte en 1852 de la houille dans le sous-sol de Marles, qui n est à cette époque qu un petit village agricole de 430 habitants, débutent les travaux du premier puits N 1 qui s effondre au cours du forage. Le puits N 2 dont le forage débute en 1853, entre en exploitation en 1858 grâce aux nombreux ouvriers Belges appelés pour la mise en route des Mines de Marles. Pour la petite histoire, l arrière grand-père paternel de Ginette faisait probablement partie de ces mineurs venus de Belgique, pays où l on exploitait le charbon depuis plusieurs années déjà. Dans la famille Lhost on était mineur de père en fils depuis plusieurs générations. En 1861, pour loger une partie des ouvriers dont le nombre augmentait considérablement, la société des Mines de Marles fit construire une cité sur la route de Lozinghem. Les premières maisons construites sur deux rues parallèles, étaient toutes accolées les unes aux autres et devinrent ce qu on appela les corons. Les autres maisons construites n étaient plus accolées mais séparées par un jardinet. Chaque maison comprend deux logements jumelés. La cité fut baptisée «Sainte-Barbe» du nom de la patronne de la corporation minière. Probablement en hommage aux premiers mineurs venus de Belgique, les rues les plus récentes de la cité Sainte-Barbe, portent des noms de villes belges : Liège, Bruxelles, Gant, Anvers, Namur. En 1866 l activité s est ralentie à la suite de l éboulement de la fosse N 2. Il a fallu attendre 1908 pour que l exploitation du charbon reprenne d une façon intensive sur la commune de Marles avec les nouveaux puits N 2, ensuite avec le N 2 bis en 1911 et le N 2 ter en Après la guerre de , compte tenu de l importance prise par l exploitation du charbon, l effectif des mineurs est renforcé par l arrivée massive de travailleurs étrangers. La société des Mines de Marles entreprend alors la construction d une nouvelle cité sur les terrains allant vers Auchel et Calonne-Ricouart, pour loger les mineurs qui sont essentiellement Polonais. C est pourquoi, nous avons pris l habitude de désigner ce quartier «les corons polonais». A propos des Polonais, ils étaient considérés à la mine comme très courageux et réputés pour leur acharnement à l abattage du charbon, à cause des primes payées au rendement. Cela créait parfois des tensions avec certains ouvriers français, tout aussi courageux, mais peut être moins disposés à s épuiser. Si les parents avaient des difficultés à parler Français, les enfants

23 le parlaient parfaitement bien. D ailleurs à l école, il n y avait aucune différence entre les élèves, et je me souviens que dans les différentes classes où je suis passé, il y en avait parmi eux, toujours quelques uns en tête du classement. Dans les corons, les Polonais étaient également connus pour être de gros mangeurs de choucroute. Dans leurs jardins, ils cultivaient beaucoup de choux qu ils faisaient ensuite macérer dans des tonneaux pour la fermentation et obtenir ainsi une choucroute qu ils pouvaient conserver tout l hiver, quand les légumes étaient plus rares au jardin. Lorsque j allais chez Lucienne ou chez Simone, je me souviens qu une odeur de choucroute flottait souvent autour des maisons. Cela n avait rien de désagréable mais à la maison nous préférions les choux cuits traditionnellement. Les Polonais se sont vite intégrés dans la commune et les mariages mixtes, entre Polonais et Françaises ou Français et Polonaises étaient nombreux. Après un peu plus de cent ans d exploitation du charbon sur la commune de Marles, les puits ralentissent progressivement leur activité, ferment définitivement fin 1974 et le démantèlement des installations commence en Dans la rue d Anvers où j ai vécu et grandi, les maisons avaient l avantage, en plus du jardinet sur le côté, de posséder un grand jardin sur l arrière. A la maison, nous avons apprécié ce grand jardin. Les légumes récoltés, permettaient de réaliser quelques économies sur les achats de nourriture. Les pommes de terre, les poireaux, les carottes, étaient très appréciés pour préparer la soupe, qui était l alimentation principale, surtout pendant la période difficile de la guerre Dans la plupart des jardins de la cité, il y avait deux arbres fruitiers, un poirier et un pommier. A la saison des fruits, je grimpais souvent dans le pommier, et après avoir choisi la plus belle pomme, je me nichais confortablement dans les branches pour la croquer. Par contre, les poires étaient trop dures et ne mûrissaient qu après avoir été cueillies et conservées dans des cageots. Ce vélo pliant que j emportais sur la galerie, est celui de Corinne Voici un aperçu de la rue d Anvers où j ai passé mon enfance et mon adolescence. Mon frère Henri a habité dans la dernière maison en haut à droite et mon frère Maurice habite toujours la maison basse que l on aperçoit à gauche. Ma voiture Renault R11 est garée devant la maison de ma mère et de Baptiste Lhost, l oncle et parrain de Ginette.

24 Sur la photo prise le 6 août 1976, si les maisons n ont pas changé d aspect depuis la construction de la cité, la chaussée et les trottoirs ont été rénovés dans les années soixante. Le macadam a remplacé les gros cailloux de la route et les briques rouges des trottoirs. Comme je l ai déjà expliqué, il y avait peu ou pas d argent à la maison. A part les produits du jardin, le reste de la nourriture était presque toujours acheté à crédit. Certains commerçants du quartier, comme le boucher ou l épicier, notaient le montant des achats sur un carnet, et ils étaient payés en fin de quinzaine, c est-à-dire après la paye des enfants qui travaillaient. La viande chez le boucher était considérée comme une denrée très chère et nous n en mangions pas tous les jours. Aussi, pour améliorer l ordinaire surtout le dimanche toutes les familles de mineurs élevaient des lapins, des poules, parfois des canards A la maison nous avions quelques clapiers dans lesquels j ai toujours vu des lapins. L élevage de poules et de canards était plus irrégulier. Dans les rues de la cité, un récupérateur de métaux, également chiffonnier, que l on appelait «cache à loques» passait régulièrement afin de récupérer les vêtements totalement hors d usage pour en faire des chiffons. En patois ch timi «cache» signifie chercher et «loques» chiffons. Ce chiffonnier ramassait également les peaux de lapin. Aussi, nous entendions de temps à autre crier dans la rue «piau de lapin, piau, piau de lapin» piau en patois voulant dire peau. Si je me trouvais à la maison et que nous avions tué un lapin peu avant, je me précipitais pour vendre la peau et récupérer quelques sous. Ce n était pas énorme mais j avais de quoi acheter quelques friandises. Les lapins sont des animaux faciles à élever. Les fanes de carottes, l herbe que l on allait couper avec une faucille sur les bords des petits chemins. Pour nourrir les poules nous devions acheter les graines. Après la moisson, les fermiers autorisaient le glanage des céréales et il y avait du monde sur les champs pour ramasser les épis qui traînaient. Parmi les glaneurs il y en avait toujours quelques uns qui grappillaient des poignées d épis sur les meules de gerbes encore dressées sur les champs. Ils ne devaient pas se faire prendre car ce chapardage était répréhensible et sévèrement puni. Il m est arrivé aussi d aller ramasser des pommes de terre qui restaient sur le terrain après l arrachage par les fermiers. Pour être efficace, il fallait s équiper d une petite binette afin de remuer la terre. Les pommes de terre récupérées étaient les bienvenues car elles venaient en complément de celles cultivées dans notre jardin. Les achats de vêtements étaient limités au strict nécessaire. Il y en avait peu pour chacun. C est pourquoi, le plus loin que je puisse me souvenir, je n ai jamais vu qu une seule armoire et pas très grande, pour toute la famille. Quant aux chaussures, elles devaient servir très longtemps. Elles étaient ressemeléesplusieurs fois, tant que le dessus pouvait tenir. Je me souviens que Maurice rapportait de la mine des plaques épaisses de caoutchouc noir, provenant des tapis roulants usagés servant au transport du charbon. Ces tapis retrouvaient une deuxième vie en se transformant en semelles, que Maurice fixait sous les chaussures. Nous n avions jamais plus d une paire de chaussures à la fois, rarement deux. Peu de vêtements, peu de chaussures, peu d équipement ménager, le mobilier était tout aussi sommaire. Dans les deux chambres à l étage, il n y avait que les lits métalliques. Dans une chambre, deux lits pour les garçons, Henri et moi dans un lit, Maurice dans l autre. Dans la deuxième chambre, deux lits également, Lucienne et Simone dans l un, ma mère dans l autre. Cette disposition était celle vécue jusqu aux mariages de Lucienne et Simone, j avais 10 ans. Au rez-de-chaussée, il y a deux pièces et une cuisine. La pièce qui donne sur la rue était baptisée la pièce de devant. Dans la pièce du milieu, celle où l on vivait, il y avait une table rectangulaire en hêtre, toute simple, quelques chaises paillées, un petit buffet bas à deux portes et deux tiroirs. Il y avait bien sûr, le poêle à charbon haut sur pied. Dans un coin de la pièce, un évier en grès, mais sans robinet, car inutile, puisqu il n y avait pas l eau courante dans la maison, comme d ailleurs, dans aucune des maisons des corons.

25 Nous devions aller chercher l eau potable à la pompe dans la rue. Notre rue était équipée de deux pompes réparties sur la longueur ; celle la plus proche était à une trentaine de mètres environ de notre maison. Je dois dire que l eau n était pas gaspillée, non pas par souci d économie, car elle était gratuite, mais pour réduire les allers-retours à la pompe. Pourtant, l été, pour arroser les légumes au jardin, il fallait faire un effort et effectuer de nombreux voyages à la pompe avec les seaux. Même s il y avait parfois un peu de réticence, à faire ce qui nous semblait être une corvée, nous, les enfants, ne pouvions pas laisser notre mère effectuer seule ce travail. Le château d eau qui alimente tout le secteur, est situé sur les hauteurs de notre cité. Je me souviens qu à maintes reprises, après de violents orages, l eau qui sortait des pompes était devenue toute rouge. Il fallait attendre parfois plusieurs jours afin qu elle retrouve son aspect normal pour être buvable. Pour faire sa toilette ou la vaisselle, il fallait la laisser décanter un moment. L installation de l eau courante dans toutes les maisons du quartier, a était réalisée bien plus tard après la guerre. Contrairement à la vie trépidante que la plupart des gens s impose actuellement, quand j étais gamin, dans notre cité on se déplaçait normalement, c'est-à-dire sans courir, prenant le temps pour tout. L été quand il faisait très chaud, les journées s étiraient et semblaient durer. On ne se pressait pas, car on n avait nulle part où aller et surtout parce qu il n y avait pas d argent à dépenser. La vie semblait simple et pourtant, personne ne se lamentait de ne pouvoir aller en vacances ou au restaurant. Je me souviens que, pour se distraire et aussi pour se rafraîchir après une journée particulièrement torride, entre voisins les plus proches, parents et enfants, on bataillait à coup de seaux d eau au milieu de la rue en essayant bien sûr, d asperger le plus de monde possible. Ensuite il n y avait plus qu à s essuyer et aller au lit. Sauf exception, les soirées ne se prolongeaient jamais très tard, et le matin personne n était fatigué d avoir trop regardé la télévision jusqu à saturation. Dans la cité, les vacances étaient inconnues pour la plupart des familles. C est bien des années après la guerre, que les houillères du Pas-de-Calais ont ouvert un centre de vacances pour le personnel des mines à La-Napoule dans le Var. Il fallait s inscrire longtemps à l avance car les demandes étaient nombreuses et c est un tirage au sort qui déterminait les heureux bénéficiaires. C est ainsi que ma sœur Simone, Joseph son mari et leur fils Lionel sont allés pour la première fois de leur vie en vacances sous le soleil de la côte d azur.

26 A Marles, comme dans toute la région d ailleurs, de nombreux mineurs avaient une passion, l élevage des pigeons voyageurs. Beaucoup de maisons étaient équipé de pigeonniers et pendant les belles saisons, les sociétés colombophiles organisaient des concours afin de permettre aux joueurs, les «coulonneux» comme on les appelait, de comparer les performances de leurs champions, et il fallait voir leur fierté lorsque leurs volatiles gagnaient une course. Pendant la guerre, l élevage des pigeons voyageurs étant interdit par les Allemands, il n y avait donc pas de concours. Je devais avoir 12 ou 13 ans, c'est-à-dire immédiatement après la libération quand Maurice et Henri ont commencé à élever quelques pigeons à la maison. Il y avait quelques gros ramiers pour être mangés, leur chair délicieuse et très nourrissante était recommandée aux malades. Il y avait aussi quelques pigeons voyageurs qu il fallait entraîner à bien reconnaître leur pigeonnier respectif. Les pigeons voyageurs devaient être déclarés et bagués. En juillet 1949, pendant mes vacances scolaires, nous avions participé à un concours de pigeons et l un des nôtres n était pas rentré au pigeonnier. Après plusieurs jours d attente, si le pigeon n était toujours pas rentré au bercail, c est qu il était, soit blessé, égaré, mort d épuisement, ou tué par un chasseur. Une quinzaine de jours plus tard, nous avons eu la surprise de recevoir une lettre nous informant que notre pigeon, probablement fatigué, avait été récupéré par un coulonneux à Sainte-Catherine, petit patelin près d Arras. Avec la bague numérotée que porte le pigeon, le propriétaire est vite identifié. Nous étions tombés sur quelqu un de très honnête, car il aurait pu le garder et couper la bague. C est à vélo que j ai parcouru les 80 kilomètres aller-retour pour récupérer notre pigeon. Par la suite, chaque fois que je passais à proximité de Sainte-Catherine, en voiture pour aller à Marles, je repensais à cette histoire de pigeon voyageur. Le pigeon voyageur que mon frère Henri tient dans ses mains est celui que j ai récupéré. On remarquera qu Henri est le seul à avoir une cigarette aux lèvres. Il a dix sept ans et il fume depuis plusieurs années déjà. Beaucoup plus jeune, vers douze-treize ans, quand il n avait pas les moyens de s acheter du tabac, il fumait des feuilles séchées d arbustes qui poussaient dans notre jardin. Il émiettait l herbe séchée et la roulait dans une feuille à cigarette Je l ai même vu fumer des bouts de chiffons enroulés. Tout cela empestait, j avais beau lui dire d arrêter, il s en fichait. Ensuite, le peu d argent de poche qu il récoltait en

27 rendant de menus services chez M. et Mme Paquentin dans le haut de notre rue, il le dépensait en achetant du tabac à rouler, moins cher que les cigarettes. La deuxième passion de certains mineurs était l élevage des coqs de combat, moins pacifique que celui des pigeons. Si dans une cour de ferme, les coqs sont par nature, souvent belliqueux, comme j ai pu le constater pendant mon séjour chez des fermiers dans l Allier, ceux-là, d une race très spécifique, sont spécialement élevés et dressés pour le combat. Adolescent, j ai assisté clandestinement à deux reprises à ces combats. A Marles, ils avaient lieu dans la cour du café chez Blondel. C est également dans ce bistrot que se tenait le siège d une des Stés colombophiles de Marles. Deux coqs très musclés que l on armait au préalable d une lame métallique sur leurs ergots, s affrontaient sur un ring grillagé entouré de gradins occupés par des spectateurs venus là pour assister aux combats, mais essentiellement pour parier. La bataille se terminait presque toujours par la mort d un des combattants. Plus tard, avec Ginette, nous allions parfois chez un de ses oncles qui élevait des coqs pour participer à ces combats dans toute la région. Les bêtes étaient magnifiques mais c est une passion qui coûtait très cher, surtout quand mortellement blessées au cours du combat, elles ne rapportaient rien au propriétaire, si ce n est d être transformées en coq au vin et de nourrir la famille pendant plusieurs jours. Quant au père de Ginette, il avait lui aussi un pigeonnier dans lequel il élevait des pigeons voyageurs et de temps à autre, participait aux concours. C était moins coûteux et moins spectaculaire, mais tout aussi passionnant. Pendant nos vacances à Marles, je suis allé à plusieurs reprises au siège colombophile porter l horodateur qui avait enregistré l heure d arrivée des pigeons ce qui permettait de déterminer les gagnants. Je me souviens également, que tout gamin, à défaut des pigeons voyageurs qui étaient interdits pendant la guerre, j ai toujours vu beaucoup d hirondelles dans la cité. A la maison, elles avaient fabriqué un nid dans l encoignure de la fenêtre à l étage côté rue. Le nid qui n était jamais démoli, restait vide pendant l hiver, et pendant de nombreuses années, selon le dicton qui dit que, si les hirondelles ne font pas le printemps, cependant, aux beaux jours, elles réapparaissaient dans leur nid, un peu comme les pigeons qui retrouvent leur pigeonnier. J étais impressionné par leur vitesse et leurs voltiges dans un va-et-vient incessant et comme j étais souvent dehors, j aimais bien observer leur manège. Le côté désagréable d avoir un nid à la fenêtre, provenait des salissures sur les vitres qu il fallait nettoyer régulièrement. Bien plus tard, le nid se désagrégea, ne fut jamais reconstruit, et les hirondelles allèrent nicher ailleurs.

28 Après l invasion de la Pologne par l armée allemande le 1 er septembre1939, la France et la Grande-Bretagne déclarent la guerre à l Allemagne le 3 septembre Je me souviens parfaitement de cette journée du 3 septembre. Je venais d avoir 7 ans, et j ai toujours devant les yeux certaines images. La puissance de l émotion a fixé les évènements dans mes souvenirs. Les détails ressurgissent très vite quand on sollicite la mémoire. Dans la rue d Anvers, les gens sortaient de chez eux en gesticulant et en criant «c est la guerre, c est la guerre», pendant que les cloches des églises de Marles et de Lozinghem sonnaient à toute volée. Ces cloches sonnaient le tocsin qui annonce toujours une mauvaise nouvelle. Sur le moment, je ne compris pas ce que signifiait toute cette agitation, mais en voyant les voisins pleurer, je me doutais bien que cela devait être très grave. Peu de temps après, des soldats anglais se sont installés dans une petite forêt sur la commune de Lapugnoy, pas très loin de notre cité, et plus tard encore, nous apprîmes qu ils distribuaient des friandises aux gamins. Avec quelques camarades de la rue, nous nous sommes risqués à approcher le campement militaire. C était la première fois que je voyais des soldats avec leurs armes et beaucoup de véhicules. Nous avons nous aussi, récupéré quelques biscuits, bonbons, et tablettes de chocolat, mais les militaires nous ont fait comprendre également qu il ne fallait pas traîner aux abords du campement, et de renter chez nous. La Belgique ayant été envahie par les troupes allemandes en mai 1940, beaucoup de Belges fuyaient leur pays à pied ou à vélo, et certains sont passés par Marles lors de leur exode. Comme plusieurs de nos voisins, nous avons accueilli une famille de quatre personnes à la maison, pour leur permettre de se reposer. Nous avions installé des matelas à même le sol au rez-de-chaussée, dans la pièce de devant. Les réfugiés Belges sont restés deux ou trois jours, et sont ensuite partis afin de poursuivre leur exode vers le sud, sans trop savoir jusqu où ils iraient. Après la Belgique, c est la France qui commence à être envahie. Les soldats anglais plient bagages pour rentrer chez eux. Et, un jour, dans la rue, les gens se sont mis à crier «les Allemands arrivent, les Allemands arrivent». Plusieurs personnes affirmaient les avoir vus arriver à vélo et à moto dans les villages éloignés de quelques kilomètres. Effectivement, le lendemain matin, sans bruit, les soldats allemands avaient remplacé les soldats anglais, et tout semblait normal, tout au moins dans notre secteur, assez éloigné des combats. Ensuite, l aviation anglaise s est mise à survoler sans cesse la région et bombardait parfois le secteur. Je me souviens du bombardement d un train de munitions en gare de Chocques. Pendant plusieurs jours, le bruit des munitions qui explosaient, était entendu jusque chez nous, malgré la distance, environ 6 kms par la route, qui nous séparait de Chocques. Les habitations autour de la gare avaient été terriblement endommagées. Sur cette commune, il y avait également une centrale thermique qui alimentait en électricité les puits des mines de Marles. Cette centrale était particulièrement visée par les avions. Comme les bombardements n étaient pas très précis, les maisons à proximité, étaient plus souvent démolies que l usine. Le but de ces bombardements était de stopper l activité des mines qui ne pouvaient pas fonctionner sans électricité, et aussi de freiner la production du charbon que les Allemands s appropriaient et expédiaient chez eux en Allemagne. Un jour, à la suite du bombardement de la centrale de Chocques, les puits des mines de

29 Marles s étant retrouvés sans électricité, les chevalets ne pouvaient plus fonctionner ce qui entraîna l arrêt des «cages», types d ascenseurs très rudimentaires, qui font la navette entre le jour et le fond. Tous les ouvriers qui travaillaient au fond à ce moment là, sont restés bloqués, et ont dû remonter plusieurs centaines de mètres à l aide des échelles disposées par paliers. Ces échelles étaient installées comme issues de secours, au fur et à mesure du perçage des puits et des galeries. Si je me souviens de cet évènement, c est surtout parce que, mon frère Maurice et Baptiste Lhost, l oncle et parrain de Ginette, qui travaillaient ensemble, dans une galerie à 383 mètres sous terre, étaient parmi ceux qui furent bloqués au fond ce jour là, et sont remontés à la surface à la force des poignets, les vêtements trempés par la sueur, et la peur de leur vie. Maurice devait avoir entre 17 et 18 ans et à la maison nous avons parlé pendant longtemps de cette mésaventure, qui s est heureusement bien terminée. Curieusement, les Anglais n ont jamais bombardé directement les puits des mines de Marles et d Auchel, mais seulement les centrales qui les alimentaient en énergie électrique. Les alliés devaient penser à l après-guerre en épargnant les exploitations de charbon. Pendant cette guerre, pour de multiples raisons, les coupures de courant étaient fréquentes. Comme il n y avait aucun équipement électroménager, tel que réfrigérateur, machine à laver, ces coupures n étaient gênantes que le soir ou le matin très tôt. Il fallait alors s éclairer avec une lampe à pétrole ou à défaut, lorsque le pétrole manquait, avec des bougies que nous avions toujours en stock. Je me souviens de certaines soirées autour du poêle à charbon avec une seule bougie pour nous éclairer. De toute façon, lorsque le courant tardait à revenir, nous étions encore plus vite au lit. Lorsque les avions venaient bombarder la centrale de Chocques, ils survolaient souvent notre cité et quand cela se passait dans la journée, nous pouvions voir les chapelets de bombes descendre. Les canons allemands «D- C-A» comme on disait, tiraient sur les avions et l on pouvait distinguer dans le ciel, les taches noires des impacts d obus qui explosaient. Les tirs n étaient pas très précis, car au dessus de chez nous, peu d avions ont été abattus. Dès que la nuit était tombée, il fallait fermer les rideaux pour que la lumière des lampes ne soit pas visible de l extérieur. Je me souviens que l imposte vitré au dessus de la porte d entrée était masqué par une peinture bleue. Je crois que la raison principale était d empêcher les avions anglais de se repérer la nuit quand ils survolaient la région. En 1943, j avais 11 ans, et aujourd hui, malgré le temps passé, je garde encore dans les oreilles, le bruit des avions qui passaient fréquemment au dessus de notre quartier, pour aller bombarder l Allemagne. Il faut préciser que nous étions sur l axe Angleterre-Allemagne. Lorsque les avions passaient à très haute altitude, nous étions plutôt rassurés car les bombardements n étaient pas pour notre secteur. Dans la journée, par beau temps, on pouvait les suivre, petits points minuscules très haut dans le ciel bleu, grâce aux trainées blanchâtres qu ils laissaient derrière eux. Le plus impressionnant, c était surtout le soir et la nuit, le bourdonnement lancinant des moteurs à hélices de plusieurs dizaines de gros avions bombardiers, était très éprouvant. Je me souviens aussi, de quelques évènements survenus pendant l occupation allemande.

30 A plusieurs reprises il y eut des représailles contre la population, à la suite de sabotages sur des installations probablement très utiles pour les Allemands. Les habitants étaient consignés dans leur maison avec l interdiction absolue de sortir. Les soldats allemands qui patrouillaient dans notre cité, avaient l ordre de tirer sur quiconque s aventurait dehors. Comme les gens devaient sortir pour aller travailler, surtout les mineurs, qui étaient indispensables à l industrie allemande, je pense que ce type de représailles avait lieu le dimanche. En 1941 ou début 1942, ma sœur Lucienne n était pas encore mariée, et lors d une journée consignée, deux soldats allemands sont venus tambouriner de grands coups sur la porte de la maison. Il n a pas fallu longtemps à ma mère pour réaliser qu il fallait ouvrir rapidement. L un des soldats réussit à nous faire comprendre par signes et quelques mots de mauvais français, que «mademoiselle» regardait dehors par la fenêtre ouverte à l étage et que c était interdit. Il nous montra son fusil, et nous fit comprendre qu il aurait pu tirer sur elle. Je m étais placé derrière ma mère pour voir les soldats. Casqués, bottés, ils étaient d autant plus impressionnants, qu ils parlaient fort, tout en gesticulant et personne dans la maison n était très rassuré. Lucienne, avait effectivement ouvert la fenêtre à l étage côté rue, pour voir se qui se passait dehors Les soldats qui arpentaient la rue voisine, pourtant assez loin, l aperçurent et réussirent à repérer la maison. Cette histoire s est heureusement bien terminée, avec plus de peur que de mal. Au cours d une autre journée de consigne, dans un autre quartier de la commune, un gamin avait été tué parce qu il était sorti de chez lui, afin d aller voir un camarade, quelques maisons plus loin. Un soldat allemand, pour faire respecter cette interdiction, n avait pas hésité à tirer et à tuer un gamin inoffensif. Un autre évènement m avait marqué à l époque. J étais en classe ce jour là, et tout à coup, un bruit assourdissant, nous fît sursauter de peur. Par les grandes fenêtres, l espace d un éclair, nous aperçûmes deux petits avions qui se suivaient, tout en rasant le toit du bâtiment de l école, pourtant pas très haut. Presqu immédiatement, nous entendîmes un grand boum, et le silence revint. Après la classe, en rentrant à la maison, sur un grand terrain près de la route, ancien terril aplani de l ancienne fosse No 2 de Marles, à quelques minutes à pied seulement de l école, nous aperçûmes de la fumée qui montait dans le ciel et beaucoup de soldats allemands à proximité. Les deux avions de chasse participaient à une fête aérienne organisée pour l anniversaire d Hitler et s étaient télescopés en vol, avant de s écraser tous deux au même endroit. Ce jour là, nous avons eu beaucoup de chance, car ils auraient pu s écraser sur l école. Les carcasses calcinées des avions sont restées très longtemps sur le terrain, et elles étaient devenues une attraction pour les enfants qui allaient les voir. Chaque fois que les avions anglais survolaient le secteur, l alerte résonnait et il fallait se mettre à l abri. Comme la plupart des habitants de la rue, nous descendions à la cave dont le plafond était consolidé par des bois de mines. On appelle bois de mine, les longueurs de rondins utilisés au fond de la mine pour étayer les galeries. Certaines familles avaient même installé des lits dans leur cave, pour y passer la nuit lorsque les alertes duraient trop longtemps. Un soir après le repas, il faisait nuit et nous étions en état d alerte. Nous n étions pas descendus à la cave, mais tranquillement assis autour du poêle à bavarder, lorsque nous entendîmes un sifflement aigu juste au dessus de la maison, et puis plus rien. Aucun bruit d explosion. Le lendemain matin, nous avons appris que dans la rue de Bruxelles, une rue très proche et parallèle à la nôtre, une torpille était tombée sans exploser devant l entrée d une maison. Des soldats allemands sont venus quelques jours plus tard, pour désamorcer et enlever cette bombe. Les habitants de la maison ont mis du temps à se remettre de leurs émotions. Une autre fois, c est pendant le repas de midi que l alerte a résonné. Des avions passaient au dessus de Marles, nous avons donc quitté la table pour descendre à la cave. Bien nous en prit, car ma mère qui était la dernière à descendre, parvenait à la dernière marche qui aboutissait

31 à l intérieur de la cave, quand la porte d entrée de la maison se disloqua et que plusieurs éclats de bois et de bombe, furent projetés dans l escalier. En même temps quelques carreaux de la fenêtre volaient en éclats. Lorsque la fin de l alerte retentit, nous sommes remontés dans la salle, et là, nous avons constaté que nos assiettes étaient couvertes de morceaux de verre et de poussière. Une bombe était tombée, et cette fois, avait explosé dans le jardin d une maison située à environ 50 mètres plus haut dans notre rue. Nous en fûmes quittes pour une bonne frayeur, des carreaux à remplacer et une porte à réparer. Nous avons dû également jeter ce qui était dans nos assiettes, et curieusement je me suis toujours souvenu que nous étions en train de manger des harengs saurs. En période de restriction, la viande était rare et aussi très chère. Ma mère achetait des harengs frais, nettement moins coûteux, et pour les conserver, on les faisait sécher à la fumée, en brûlant de la sciure de bois. Je me vois encore, accrochant les harengs à des fils de fer pour les suspendre au dessus de la sciure de bois qui brûlait doucement en dégageant beaucoup de fumée. J allais chercher la sciure à la scierie de Lozinghem. De notre cité, nous pouvions aller à pied à Auchel, la ville voisine, par un sentier qui traversait des terrains cultivés, le plus souvent en blé. Quand les blés étaient mûrs, j aimais bien égrener quelques épis, et mâcher les grains pour en faire du chewing-gum. C est sur ces terrains, qu une nuit, un bombardier en difficulté, s est délesté de quelques bombes. Les cratères bien alignés sur plusieurs centaines de mètres, sont restés visibles pendant très longtemps. Heureusement, il n y avait aucune habitation. Après la guerre, à la maison, comme chez les voisins d ailleurs, on reparlait rarement de ces évènements. Personne n avait oublié, mais les discussions portaient surtout sur les préoccupations du moment. Une anecdote mais celle-là moins dramatique. Pendant l occupation allemande, les écoles devaient envoyer les enfants dans les champs de pommes de terre, afin de rechercher et d éliminer les doryphores, insecte qui attaque le feuillage, ce qui empêche les tubercules de se développer. Je me souviens très bien être allé à plusieurs reprises avec ma classe accompagnée de l instituteur, dans les champs à Marles. Il fallait se baisser et regarder sous les feuilles pour dénicher ces bestioles, les mettre dans des boîtes qui étaient ensuite brûlées. Pour les enfants que nous étions, cette corvée se transformait en partie de plaisir. Je ne crois pas me tromper en affirmant que la chasse aux doryphores par les élèves s est poursuivie encore quelques années après la libération, avant l apparition des pesticides. Je me souviens qu à la maison beaucoup plus tard, pendant mes grandes vacances scolaires, j ai continué à faire la chasse aux doryphores pour protéger les plans de pommes de terre. Dans la cité, la plupart des habitants étaient catholiques. Les enfants étaient baptisés, faisaient leur communion, même ceux dont les pères se prétendaient communistes. Les jeunes se mariaient religieusement, mais à vrai dire, à part deux ou trois bigotes dans la rue, peu de gens fréquentaient régulièrement l église le dimanche, ils étaient catholiques sans aucun doute, mais non pratiquants. A la maison il y avait un crucifix en bois dans chaque pièce avec parfois une branche de buis séché, béni depuis bien longtemps, mais curieusement personne ne parlait religion. Pour ne pas faillir à cette règle établie, Henri et moi, gamins, allions donc tous les deux au catéchisme le matin avant l école, à la messe et aux vêpres le dimanche après-midi. Je me souviens qu il ne fallait pas chahuter dans l église car nous étions vite rappelés à l ordre par le bedeau, personnage célèbre à Marles par son imposante barbe blanche, sa longue redingote, son grand chapeau tricorne et sa canne à pommeau avec laquelle il n hésitait pas à vous donner quelques coups pour vous faire renter dans le rang. A 11 ans, au moment de faire notre communion, le curé de l époque a refusé que je fasse la mienne, prétextant que j étais trop jeune, alors que nous étions nés tout deux la même année avec six mois de différence seulement. Refusant de faire une année supplémentaire de catéchisme, j ai immédiatement cessé d aller à

32 la messe le dimanche matin et aux vêpres l après-midi. Henri a donc été le seul à faire sa communion solennelle. Contrairement à d autres enfants qui portaient pour l occasion l aube blanche traditionnelle du communiant, Henri avait revêtu son plus beau costume à culotte courte et au bras un brassard blanc en forme de Croix. A la maison, nous n avions pas de quoi acheter une aube ni même de quoi en louer, comme cela se pratiquait parfois. Pendant cette période de catéchisme, je fréquentais la salle paroissiale le jeudi après-midi afin de participer à différentes activités organisées par l abbé. De temps en temps je m y rendais uniquement pour assister à une séance de cinéma. Bien sûr, il s agissait des films muets comiques avec les aventures de Charlot. Sur le côté près de l écran il y avait un pianiste qui accompagnait le film A Marles il y avait une salle de cinéma le «Gambetta» et pendant l occupation, je me souviens que j y suis allé quelques fois, toujours accompagné car j étais jeune. Dans la salle il y avait des soldats allemands, et leur présence ne semblait effrayer personne. En regardant un film burlesque, ils n avaient pas besoin de comprendre le Français pour s esclaffer de bon cœur, comme tous les spectateurs d ailleurs, et oublier pendant un petit moment que c était la guerre.

33 Evacuation des enfants de l Assistance Publique Début 1944, l Assistance Publique décide d envoyer les pupilles placés dans le département du Pas de Calais, vers une autre région prétendue plus calme, en l occurrence, dans le centre de la France. C est donc le 7 février 1944, quatre jours après la naissance à la maison de Claudine, la fille de Lucienne, date que je n ai jamais oubliée, que tôt le matin, muni d une petite valise contenant quelques affaires dont de quoi écrire, j ai quitté la maison pour un voyage dans l inconnu. Ma mère nourricière m accompagne à pied au lieu du rendez-vous, à plusieurs kilomètres de la maison, sur la commune de Calonne-Ricouart. Là, je monte dans un autobus dans lequel se trouvent déjà d autres enfants et quelques adultes. Tout est nouveau pour moi, c est la première fois que je m éloigne aussi loin de Marles. J avais déjà pris l autobus, mais avec ma mère, et c était pour aller de Marles à Chocques où se trouve toute sa famille. Dans l autobus, je me colle immédiatement à la fenêtre pour regarder la route et les maisons.

34 Je n avais aucune idée du parcours à effectuer, ni de notre destination. Curieux, je regardais tout simplement, sans me poser de questions. Après plusieurs arrêts pour prendre d autres enfants, nous arrivons à la gare d Arras. La gare est en partie démolie par les bombardements et je me souviens qu il fallait faire très attention en marchant sur les quais défoncés, pour monter dans le train. C était également la première fois que je prenais un grand train, et là encore, je me collai à la fenêtre pour ne rien perdre du paysage et des gares traversées. Une fois dans le train, les accompagnatrices nous ont enfin expliqué que nous allions d abord à Paris. Arrivés à la gare du Nord, c est en autobus que nous avons traversé Paris pour nous rendre à l hospice de Denfert-Rochereau, afin d y passait la soirée et la nuit. Pour le petit garçon de province qui n avait jamais quitté ses corons de Marles les Mines, voir toutes ces avenues bordées de grands immeubles, était impressionnant. L hospice de Denfert-Rochereau est un centre d accueil de l Assistance publique, où sont regroupés tous les enfants trouvés ou abandonnés de la région parisienne, avant d être placés dans des familles nourricières en province. Le lendemain 8 février, on nous conduisit, toujours en autobus, à la gare d Austerlitz, d où nous sommes partis vers une destination toujours aussi mystérieuse. Pris dans l action du voyage, j observais tout ce qui se passait autour de moi, et par la fenêtre, je regardais le paysage qui défilait sous mes yeux. Je ne me préoccupais pas de savoir où j allais, et curieusement, je ne pleurais même pas d être séparé assez brutalement de ceux que je considérais comme ma famille. Le trajet fût laborieux. C était la guerre, le train ralentissait souvent, s arrêtait parfois assez longtemps. Il devait rouler doucement, pour passer sur des ponts partiellement démolis et en reconstruction, ou encore sur des portions de voies en réparation. Sur le parcours, certains enfants descendirent pour être dirigés vers le département de la Nièvre. Le groupe auquel j étais rattaché est descendu à Moulins sur Allier. Nous passâmes la soirée et la nuit dans un hospice de Moulins. Nous repartîmes en car le lendemain 9 février, pour terminer notre périple 30 kms plus loin, à Dompierre-sur-Besbre dans l Allier. A l arrivée du car, plusieurs familles d accueil nous attendaient. Je suis confié à Monsieur et Madame Nugues qui me font monter dans une charrette attelée à un cheval, afin de me ramener chez eux. Nous étions en février, et assis sur le banc à l arrière, il faisait plutôt froid. Je trouvai donc le parcours assez long, surtout quand on ne connait pas le lieu où l on vous conduit. Mr et Mme Nugues exploitent une ferme au hameau «les Gouttes» situé à plus de 4 kms du bourg de Dompierre. C est le soir, à l heure du dîner, une fois assis sur un banc autour de la grande table rustique, que j ai réalisé le changement survenu dans ma vie depuis trois jours. Autour de la table, il y avait le père, la mère, Blaise le fils célibataire, et un de leurs petits enfants, Maurice 9 ans, le fils de leur fille aînée. La fatigue du voyage, le contrecoup du dépaysement, je finis par craquer et me mis à pleurer pour la première fois depuis mon départ de Marles. Je n ai rien pu avaler du repas ce soir là. Après le repas, j ai voulu écrire à ma mère pour lui raconter mon voyage et lui dire où j étais arrivé. De ma petite valise, j ai sorti une feuille de papier, une enveloppe, une bouteille d encre bleue, et mon stylo-plume. Malgré ma tristesse du moment, je n ai pu m empêcher de sourire en les voyant tous, m observer en train d écrire. Je crois qu ils étaient fascinés, surtout le jeune Maurice, par le stylo-plume que je remplissais en aspirant l encre de la bouteille. Peut être n en avaient-ils jamais vu. Cette petite scène m est toujours restée en mémoire. Ce soir là, pour la première fois, à 11 ans, j écrivais une lettre et aujourd hui, j aurais bien aimé relire les quelques lettres que j ai pu expédier à ma mère et dans lesquelles je devais lui raconter ma vie à la ferme.

35 Une autre surprise m attendait. En fin de soirée, lorsque j ai demandé où se trouvaient les cabinets, quelle ne fut pas ma stupeur d entendre qu il n y en avait pas. On m expliqua que je devais aller dehors, et trouver un endroit isolé près des meules de paille. On m expliqua également, que la nuit, il était possible d aller dans la cour, sur le tas de fumier situé juste devant la maison. A Marles les Mines, la maison n était pas très moderne non plus, mais il existait quand même dans la cour, un petit local toilette aménagé avec une cuvette de w-c et une fosse d aisance creusée en dessous, car à cette époque le tout à l égout n existait pas dans la cité.. La nuit, quand nous avions un besoin urgent, nous pouvions soulager note vessie dans un seau hygiénique qui se trouvait en permanence sur le palier à l étage entre les deux chambres. De temps en temps il était nécessaire de vider la fosse et l on épandait, surtout l hiver, le contenu sur le terrain potager avant de bêcher. Je me souviens que l on en mettait parfois entre les rangs de pomme de terre, car il était dit que c était un fertilisant naturel. Tous les voisins faisant la même chose, je peux affirmer que ces jours là, le quartier ne sentait pas la rose. Pour revenir à la ferme, le plus drôle de cette histoire, c est que huit ans plus tard en août 1952, lorsque j y suis retourné en vacances, rien n avait changé, sauf moi. Je n étais plus un gamin, et à vingt ans, je me trouvais encore moins à l aise derrière les meules de paille. Personne n avait eu l idée de construire à proximité de la maison, un petit cabanon à usage de cabinet comme cela existait partout à la campagne. Dernière surprise de cette soirée du 9 février 1944, au moment d aller au lit, il fallait ressortir dehors pour accéder à la chambre à coucher. Par mauvais temps et l hiver de surcroît, nous étions en février je le rappelle, cela n a rien d agréable surtout quand on n a pas l habitude. Il s agissait en fait de la chambre de Blaise et dans laquelle il y avait pour tout ameublement, deux lits et deux chaises. Cette pièce, qui ne communiquait pas avec les autres pièces d habitation, servait de chambre à coucher mais également de sellerie. Aux murs blanchis à la chaux, étaient accrochés des harnais et autres équipements d attelage, réservés pour les sorties en ville avec la voiture à cheval. Les autres harnais, utilisés pour les travaux des champs, étaient rangés à l écurie. Il n y avait aucun chauffage dans cette pièce, et lorsque j y suis entré, elle était glaciale. Je n ai pas été contrarié ni trop surpris, car à Marles, les chambres n étaient pas chauffées non plus. Une fois au lit, j ai constaté avec plaisir, que les draps étaient chauds. La fermière avait eu la gentillesse de chauffer le lit avec une bassinoire en cuivre qu elle me fit voir. Une bassine à long manche avec un couvercle ajouré et des braises à l intérieur, que l on promenait entre les draps, un peu avant d aller au lit. A Marles, nous n avions pas de bassinoire, et j ignorais même leur existence. Les soirs de grand froid, quand j étais très jeune, ma mère mettait au fond du lit une brique réfractaire chauffée dans le four du poêle à charbon, ou encore, un fer à repasser en fonte enveloppé dans un linge. Ce soir là, en plus des draps chauffés, j ai aussi apprécié l énorme édredon qui recouvrait entièrement le lit. Très épais, il était rempli du duvet des oies de la ferme, et il m a permis de toujours bien dormir, même pendant les nuits les plus froides de cet hiver. Blaise qui occupait l autre lit avec son neveu, me souhaita une bonne nuit, et c est en repensant aux trois jours qui venaient de s écouler, que j ai fini par m endormir. Le lendemain, j ai demandé comment je devais appeler mes nouveaux nourriciers. Agés et grands-parents, ils me dirent de les appeler Mémé et Pépé comme c était la coutume dans la région. Dans le Pas de Calais, on appelait les grands- parents Mémère et Pépère. Très rapidement, on me conduisit à l école primaire qui se trouve à plusieurs kms, dans le bourg de Dompierre-sur-Besbre. J ai vite repéré le parcours, car ensuite, j ai toujours fait le trajet seul et à pied, quelque soit le temps. L Assistance Publique m offrit un nouveau trousseau dont la traditionnelle cape en drap noir

36 et je me souviens surtout d une superbe paire de bottines noires que j ai appréciées pour aller à l école. Pour ne pas abîmer ces belles chaussures, j utilisais des sabots en bois lorsque je restais à la ferme. C était vraiment nouveau pour moi, et au début j ai eu des difficultés à les supporter ce qui me donnait une démarche plutôt hésitante. Mémé m acheta des sabots garnis de cuir pour ne pas me blesser le dessus du pied, et je finis par m y habituer. Le hameau «Les Gouttes» est constitué de trois fermes dont les maisons d habitation sont regroupées autour d une grande place, avec sur le côté, près de notre bâtiment agricole, un puits qui fournit l eau potable pour tout le monde. Dans chacune des deux autres fermes, il y a un garçon de l Assistance Publique. Tous les deux, placés depuis plusieurs années dans ces familles, étaient un peu plus âgés que moi, mais allaient encore à l école. Tout au début de mon arrivée, nous faisions parfois le trajet ensemble, mais ils ne semblaient pas vraiment aimer l école, et ils s abstenaient souvent d y aller. J ai compris que leurs parents nourriciers ne les encourageaient pas beaucoup à fréquenter l école. Ils préféraient sans aucun doute, les employer à la ferme ou aux travaux des champs, selon la saison. Les fermiers chez qui j étais, ont bien tenté à plusieurs reprises de me convaincre de rester avec eux pour les aider aux travaux des champs. J ai toujours refusé et honnêtement, je dois reconnaître qu ils n ont jamais insisté, ni exercé de pression, en modifiant leur façon de me traiter. Comme j étais curieux et aussi d un naturel serviable, je n hésitais pas à me rendre utile : le jeudi, le dimanche, ou encore pendant les vacances scolaires. Il est vrai qu à la ferme, il y avait de quoi satisfaire la curiosité d un gamin de 12 ans et de l occuper sans que cela devienne une corvée. A Marles, pendant la mauvaise saison, il fallait trouver de quoi occuper ses loisirs à l intérieur de la maison, et je me souviens que certaines journées me paraissaient parfois très longues. Ici, les animaux, la volaille à nourrir, occupaient mes loisirs et je n avais pas le temps de m ennuyer. Contrairement aux deux autres jeunes garçons du hameau, j ai tenu bon. Malgré le froid, la neige, la pluie, et le long trajet à parcourir à pied matin et soir, rien ne m a arrêté et jamais je n ai manqué une journée de classe. Je me retrouvai donc seul pour aller à l école. Compte tenu de l éloignement de la ferme, le midi je déjeunais à la cantine communale, située à quelques minutes à pied de l école. Nous étions nombreux, car comme moi, beaucoup d élèves habitaient des hameaux isolés dans la campagne. Tous les matins, Mémé me préparait un casse-croûte pour le goûter que je dévorais après la classe, avant de prendre le chemin du retour. La plupart du temps il s agissait de grandes tartines, coupées dans un énorme pain rond de campagne. Tartines épaisses, largement beurrées avec de belles tranches de jambon fumé ou du fromage. Tous ces produits : Pain, beurre, jambon, fromage, étaient fabriqués à la ferme. Il n y avait jamais de gâteaux ou de chocolats comme on en donne maintenant aux enfants pour goûter. Le pain était fabriqué tous les quinze jours. La pâte d abord préparée par la fermière, dans un beau pétrin en chêne, était ensuite disposée dans des corbeilles rondes, le temps nécessaire pour qu elle lève. Quand la pâte était bien levée, elle était cuite dans le grand four en briques préalablement chauffé au bois. Pour chauffer ce four, on faisait brûler plusieurs fagots, et lorsqu il était suffisamment chaud, on écartait les braises bien rouges pour enfourner les grosses boules de pâte, à l aide d une large pelle plate en bois équipée d un long manche. A plusieurs reprises, j ai assisté à la fabrication du pain, et chaque fois, j étais émerveillé et impressionné, car il fallait à la fois, agir très vite à enfourner et faire très attention à la cuisson. Ce four servait également pour cuire toutes sortes de pâtisseries, d énormes pâtés, de grosses volailles telles que les oies ou les dindes. Le lait que produisait les quelques vaches était transformé soit en beurre, soit en fromages. La fabrication de ces produits était tout ce qu il y a de plus artisanale. Je vois encore les cuves

37 dans lesquelles se décantait le lait et aussi la baratte en bois que Mémé utilisait pour transformer la crème en beurre. Stocké en motte, je crois me souvenir qu il était plutôt salé pour pouvoir le conserver car il n y avait pas de réfrigérateur. Rien n était perdu dans le lait car le petit lait qui restait après l écrémage, servait à l alimentation des cochons. Pendant la journée, les cochons vivaient dehors, parqués dans les près attenants à la ferme. Ils avaient des anneaux en acier dans le groin pour les empêcher de labourer le terrain. Le soir ils retrouvaient leur porcherie, et j aidais parfois Mémé à préparer leur pâtée. Le jour où l «on tuait le cochon» comme on disait, tout le monde participait à l opération et il fallait même se faire aider par quelques voisins. D une part parce que l animal n était pas du tout d accord pour se laisser égorger sans réagir.et d autre part parce qu il fallait faire vite pour préparer et transformer toutes les parties du cochon susceptibles de se dégrader : le sang, les boyaux afin d en faire du boudin, les abats pour les tripes, les morceaux de lard découpés à saler et à ranger dans des fûts. Je vois encore les énormes jambons que l on accrochait ensuite au plafond. Rien n était perdu et comme disait la fermière «dans le cochon tout est bon». J ai assisté deux fois à cette rituelle journée du cochon et je me souviens que ce n était pas une sinécure même pour ceux habitués depuis toujours aux gros travaux. Malgré les apparences, la vie à la campagne restait à cette époque, très rude et difficile pour une quantité de gens même pour les fermiers, surtout quand ils étaient métayers. La semaine, les repas étaient simples et légers surtout le soir. Cependant, pendant les mois passés à la ferme, je n ai jamais souffert de la faim, alors qu à Marles, les restrictions étaient nombreuses, et je me souviens d une phrase souvent répétée par ma mère lorsque Henri ou moi disions en rentrant de l école «j ai faim», elle nous répondait «mange ta main, garde l autre pour demain». Cette boutade était surtout lancée pour nous faire patienter, car il y avait quand même, toujours quelque chose à manger. Dans les départements du centre de la France, beaucoup de familles avaient coutume d accueillir des enfants de l assistance. Certaines en accueillaient plusieurs, ce qui leur assurait des revenus réguliers et très appréciés. Les pupilles qui grandissaient dans les fermes, devenaient parfois après leur scolarité, les valets de leurs nourriciers, ou allaient se louer dans d autres fermes. C est le cas des deux jeunes que j ai connus en 1944, et revus lors de mes vacances en Les ouvriers agricoles qui se louaient dans les fermes à l année, étaient les «valets de ferme», et c est à la Saint-Jean, le 24 juin, que leur contrat était renouvelé. Je me souviens que la soirée de la Saint-Jean était l occasion d une fête autour d un grand feu dans un pré. Les trois fermes du hameau couvraient une superficie d environ 150 hectares, et appartenaient au même propriétaire. Les fermiers étaient tous métayers du bourgeoischâtelain qui habitait un manoir près du bourg de Dompierre. Les métairies étaient indépendantes les unes des autres et géraient chacune une cinquantaine d hectares. En 1944, «aux Gouttes» tous les travaux des champs étaient encore réalisés manuellement : Labours, semis, récoltes, etc. Les chevaux et les bœufs étaient attelés pour les labours, la moisson des foins et céréales, ainsi que pour tous les transports. Il n y avait aucun matériel motorisé. Pour les moissons, on commençait par couper à la faux les céréales sur le pourtour du champ, afin de faciliter ensuite le passage de la faucheuse tirée par deux chevaux attelés. Pour le battage du blé qui était cultivé en grande quantité, une batteuse louée, venait s installer à la ferme. Tous les fermiers du coin participaient au battage qui devait être réalisé sur un jour, deux au maximum selon la récolte. La machine repartait ensuite vers une autre ferme, qui recevait à son tour, l aide de ceux où le battage avait déjà eu lieu. Le battage nécessitait beaucoup de main-d œuvre et bien sûr, il fallait nourrir et abreuver tous les participants. Cela demandait une grande préparation et je me souviens d une activité intense pendant plusieurs jours. Ces journées de battages étaient très épuisantes, elles étaient aussi l occasion de se retrouver entre voisins, de blaguer, de rire, tout en travaillant, et le soir

38 après une dure journée de labeur, de faire un peu la fête autour d une table bien garnie. La batteuse ne se déplaçant à la ferme qu une fois par an, on utilisait encore le fléau pour battre certaines céréales destinées aux animaux, comme l avoine par exemple pour les chevaux. Pour être efficace, ce travail nécessitait une certaine force dans les bras et aussi une bonne habitude afin de bien manipuler cet outil constitué d un long manche et d un battoir en bois relié par des courroies. Toujours désireux de me rendre utile, j ai voulu faire comme Blaise et me servir du fléau pour battre les gerbes que l on éparpillait sur le sol. A regarder faire, on imagine que c est facile, mais quand on a le manche dans les mains, avant de réussir à envoyer correctement le battoir taper sur les épis, il faut bien s entraîner et ce n est pas gagné d avance. Il y a quelques scènes qui me reviennent au fur et à mesure que j avance dans ce récit sur mon séjour à la ferme. Sur les cinquante hectares de terrain, il y avait deux étangs assez poissonneux. Le premier en face de la ferme est formé par une cuvette remplie d eau de pluie, le second plus éloigné et beaucoup plus grand, est alimenté par un tout petit ruisseau qui reprend son cours normal à l autre extrémité de l étang avec une petite écluse qui permet de réguler son niveau d eau. Cette année là, les fermiers avaient décidé de vider l étang pour le curer afin de rendre l eau plus claire. C était aussi l occasion d organiser une journée de pêche avec les voisins agriculteurs. L écluse étant ouverte, l étang se vide mais un grillage empêche les poissons de s échapper. Tous les participants armés d épuisettes et de seaux, s amusaient comme des enfants à attraper les poissons qui se défendaient et sautaient de tous côtés. Cette pêche collective était là aussi, le prétexte pour faire un peu la fête entre voisins et chacun repartait avec un panier bien rempli de poissons frais. Une autre scène me revient également concernant ces étangs. Les jours de lessive, Mémé partait avec son linge dans une brouette pour le laver sur le bord de l étang équipé d un lavoir. Je la vois agenouillée sur le sol, frottant le linge avec un gros savon de Marseille sur le pan incliné du lavoir, de le battre avec un battoir en bois, et de le rincer dans l eau. Dans cette histoire, c était surtout le fait de taper de grands coups sur le linge qui me surprenait, je ne comprenais pas pourquoi. Plus tard, je me suis rendu compte qu il existait un peu partout en France de nombreux lavoirs qui étaient, eux, très bien aménagés où les femmes allaient laver leur linge et qu elles opéraient de la même manière. C était la guerre, le tabac devait être aussi rare que cher, pour Blaise et son père qui fumaient beaucoup. Le premier, des cigarettes qu il roulait lui-même, le second, la pipe qu il ne quittait pas. En plus, le pépé chiquait, ce qui l obligeait je pense, à cracher souvent et cela n était pas très agréable à voir. A la campagne, surtout dans les fermes éloignées de tout, il était facile de cultiver des pieds de tabac, sans être inquiété. En le cultivant, Pépé et son fils ne se privaient pas et réalisaient des économies. Je trouvais amusant de voir toutes ces grandes feuilles vertes accrochées sur des fils pour les faire sécher. Il fallait bien surveiller le séchage pour que les feuilles ne se fendillent ou ne s émiettent pas. Ensuite, elles étaient empilées par paquets pour la fermentation et là encore je me souviens qu on les décollait de temps en temps pour éviter la moisissure. Une fois parvenues à la qualité estimée, les feuilles étaient roulées bien serrées en saucisson ficelé. Je vois encore les saucissons accrochés dans la chambre de Blaise. Certains soirs à la veillée il y avait souvent quelque chose à faire. Pour m occuper, il m est arrivé de hacher en lanières quelques uns de ces saucissons de tabac frais, ou encore d égrener les pains de maïs qui servait à l alimentation des volailles et utilisé pour le gavage des oies. Après avoir fait mes devoirs et appris mes leçons, je participais très volontiers à toutes ces petites occupations qui ne me déplaisaient pas. Comme je l ai déjà dit, j aimais l école. Je trouvais donc normal d apprendre mes leçons et de faire mes devoirs, sans l aide de quiconque, car à la ferme, personne n était susceptible de

39 m aider. Je me revois très bien, le dimanche et jeudi, assis à la grande table, en train de faire mes devoirs. Au dessus des pièces d habitation, sur toute la longueur du bâtiment, il y avait le grenier où l on entreposait toutes les graines : blé, orge, avoine, seigle, etc. Naturellement, cet endroit attirait les souris, les rats, et les chats qui les pourchassaient. Souvent, lorsque j étais seul et au calme, j entendais fréquemment des cavalcades sur le plancher du grenier et également les couinements d une souris lorsqu un chat réussissait à l attraper. Un jour, assis à cette même table, j ai eu l impression que l on m observait. J ai levé la tête, et là, au plafond, dans le coin d une poutre, deux yeux me fixaient, ceux d un rat qui ne semblait pas du tout impressionné par ma présence. Je l ai regardé un petit moment sans bouger, lui, est resté impassible jusqu au moment où je me suis levé du banc, ce qui l a incité à déguerpir. C est curieux de garder en mémoire une petite histoire comme celle-là. A la ferme, s il n y avait pas de sanitaires, il n y avait pas non plus de salle de bain. Comme à Marles, les bains se prenaient dans un chaudron, et pour la toilette quotidienne, il y avait un petit lavabo en laiton fixé au mur avec au dessus un réservoir équipé d un minuscule robinet. Ce réservoir n étant pas d une grande contenance, il fallait le remplir souvent. Un tout petit miroir dans un cadre en bois se trouvait sur le côté du lavabo, mais placé trop haut, ce qui fait que j avais du mal à voir si j étais bien peigné. A l école, moi le petit gars du Nord comme on m appelait, j ai assez vite sympathisé avec quelques camarades du cru. Pendant les récréations, le jeu à la mode était le jeu d osselets, pratiqué avec de vrais os de mouton. Quelques récréations plus tard, j avais acquis suffisamment d adresse, pour gagner de nombreuses parties. A la ferme, il y avait une importante basse-cour : beaucoup de poules avec leurs coqs, des poulets, tout un troupeau de dindes et dindons, des oies, des canards. A part les nombreux lapins qui restaient enfermés dans leur clapier, tout ce petit monde trottinait en toute liberté dans la grande cour et les prés avoisinant les bâtiments. Pour la nuit, toutes les volailles rentraient dans leur poulailler respectif, et s agglutinaient sur des perchoirs. A cette époque, le remembrement n était pas encore à la mode, et toutes les parcelles de terrain étaient séparées par des haies de buissons touffues et très hautes, où quelques poules allaient parfois se cacher et pondre leurs œufs. De temps en temps, muni d un panier, j allais faire le tour des haies afin de dénicher un maximum d œufs. Malgré ces ramassages, il était fréquent de voir sortir de ces haies, plusieurs nichées de poussins tout jaunes qui se suivaient à la queue leu-leu derrière la mère poule. Le spectacle était amusant à regarder. Des œufs, je n en avais jamais vu autant, stockés dans de grands paniers en osier. A la ferme les omelettes étaient fréquentes et copieuses. En parlant d œufs, une histoire amusante me revient à l esprit. A la ferme, les pies avaient mauvaise réputation. Elles étaient accusées de briser les œufs pour les manger, surtout ceux que les poules pondaient un peu partout dans les haies. Aussi, les fermiers leur faisaient la chasse, et pour empêcher leur prolifération, ils détruisaient quand ils pouvaient, leurs nids avec les œufs. Un jour on me demanda de grimper dans un arbre pour effectuer cette opération. Je ne me fis pas prier et après avoir atteint le nid, j ai mis les œufs dans ma poche. En redescendant, arrivé aux branches les plus basses, je me suis laissé tomber sur le sol. Mais là, en voulant sortir les œufs de ma poche, je n ai trouvé qu une bouillie nauséabonde. Tout le monde a bien rigolé sauf moi, et je n avais plus qu à changer de vêtement. Je me suis toujours souvenu de cette histoire, mais aujourd hui encore, je me demande pourquoi les pies n étaient pas les bienvenues à cette époque. Actuellement j en vois beaucoup et même quand elles viennent voler mes plus belles cerises, je ne leur fais aucun mal. Dans l ensemble, j aimais bien vivre parmi tous les animaux de la ferme. Le bêlement des moutons et des chèvres, le grognement des cochons, le mugissement des vaches et du taureau, le caquètement des volailles et là il y en avait beaucoup, le chant des coqs tôt le matin, tous ces bruits m étaient devenus familiers et ne me dérangeaient pas du tout. Avec quelques animaux de la ferme, il m est arrivé plusieurs aventures assez cocasses.

40 Un jour, nous avions conduit le troupeau de dindons que je devais garder, dans un pré éloigné de la ferme. A proximité, se trouvait également un autre pré appartenant à la ferme voisine. A cet endroit, les terrains étaient séparés avec une simple clôture en fil de fer maintenu par des pieux. Occupé à lire, je ne me suis pas méfié, mes dindons se sont approchés progressivement de la clôture et sont allés se mêler à ceux du voisin. Une vraie pagaille, et dans l impossibilité de distinguer à qui appartenait tel ou tel dindon, j ai abandonné le terrain et en courant, je suis retourné prévenir la Mémé. Ce sont les fermiers de chaque ferme, qui ont réussi avec quelques difficultés, à récupérer leurs bêtes respectives. Ce soir là, on ne m a pas félicité. Un autre jour, j étais censé garder les cochons, cette fois-ci, dans un pré planté de très beaux chênes. J étais confortablement installé à l ombre, au pied d un de ces arbres et comme souvent, je lisais. Les cochons adorent les glands, et tout en grognant, se goinfraient de ces fruits qui tombent en abondance des chênes. Absorbé par mon livre, je ne prêtais plus attention aux animaux, et ils en profitèrent pour se faufiler sous la haie avant de disparaître dans un champ de maïs. J ai vite compris que seul, je ne pourrais rien faire, aussi, sans perdre de temps, je suis retourné à la ferme chercher de l aide. A cette époque de l année, les maïs sont très hauts, il était donc difficile d apercevoir les cochons, et même à plusieurs, nous avons eu beaucoup de difficulté à les récupérer un à un. Il faisait nuit lorsque nous avons fini par retrouver le dernier. Ce n était certainement pas la première fois que cela se produisait, car je n ai subit aucun reproche. Je dois admettre que je n étais pas doué pour devenir gardien de dindons ou de cochons. C est pendant mon séjour à Dompierre que j ai appris qu il existait des couleuvres et des vipères et qu il fallait surtout se méfier des vipères que j avais appris à reconnaître. Le chemin que j empruntais chaque jour pour aller à l école était bordé de haies avec de nombreux arbustes dont des noisetiers et muriers. Ces haies devaient héberger une quantité invraisemblable de vipères car aux beaux jours, j ai remarqué qu elles traversaient la route pour aller se nicher sur le côté ensoleillé. En fin d après-midi en rentrant de l école, je m attardais parfois pour cueillir quelques belles mûres. Un jour en approchant ma figure d une branche, j ai eu la surprise de tomber nez à nez avec une tête de vipère, le reste de son corps disparaissant dans les branches. Ma main est restée figée au moment où j allais cueillir une mûre bien rouge, et sans brusquerie, j ai reculé prudemment. Sans demander mon reste, j ai poursuivi mon chemin pour rentrer à la ferme. A partir de ce jour là, je me suis méfié en regardant à deux fois avant de m approcher des haies. L hiver, les travaux des champs sont ralentis. Blaise et son père en profitaient pour entretenir le matériel, les clôtures, etc. Je les accompagnais lorsqu ils taillaient les haies, les buissons et les arbres. Je coupais les branchages pour en faire des fagots, et les grosses branches étaient sciées en bûches. Chaque année, il fallait renouveler le stock de bois, car il n y avait rien d autre pour alimenter les fourneaux. Dans les étables, au dessus des râteliers, qui servent de mangeoires aux vaches, il y avait des planchers où l on stockait le foin. J aimais bien grimper là-haut pour décrocher les quelques fourchées de foin nécessaires à la ration journalière des bêtes et cette odeur d herbe séchée, ne m était pas désagréable. Il y avait également un box spécial pour l énorme taureau qui était la fierté de la ferme. Lorsque j allais dans l étable, j évitais de passer trop près, car sa masse imposante et son regard mauvais me faisaient peur. Ce taureau n était jamais attelé pour travailler comme les bœufs, il servait uniquement pour la reproduction.. Le taureau avait probablement une bonne réputation, car les fermiers des environs, amenaient parfois leurs vaches chez nous pour l accouplement, et les saillies étaient bien sûr payantes. A la ferme j ai appris beaucoup sur l accouplement des animaux. Les enfants qui naissent et vivent dans une ferme sont habitués et n y prêtent pas une attention particulière, mais pour moi, au début, tout était nouveau et j écarquillais les yeux pour ne rien rater. Le plus impressionnant encore était l accouplement des chevaux. La saillie était délicate et je me

41 souviens qu il y avait beaucoup de monde autour des chevaux. La jument était attachée dans un bâti en bois très étroit et l étalon maintenu par les rênes. Il fallait faire très attention pour que les animaux ne se blessent pas au moment de la saillie. Ce qui m a étonné le plus, c est l incroyable vitalité des veaux et du poulain qui parvenaient à se mettre debout sur leurs pattes dès leur naissance et à gambader très rapidement. Je n oubli pas que c était la guerre et je me souviens qu un matin, j ai trouvé des balles de fusil dans la paille d une grange. Ignorant d où elles venaient, je les avais remises à Blaise. Des F.F.I. étaient venus se reposer à la ferme pendant la nuit. L Assistance Publique m avait évacué du Pas de Calais dans l Allier pour me mettre à l abri et pourtant j ai bien failli subir quelques désagréments. En effet, un jour, alors que j étais dans un pré pour voir un tout jeune veau qui venait de naître, des balles ont sifflé au dessus de ma tête. Mémé m avait alors crié de rentrer vite fait à la ferme. Il y avait eu un échange de tirs entre une patrouille allemande et quelques F.F.I. Une autre fois, en allant à l école, à l entrée du bourg de Dompierre, alors que les Allemands commençaient à plier bagage, j ai vu plusieurs voitures, des tractions noires avec des F.F.I allongés sur les deux ailes avant, fusils pointés prêts à tirer. Ils traversaient le bourg à toute vitesse et il valait mieux ne pas se trouver sur leur passage. A l école de Dompierre, j étais parmi les bons élèves de la classe. C est d ailleurs pour cela que le directeur de l agence de Bourbon-Lancy, m envoya en juin à Moulins sur Allier, afin d y passer l examen de passage pour la rentrée au collège le 1er octobre Pour la circonstance, j ai passé une soirée et une nuit à l hôpital-hospice de l assistance publique qui m avait déjà hébergé lors de mon arrivée dans l Allier en février. Aller au collège à Moulins, à 30 kms de Dompierre, cela voulait dire vivre obligatoirement en pensionnat et revenir chaque semaine en permission, chez Mr et Mme Nugues, mais cela, impliquait probablement, de rester vivre dans l Allier et ne plus retourner chez Mme Pamart, ma mère nourricière dans le Pas de Calais. Malgré cette possibilité d aller au collège, on m avait laissé le choix ; j ai donc préféré aller à l école communale de Dompierre, à la rentrée du 1er octobre, afin de pouvoir retourner dans le Pas de Calais, dès que l Assistance Publique l aurait décrété. Une fois la France libérée de l occupation allemande, l assistance publique décida comme il fallait s y attendre, de rapatrier les pupilles exilés, dans leurs anciennes familles nourricières du nord de la France. Les évènements se sont ensuite enchainés très rapidement. En effet, le mercredi 22 novembre, j avais noté, comme cela se fait toujours, sur mon cahier de classe que j ai conservé, les devoirs à faire et les leçons à apprendre le lendemain jeudi, jour de congé, pour la classe du vendredi. Comme les pages suivantes du cahier sont vierges, je suppose que ce mercredi fut ma dernière journée à l école de Dompierre. A la fin de cette même semaine, j ai rangé mes affaires dans ma petite valise, dit au revoir à la famille Nugues, et je prenais enfin le chemin du retour vers le Pas de Calais. Adieu, veau, vache, cochon, couvée, comme aurait dit Perrette, et ce n est pas d un œil marri mais plutôt réjoui que j ai quitté la ferme, ses habitants, ses animaux. Dix mois plus tôt, si j ai quitté Marles, également sans pleurer, je dois préciser que je ne pleurais jamais, par contre j avais le cœur triste en quittant ma mère nourricière. Le voyage de retour s est effectué dans la même journée, et dans de meilleures conditions qu en février. Dans notre petit groupe d enfants, il y avait deux sœurs, Simone et Raymonde Geudet. A l arrivée du train en gare de Béthune, le père nourricier venu récupérer les deux gamines, se proposa pour me reconduire à Marles. Avec l accord de l accompagnatrice qui m avait pris en charge depuis Dompierre-sur-Besbre, j ai suivi les deux filles et leur père. C est ainsi que j ai passé la soirée et la nuit chez Mr et Mme Delval rue François Galvaire à Beuvry près de Béthune. Naturellement j ai du raconter comment s était passé mon séjour à la ferme.

42 Le lendemain, Monsieur Delval me prit sur le porte-bagages de son vélo, ma petite valise sur les genoux, et me ramena à Marles. Le parcours de Beuvry à Marles d une vingtaine de Kilomètres environ ne fut pas des plus confortables, mais à 12 ans, on s accommode de tout, même de la marche à pied quand les côtes étaient impossibles à grimper à deux sur le vélo. Par la suite, je suis resté en relation épistolaire avec les deux sœurs, Simone et Raymonde. Nous nous écrivions de temps à autre, surtout pour les vœux de bonne année, et plus tard, lors de mes vacances à Marles, je suis allé à Beuvry à plusieurs reprises, leur rendre visite : d abord à vélo, ensuite à scooter, enfin en voiture beaucoup plus tard, avec Ginette après notre mariage. Après dix mois d absence, ce matin là, revoir Marles, la rue d Anvers, la maison, et la famille, me fit tout drôle. Dix mois c est court, mais c est également très long, selon l état d esprit dans lequel on se trouve ; j avais l impression d être quelqu un d autre. J avais voyagé, pris des «grands trains», vu Paris. Je parlais maintenant un français avec moins de patois et avec l accent chti-mi beaucoup plus atténué. Pendant dix mois, j ai vécu dans un autre univers, celui de la vraie campagne, partagé la vie quotidienne des fermiers en contact direct avec les animaux. D un milieu ouvrier, on m avait pour ainsi dire, transplanté dans un milieu paysan totalement différent. Bref, j avais grandi et surtout mûri après ces quelques mois passés dans une autre région de France. Il est dit que ce sont les premières années de la vie qui marquent le plus l esprit, et j en suis convaincu, car de retour dans la famille nourricière que je considérais comme ma vraie famille, je repris très vite mes repaires et mes habitudes. Je n ai pas oublié pour autant, le Pépé et la Mémé Nugues, qui m avaient bien accueilli, et que j ai toujours respectés. Je crois qu avec le temps je n ai, par la suite, jamais regretté ce séjour involontaire dans leur ferme. J en veux pour preuve les vacances que j ai passées chez eux en août 1952 J ai entretenu avec eux une correspondance régulière pendant de nombreuses années. C est la Mémé qui devait répondre à mes lettres et cartes de vœux, car après son décès, les réponses à mes courriers se sont espacées puis arrêtées. Je pense que lepépé et Blaise le fils, n étaient pas très à l aise pour écrire. J ai finalement cessé d envoyer des courriers qui restaient sans réponse. Le 2 décembre 1944, je repris le chemin de l école primaire «Pasteur» de Marles, et entrai en 2ème classe, avec Monsieur Demanze comme instituteur. La 2ème année étant celle avant le certificat d étude que l on appelait 1ère. Dans la classe, je retrouvai mon frère Henri ainsi que de nombreux camarades, tous, très étonnés de mon français presque sans accent. Le directeur de l école était toujours Monsieur Fortin. Je me souviens que dans cette classe, Henri était assis derrière moi. Souvent, il se penchait sur mon dos pour copier ce que j écrivais. Parfois j essayais de l empêcher de regarder mais ce n était pas toujours facile car je ne voulais pas attirer l attention de notre instituteur. Quand je cachais mon cahier avec mon bras, il me disait «si tu ne me laisses pas copier, gare à toi à la maison». Bien sûr, ces menaces sont toujours restées sans effet et ensuite, on en rigolait. Quelques décennies plus tard, lorsque Alain Souchon chantait «Gare à la récré», je repensais à cet épisode en me disant que moi aussi, j avais vécu la même histoire. En octobre, à la rentrée scolaire , Henri est quand même passé en 1ère mais il n était plus derrière moi, et comme je l ai déjà dit, il à quitté l école dès ses quatorze ans le 31 janvier1946, pour travailler aux Mines de Marles. Monsieur Dazelle, le directeur régional de l assistance publique, qui dirigeait toujours l agence de Saint-Pol sur Ternoise dans le Pas de Calais, avait repris ses visites d inspection à la maison, pour s assurer que tout allait bien, tant sur le plan santé que sur le plan scolaire. A la lecture de mes bulletins scolaires, il était satisfait et me félicitait. Il m interrogeait également pour connaître la façon dont j occupais mon temps, et pour savoir si j étais

43 heureux dans ma famille nourricière. A la fin de l année scolaire, en juillet 1945, ce directeur d agence qui était mon tuteur officiel, me proposa d aller à l école professionnelle d Alembert près de Paris pour apprendre un métier. Les métiers du bois : Ebénisterie et usinage sur machine à bois. Les métiers du livre : typographie, papeterie, imprimerie, clicherie, reliure. Compte tenu de mes bons résultats en orthographe, il me conseilla de choisir la typographie. Je désirais poursuivre des études et aller au collège, comme quelques uns de mes camarades de classe. Plus petit je souhaitais déjà devenir instituteur et je venais de passer avec succès l examen d entrée au collège Victor Hugo à Auchel. Monsieur Dazelle m expliqua que je n étais pas assuré d aller très loin dans les études classiques et que je serais alors condamné à rester dans le même milieu minier. Il me conseilla d accepter l école d Alembert. Peu après, considérant qu à treize ans j étais encore jeune, et bien qu en bonne santé, je n étais ni très grand, ni très costaud, Mr Dazelle jugea préférable de reporter d un an, mon entrée à l école d Alembert. En attendant, comme j étais admis, il me demanda d aller au collège à Auchel pendant un an. Pendant les grandes vacances, j ai réfléchi et pensé qu il était inutile de me fatiguer à faire tous les jours, le trajet à pied de plusieurs kilomètres entre la maison et le collège pour aboutir au même résultat c est-à-dire, l école d Alembert. A la rentrée des classes le 1er octobre 1945, sans rien demander à personne, je décidai de retourner à l école primaire Pasteur de Marles, (à 15 minutes à pied seulement de la maison), afin d y terminer ma scolarité. C est plus tard que j ai prévenu Mr Dazelle de ce changement. Dans sa réponse il me fit comprendre qu il n était pas content d avoir été mis devant le fait accompli. Avec le recul, je me rends compte qu à treize ans seulement, j étais capable de réagir et suffisamment libre dans ma famille nourricière, pour prendre seul, une décision que j estimais justifiée. Début juin 1946, j ai donc passé comme prévu et sans difficulté mon certificat d études primaires. En récompense, la commune a offert un petit dictionnaire A.Z à tous les lauréats. Pour respecter la tradition, avec quelques copains, nous avons fêté notre réussite en jouant un peu les clowns et en allant chez les uns les autres afin de manger les gâteaux que les parents avaient préparés. Pour la circonstance, j avais mis une cravate et acheté un fez marocain en carton.

44 Le photographe devait être inexpérimenté car un peu plus haut et il ne prenait que le ciel. Au centre avec son béret de travers sur la tête, mon camarade était d origine polonaise. C était bien la preuve qu il n y avait aucune animosité entre les jeunes. Fin juin 1946, l administration de l Assistance Publique, exige que je passe un examen d Orientation Professionnelle le mardi 2 juillet à St-Laurent-Blangy près d Arras. Pour la première fois, j ai dû me débrouiller seul pour voyager. Avec un casse-croûte pour la journée, j ai pris le premier train du matin à la gare de Vis à Marles pour Arras, avec un changement à Béthune, où il fallut faire attention à ne pas se tromper de direction. A la demande de Mr Dazelle, que je devais retrouver au Centre d Orientation, j avais emporté quelques dessins à présenter aux examinateurs. A l école, je devais probablement bien dessiner car plusieurs de mes dessins étaient affichés en permanence dans le couloir qui longeait les salles de classes. En fin d année, on me les rendait et si je me souviens de cela c est que malgré les années écoulées, j ai réussi à en conserver plusieurs. J ai subi tout une série de tests susceptibles de déterminer mes aptitudes à apprendre tel ou tel métier. Selon le compte rendu du 3 juillet, j ai passé avec succès ces tests classés difficiles. Mr Dazelle a alors proposé à l Administration Générale de l Assistance Publique à Paris, mon admission pour plusieurs écoles : En premier lieu, pour l Ecole Estienne. ( Recommandée par le directeur du centre d Orientation) En second lieu, pour l Ecole des Arts appliqués à l Industrie. En troisième lieu, pour l Ecole d Alembert ( section typographie ). Finalement, pour des raisons purement pratiques, c est l Ecole d Alembert qui a été retenue, car c était le seul établissement susceptible de me recevoir en internat. Avant de partir pour l école d Alembert, j ai voulu faire ma communion en pensant que cela pourrait certainement m être utile par la suite. Je suis allé voir le curé de Marles à qui j ai expliqué pourquoi j avais renoncé à faire ma communion solennelle trois ans auparavant. Le nouveau curé de la paroisse, m écouta très gentiment et me redonna quelques rudiments de catéchisme au cours de trois réunions dans son bureau au presbytère. De ces rencontres plutôt amicales, je me souviens surtout d un moment particulier lorsqu il m apprit comment avaler l hostie le jour de la communion. Je vois encore ce prêtre prenant une boîte dans son armoire et, hostie après hostie, je crois que nous avons à nous deux avalé presque toute la boîte. J ai dû raconter cette histoire des quantités de fois. Le 5 septembre 1946, à 14 ans, j ai donc fait ma communion, que l on nomme communion privée, par opposition à la communion solennelle qui est faite en grande pompe. Finalement cette décision que j ai prise m a servie lors de mon mariage religieux avec Ginette 12 années plus tard. Je dois reconnaître qu à la maison, je n ai jamais subi de pression, personne ne m a jamais obligé à fréquenter l église contre mon gré, j ai toujours été libre d agir à ma guise et ce que je viens de raconter en est une preuve supplémentaire. Au sujet de la religion, je me suis parfois posé quelques questions, car je n ai jamais vraiment cru à l existence d un être supérieur qui voit tout, qui régit tout. Plus tard, au régiment, j ai eu de très bons camarades séminaristes, et dans nos discussions, la religion n a jamais été un problème entre nous. Mon absence de foi ne m a jamais tourmenté, et toute ma vie, je n ai eu nul besoin d adhérer à une quelconque religion pour me forger mes propres convictions concernant le bien et le mal.

45 Mon athéisme se renforce un peu plus, chaque fois que des crimes sont commis au nom d une religion, et actuellement il y en a de plus en plus et de plus en plus atroces. Ecole professionnelle d Alembert Le samedi 28 septembre 1946 après-midi, ma mère m accompagne en train à Saint-Pol sur Ternoise, où j ai rendez-vous à l agence de l Assistance Publique, pour partir ensuite à l école d Alembert. Selon les recommandations du directeur de l agence, il ne fallait pas emporter d effets de rechange, ni de malle encombrante ; seule une petite valise de 58x34x16 pouvant être rangée dans l armoire individuelle, était admise. Après avoir promis à ma mère de lui écrire le plus souvent possible, nous nous quittons sans difficulté et sans pleurs, comprenant dans le fond de nous-mêmes, que les séparations allaient vite devenir une habitude. Je passe la soirée et la nuit dans un des bâtiments de l hôpital-hospice à proximité des bureaux de l agence. Je fais la connaissance de deux autres garçons de mon âge, qui vont également à l école d Alembert. Comme en 1944, lors de mon déplacement dans l Allier, j ai retrouvé l ambiance morose des hospices. Le repas du soir pris en commun avec les pensionnaires, la nuit passée dans un dortoir lugubre, cette promiscuité avec des personnes plus ou moins malades et au cerveau plus ou moins dérangé, n avaient rien de très réjouissant pour des jeunes de 14 ans. J ai tout de suite sympathisé avec mes deux nouveaux compagnons, et nous avons passé un bon moment à bavarder et à faire plus ample connaissance. L un, Serge Léost rentre à l école pour apprendre l ébénisterie, l autre, Henri Bertin la typographie. Le lendemain matin, une accompagnatrice nous prend en charge pour nous conduire à l école. Voyage en train jusqu à Paris, que j ai revue avec plaisir, et surtout dans de meilleures conditions, comparées à celles de mes précédents voyages. La gare du Nord est moins délabrée

46 qu en A pied, nous sommes allés de la gare du Nord à la gare de l Est qui est très proche. Ensuite, train de banlieue jusqu à Lagny sur Marne, où nous sommes attendus et conduits en camionnette à l école. Tous ces détails avaient de l importance pour moi, car en observant bien tous mes déplacements, j ai pu par la suite me débrouiller seul et plus facilement. Dès mon arrivée, j ai fait la connaissance de tous les nouveaux élèves qui entraient en 1 ère année d apprentissage et allaient devenir mes camarades de la promotion Les élèves de 2ème, 3ème, et 4ème année avaient repris les cours depuis plusieurs semaines déjà. A cette époque, l établissement n était pas encore rattaché à l Education Nationale. Les vacances de Pâques et de Noël, n existaient pas. La première année passée à l école, a donc été très longue, car je ne suis rentré à la maison qu en juillet Ma rentrée en deuxième année, tout en ayant débutée vers le quinze août 1947, me parut malgré tout, un peu moins longue, car l école ayant été rattachée à l éducation nationale le premier janvier 1948, nous avons eu droit aux vacances de Pâques, comme dans toutes les écoles de France. Les nouveaux, ceux qui rentraient en 1ère année sont arrivés fin août. Dans l après midi de notre arrivée, on nous conduisit à la lingerie, où l on nous distribua quelques vêtements. Une veste et un pantalon de grosse toile pour remplacer les culottes courtes que la plupart d entre nous portions en arrivant, des affaires de toilette, un caleçon pour sous-vêtement, en guise de slip que je ne connaissais pas, une chemise de nuit, des draps, et on nous conduisit au dortoir. Situé sur la partie la plus haute de l école, l immense bâtiment comprend quatre dortoirs. Au rez de chaussée, les dortoirs des 4ème et 3ème année, à l étage, les dortoirs des 2ème et 1ère année. En entrant dans notre dortoir, je fus très impressionné par sa grande longueur. Plus d une quinzaine de lits en fer étaient alignés de chaque côté, disposés perpendiculairement aux murs avec une allée centrale. Chaque élève s est installé où bon lui semblait. J ai tout de suite choisi un lit près d une fenêtre et Serge Léost a pris celui d à côté. Trente jeunes de 14 ans dans un même dortoir, ça chahute et ça fait du bruit ; c est pourquoi, à l entrée du dortoir, le premier lit était occupé par un élève de 4ème année, notre moniteur, chargé de faire respecter la discipline. Au rez-de-chaussée, à l entrée du dortoir des 4ème année, il y avait un box dans lequel pouvait se reposer le surveillant de nuit. Avec les draps que l on nous avait remis, nous avons appris à faire notre lit, car il n y avait personne d autre pour le faire. Parti à l école pour devenir typographe, je repensai à mon frère Maurice plus âgé de sept ans, qui m avait expliqué quelque temps auparavant, que la typographie était un métier malsain à cause des lettres en plomb utilisées pour la composition des textes à imprimer. N ayant aucune connaissance dans ce domaine, je m étais contenté de l écouter. Le lundi, on nous fit passer un examen d évaluation, pour contrôler nos connaissances générales. On nous demanda ensuite, si nous avions une remarque particulière à formuler. Alors, repensant soudainement au côté prétendu malsain de la typographie, j ai levé la main, et sans donner plus d explication, j ai demandé si je pouvais modifier mon choix et entrer dans la section ébénisterie. Compte tenu des bons résultats de mon évaluation, il m a été répondu que je pouvais choisir. C est ainsi, qu en une seconde, j ai décidé seul de mon avenir. De futur typographe, je suis devenu apprenti ébéniste : Métier que je n ai jamais regretté par la suite. La discipline est très rigoureuse, presque militaire. 6 h 30 : Réveil assez brutal par une cloche fixée sur le mur à l extérieur du bâtiment des dortoirs. Descente à l entresol, où se trouvent les lavabos, pour une toilette rapide, surtout l hiver, car dans ce local peu chauffé, il ne faisait pas bon s y attarder. Après avoir fait notre lit au carré, rangé nos affaires sur une étagère fixée à la tête du lit, nous redescendons à l entresol, dans le local à chaussures, où nous laissons nos chaussons pour

47 mettre nos brodequins qui devaient être bien astiqués. 7 h 30 : Rassemblement dans la cour, avec un regroupement sur deux rangs et par année. : Inspection de la tenue vestimentaire, il ne devait pas manquer un seul bouton, et les chaussures devaient être très propres. : Informations diverses par le surveillant. : Direction vers le réfectoire pour le petit déjeuner 8 h 00 : Début des cours. : Toutes les matinées étaient partagées entre l enseignement général, la technologie, l histoire de l art, le dessin, la sculpture, et le sport. 12 h 00 : Fin des cours, rassemblement devant le réfectoire, distribution du courrier par le surveillant. : Repas en commun de tous les élèves.temps libre. 13 h 30 : Apprentissage ; tous les après-midi étaient consacrés aux travaux pratiques dans les ateliers, un atelier et un professeur par année pour les ébénistes. Les typographes des quatre années étaient regroupés dans le même atelier, avec un seul professeur. 18 h 00 : quartier libre dans l enceinte de l école. 18 h 30 : Rassemblement devant le réfectoire, repas du soir. Après le dîner, et jusqu à l heure du coucher, chacun était libre de s occuper à sa guise. Pendant les beaux jours, nous pouvions taper dans un ballon sur le terrain de foot, nous prélasser sous les arbres à flanc de coteaux. Quand le temps n était pas très propice aux jeux d extérieur, nous pouvions nous détendre dans la grande salle de jeux. 21 h 00 : Tout le monde au lit, extinction des lumières. Ce programme était celui de toute la semaine, samedi compris. Les premiers jours, j ai dû me familiariser avec des expressions que j entendais pour la première fois, telles que : tiens, toi le bleu, de quelle agence es-tu, de quel bled es-tu? Quand on demandait des explications on s entendait répondre. «Toi, tu sors bien de ta cambrousse». En internat, il faut s affirmer, faire face aux plus grands, éviter les brimades et parfois les coups. Certains anciens, les plus grands de 4ème année, peu nombreux d ailleurs, essayaient d imposer leur volonté aux bleus, c est-à-dire aux nouveaux de 1ère année qui arrivaient de leur campagne, les bouseux comme ils nous appelaient afin de nous démontrer qu ils avaient déjà acquis une certaine expérience de la vie à l école. Au début, c était parait-il la tradition, ils exigeaient de petits services tels que : viens ici et cires mes pompes, ou encore, vas me chercher ceci, vas me chercher cela. Je me souviens avoir cédé une seule fois aux exigences d un ancien, et de lui avoir astiqué ses chaussures. J ai compris qu il ne fallait pas céder, même s il s agissait pour eux d un jeu qui se perpétuait d année en année. Les autres fois où l on m a demandé de me baisser et de cracher sur des chaussures pour les astiquer, j ai carrément refusé en m éloignant au plus vite, bien sûr. Ensuite, ces brimades s espaçaient et disparaissaient pour laisser la place à une véritable camaraderie. Pendant les quatre ans passés à l école, je n ai jamais constaté d agressivité ni aucune bagarre entre les élèves, et de toute façon, M. Paul Gillard le directeur, très rigoureux sur la discipline, ne l aurait pas toléré. Les belligérants auraient étaient renvoyés immédiatement de l école et réexpédiés dans leur agence de tutelle en province. Tous les samedis, nous passions à la lingerie où l on nous remettait des vêtements propres pour la semaine suivante, en échange des vêtements sales : sous-vêtements, chemise, chaussettes, tenue en toile constituée d une veste et d un pantalon pour la vie de tous les jours dans l enceinte de l école et une tenue de travail pour l atelier. En novembre 1946, les élèves de 1 ère année, avons reçu notre belle tenue en drap noir épais, à

48 boutons dorés décorés d une abeille. L abeille en relief doré, symbole du labeur bien accompli était également représentée sur les revers de la veste et de la capote qui complétait notre tenue d hiver. Avec cet uniforme, appelé «tenue de sortie» nous avons obtenu l autorisation d aller en ville, et bien entendu, pour ma première sortie, je suis allé au cinéma. Ce dimanche là, j ai vu «Les aventures en Birmanie» un film sur la guerre dans cette région d Asie, c est ce que j avais écrit sur une carte postale expédiée à ma mère, et qu elle avait conservée. La vie à l école, s écoulait sans histoire, au rythme des horaires, cours le matin, travaux pratiques l après midi. Pour occuper nos heures de loisirs, nous disposions d une grande salle où chacun pouvait s installer, pour lire, jouer aux cartes, aux dames, et surtout ce qui était recommandé, pour apprendre ses leçons et faire ses devoirs. Dans une autre salle, il y avait deux tables de ping-pong. Les anciens m ont appris à jouer à ces jeux que je ne connaissais pas, et je suis devenu très rapidement un adepte du ping-pong et un passionné des parties de dames. Il y avait également une bibliothèque avec suffisamment de livres, pour occuper un lecteur assidu tel que moi, pendant les quatre années d internat. J avais toujours un livre en cours de lecture et curieusement certains me sont toujours restés en mémoire. Au dortoir le règlement imposait l extinction des lumières à 21 heures. Comme il n y avait ni volet ni store aux très hautes fenêtres, pendant la belle saison il faisait encore jour lorsque nous allions au lit. J en profitais pour lire un moment et même parfois, quand la nuit était tombée en m éclairant avec une pile électrique sous les draps. Le dimanche matin, ceux qui le désiraient, pouvaient s initier à la musique. La salle de musique était plutôt exiguë, et il y avait peu d instruments, essentiellement des cuivres : Trompettes, trombones, bugles. J ai immédiatement adhéré pour cette activité, et pendant ma première année, j ai suivi les cours de solfège, tout en m évertuant à souffler dans le bugle que l on m avait attribué, et à ne pas me mélanger les doigts sur les pistons. Cet instrument ne me plaisait pas tellement et l année suivante j ai abandonné, n étant pas convaincu de devenir un grand musicien. Dans notre classe, Lucien Milon, un camarade typographe, qui avait eu la chance d apprendre la musique chez ses parents nourriciers, était venu à l école avec sa clarinette dont il jouait parfaitement bien. Lui et quatre autres copains plus doués que moi, qui avaient réussi à bien jouer de la trompette et du trombone, finirent par entrer à la fanfare municipale de Lagny sur Marne. Plus tard, j ai regretté de ne pas avoir persévéré plus longtemps dans l apprentissage d un instrument, car au fond de moi-même, j ai toujours aimé la musique. Les cours d enseignement général étaient suivis par tous les élèves de la même année, quelque soit la profession choisie : ébéniste, typographe, imprimeur, relieur, clicheur. Dans la même classe, promotion 1946, nous étions trente-deux élèves. En 1ère et 2ème année, nous avons eu comme professeur d enseignement général, Madame Newton. Avec elle, je me suis ennuyé car les cours n étaient guère supérieurs à ceux du certificat d études primaires et j avais l impression de perdre mon temps. Par contre en 3ème et 4ème année, avec Monsieur Newton, son mari, les cours étaient nettement plus élevés. Comme beaucoup de mes camarades, tout au moins ceux qui voulaient bien apprendre, j appréciais et j estimais Monsieur Newton qui a su nous intéresser tout au long de ces deux années, et nous amener à un niveau d études honorable. Les seuls moments que j ai passés sans beaucoup d enthousiasme, étaient les heures consacrées au sport. Il y avait un bâtiment, pas très moderne et sans chauffage, sans doute un ancien hangar transformé en gymnase, équipé de quelques agrès : cordes à nœuds, anneaux, cheval d arçons, barres parallèles, barres fixes. Les deux premières années, nous sommes souvent restés sans professeur de sport, et les cours n étaient pas assurés. Nous avons quand même réussi par avoir un professeur qui devait se plaire à l école puisqu il est resté bien au-delà de ma 4ème année. Sans être grand sportif, je n étais quand même pas complètement nul. Je me défendais bien

49 dans les épreuves de course à pied et à la corde à nœuds que je parvenais à grimper jusqu en haut. Plusieurs camarades, comme Pierre François, Robert Raymond, s étaient même engagés dans le club de basket de Lagny où ils s entraînaient régulièrement, d autres au rugby, dans un club de Pomponne. N étant pas très sportif, je me suis contenté d aller regarder un match ou deux, auxquels ils participaient La natation, ne pouvait se pratiquer que l été, car notre piscine était en fait, un emplacement appelé «baignade» et aménagé sur le bord de Marne, près de l école. L eau n était pas très chaude, pas très claire non plus, surtout après la pluie et les remous crées par le passage des péniches. C est donc dans la Marne que j ai appris à nager. A Marles, il n y avait pas de piscine et pendant toute ma scolarité, la seule fois où je suis allé me baigner avec ma classe, c était l année peu avant le certificat d étude. M. Penel notre instituteur, nous emmena à la piscine de Calonne-Ricouart, la plus proche de l école, à une bonne demi-heure de marche. Piscine en plein air et bien sûr, non chauffée, ouverte pendant l été seulement, comme celle de Lillers où je suis allé par la suite lorsque j ai su nager. Au cours de notre 1ère année en ébénisterie, après de nombreux exercices, chaque élève a réalisé une grande caisse à outils assemblée avec des queues d arondes faites à la main. Pour bien réussir ce type d assemblage il fallait être précis dans le tracé et très adroit dans l exécution. Cette caisse disposée au bout de l établi servait à ranger nos outils le soir avant de quitter l atelier. Nous avons également fabriqué un petit banc en hêtre massif assemblé par tenons et mortaises que l école nous a offert pour l emporter dans nos familles lors du départ en vacances en juillet. Ce petit banc est toujours resté à Marles et je l ai récupéré après le décès de Baptiste Lhost en janvier Aujourd hui, ce petit banc est toujours en parfait état, et il est resté pour moi un objet souvenir d une valeur sentimentale inestimable. En 2ème année nous avions comme professeur Monsieur Garçon un ancien élève de l école. Durant cette année, j ai réalisé plusieurs ouvrages. Je me souviens du plateau rectangulaire pour service de table, composé d un encadrement en acajou massif, le fond en panneau plaqué d une marqueterie représentant une rose des vents. Les placages utilisés étaient d ébène, de bois de rose, de sycomore, d acajou, de noyer, de palissandre, l ensemble entouré de filets en amarante et en buis. J ai passé de nombreuses heures à ajuster chaque pièce de placage coupée à la main, ce qui demandait beaucoup de précision et une très grande patience. Il a fallu ensuite apprendre à vernir ce plateau, avec la technique de vernissage dite «au tampon». Mon plateau était magnifique une fois terminé, avec ses variétés de bois multicolores, mais malheureusement nous n avons pas eu la chance de pouvoir l emporter. L administration de l assistance publique s appropriait tout ce qui était fabriqué à l école, sauf quelques meubles qui étaient gardés dans une salle d exposition.

50 On n aperçoit que ma tête au fond de l atelier, à la hauteur de la table gothique à colonnes tournées en noyer que je suis en train de réaliser. En fin de troisième année, nous avons passé notre CAP d ébénisterie à Paris, et nous avons eu la joie d être tous reçus. Il faut souligner que notre école était réputée pour ses bons résultats aux examens. Un apprentissage rigoureux et de bonne qualité avec des professeurs très compétents, les élèves les moins doués en début de 1ère année finissaient par être bons en fin de 3ème année et encore meilleurs en fin de 4ème. En troisième et quatrième année, nous avons eu Monsieur Martin qui débutait comme professeur, après avoir fait une bonne partie de sa carrière dans l industrie. Avec lui nous avons réalisé plusieurs meubles. Chaque élève fabriquait son propre meuble mais les modèles étaient différents. La quatrième année était considérée comme une année de perfectionnement et les ouvrages étaient beaucoup plus élaborés. Pendant que je réalisais une commode demi-lune Louis XVI, un autre réalisait un secrétaire Louis XV, un autre encore une table à ouvrage.

51 Pendant ma 4ème année, au cours de technologie et dessin, j ai dessiné cette commode demi-lune d inspiration Louis XVI, avant d en faire le plan de construction. Je l ai ensuite réalisée en acajou de Cuba pour les parties massives et en bois de rose pour les parties plaquées. Je pourrais refabriquer cette commode si j en avais la possibilité, car j ai encore le plan dans ma caisse à outils rangée au grenier : Photo des treize élèves ébénistes en 3ème année Pendant ces quatre années, j ai toujours assisté avec enthousiasme à tous les cours. Tout m intéressait, dessin artistique, mise au plan de meubles, histoire du meuble avec ses styles où les motifs d ornementation s inspiraient de l architecture des civilisations anciennes. C est pourquoi, les élèves ébénistes, apprenaient l histoire de l art des civilisations, Egyptiennes, Grecques, Romaines. En 3ème année, nous sommes allés visiter le Musée du Louvre avec notre professeur de dessin, ce qui à encore accentué mon goût pour tout ce qui a trait à l Antiquité.

52 Voici un aperçu des bâtiments de l école d Alembert où j ai vécu mes quatre années d internat :de 1946 à 1950

53 .

54 Cette photo très ancienne du bâtiment dortoir, date du début de sa construction sur les hauteurs de l école, en Ensuite, les abords ont été améliorés et plantés d arbres. Sur le versant boisé appelé les «coteaux» nous pouvions alors nous prélasser à l ombre des arbres et lire tranquillement. Ces coteaux servaient également pour pique-niquer au cours des fêtes que les anciens organisaient chaque fin d année scolaire. Dans ce dortoir nous nous sommes bien amusés. Des batailles de polochons qui se terminaient souvent par des envolées de plumes, mais sanctionnée parfois par des heures de binettes. De temps en temps nous étions dans l obligation d astiquer le parquet. Les lits étaient regroupés pour frotter et cirer la partie dégagée, ensuite il fallait recommencer l opération pour effectuer l autre partie. Pour faire briller le parquet en allant plus vite, mais surtout pour nous amuser, nous mettions un matelas par terre, un camarade s allongeait dessus et d autres tiraient. Cette corvée de ménage s effectuait dans une franche partie de rigolade, mais les matelas, eux ne riaient pas du tout, ils souffraient plutôt beaucoup. Là aussi, il ne fallait pas se faire prendre par le surveillant car les punitions n étaient plus des corvées de binette, mais des jours de consignes.

55 Je suis au centre du 3ème rang, reconnaissable à ma tignasse rousse. M. Vandyck, notre surveillant est le 5ème à gauche du dernier rang. Photo prise devant le dortoir dont les abords se sont nettement améliorés en cinquante ans. Au début de ma deuxième année, on me proposa de travailler «au bureau» avec le surveillant. Ce travail consistait à passer quelques heures de mon temps libre dans le bâtiment du personnel administratif de l école où se trouvaient, le Directeur, l économe, un employé de bureau et le surveillant général. J avais un libre accès au bureau du surveillant dans lequel je m installais. Je tenais les comptes de tous les élèves à qui l école attribuait chaque mois, un peu d argent de poche. Les infractions à la discipline entraînaient des sanctions plus ou moins lourdes, selon leur gravité. Il y avait la traditionnelle corvée de binette, ainsi appelée parce qu elle consistait à désherber à l aide d une binette de jardinier, pendant une heure ou deux, les parties de l école couvertes de graviers. Il y avait les consignes, qui interdisaient à l élève de sortir en ville le samedi soir, ou le dimanche. Toutes ces punitions pouvaient, si elles étaient répétées, entraîner également des amendes qui étaient soustraites du pécule alloué. J étais donc chargé de tenir la comptabilité de mes camarades. J alignais des colonnes de chiffres et comme les calculatrices n existaient pas, j ai vite acquis une certaine facilité à compter, pour additionner ou soustraire. «Au bureau» c était le nom que l on donnait à cette fonction occupée par les élèves qui se succédaient chaque année, on appréciait ma calligraphie car on me donnait aussi des travaux d écritures à effectuer. J ai également occupé cette fonction pendant ma troisième année. Pendant toute ma quatrième année, j étais le moniteur des élèves de première année et je couchais dans leur dortoir. En même temps j avais la fonction de moniteur général, ce qui me donnait une certaine autorité sur l ensemble des 120 élèves de l école. Monsieur Vandyck, notre surveillant général, pouvait intervenir pour arbitrer d éventuels conflits entre mes camarades et moi, mais cela n a jamais été nécessaire. La première année scolaire , fut assez dure sur le plan alimentaire. La France se relevait péniblement des conséquences de la guerre et il y avait encore beaucoup de restrictions. Les tickets d alimentation étaient toujours attribués pour obtenir certaines denrées. Tous les élèves, adolescents de 14 à 18 ans, avaient bon appétit, et il nous arrivait parfois de sortir du réfectoire non rassasiés. De temps en temps, nous recevions de nos parents nourriciers, un colis avec de quoi grignoter un peu. En fait ce qui comptait le plus, ce n était pas tellement le contenu du colis, mais le plaisir de le recevoir. Malgré les restrictions, personne n est jamais mort de faim à l école. Le cinéma était l un des passe-temps favoris de la plupart des élèves. Pour se rendre à Lagny, il n y avait que la marche. De l école, qui se trouve sur la commune de Montévrain, jusqu au

56 centre de Lagny où se trouvaient les cinémas, il fallait une bonne demi-heure de marche. Une place au balcon coûtait 30 francs. Curieusement, les élèves de l école d Alembert bénéficiaient du demi-tarif dans toutes les salles de cinéma de Lagny, un peu comme les militaires en tenue. Je me souviens surtout d un film, «Jane Eyre» dont l histoire m avait profondément touché. Curieusement je me suis toujours souvenu de l acteur principal, Orson Welles impressionnant par son aspect physique. A la bibliothèque de l école, je me suis immédiatement procuré le livre «Jane Eyre» le célèbre roman de Charlotte Brontë qui racontait un peu sa propre histoire. Par la suite, j ai lu et relu tous les livres écrits par les trois sœurs Brontë. Pendant les années passées à l école, j ai eu la chance d être estimé par plusieurs membres du personnel. En particulier, par Mr et Mme Fendt : Lui, était responsable des services techniques et de maintenance à l école, chauffage de tous les bâtiments, entretien, etc. Elle, était responsable du service lingerie. Ils habitaient une maison de fonction dans l enceinte de l école. Parfois, ils m invitaient chez eux le dimanche pour déjeuner et même dîner. Lorsque j étais en 3ème et 4ème année, ils m emmenaient en voiture visiter la région : Ermenonville avec sa mer de sable, Champs sur Marne avec son château, et d autres endroits que j ai oubliés. Ils n hésitaient pas à me prendre avec eux pour aller déjeuner et dîner chez des parents. Je me souviens de certains repas copieux avec des membres de leur famille boucher-charcutier à Aulnay sous Bois. Dans ces moments là, j avais l impression de faire partie de la famille.

57 Dimanche de juin 1949, me voici à gauche, avec la famille Fendt, à la mer de sable qui était encore à cette époque à l état sauvage et sans construction. Au cours des années , il y avait encore dans la région parisienne, des denrées difficiles à trouver couramment, notamment le café, contrairement au Pas de Calais, où il était plus facile à obtenir. Ma mère m expédiait de temps en temps un colis de plusieurs paquets, de ce café si précieux que Mme Fendt appréciait et me payait largement. Employés de l Assistance Publique, Mr et Mme Fendt sont allés, deux ans après ma sortie de l école, travailler à l hôpital de Garches, afin d obtenir une promotion, car l établissement étant beaucoup plus important, ils avaient plus de responsabilité et un meilleur salaire. Je suis resté assez longtemps en relation avec eux, en leur écrivant, essentiellement pour les vœux de bonne année, ou en allant les voir, même avec Ginette après notre mariage. Mais comme cela arrive bien souvent, les relations s espacent et finissent par cesser. Les communes environnantes comme Lagny, Thorigny, Pomponne, Esbly, Chalifert avec son écluse et son fameux tunnel, étaient les lieux de promenades pour beaucoup d élèves et parfois, de rendez-vous amoureux. D ailleurs, les amourettes des adolescents que nous étions, se prolongeaient parfois bien après la sortie de l école, et se terminaient pour certains, par un mariage. Pour rencontrer leur petite amie sans attendre le samedi soir ou le dimanche, les plus hardis n hésitaient pas le soir, après l heure du coucher, à sortir illégalement de l école en sautant le mur d enceinte. En ce qui me concerne, je n ai jamais éprouvé le besoin de faire le mur, non pas par peur, mais je n avais ni copine à rencontrer ni l envie d aller marauder quelques fruits à la bonne saison, dans les vergers derrière l école. Les fruits, surtout les cerises, je préférais les cueillir avec moins de risque, dans les vergers entre Lagny et Montévrain, le samedi soir vers vingt-trois heures, en revenant du cinéma ; il fallait rentrer avant minuit. A cette heure de la nuit, les cerises étaient fraiches et délicieuses à croquer, un vrai régal avant de rentrer à l école et de retrouver mon lit dans cet immense dortoir à l aspect plutôt triste, il faut le reconnaître. Il y avait aussi les longues promenades sur les bords de Marne, à deux ou trois camarades, rarement plus, toujours les mêmes, tels que Pierre François, Guy Préjean, Jacques Robert. Le dimanche après midi, nous faisions l aller-retour de l école à Lagny en longeant la Marne, regardant les péniches passer tranquillement, les nombreux pêcheurs, certains dans leur barque. En marchant, nous discutions beaucoup. De quoi pouvions parler, je ne sais plus : Probablement du temps qui passe, de notre vie à l école, de nos projets, pressés de rentrer dans la vie active, enviant les anciens qui quittaient l école en fin de quatrième année. Il est vrai que très jeune nous rêvons de grandir, on envie parfois ceux qui ont quelques années de plus. Les bords de Marne et ses résidences secondaires où les Parisiens venaient passer le weekend, j avais fini par en connaître les moindres recoins. Je me souviens que chaque année, la Marne sortait de son lit et selon l importance des crues, inondait tous les terrains environnants. Toutes les constructions étaient à étages et certaines étaient construites sur pilotis en pierres. Les propriétaires avaient l habitude d avoir le rezde-chaussée de leur maison inondée, c était pour ainsi dire normal et cela semblait rentrer dans l ordre naturel des choses.

58 Une année, la crue fut très importante, l eau s étendait jusqu aux portes de l école. Dans la salle de classe au 3ème étage, j étais assis près de la fenêtre et j avais une très belle vue sur les champs situés entre l école et la Marne ainsi que sur la rive opposée. Pendant les cours, il m arrivait parfois de rêvasser, surtout quand je peinais sur une dissertation et que j étais à court d idées pour noircir quelques pages. Mon esprit s évadait alors en regardant au loin les péniches glisser sur l eau ou encore, en voyant les trains filer sur la ligne SNCF de l est qui longeait la Marne sur la rive opposée à l école. La ligne de chemin de fer était nettement surélevée pour échapper aux inondations saisonnières, pourtant, lors de cette crue, l eau atteignait le ballast. C était impressionnant et beau à la fois, de voir cette vaste étendue d eau qui avait tout submergé, si bien qu on ne distinguait plus le lit naturel de la Marne. Depuis, des bassins artificiels de rétention ont été installés en amont pour absorber les excédents d eau et réguler le cours de la Marne. L hiver, il m est arrivé de rester sans sortir de l école pendant plusieurs semaines. Les dimanches après-midi pluvieux et froids, je préférais les passer à jouer au ping-pong.. Bien sûr, il y avait fatalement des moments où l ennui prenait le dessus car il n y avait pas toujours quelqu un avec qui jouer. Je m occupais alors seul, à lire ou encore à dessiner. Alors que j étais en 3ème année, j ai eu le privilège d être choisi, ainsi que deux autres camarades, parmi les bons élèves, pour aller à Paris, afin de participer au tirage de la Loterie Nationale. Le tirage avait lieu dans une grande salle de spectacle, je ne me souviens plus laquelle. Nous étions trois garçons, élèves à l école d Alembert, et trois filles également pupilles de l Assistance Publique, élèves à l école d infirmière de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Sur la scène, nous étions debout près de chacune des six sphères dans lesquelles les boules numérotées étaient brassées. Au moment du tirage, un responsable de la loterie nationale, s est promené parmi le public présent dans la salle, avec un câble électrique équipé d un bouton. Pour bien prouver qu il n y avait aucun trucage, un spectateur appuyait sur le bouton qui commandait l ouverture d une sphère, une boule en sortait et notre rôle consistait à la prendre et la présenter au public en levant la main le plus haut possible. Sur les billets de loterie, les numéros avaient six chiffres. L opération s est donc renouvelée six fois, la première boule étant l unité, la deuxième étant la dizaine, et ainsi de suite. Après cette petite cérémonie du tirage, nous avons assisté au spectacle, une pièce de théâtre de Molière. Nous avions été invités au restaurant avant le tirage. Des journées comme celles-là, on s en souvient longtemps. En parlant des élèves infirmières, j ai eu le plaisir d être invité à visiter leur école à l hôpital de la Pitié-Salpêtrière, avec ma classe au cours de ma 3ème année. Parmi les élèves de cette grande école, certaines étaient comme nous, de l assistance publique, et ce sont elles qui nous ont reçus et avec qui nous avons déjeuné le midi. Peu après, pour ne pas être en reste, la direction de l école d Alembert a invité ces jeunes filles à venir un dimanche visiter notre école et déjeuner avec nous. Inutile de dire que nous étions aux petits soins avec elles, surtout pendant le repas qui fut, réception oblige, nettement amélioré ce jour là. A table j ai rapidement sympathisé avec une de mes voisines et en nous quittant en fin d après-midi, nous nous sommes promis de s écrire. Parole tenue puisque nous avons échangé une correspondance assez suivie, qui a commencé dès notre rencontre à l école début 1949 et s est poursuiviependant plusieurs années. Elle s appelait Andrée Touzet et nous racontions dans nos lettres tout ce que nous faisions, notamment pour elle, sa réussite aux examens

59 d infirmière et moi ma réussite au C-A-P d ébéniste. Pour s amuser, elle m écrivait parfois des lettres en Javanais, c'est-à-dire en inversant tous les mots. Plus tard, après ma sortie de l école, elle m écrivait une partie en français, une partie en anglais, langue que je ne connaissais pas, étant donné que l école d Alembert n enseignait aucune langue étrangère. Je me suis acheté un dictionnaire pour traduire mot à mot et comprendre ce qu elle me racontait. C était comme un jeu que j acceptais volontiers et qui m a incité à suivre des cours d anglais le soir, à l école Gambetta, avenue Gambetta dans le 20 ème. Au début, j ai suivi ces cours avec un camarade de promotion, Guy Velge, également ébéniste. Ensuite, j ai persévéré seul et très régulièrement jusqu à mon départ au régiment en mai Avec Andrée, nos relations sont restées purement épistolaires car curieusement, à part nos rencontres dans nos écoles respectives début 1949, le désir de nous revoir pourtant sincère et répété à maintes reprises dans nos lettres, ne s est jamais réalisé. Je ne l ai jamais revue, allons savoir pourquoi? Comme je ne sais plus qui de nous deux a cessé d écrire à l autre. Parmi toutes les lettres et cartes postales que j ai réussi à conservées depuis tant d années, j ai eu la surprise de retrouver deux lettres qu Andrée m avait adressées en C est extraordinaire mais c est grâce à ces documents restés dans des cartons pendant plusieurs décennies, que je peux aujourd hui, être assez précis sur les faits et dates de ce récit. Travaillant au bureau avec le surveillant, je côtoyais régulièrement l économe. Il habitait également une maison dans l enceinte de l école. Un jour, il m invita chez lui afin d examiner une commode marquetée qui avait besoin d être rénovée. Il me demanda si je pouvais réaliser ce travail, et comme cela ne me semblait pas très compliqué, j ai accepté de bon cœur. Je suis donc allé racler le vernis écaillé, recoller, poncer le placage, et enfin revernir les parties restaurées de cette commode. J ai consacré à ce travail deux dimanches matin et plusieurs soirées. J étais toujours bien reçu, et j avais droit au dessert lorsque j y allais le soir. Une fois le meuble restauré, satisfait de ma prestation, l économe m a offert une petite compensation financière. Cela m a permis d arrondir mon pécule, et de payer mes entrées au cinéma de Lagny, le samedi soir ou le dimanche après midi. Pendant toutes mes vacances scolaires, je retournais à Marles. Je m efforçais de me rendre utile en réalisant beaucoup de tâches susceptibles de soulager ma mère, car elle avait encore de quoi s occuper largement avec Maurice et Henri qui travaillaient. Comme il n y avait pas de réfrigérateur, il fallait s approvisionner presque au jour le jour. J effectuais d abord, toutes les courses quotidiennes, chez le boulanger, le boucher, l épicier, le laitier. L été, je m occupais au jardin, à désherber, à biner entre les rangées de légumes, à les cueillir aussi, tels les haricots verts ou les petits pois, ou encore à arracher les pommes de terre que j avais plantées au cours de mes vacances de Pâques. Il m arrivait même parfois, de faire le ménage. En effet, ma mère aimait bien aller boire le café chez la voisine, Marie Jourdain. Pendant son absence, j en profitais pour nettoyer la salle, toujours poussiéreuse à cause du poêle à charbon, en passant la wassingue ( serpillière). J étais vraiment heureux de lui rendre ce service, car je savais qu elle l appréciait. Au cours des grandes vacances de 1948, avec Christian Lenoir, un camarade de la rue d Anvers, qui était en apprentissage dans une école de l E-D-F à Dammarie-les-Lys en Seine et Marne, nous sommes allés nous faire embaucher dans l entreprise Servier à Marles. A seize

60 ans, et allant encore à l école, je n avais pas le droit, selon le responsable, de travailler pendant toute la durée de mes vacances, mais il m a quand même employé pendant six semaines, du 1er août au 15 septembre. Notre travail consistait à décharger des wagons remplis d arbres, rondins en sapin de 2 à 5 mètres de long et de 15 à 20 centimètres de diamètre, pour les empiler sur des parcs de stockage. Ces rondins appelés «bois de mine», servaient à étayer les galeries au fond de la mine. Nous déchargions également des wagons de charbon sur des parcs de stockage, et parfois c était le contraire, nous devions plutôt les charger. Il s agissait en fait d un centre de transit où la marchandise arrivait, était stockée, et repartait. Le travail était pénible et payé à la tâche. Pas très costaud, je faisais de mon mieux pour gagner un maximum. Nous commencions le matin très tôt, à 6 h 30, avec un repos d une demi-heure pour le casse-croûte vers 9 h 30, et nous terminions à 14 h 30. En rentrant à la maison, je mangeais et j allais m allonger un long moment pour récupérer. L année suivante, avec Christian, nous avons refait le même travail, j avais un an de plus, et les efforts m ont semblés moins difficiles à supporter. En travaillant quatre semaines à cheval sur juillet et août 1949, j avais un peu d argent pour terminer mes vacances : aller à la piscine à Lillers, puisque je savais nager, les longues marches ne m effrayaient pas, car pour me rendre à la piscine, j effectuais souvent les 12 kilomètres à pied aller-retour. Aller au cinéma, et aussi offrir des glaces avec cornet à ma mère, lorsque le marchand passait dans la rue avec sa charrette. Pendant mes vacances en août 1948, avec mon frère Maurice, et deux camarades, ce même Christian Lenoir et Manuel Ponchant qui habitait lui aussi près de chez nous, nous sommes allés camper sur la plage de Malo-les-Bains dans le Nord. Manuel, qui possédait une tente, nous avait proposé cette petite escapade à la mer. Pourquoi cet endroit? Tout bêtement parce que Malo est la plage la plus proche de Marles. Rien n avait été préparé d avance, et la décision fut rapidement prise. C était la première fois que nous allions camper, et nous n avions aucun équipement tel que sac de couchage ou duvet. C est à vélo, chargé d un matériel restreint pour la popote, d une couverture pour la nuit, que nous avons effectué le parcours d environ 70 kilomètres. Nos vélos n étaient pas de toute jeunesse, particulièrement le mien, qui avait été reconstitué avec des éléments récupérés sur de vieux vélos d avant la guerre. Enfin, il roulait et avait des freins. Au départ, nous n avions pas fixé la durée de notre séjour à la mer. Nous avons réussi à tenir plusieurs jours malgré l inconfort de ce camping sauvage. De la plage où nous étions installés, on apercevait un bateau coulé pendant la guerre. A marée haute, seul le sommet du bateau émergeait de l eau, mais à marée basse, nous pouvions l approcher à pied. Il était couvert de moules accrochées par grappes à sa carcasse métallique. L essentiel de nos repas, était surtout composé de moules, que nous allions arracher sur ce bateau, et aussi sur les pieux en bois d une jetée qui se trouvait à proximité. On nous avait dit que les moules fixées sur les parties métalliques du bateau n étaient pas comestibles, mais nous n en avons pas tenu compte, nous les avons consommées malgré tout et aucun d entre nous n est tombé malade. Nous avons même fait la connaissance de trois jeunes filles de Roubaix qui campaient également un peu plus loin. Elles étaient très sympathiques, et ensemble nous avons organisé quelques parties de ballon. Nous avons bénéficié d un temps agréable, même pendant la nuit, car je ne me souviens pas avoir souffert du froid en dormant sur le sable avec une seule couverture pour me protéger. Je n ai jamais été un fervent adepte du camping sauvage, et par la suite, à part pendant mes périodes militaires, je n ai plus jamais campé. Curieusement, plus j avance dans l écriture de ces souvenirs, plus certains détails

61 ressurgissent avec une netteté étonnante. J ai l impression que cela se déroulait récemment. Photo que j ai fait faire chez un photographe de Lagny en octobre J avais 17 ans. L uniforme à boutons dorés fut ma tenue de sortie pendant quatre ans. Les anciens élèves de l Ecole d Alembert, sortis depuis sa création en 1882, se retrouvaient au sein d une association fondée en 1900 : La Mutuelle des anciens élèves d Alembert. Les responsables de la Mutuelle, organisent au début de chaque année, un gala à Paris. Ces galas ont lieu dans les très belles salles des fêtes des Mairies d arrondissement, essentiellement dans celles du 5ème, 18ème, ou 20ème. En janvier 1950, élève de 4ème année, en compagnie de quelques camarades privilégiés, j ai été invité à cette fête, un samedi soir. La soirée commence par un spectacle de variété avec des artistes, chanteurs, fantaisistes, et se poursuit par un bal avec orchestre jusqu à cinq heures du matin. La tradition voulait que les élèves invités, soient pris en charge par un ancien, pour terminer la nuit et passer la journée du dimanche dans sa famille. En ce qui me concerne, c est Jacques Reissner et sa femme qui m ont emmené chez eux dans leur voiture. Jacques Reissner est sorti typographe de l école en Par la suite, il a abandonné son métier pour devenir patron de bistrot, 53 rue Haute à Rueil-Malmaison. Il avait deux fils, et c est dans la chambre de l ainé, Roger, que j ai terminé la nuit, ou plutôt commencé la matinée, il était six heure du matin. Le dimanche en fin de matinée, Jacques m emmena en voiture visiter un peu Paris et nous sommes allés voir un de ses camarades de promotion, qui avait lui aussi, abandonné son métier pour devenir le patron d une petite entreprise de mécanique. C est dans le très bel et grand appartement de cet ancien d Alembert qui habitait Boulevard Serrurier, que j ai pu voir pour la première fois, un téléviseur. En janvier 1950, c était vraiment le début de la télévision, et peu de gens à cette époque, possédait un appareil. En constatant le luxe de l appartement, je me suis dit que, ancien pupille de l Etat et parti de rien, en sortant de l école d Alembert, on pouvait réussir dans la vie. Ayant été bien reçu dans la famille de Jacques Reissner, je leur adressais chaque année mes vœux de bonne année, et je suis allé les voir à plusieurs reprises, à vélo, à scooter ensuite. Très sympathiques, ils me gardaient pour dîner, car j arrivais toujours à l improviste au cours d une balade. Plus tard, après notre mariage, avec Ginette, lors de promenades en voiture, nous sommes allés à Rueil leur rendre visite. Ils sont ensuite partis en retraite dans la Nièvre,

62 région où Jacques avait grandi et nous avons cessé toute relation. A Marles les Mines, pendant les vacances scolaires de Pâques, j ai pu assister au mariage de mon frère Maurice, le lundi de Pâques 10 avril Le mariage s est déroulé à Wizernes près de Saint-Omer, où habitait sa fiancée, Jacqueline Vasseur. Je me souviens particulièrement du voyage de Marles à Wizernes. Ma mère, mon frère Henri et moi, avons pris le car pour nous rendre de Marles à la gare de Chocques où nous avons retrouvé le grand-père paternel de Maurice. J étais le plus jeune, mais considéré comme le plus expérimenté aux voyages, j ai dû m informer des horaires, de la gare où descendre, de m occuper de l achat des billets. A la gare de Saint-Omer, j ai dû là aussi m occuper de trouver le car qui assurait le transport jusqu à Wizernes. Le trajet n était pourtant pas très long, mais ce qui les inquiétait le plus, c était d avoir à se renseigner et de lire les panneaux. C est là que l on comprend le dicton qui dit que les voyages forment la jeunesse. Pendant le repas de noces, j ai bu pour la première fois un peu de vin dont du vin blanc. Nous avons couché sur place chez Jacqueline, et cette nuit là, j ai ressenti dans les jambes les premières crampes de ma vie. Si je me souviens de cette histoire, c est que l on m a expliqué que les crampes pouvaient être associées à l absorption de vin blanc le soir avant d aller au lit. Pourtant, quelques décennies plus tard, je constate que l on peut souffrir parfois de crampes au lit sans avoir bu de vin blanc la veille au soir. Le dernier trimestre de cette 4ème année s est terminé dans l attente d un emploi. Beaucoup d anciens élèves qui avaient des postes de responsabilité dans l industrie, utilisaient leurs relations pour faciliter l embauche de jeunes qui terminaient leur apprentissage. Il arrivait aussi, que des élèves quittent l école avant les vacances, quand un emploi se présentait et qu il fallait saisir immédiatement. Le 25 juin, c est la traditionnelle fête de fin d année organisée par les anciens élèves de l école qui viennent nombreux en famille. Le dimanche 9 juillet au matin, grande cérémonie à l école pour la distribution des prix. Pour la circonstance, tous les élèves doivent être présents, en tenue de sortie à boutons dorés bien astiqués, chemise et cravate, et les chaussures brossées. Plusieurs personnalités étaient invitées, parmi lesquelles : le président du conseil général de la Seine, le directeur général de l Assistance Publique, le Maire de Montévrain. Après la Marseillaise jouée par les élèves de l école, et les discours d usage, c est la remise des prix. Ce jour là, j étais heureux car en décrochant le premier prix d ébénisterie, le premier prix de

63 sculpture, le premier prix de dessin, et le deuxième prix d enseignement général, j étais classé premier de ma promotion. J ai donc obtenu le prix d excellence qui m a été remis par le Directeur Général de l Assistance Publique. Aujourd hui, soixante et un ans plus tard, j ai toujours les livres qui m ont été remis en récompense dont un superbe atlas pour le prix d enseignement général, un livre sur les merveilles de l art antique pour le prix de dessin, un ensemble de planches sur les styles en ameublement pour le prix d ébénisterie. Ce dimanche midi, nous avons eu droit à un repas amélioré, avant de pouvoir sortir en ville. Je dois préciser que le dimanche 3 juillet 1949, j avais également obtenu plusieurs récompenses en fin de 3ème année. Le premier prix d ébénisterie, le premier accessit d enseignement général, et le deuxième prix de dessin, qui m avait valu un livre que j ai toujours, sur la vie et les œuvres de Vincent Van Gogh. Il était presque normal que l année suivante, en 4ème année, je fasse mieux. Cette semaine du 14 juillet fut la dernière de ma scolarité à l école professionnelle d Alembert.

64 Vacances à Marles, dans l attente d un emploi chez un fabricant de meubles. Pendant ces vacances à Marles en août 1950, j ai décidé de retourner voir la mer, mais seul, et de dormir à la belle étoile sur la plage de Berck-Plage que je ne connaissais pas. Le but de ce voyage, était de rendre une visite à Mr Vandyck, notre surveillant à l école d Alembert, qui passait ses vacances avec sa famille à Berck. A l école, la famille Vandyck était très gentille avec moi. J allais parfois chez eux le dimanche, jouer au ping-pong avec les deux plus grandes de leurs trois filles. J ai donc pris mon vieux vélo, une couverture pour la nuit, un casse-croûte pour la route, une carte routière, et me voilà parti à l aventure. C est toujours une aventure quand on ne connait pas du tout l endroit où l on veut aller. Les 80 kilomètres à parcourir furent assez fatigants car la route est très vallonnée et les côtes à grimper sont nombreuses, mais la matinée n était pas écoulée que j étais à Berck. Dès mon arrivée, j ai été bien accueilli par Mr et Mme Vandyck. Invité à leur table, je n ai pas eu à chercher de quoi me nourrir, et surtout le soir, ils n ont pas voulu que j aille dormir dans les dunes avec ma couverture. Ils m ont installé un lit par terre dans la salle, qui fut malgré tout très confortable et c était surtout plus rassurant pour eux, que de me savoir seul sur une plage déserte. Ensemble, nous sommes allés nous baigner et si je me souviens parfaitement bien de ces deux journées passées avec Mr Vandyck et sa famille, c est grâce aux photos qu ils ont prises et m ont offertes. Sur leur insistance, j ai passé une deuxième nuit chez eux, ce qui m a permis de me reposer avant de reprendre la route du retour vers Marles. Comme il faisait très beau, j en ai profité pour faire un petit détour et aller voir un camarade de l école, Michel Bertrand en vacances chez ses parents nourriciers. A l école, Michel était en deuxième année et travaillait également au bureau avec moi.

65 Plage de Berck avec la famille Vandyck Toujours au cours de mes vacances scolaires à Marles, à plusieurs reprises, je suis allé voir mon camarade Serge Léost, qui comme moi, revenait chez ses nourriciers, Mr et Mme Quatrelivre, à Divion, commune située à environ 6 kms de Marles. Monsieur Quatrelivre était artisan maçon avec son fils, tous deux, travaillaient pour la commune à l entretien du cimetière et des tombes. Pour s occuper, Serge les aidait parfois. Je me souviens qu un jour, en arrivant chez eux, ils gravaient des plaques funéraires. A l école, les élèves en ébénisterie, apprenaient la sculpture sur bois. En proposant mes services, c était l occasion pour moi d exercer mes talents d apprenti sculpteur. Toute une journée, j ai gravé des lettres et quelques motifs tout simples. Dans le cas présent, la matière était différente, les outils étaient également différents, mais les gestes, la technique restent identiques ; ajoutez à cela, un peu d adresse et beaucoup de goût, vous obtenez un résultat satisfaisant. A sa sortie de l école en juillet 1950, Serge est allé travailler à Liffol le Grand dans le département des Vosges, chez Buron, une entreprise de menuiserie en sièges. Nous nous sommes écrits de temps en temps, mais nous ne nous sommes revus que bien des années plus tard. Malgré cela, durant mes congés payés passés à Marles, j ai continué à aller à Divion, rendre une petite visite à ses parents, toujours très contents de me voir. En juillet, au cours de ces dernières vacances, dans l attente de ce cet emploi prévu par l école, et pour ne pas rester inactif, j ai essayé de me faire engager chez un menuisier à Lozinghem, pas très loin de la maison. Il fabriquait également des cercueils, mais sans doute faute de décès dans le village, son activité ne lui permettait pas de m embaucher. Heureusement que cet artisan n avait rien à me proposer à ce moment là, car une fois engagé, peut-être serais-je resté dans le secteur. Ma carrière professionnelle aurait été totalement différente et probablement moins intéressante. Ainsi va la vie, au gré des évènements et bien souvent, selon un simple hasard.

66 Début de la vie professionnelle L école se chargeait de trouver un premier emploi pour chaque élève en fin d apprentissage. Avant ma sortie de l école, j étais normalement engagé chez un artisan, avenue Ledru-Rollin à Paris, où travaillait déjà un ancien de l école, sorti trois ans plus tôt. Pour des raisons que j ignore, mon engagement n a pas été confirmé. J ai donc dû attendre une nouvelle proposition qui m est parvenue fin août, pour un emploi le 1er octobre à Gournay en Bray (Seine-Inférieure), devenue (Seine-Maritime) depuis C est un ancien, Marcel Pohu, ébéniste, entré à l école en 1902, devenu plus tard artiste sculpteur et marqueteur, habitant Gournay, qui a servi d intermédiaire entre l entreprise et l école. Fin septembre, je retourne à l école d Alembert où je retrouve un camarade de promotion, William Piet ( Willy pour les copains ), qui est également embauché à Gournay. Bonne nouvelle, car on éprouve une certaine appréhension lorsque l on débute dans la vie professionnelle. A deux, on se sent plus fort pour affronter l extérieur, un monde différent de l internat où pendant quatre ans, nous n avions pas eu à nous préoccuper du lendemain. Il est vrai qu en quittant l école, on plonge dans l inconnu. Je prends possession du costume en drap gris clair, confectionné selon les mesures prises par un tailleur en juillet, avant notre départ en vacances. L école offrait un costume à chaque élève qui entrait dans la vie active, après sa 4ème année. Après être resté quelques jours à l école, encore vide de ses élèves, Willy et moi, sommes partis pour Gournay en Bray. La camionnette de l école nous a conduits à la gare de Lagny avec nos bagages. Nous étions chargés de notre caisse à outils ; caisse que chaque élève ébéniste avait fabriquée en 1ère année, et dans laquelle, nous devions ranger chaque soir, le matériel que l on nous avait attribué : varlope, riflard, rabot, ciseaux à bois, bédanes, équerre, scies, etc. Soixante et un ans plus tard, cette fameuse caisse existe toujours dans un bon état, rangée au grenier, et j utilise encore très régulièrement les mêmes outils. De la gare de l Est à la gare St-Lazare, se traîner dans les couloirs et les escaliers du métro avec nos deux caisses plutôt encombrantes, plus les valises, n a rien d une promenade de santé. Mais à 18 ans, on prend toujours les choses du bon côté. A la gare St Lazare, nous avions rendez-vous avec Mr Pohu, qui, sans nous connaître, nous a

67 vite repérés avec nos caisses. Dans le train pour Gournay, il nous a donné plus de détails sur l entreprise de Marius Lejeune, fabricant et négociant en meubles, tapissier et restaurateur en sièges. Dès notre arrivée, nous avons été hébergés chez une vieille dame, parente de la famille Lejeune. Willy et moi, partagions la même chambre au premier étage d une grande maison bourgeoise, entourée d un vaste parc. L ennui, c est que dans cette belle et ancienne demeure, il n y avait aucun confort, tout au moins dans la chambre que la propriétaire avait accepté de nous louer : pas de chauffage, pas d eau courante, un seul grand lit pour nous deux, une armoire pour ranger le peu d affaires que nous avions, une table de toilette du siècle dernier, une cuvette et un broc d eau froide. De toute façon, nous n avions pas le choix. Sans expérience pour débuter cette nouvelle vie à Gournay, il fallait patienter et s en accommoder. Après quatre années d apprentissage, c est le 1er octobre 1950, que nous avons enfin, entamé notre première journée dans l industrie. Nous prenions nos repas au restaurant, même le petit déjeuner, car la chambre n était pas équipée pour préparer quoi que ce soit. Notre salaire suffisait juste à régler la location de la chambre et les frais de restaurant. Cette situation ne pouvait pas s éterniser, mais nous l avons supportée un mois, le temps de trouver une solution de remplacement. Pierre Lejeune, le fils du patron, qui habitait au premier étage d un petit immeuble appartenant à ses parents, nous proposa de nous héberger gracieusement chez lui. Sa femme Simone, travaillait dans l entreprise et ils avaient une petite fille, Catherine âgée de deux ans. Le midi, nous déjeunions chez Léon et Léontine, un couple qui habitait le rez-de chaussée de notre immeuble ; le petit déjeuner et le repas du soir, nous les prenions avec Pierre et Simone. Malgré cette solution plus économique pour nous, pas de loyer à payer, des repas pas trop chers, mais avec un salaire d ébéniste débutant, et en province de surcroît, il ne restait pas grand chose en fin de semaine, juste de quoi s offrir une entrée au cinéma de temps en temps. Simone et Pierre étaient très sympathiques et vraiment très gentils avec nous. Après le repas du soir, nous restions bien souvent avec eux pour passer la soirée à bavarder, à écouter la radio, ou tout simplement lire. Il y avait une émission que l on écoutait régulièrement le soir sur Radio Luxembourg. Il s agissait d un jeu «quitte ou double» au cours duquel, le célèbre animateur Zapy Max, posait des questions sur un sujet de culture générale qu avait choisi le candidat. Un soir, un candidat avait choisi un questionnaire sur l Histoire de France et il a gagné une coquette somme, je crois qu il s agissait de francs, petite fortune pour l époque. Si je me souviens de cette émission, c est qu elle a durée pendant des années et aussi parce que, ce soir là, le candidat était l Abbé Pierre, qu il était député et qu il réservait l argent gagné pour ses pauvres. C est bien plus tard que j ai fait le rapprochement avec cette soirée, quand l Abbé Pierre fit parler de lui pendant l hiver très rigoureux avec les mal-logés. J effectuais alors mon service militaire et j étais en manœuvres au camp de Mourmelon dans la Marne ; ce sont des évènements qui restent en mémoire. Si l on écoutait surtout la Radio, la «T-S-F» comme on l appelait, c est qu il n y avait pas encore de téléviseur dans l appartement, les parents de Pierre par contre, en possédaient un. J ai été surpris de voir un jour, ce téléviseur dont la taille en 1950, n était pas bien grande, mais qui m a semblé vraiment minuscule, posé sur une petite table au milieu d une salle immense. Simone lisait beaucoup et souvent plusieurs livres à la fois, qu elle parcourait selon l endroit où ils se trouvaient : cuisine, salle de bain, chambre. J étais amusé de la voir, un livre ouvert dans une main, une cuillère dans l autre, tout en touillant dans la casserole sur le feu. Très jeune, Pierre avait appris à jouer du violon, instrument qu il avait conservé, et de temps en temps, il nous jouait un petit morceau de son répertoire. Il avait réussi à m apprendre quelques

68 rudiments de violon, qui m ont permis de sortir un «Au clair de la lune» acceptable pour des oreilles délicates. Il m aurait fallu beaucoup plus de leçons pour que je devienne un virtuose. Pendant mon séjour à Gournay, j allais voir assez régulièrement Mr Pohu qui, à 61 ans, ne travaillait plus dans l industrie. Avec sa femme, directrice de l école primaire, ils occupaient un logement de fonction dans l école. Mr Pohu devenu sculpteur et marqueteur, exposait parfois ses œuvres dans des salons régionaux, et j ai eu l occasion de les admirer chez lui. Dans une dépendance de l école, il avait installé et équipé un atelier suffisamment grand pour sculpter et réaliser des tableaux en marqueterie. A sa demande, parfois le soir après ma journée de travail chez Lejeune, mais surtout le samedi, j allais l aider dans les travaux de sculpture qu il devait réaliser pour quelques clients. Il me confiait essentiellement, comme cela se pratique avec tout débutant, des panneaux sur lesquels je dégrossissais les motifs en bas-relief. Ce travail me plaisait et je me faisais la main. Il me payait, peut-être pas autant que je l aurais souhaité, mais ce pécule me permettait d arrondir mes fins de mois. Mr Pohu me fournissait également certains matériaux ( placages, colle, vernis, etc ), pour me permettre de restaurer la marqueterie de meubles anciens, tels que commode Louis XV, Louis XVI, piano, chez quelques notables de Gournay avec qui, il me mettait en relation. Ces petits travaux que j effectuais à domicile, le samedi matin, m ont permis là encore, de gagner un peu d argent, non déclaré, bien sûr. En 1951, le travail au noir existait déjà. En racontant ces anecdotes, je veux expliquer que dans la vie, il faut savoir se prendre en charge, et que l on n obtient rien sans un effort personnel. Non seulement ces travaux que j effectuais avec plaisir, étaient bénéfiques pécuniairement, mais ils l étaient aussi professionnellement, car même si je me débrouillais plutôt bien pour un jeune, honnêtement, je manquais encore d expérience. Lorsque Mme Pohu pris sa retraite d enseignante en 1955, elle retourna avec son mari, à Annay sous Lens dans le Pas de Calais, d où elle était originaire. Depuis mon départ de Gournay en 1951, je leur donnais de mes nouvelles, et lors de mes vacances à Marles, en Août 1955, je suis allé leur rendre visite, avec le scooter que je venais d acquérir. J y suis retourné une autre fois en Août 1965, en voiture avec Ginette. Plus ou moins déçu par un accueil peu chaleureux, qui me laissait l impression de déranger, je n y suis plus retourné. Nous avons néanmoins continué pendant plusieurs années à échanger des vœux pour le nouvel an, et ensuite, comme cela arrive très souvent dans la vie, notre correspondance s est arrêtée. Mr Pohu adhérait à la mutuelle des anciens élèves de l école d Alembert, et c est dans le bulletin que nous éditons chaque année, que j ai appris son décès en 1983, il avait 94 ans. Mr et Mme Marius Lejeune, les patrons, avaient un magasin de meubles au rez-de-chaussée de l immeuble qu ils possédaient. En plus des meubles qu ils fabriquaient, ils vendaient aussi d autres meubles achetés, de la literie, des sièges ; chaises et fauteuils qu ils garnissaient ou restauraient. Les ateliers où je travaillais, étaient surtout destinés au montage des meubles. Toutes les pièces étaient débitées et usinées dans les ateliers de Launay près d Argeuil à 25 kilomètres environ de Gournay, sous la direction de Paul le frère ainé de Pierre. Mon travail consistait à coller, assembler, poncer tous les éléments de meubles. Après vernissage au pistolet par un ouvrier vernisseur, je reprenais les éléments pour égaliser le vernis à la main avec un

69 tampon imprégné d un solvant cellulosique. Il ne restait plus ensuite qu à fixer les quincailleries et monter chaque meuble en entier. Certaines parties du mobilier rustique étaient sculptées par un jeune ouvrier, mais déjà ancien dans l entreprise. Lorsque ce dernier est parti pour effectuer son service militaire, Pierre me proposa de le remplacer. Je consacrai donc une partie de mon temps à dessiner des motifs, assez simples, il faut l avouer, et à les sculpter sur des éléments de façade des salles à manger et chambres à coucher. Quand il n y avait plus de pièces à sculpter, je réintégrais l atelier de montage. Je dois reconnaître que Pierre, responsable de l atelier, était vraiment sympathique avec moi et très vite me considéra comme un copain. Après à peine six mois passés avec moi, mon camarade William Piet quitte l entreprise, pour aller travailler à Paris. Me retrouver sans copain à Gournay, ne m a pas dérangé. J avais la chambre pour moi seul, et des liens de franche amitié avec Pierre et sa femme Simone, se sont vraiment crées. Ils avaient un side-car et le dimanche, ils m ont emmené à plusieurs reprises, promener avec eux, Simone dans le side et moi sur la moto derrière Pierre. C est ainsi que j ai pu visiter Rouen pour la première fois avec sa belle cathédrale, et d autres endroits moins connus. Pierre avait également une voiture 4 ch Renault qu il remettait en bon état. Je l aidais parfois le samedi et le dimanche à poncer et enduire la carrosserie qu il a ensuite repeinte à neuf. C est sur cette voiture que j ai appris à conduire. Un dimanche matin, nous sommes partis tous les deux à Saint-Quentin dans l Aisne, chez une de ses tantes, et pour me prouver qu il avait entièrement confiance, il me laissa conduire la voiture que nous avions si bien retapée. Je n avais pas de permis mais en 1951, le trafic routier n était pas encombré et les contrôles de police moins rigoureux. En rentrant le soir, après une journée très agréable, j avais pu une fois encore, apprécier la gentillesse de Pierre à mon égard. La Normandie est réputée pour son cidre, et à table, pour les repas, Pierre en buvait couramment. Il s agissait d un cidre qu il fabriquait lui-même et je me souviens parfaitement avoir participé à la fabrication. Il y avait le ramassage des pommes pas toujours très belles, le lavage, le pressurage dans un pressoir plutôt archaïque équipé d un système de vis à bois que l on manœuvrait à la main, et enfin, la mise en bouteilles. Le premier jus, le meilleur, était mis dans de grosses bouteilles dites champenoises que l on bouchait et cerclait comme une bouteille de champagne pour éviter au bouchon d exploser. Il y avait ensuite le jus qui servait de boisson courante. J en buvais mais pas trop souvent, je préférais l eau. Par contre, j appréciais le pur jus pétillant que l on servait pour marquer un évènement, avec des crêpes à la chandeleur par exemple. Etant resté en relation épistolaire avec quelques camarades de promotion qui travaillaient à Paris, je me suis décidé à aller les rejoindre le temps d un week-end. A peine une heure de train de Gournay à la gare St-Lazare et me voilà dans la capitale. Les copains m avaient donné rendez-vous «chez Marinette» un café situé à droite de l entrée de l Hôpital St-Antoine. A cette époque, les élèves qui sortaient de l école d Alembert, avec l autorisation de l Assistance Publique qui gère tous les hôpitaux de Paris, avaient la possibilité de prendre leurs repas au réfectoire de l hôpital avec le personnel, et au même tarif, ce qui représentait un gros avantage pécuniaire. Ce bistrot près de l hôpital, était donc le lieu idéal pour se retrouver entre copains. A cinq ou six, très heureux d être ensemble, nous sommes allés nous promener sur les Champs-Elysées que je découvrais pour la première fois, et j étais assez impressionné par cette grande avenue, avec tous les badauds qui se collaient aux vitrines des magasins. Sur les Champs-Elysées, il y a beaucoup de cinémas, et en passant devant le «Colisée», nous avons été attirés par les affiches très alléchantes du film programmé: «Caroline Chérie». C était tentant et bien sûr, nous sommes entrés. Nous n avons pas regretté, car Martine Carole, la plus belle actrice de l époque, était sensationnelle dans le rôle principal. Ce film, je

70 l ai revu à plusieurs reprises par la suite, et à chaque fois, il me rappelait cette première sortie à Paris. Plusieurs camarades dont Gabriel (Gaby) Quémener et Robert Raymond, logeaient à l hôtelrestaurant «chez Conty» au n 53 rue de Charonne dans le 11ème. Gaby était typographe et travaillait la nuit dans la presse, à la composition des journaux qui paraissaient tôt le matin. Il m a donc gracieusement prêté sa chambre pour la nuit, pendant que lui, allait travailler. Pendant ce week-end, les copains m ont parlé de leur vie à Paris, de leur travail et des salaires plus intéressants que ceux payés en province. De retour à Gournay, j ai réfléchi à ma situation et j en ai conclu que ma vie serait plus agréable à Paris, mais je ne m étais pas fixé de délai. Monsieur Paul Gillard, notre directeur à l école d Alembert, restait légalement le tuteur des élèves à leur sortie et les suivait de près jusqu à leur majorité. C est donc sans surprise, qu un jour, peu après le week-end passé à Paris, je le vis arriver à l improviste à l atelier, pour une petite visite d inspection, afin de s informer sur ma façon de vivre ; si j étais satisfait des conditions de travail, de mon salaire, bref si j étais heureux. Je lui ai dit que mes relations avec les patrons étaient très bonnes, et même très amicales avec le fils Pierre et sa femme chez qui je logeais, mais j ai également saisi l occasion qui se présentait, pour lui expliquer que je souhaitais travailler à Paris. J ai surtout mis en avant le fait que je voulais progresser dans le métier, en reprenant des cours de dessin et de décoration, En restant à Gournay, je n aurais jamais cette possibilité. Je pense avoir bien défendu ma cause, car peu de temps après cet entretien, Mr Gillard m écrivait qu il m avait trouvé un emploi chez un artisan à Paris dans le 12ème. Finalement, le changement que je souhaitais, s est réalisé plus rapidement que prévu. Le 17 mai 1951, je quitte les Ets Lejeune après y avoir travaillé pendant presque huit mois, et le lendemain, je débarque à Paris sans savoir où j allais dormir le soir. Je me rends directement à l hôtel «chez Conti» rue de Charonne, afin d y retrouver mes camarades, et aussi d y louer une chambre. Malheureusement, l hôtel est complet, et mon copain Gaby Quémener se dévoue une fois de plus, en m hébergeant deux nuits de suite, le temps de me trouver une chambre dans un des nombreux hôtels du quartier. Il travaillait toujours la nuit et quand il rentrait le matin, il pouvait alors récupérer son lit tout chaud,c était alors pour moi, l heure de me lever. Je me souviens parfaitement avoir pris la rue Trousseau, en partant de la rue de Charonne vers le Faubourg St-Antoine, et d avoir visité plusieurs hôtels, tous complets, avant d arriver au N 10, à l hôtel Ste-Marguerite. Les patrons commencèrent par m expliquer qu ils ne louaient leurs chambres que sur recommandations, et là, exceptionnellement, sans me connaître, consentirent à m en louer une, à la journée pour commencer, et ensuite au mois, nettement plus avantageux. Après avoir visité la chambre, j ai immédiatement donné mon accord sur les conditions. Sans perdre de temps, je suis retourné chez le copain récupérer ma valise afin de m installer dans ma nouvelle demeure, en me disant que ce jour là, j avais encore eu beaucoup de chance. La chambre est agréable, située au 4ème étage côté cour et sans vis-à-vis. Elle est claire, bien ensoleillée, et de surcroît au calme, les bruits de la rue étant très atténués. C est bien plus tard, que la patronne de l hôtel, très méfiante sur le choix de ses locataires, me raconta qu elle avait fait confiance à mon aspect et à ma bonne mine. C est un peu grâce à moi, que par la suite, plusieurs camarades de l école d Alembert ont pu trouver à se loger dans cet hôtel, toujours très propre et bien tenu, comparé à d autres hôtels minables du quartier du Faubourg St-Antoine. Dans la chambre, il y a une armoire, une table et deux chaises, un lit de 120, un lavabo, un réchaud à gaz pour se préparer un petit déjeuner ; les repas du midi et du soir, je les prenais à l hôpital St-Antoine qui se trouve à cinq minutes à pied.

71 Après m être installé dans la chambre, il ne me resta plus qu à récupérer ma caisse à outils, que j avais laissée à la consigne de la gare St-Lazare. Le lundi matin 21 mai 1951, sans transition, je commence à travailler chez mon nouveau patron, Mr Ruymen, au 30 rue de Cîteaux, à quelques minutes à pied de l hôtel. L atelier est installé au 3ème étage de l immeuble. Dans cet immeuble de cinq étages, il n y a en fait que de petits ateliers d artisans : Ebénistes, sculpteurs, tourneurs sur bois, marqueteurs, tapissiers, bref tous les corps de métier qui touchent l industrie du meuble. Mr Ruymen fabrique essentiellement des commodes de style d inspiration Louis XV, Régence et Louis XVI, en merisier ou en noyer massif sculpté, ou encore en bois plaqué avec marqueterie. A l atelier, nous ne sommes que trois ; le patron aidé d un compagnon sculpteur, tous deux âgés d une cinquantaine d années environ, et moi le plus jeune. Le travail est complètement différent de celui effectué chez Lejeune, et surtout très intéressant car il demande beaucoup plus de finesse et de précision. Etant le plus jeune, et sans doute encore considéré comme l arpète de l atelier, je suis chargé en arrivant le matin, d allumer la «sorbonne». La sorbonne est une immense cheminée ouverte, un peu comme l âtre que l on trouve dans certaines maisons à la campagne, et dans laquelle on allume un feu de bois, pour chauffer de très grandes plaques épaisses en zinc, appelées cales à plaquer. Lorsqu elles sont suffisamment chaudes, ces cales servent à plaquer les feuilles de placage sur les éléments de meuble ; elles sont très lourdes et d autant plus difficiles à manipuler qu elles sont brûlantes. La sorbonne est également utilisée pour chauffer au bain-marie la colle forte qui devait toujours être maintenue à bonne température pour rester fluide. L usinage se faisait au rez-de-chaussée. Comme il n existait ni ascenseur ni monte-charge, il me fallait donc descendre et remonter à pied les trois étages, chaque fois qu il était nécessaire de scier, raboter quelques pièces. Je trouvais ces moments assez pénibles, mais je travaillais de bon cœur car sincèrement, j avais envie d apprendre encore. Il m arrivait parfois d être seul à l atelier. Le patron s absentait après m avoir expliqué le travail que j avais à faire, et le compagnon sculpteur partait au bistrot. A cette époque, dans la profession, certaines personnes buvaient beaucoup, surtout du vin rouge, même parfois dans les ateliers. Plusieurs jours de suite, notre sculpteur avait déserté son établi, et le patron, probablement habitué à ces absences périodiques, est allé au bistrot où il savait le trouver, pour le supplier de revenir travailler. Les très bons sculpteurs, considérés comme des artistes, se faisaient déjà rares et il fallait les ménager, d où cette tolérance pour leurs absences prolongées, que l on baptisait en plaisantant, de neuvaines. Je n ai pas eu le temps de connaître d autres histoires de neuvaines, car je ne suis resté que trois semaines chez cet artisan, un peu ours, mais bien sympathique quand même. Depuis mon arrivée à Paris, je prends mes repas à l hôpital St-Antoine où je retrouve quelques camarades de promotion qui travaillent dans le quartier. L un d eux, Guy Préjean, ébéniste également, me parle de son travail dans une grande entreprise de meubles et décoration. Il m informe que cette entreprise en pleine expansion, recrute actuellement de jeunes ébénistes. Il s agit de la Sté Thévenin-Fert et Mayet, 10 rue de Toul à Paris dans le 12 ème, où je me rends sans tarder afin de présenter ma demande d embauche, qui est acceptée immédiatement et sans difficulté. Epoque heureuse où l on pouvait changer d employeur assez facilement. Je quitte donc Mr Ruymen le vendredi soir, après trois semaines seulement passées dans son atelier, pour commencer le lundi suivant, 11 juin 1951 chez Thévenin- Fert et Mayet, entreprise dans laquelle je suis resté vingt-cinq ans, périodes militaires comprises. Le changement est impressionnant ; tout d abord par la taille de l entreprise, plus de 60

72 personnes, ensuite par les ateliers très spacieux, éclairés par de grandes baies vitrées, et enfin par le salaire nettement plus intéressant. Les conditions de travail sont également plus agréables pour les ouvriers ébénistes, car il y a des manœuvres qui assurent toutes les manutentions et le nettoyage des ateliers. Le trajet n était pas trop long pour me rendre de l hôtel à l atelier. A pied, j allais jusqu à la station de métro Faidherbe-Chaligny, pour descendre trois stations plus loin à Michel-Bizot. Le midi, avec mon camarade Guy Préjean, nous faisions le voyage aller-retour en métro, pour aller déjeuner à l hôpital St-Antoine, qui se trouve juste à la sortie du métro FaidherbeChaligny. Il ne fallait pas trop s attarder au réfectoire, car nous n avions qu une heure pour déjeuner. Très rapidement, Guy et moi, nous nous sommes achetés un beau vélo cyclotouriste équipé d un double dérailleur, double plateau, huit vitesses, une petite merveille. C était mon premier vrai vélo, acheté avec mes économies, c est quelque chose que l on n oubli pas. Dès lors, nous pouvions le midi, effectuer l aller-retour de l atelier à l hôpital St-Antoine, beaucoup plus rapidement et aussi économiser les tickets de métro. A l hôtel, je pouvais garer mon vélo en toute sécurité sous une remise dans la cour, heureusement, car j aurais eu quelque difficulté à le grimper dans ma chambre au 4ème étage. En août 1951, les ateliers ferment pour les deux semaines de congés payés qui étaient accordées à cette époque, tandis que les jeunes, bénéficiaient de trois semaines. En ce qui me concerne, comme je débutais dans l entreprise, financièrement, je n avais droit à rien, mais j ai quand même eu l autorisation de prendre les trois semaines de vacances autorisées par la loi. De toute façon, les congés m avaient été payés par la Sté Lejeune, lors de mon départ, au prorata des mois passés à Gournay. Avec mon camarde Guy Préjean, nous en profitons pour partir en vacances à Entraygues sur Truyère dans l Aveyron. Ces vacances sont organisées par les dames Milhau, propriétaires du café à l entrée de l hôpital St-Antoine où nous avons l habitude de nous retrouver entre copains. Voyage de nuit par le train jusqu à Aurillac dans le Cantal, avec nos vélos en bagage accompagné. Nuit plutôt fatigante, car nous sommes restés debout, une grande partie du trajet. En arrivant à la gare d Austerlitz, une heure avant le départ du train, les réservations n étaient pas encore très courantes, nous avions réussi à trouver des places assises. Le train était bondé, les voyageurs debout dans les couloirs au moment du départ. Guy et moi, nous nous sommes dits que nous avions bien fait de venir en avance. A peine le train parti, deux femmes avec un enfant en bas âge, se retrouvent debout, coincées à l entrée du compartiment. Comme nous étions les plus jeunes du compartiment, nous nous sommes dévoués, et avons cédé nos places. Rester debout dans le couloir pendant plusieurs heures est éprouvant, mais le côté le plus désagréable dans cette histoire, c est l ingratitude de ces femmes qui auraient pu nous inviter à reprendre nos places de temps en temps pour nous reposer quelques minutes. Enfin, parti pour passer mes premières vraies vacances, l adolescent que j étais, est resté fair-play. A la gare d Aurillac, nous avons récupéré nos vélos pour parcourir les 50 kilomètres de routes sinueuses et très vallonnées jusqu à Entraygues-sur-Truyère. En arrivant à Entraygues, tout est prévu pour nous recevoir. Nous logeons chez madame Oustry, qui met gracieusement à notre disposition, une chambre au premier étage d un petit immeuble, au dessus de l épicerie qu elle exploite avec sa fille Raymonde. Raymonde qui s est occupée de nous pendant notre séjour, est l amie d enfance de Renée, la fille de madame Marinette, ce qui explique cette faveur à notre égard. Nous prenons tous nos repas, petits déjeuners compris, dans le grand hôtel-restaurant «le Lion d Or». Toujours grâce aux recommandations de Mme Milhau Marinette, nous

73 bénéficions d un prix très avantageux que je qualifierais d exceptionnel. Nous étions vraiment bien traités, les repas étaient excellents et servis par un personnel sympathique. Lorsque nous partions pour la journée, faire une randonnée à vélo afin de visiter la région, le restaurant nous préparait pour le midi un repas froid à emporter dans un panier. Nous pouvions également jouer au ping-pong, très librement sous les tonnelles ombragées du jardin de l hôtel, comme les autres clients. C était tout simplement formidable. Chaque année, le quinze août, pour la fête de l Assomption, la commune organise un défilé de chars fleuris. Plusieurs jeunes filles que Raymonde Oustry connaissait bien, nous ont demandé si nous voulions les aider à décorer leurs chars. En vacances pour nous distraire, nous avons immédiatement accepté, car c était pour nous, l occasion de rencontrer quelques jeunes de cette petite ville, et de sympathiser avec eux. La décoration de nos deux chars, avaient pour thème des chansons en vogue cette année là. L un sur une chanson d André Claveau «Cerisier rose et Pommier blanc». L autre sur une chanson mexicaine dont j ai oublié le titre. Le défilé fut très réussi, il y avait beaucoup de chars, tous joliment décorés. J étais fier d avoir participé à la décoration de deux d entre-eux, sur lesquels trônaient les jeunes filles que nous avions aidées. Elles étaient habillées et déguisées bien sûr, selon les thèmes choisis. La fête s est terminée le soir avec un splendide feu d artifice sur le vieux pont de pierre du XIIème siècle, et également à partir des barques disposées sur la Truyère. C était la première fois que j assistais à une telle féerie. Ce dimanche matin, quinze août, nous sommes allés à l église pour assister à la messe de onze heure. Il y avait beaucoup de fidèles, et en sortant, quelle ne fut pas ma surprise en tombant sur les propriétaires de l hôtel Ste-Marguerite à Paris. Je peux dire qu ils furent eux aussi, tout aussi surpris de me voir. Après leur avoir expliqué que j avais été invité à Entraygues par les Dames Milhau, propriétaires du café près de l hôpital St-Antoine, je me rendis compte en voyant leur sourire bienveillant, que ma petite personne venait de grimper d un cran dans leur estime. Par la suite, nos relations à l hôtel où je suis resté neuf ans, ont toujours été très amicales. Madame Marinette, sa mère, et sa fille Renée, avaient abandonné leur bistrot du faubourg Saint-Antoine, pour venir en vacances dans leur propriété de Prévinquière sur les hauteurs d Entraygues. Avec leur voiture, elles nous ont promenés jusqu à Millau, ville encaissée dans la profonde vallée du Tarn, en passant par Rodez et sa prestigieuse cathédrale, ce qui représente une longue et belle balade. Au cours de nos randonnées à vélo, nous ne sommes jamais allés aussi loin, mais nous n hésitions pas à parcourir de nombreux kilomètres pour visiter la région. La vallée du Lot, celle de la Truyère avec ses barrages équipés de centrales hydroélectriques, de nombreux sites touristiques, tous magnifiques à contempler. Avec Guy, nous nous étions même offert une journée d excursion en car, pour visiter les grottes de l Aven-Armand en Lozère, les gorges du Tarn avec la traditionnelle promenade en barque au fond des gorges. Un jour, invités à déjeuner à Prévinquière chez Mme Marinette, Guy et moi, avons passé l après-midi à écouter des disques de musique auvergnate, ce qui m a donné le goût des musiques folkloriques des régions où je suis allé en vacances par la suite. A Paris, j ai ensuite assisté à plusieurs reprises à des spectacles de danses traditionnelles. J ai toujours gardé un très bon souvenir de ces trois semaines de vacances en Auvergne. Tout d abord, parce qu elles étaient les premières vraies vacances, payées avec l argent de mes économies, et qu ensuite j étais libre comme l air en allant où bon me semblait. J ai tout de suite adoré cette région montagneuse, ses traditions et son folklore. Par la suite, j ai tenu à faire connaître cette magnifique région à Ginette et Corinne en y retournant en vacances pendant un mois en Dès la rentrée scolaire en octobre, je me suis inscrit aux cours de dessin à l école Faidherbe, rue Faidherbe à dix minutes à pied de l hôtel. Il s agissait de me perfectionner, pour bien

74 maîtriser la réalisation des plans de meubles. Mon ambition était de devenir dessinateurmetteur au plan dans l industrie du meuble. Ces cours avaient lieu deux fois par semaine le soir de vingt à vingt-deux heures. Après une journée de travail bien remplie à l atelier, des journées de neuf heures trente, il fallait beaucoup de courage et surtout beaucoup d enthousiasme pour passer ses soirées aux cours, avec assiduité pendant toute l année scolaire. Au moment des inscriptions en début d année, la salle de dessin était pleine, mais au fur et à mesure que les mois s écoulaient, les rangs s éclaircissaient. Il me fallait donc une bonne dose de volonté pour persévérer dans ce que j avais entrepris, car les tentations étaient nombreuses, mais j ai tenu le coup jusqu au moment de mon incorporation au régiment. Pendant les quatre ans passés à l école d Alembert j ai consacré beaucoup de temps à la lecture. Une fois sorti, j ai conservé ce goût pour les livres et le soir à l hôtel je lisais régulièrement avant de m endormir. Je me souviens qu un soir, ou plutôt la nuit, il devait être plus d une heure du matin, et j étais toujours entrain de lire quand la lumière s éteignit, puis se ralluma au bout de quelques secondes. A mon tour j ai eu le réflexe d éteindre la lumière et de la rallumer pour bien montrer que je ne m étais pas endormi en la laissant allumée. J ai appris ensuite par la patronne, que dans le bureau au rez de chaussée où se tenait en permanence une personne pour surveiller les entrées et sorties, il existait un tableau avec des voyants lumineux correspondants à toutes les chambres de l hôtel. J avais donc bien deviné cette nuit là, la raison de cette coupure de courant. Par la suite, cette petite comédie ne s est pas représentée et j ai pu continuer de lire à ma guise très tard dans la nuit. Pour les fêtes de ce Noël 1951 je suis allé à Marles dans la famille que je n avais pas revue depuis quinze mois. Cela m a fait tout drôle, car c était la première fois que je restais aussi longtemps sans revenir à la maison. Maurice avait obtenu un logement des houillères dans la «Cité du bon Air» nouvellement construite sur les terrains en friche en haut de la rue d Anvers. Il s agissait de petites maisons en bois dont la construction devait être provisoire car elles n ont pas résistées bien longtemps. A la maison seul Henri restait encore avec ma mère ce qui lui rendait la vie un peu plus facile. Les week-ends se passent le plus souvent avec les camarades de l école d Alembert qui travaillent et habitent à Paris dans les hôtels proches du faubourg St-Antoine. Les dimanches, nous nous retrouvons pour déjeuner et dîner ensemble à l hôpital St-Antoine et selon le temps, allons faire des virées à vélo, nous baguenauder dans le faubourg, ou sur les grands boulevards, les Champs Elysées. Avec nos vélos nous partions parfois très tôt le dimanche matin pour de longues randonnées, d une centaine de kilomètres autour de Paris. A Paris, les endroits ne manquaient pas pour flâner et les cinémas étaient nombreux pour se mettre à l abri quand il faisait mauvais ou le contraire, se mettre au frais quand la chaleur

75 était intenable à l extérieur. Des films j en ai vus beaucoup, des bons, mais aussi beaucoup de mauvais que l on regrettait aussitôt sorti en se disant que l on avait perdu son temps et son argent. Me voici avec mon camarade de promotion Pierre François, descendant le faubourg St-Antoine à Paris, un dimanche de juin Pour les non-initiés, le faubourg Saint-Antoine qui va de la place de la Nation à la place de la Bastille, était à cette époque le boulevard des négociants de meubles et les rues adjacentes avec leurs cours et impasses fourmillaient d ateliers destinés à la fabrication et au commerce de tout ce qui touchait l industrie de l ameublement. Le vendredi soir 11 juillet 1952, je pars à Marles pour le long week-end du 14 juillet et, aussi incroyable que cela puisse paraître, je prends le risque de faire le voyage à vélo la nuit. Nous devions effectuer le trajet à trois. Claude Denis dont les parents habitent Lozinghem mais qui est actuellement chez sa grand-mère à Saint-Denis où il travaille, et un cousin à lui. Le rendez-vous était pris pour vingt et une heures à la sortie de Saint-Denis sur la nationale en direction de Creil. En arrivant sur le lieu du rendez-vous, il n y avait personne, j ai attendu un petit moment en me disant qu ils n allaient pas tarder, puis j ai roulé doucement vers Chantilly en me disant cette fois qu ils allaient me rattraper. En arrivant à Creil, je me suis arrêté devant un café-restaurant de routiers bien éclairé, en espérant toujours les voir venir. Je suis entré dans le bistrot pour boire un café, tout en guettant la route. Parmi les clients, il y en avait un qui s amusait à avaler des lames de rasoir. Il en mettait une sur la langue et il réussissait à la mettre en miettes sans se blesser, la bouche fermée. Il a recommencé deux fois, la démonstration était stupéfiante. Finalement, au bout d une demi-heure, je me suis décidé à poursuivre seul mon chemin, en pédalant ferme pour rattraper le temps perdu depuis le départ. J avais de quoi manger et boire dans le petit porte-bagages à portée de main sur l avant du vélo. Dans les sacoches sur le porte-bagage arrière, j avais de quoi me protéger du froid et de la pluie si nécessaire, mais le temps était agréable avec un ciel dégagé, constellé d étoiles ce qui rendait la nuit assez claire pour bien voir la route. J ai pris les routes nationales, mieux entretenues, donc moins pénibles à rouler et plus larges, permettant aux voitures et camions de me doubler sans m obliger à rouler dans les fossés. Il faut reconnaître qu en 1952, le trafic routier la nuit était sans commune mesure avec le trafic actuel. La nationale 16 de l époque me conduisit jusqu à Amiens, Doullens, Frévent, Saint-Pol

76 sur Ternoise. Ensuite les routes départementales jusqu à Marles. Le plus éprouvant fut les côtes à grimper et sur l ensemble du parcours, il y en avait quelques unes de coriaces, surtout celle de Doullens. Avec mon vélo cyclotouriste à double plateau, double dérailleur, huit vitesses, je pouvais malgré tout grimper en pédalant assis. Je suis arrivé à la maison à sept heures trente, fatigué mais surtout très heureux d avoir réalisé seul la nuit, ce long parcours de deux-cent-trente kilomètres. J aurais pu abandonner tant il est vrai qu à plusieurs on s entraîne, et la nuit aurait peut-être semblée moins longue, mais cela n est pas certain car en définitif je ne me suis pas ennuyé, occupé à pédaler et à faire attention à la route. Ma mère toute surprise de me voir débarquer à la maison si tôt le matin, me demanda si je n étais pas un peu fou, d être venu de Paris à vélo, seul et de surcroît la nuit. Après un peu de repos et un petit déjeuner, je suis allé chez Claude à Lozinghem, pour voir s il était arrivé. Lui et son cousin étaient effectivement bien arrivés. Ils m expliquèrent qu ils s étaient même arrêtés un bon moment pour m attendre, également à Creil et pas très loin de l endroit où je m étais moi-même arrêté. Dans ce rendez-vous raté, eux m attendaient, et moi je les attendais, ce qui n était pas fait pour se rencontrer. Si à cette époque, les téléphones portables avaient existé, nous n aurions eu aucune difficulté à nous retrouver. Comme souvent lors de mes voyages à Marles, je suis allé chez Lucienne, Simone et Maurice, toujours heureux de me voir. Le lundi matin 14 juillet, je suis reparti pour Paris avec mon vélo, mais en train cette fois, c est plus rapide et moins fatiguant. Je plaisante car je n ai jamais regretté d avoir fait ce voyage seul à vélo, et j en étais plutôt fier. Aujourd hui, ce serait trop risqué avec les irresponsables du volant et les agressions en tout genre. Vacances 1952 Chez Thévenin-Fert et Mayet, l entreprise fermant toujours au mois d août pour les congés annuels et ne voulant pas retourner une deuxième année de suite dans l Aveyron, je choisis d aller dans l Allier, chez Mr et Mme Nugues les fermiers qui m avaient accueilli en Comme depuis ce temps là, je continuais à leur donner régulièrement de mes nouvelles, j en ai profité pour leur demander s ils pouvaient me recevoir pour mes prochaines vacances en août Très désireux de me revoir, huit ans après mon séjour chez eux, ils m invitèrent immédiatement. Le samedi 9 août, j ai donc fait le voyage en train jusqu à Moulins sur Allier, avec mon fidèle vélo en bagage accompagné. En arrivant à Moulins, je suis accueilli par Henri Wiszniak, camarade de promotion, qui travaille comme linotypiste dans une imprimerie de la ville depuis sa sortie de l école. Duliot Daniel, un autre camarade, linotypiste également, mais sorti de l école cette année seulement, nous rejoint et ensemble nous passons l après-midi à nous baguenauder dans la ville. Avec mon appareil Kodak à soufflet, un quidam, sans doute peu entraîné nous a pris en photo, sur laquelle j ai failli disparaître.

77 Henri est au centre et Daniel à droite Une jeune fille qu Henri semblait connaître, est venue se joindre à nous pour aller tous les quatre, passer la soirée dans un bar-dancing à la mode, fréquenté par beaucoup de militaires américains en garnison dans la région depuis la libération. Ces Américains, très heureux d être en France sympathisaient facilement avec les Français et nous avons essayé d entretenir une conversation avec eux. Nous avons également écouté les disques à la mode qu ils mettaient dans les juke-boxes, appareils assez récents en France, tout en sirotant des jus de fruit. Henri m a ensuite laissé sa chambre d hôtel et c est avec cette jeune fille un peu plus âgée que moi, que je ne connaissais pas trois heures auparavant, que j ai terminé la nuit. Henri lui, est allé dormir ailleurs, peut-être avec une autre copine, mais comme il ne m a rien dit, je ne lui ai pas posé de question. J ai simplement apprécié son geste et constaté une fois encore, que la solidarité entre les copains d Alembert, çà existait. En début de matinée, la fille s est levée, habillée, m a dit gentiment au revoir et s en est allée. Je n ai pas bien compris pourquoi elle avait accepté de venir passer la nuit avec moi sans rien exiger en échange. Peut-être pour me faire plaisir, tout simplement, parce qu au cours de la soirée, j avais probablement dû lui dire que je venais d avoir vingt ans le 7 août. Pendant longtemps, j ai pensé à cette rencontre qui était vraiment ma première fois. Un peu plus tard, après avoir remercié Henri, j ai récupéré mon vélo à la gare et c est en pédalant allègrement que j ai poursuivi mon voyage jusqu à Dompierre-sur-Besbre. Avec de bonnes jambes, les 30 kilomètres de trajet furent une promenade. Pour bien me repérer au cours de mes sorties, j emportais toujours une carte routière de la région où j allais. Contrairement aux adolescents actuels qui couvrent les murs de leur chambre des posters de leurs idoles, moi, en 1952, dans ma chambre d hôtel, j avais fixé une grande carte de France que je pouvais consulter quand j avais besoin de repérer une région, une ville. J aimais la géographie et c était pour moi une façon de progresser. Huit ans après, en arrivant sur Dompierre, je n eus aucune difficulté à reconnaître le chemin qui conduisait, du bourg où j allais à l école, au hameau où se trouvait la ferme. C est avec plaisir que j ai revu toute la famille : Blaise, ses parents et aussi Maurice le petit fils, qui était devenu à dix-sept ans maintenant, commis de ferme chez ses grands-parents. L accueil fut chaleureux et je crois qu ils étaient sincèrement très heureux de me revoir. En apparence, rien n avait changé, tant sur l équipement des pièces d habitation que sur les outils de production. Pas de tracteur ni voiture, le matériel agricole est toujours aussi rudimentaire, tiré par les bœufs et les chevaux.

78 Façade de la maison d habitation qui devait dater du siècle dernier si ce n est plus. Il y avait plusieurs étangs et Maurice le petit fils, m a appris à pêcher au carrelet. C est plus fatigant que la pêche à la ligne, car le filet attaché au bout d une perche, est assez lourd à soulever. L avantage, c est que l on attrape plusieurs poissons à la fois. L été 1952 fut très chaud, avec un mois d août particulièrement torride. Le travail commençait tôt le matin, il était donc normal et naturel de faire la sieste après déjeuner. A la ferme tout était calme, même les animaux se reposaient. Je faisais comme tout le monde, j allais m allonger sur mon lit, dans la chambre que je retrouvais telle qu elle était en A croire que le temps s était figé depuis cette année là. Il m arrivait aussi d aller me reposer à l ombre des châtaigniers très nombreux dans la forêt près de la ferme. Le mois d août est la période des battages. Comme en 1944, une batteuse louée pour l occasion, est venue s installer dans la cour et avec l aide des voisins, toutes les céréales furent battues dans la journée. Une rude journée, commencée dès l aube et terminée à la nuit tombante. A l aide de fourches en bois, plusieurs personnes expédiaient les gerbes de blé sur le haut de la machine. Les épis étaient brassés et les grains tombaient dans des sacs. D autres personnes surveillaient le remplissage des sacs qu il fallait ensuite monter au grenier à dos d homme en grimpant sur une simple échelle en bois. Comme il n y avait pas assez de sacs, il fallait ensuite les déverser sur le plancher du grenier, qui occupait toute la surface du bâtiment au dessus des pièces d habitation.

79 Une partie du blé était vendu à la minoterie, et ce qui était stocké au grenier, servait au semis de l année suivante, et à l alimentation des volailles. Comme je ne pouvais pas rester les mains dans les poches à regarder les autres travailler et suer, j ai essayé de me rendre utile en effectuant les quelques tâches que l on a bien voulu me confier. Bien sûr, les fermiers ont refusé de me laisser grimper au grenier avec un gros sac de blé sur le dos, trop lourd et trop dangereux ont-ils dit. Je dois reconnaître qu ils avaient raison, car je n étais pas entraîné et encore moins taillé pour porter de tels poids. Parfois, il m arrivait de dessiner et mes dessins faisaient l admiration de la famille Nugues qui ne connaissait pas ce passe-temps. Je faisais aussi beaucoup de promenade seul à vélo pour visiter la région de Dompierre. J ai réussi un dimanche à entrainer Blaise et son neveu Maurice dans une randonnée à vélo. Blaise était très heureux de cette sortie car, constamment occupé à la ferme, il prenait rarement le temps de se divertir. Pendant ces vacances, j ai voulu me rendre utile en aidant Blaise dans ses travaux. J ai appris à herser et même à labourer. Maintenir correctement la charrue n avait rien de facile, et mes premiers sillons ne furent pas très rectilignes, mais la docilité et l habitude des chevaux me permirent de réaliser un travail acceptable pour un amateur.

80 A la ferme, sur un terrain près de la maison, il y avait de la vigne qui fournissait le vin de table. Je l ai goûté mais il fallait avoir un gosier d acier pour l avaler. Les excédents de vin étaient transformés en alcoolpar le bouilleur de cru qui passait à domicile avec son matériel. Dans les près, il y avait de nombreux pruniers et les fruits que je ramassais et gaulais quand ils ne tombaient pas, étaient également transformés pour produire une eau de vie de prune. J ai assisté à une distillation que Blaise avait organisée. Le bouilleur de cru s était installé en fin de journée à l écart de la ferme avec son équipement et je vois encore la chaudière, les alambics et leurs multiples tuyaux en cuivre. La nuit était tombée depuis longtemps mais, intéressé par ce qui était nouveau pour moi, je suis resté avec les distillateurs et Blaise jusqu à la fin, c est à dire très tard, car ce travail prend beaucoup de temps. J ai également profité de ces vacances dans l Allier pour aller seul voir Jean Buteau, un camarade de promotion de l école d Alembert. Il habitait encore chez ses parents nourriciers dans une petite bourgade, les Feuillats au sud-est de Decize dans la Nièvre, à 45 kilomètres de Dompierre sur Besbre. Promenade très agréable à vélo sur une route qui longe le canal latéral à la Loire. Sortis depuis deux ans seulement de l école, nous nous sommes revus avec plaisir et avons évoqué quelques souvenirs des quatre années passées ensemble. Nous avons aussi parlé de notre travail respectif dans l industrie. Je lui ai parlé de mon travail à Paris, des sorties avec tous les copains de l école. Jean était resté très attaché à sa campagne où il préférait travailler mais surtout demeurer près de sa sœur nourricière qu il aurait bien voulu épouser. A l école on le taquinait là-dessus car il nous en parlait souvent. Pour marquer cette journée, j ai pris quelques photos du barrage près de chez lui. Jean a repris par la suite, un atelier d artisan menuisier-ébéniste dans son village. A plusieurs reprises, en passant à Decize en revenant de vacances avec Ginette, nous sommes passés chez Jean Buteau à l improviste, mais sans jamais le rencontrer. Curieusement nous ne nous sommes jamais écrits et nous ne nous sommes revus qu en 2002, c'est-à-dire cinquante plus tard. En effet, le mercredi 11 septembre 2002, avec de nombreux camarades de la promotion tous nés en 1932, pour fêter nos 70 ans, nous avions organisé une rencontre dans un restaurant guinguette «Le canotier» sur les bords de la Marne à Précy sur Marne. Pour la petite histoire, le maire de cette commune était à cette époque le chanteur Yves Duteil.

81 Quinze camarades avec leurs épouses avaient répondu présent. Certains étaient venus de leur lointaine province, spécialement pour participer à cette petite fête de l amitié. Nous avons passé une journée très agréable à nous rappeler les bons souvenirs des quatre années passées ensemble. L endroit était fort sympathique et les restaurateurs également.

82 La guinguette était fermée ce jour là, mais exceptionnellement ouverte, uniquement pour notre groupe de trente personnes. L après-midi, les musiciens de l orchestre Salmon nous ont permis de danser sur la grande piste en parquet ciré, aux rythmes des airs que nous pouvions choisir. En plus des nombreuses photos que j ai prises, j ai également filmé cette rencontre avec mon caméscope Sony H.i.8. J ai ensuite adressé quelques copies des photos et du film à tous les camarades. En fin d après-midi, après cette journée passée à parler, à manger, à boire modérément, mais surtout très heureux, nous nous sommes quittés en espérant pouvoir renouveler cette rencontre dix ans plus tard, c'est-à-dire pour nos quatre-vingts ans. Hélas, plusieurs d entre nous ayant disparu avant d atteindre cet âge, et d autres étant plus ou moins malades, l anniversaire des futurs octogénaires n a pas eu lieu.

83 Tout début janvier 1953, en plus des cours de dessin industiel, j ai commencé à suivre des cours de dessin à l Académie de la Grande-Chaumière à Paris. Un camarade ébéniste sorti de l école d Alembert un an avant moi, assistait déjà à ces cours du soir et m avait suggéré d aller avec lui. Les étudiantes des beaux-arts qui servaient de modèles en posant nues sur une estrade, étaient rétribuées par les droits d entrée payés par les élèves à chaque séance. Le professeur passait parmi les élèves, et l on pouvait l interpeller afin obtenir quelques conseils. Après une longue journée de travail de neuf heures trente à l atelier, il fallait être courageux et avoir envi d apprendre à dessiner, car ces cours que j ai suivis à plusieurs reprises avant d aller au régiment, avaient lieu de vingt à vingt-deux heures. Le 21 janvier 1953, je reçois un préavis m informant de ma prochaine incorporation sous les drapeaux, prévue en mai. Je suis enfin fixé, car plusieurs copains sont déjà incorporés depuis octobre C est curieux, mais je ne sais pas pourquoi, cette date du 21 janvier me rappelle toujours que Louis XVI fut guillotiné ce jour là, mais en Il m arrive à présent de sortir seul, pour assister à un spectacle, ou une séance de cinéma. Le dimanche 1er février, c est donc seul que je suis allé à vingt heures quarante-cinq, au théâtre de l A.B.C, voir une opérette «La route fleurie» avec Bourvil, Georges Guétary, Annie Cordy. J ai passé une agréable soirée, sympathique et très distrayante, car en plus du spectacle, il y a l ambiance, le plaisir d être dans une belle salle parmi les spectateurs, plaisir que l on n éprouve pas de la même façon quand on est chez soit devant son téléviseur. Par la suite j ai fréquenté assez souvent les théâtres avec toujours autant de plaisir. La mutuelle des anciens de l école d Alembert continue d organiser, toujours en début d année, janvier ou février, une soirée de gala dans la salle des fêtes d une des mairies d arrondissement à Paris. En première partie de soirée, spectacle de variétés jusqu à minuit au cours duquel, des artistes viennent chanter et parfois il s agit de chanteurs débutants moins exigeants sur le montant de leur cachet. C est ainsi que j ai pu voir de près, certains artistes comme Alain Barrière, François Deguelt, et d autres devenus très célèbres par la suite. La soirée se poursuit par un bal jusqu à cinq heures, heure où Paris s éveille avec les premiers métros pour rentrer se coucher. Depuis mon arrivée à Paris j ai toujours assisté, à ces soirées, même après mon mariage avec Ginette jusqu à la naissance de Corinne. Le samedi 21 février, je suis allé à cette soirée de gala organisée cette année dans la très belle salle des fêtes de la Mairie du 5 ème arrondissement. Ces soirées attirent toujours beaucoup de monde, surtout les anciens élèves habitants la région parisienne mais également ceux de province qui n hésitent pas à faire le voyage en famille. C est l occasion de se revoir et c est vrai que ces réunions renforcent un peu plus les liens d amitié entre les camarades et leurs familles. Le dimanche 15 mars en soirée, en me promenant sur les boulevards, je suis entré au «Caveau de la Répubique», petite salle de spectacle où les chansonniers ne se privaient pas de critiquer avec beaucoup d humour tous les hommes politiques de l époque. Le samedi 4 avril, je suis allé voir un film «Il est minuit Docteur Schweitzer». Ce film que j ai trouvé formidable, retrace la vie d Albert Schweitzer, médecin français alsacien, qui fonda en 1913, à Lambaréné au Gabon, un hôpital devenu célèbre dans le monde entier, et obtint le prix Nobel de la paix en L Alsace était devenue Allemande depuis la défaite de Napoléon III à Sedan en A la déclaration de la guerre en 1914, ce médecin, considéré légalement comme Allemand, fut arrêté un soir à minuit par les autorités Françaises, le Gabon faisant partie de l Afrique

84 équatoriale française. Ce film, je l ai revu à plusieurs reprises, et à chaque fois j étais bouleversé par l histoire du docteur interprété par le très grand comédien, Pierre Fresnay. Le docteur Schweitzer est décédé à Lambaréné en A la recherche de mes origines Depuis mon plus jeune âge, j ai toujours eu conscience que j étais un gosse de l Assistance Publique, mais sans trop savoir ce que cela pouvait signifier. J ai grandi sans jamais me poser de questions sur les raisons de ma présence dans ma famille nourricière, j étais là et cela me suffisait. Je l ai toujours su, pour de multiples raisons. Tout gamin, lorsque j étais dehors avec ma

85 mère et qu une personne de connaissance lui disait bonjour, j entendais souvent ces propos en parlant de moi, «alors! c est votre petit parisien». Parisien était l appellation utilisée pour désigner les enfants de l assistance.les vêtements que je portais, fournis par l assistance publique, étaient différents de ceux achetés pour Henri par exemple. Je me souviens surtout des grandes capes en drap noir épais qui me protégeaient parfaitement bien du froid, et de la pluie avec leur capuchon, ainsi que des blouses noires très longues mais inusables, que je mettais pour aller à l école, alors que tous les autres élèves avaient des blouses grises. S il m arrivait d être malade, ce n était pas le médecin des houillères qui venait pour me soigner, mais un médecin de ville agrée par l assistance publique. Enfin, il y avait les visites inopinées du directeur de l agence de Saint-Pol sur Ternoise. Après être passé par l école d Alembert où tous les élèves étaient dans la même situation, où pendant quatre années, j ai reçu un enseignement satisfaisant, je ne me suis jamais senti diminué, comparaison faite avec les enfants qui ont été élevés par leurs propres parents, et n ont pas eu la possibilité d apprendre un vrai métier. Je pourrais presque dire, que finalement j ai eu beaucoup de chance, et qu avec le temps écoulé, je n ai aucune raison de regretter quoi que ce soit. Je n ai jamais ruminé mon passé d enfant assisté et je n ai pas non plus connu la rancune d avoir raté ma venue sur terre. Le jour de mon vingtième anniversaire, en août 1952, comme beaucoup de jeunes dans mon cas, j ai cependant, éprouvé le besoin de connaître mes origines et de retrouver si possible, mes parents biologiques. Ce n était pas par amour filial, mais plutôt par curiosité, car cet amour, je le réservais à celle qui m avait élevé et que je considérais comme ma vraie mère. Sur le livret de pupille que chaque enfant possède, il est indiqué son lieu de naissance. Je suis donc allé à la mairie du XIVème arrondissement de Paris où j avais été déclaré, et je n ai eu aucune difficulté à obtenir un extrait de naissance. C était la première fois que j avais entre les mains un tel document qui m apprenait le prénom, l âge, la profession, et surtout l adresse de ma mère lors de ma naissance. Après plusieurs mois d hésitation, je me suis enfin décidé en mars 1953 à me rendre à l adresse indiquée. Arrivé devant l immeuble, je suis resté là, immobile, à l observer un bon moment, en me posant quelques questions. Vingt ans après, peut-être n habite t elle plus là? Les gens de l immeuble ont sans doute changé également. Et enfin, la question primordiale : En supposant qu elle soit toujours là, comment vit-elle, est-elle seule, que vais-je lui dire? J ai finalement renoncé à intervenir ce jour là, en me disant que je verrais plus tard. Le plus tard s est prolongé bien des années, je me suis marié, Corinne est née, j avais fondé ma propre famille et je n ai plus jamais eu l intention de retrouver la trace de ma mère biologique. Ne l ayant pas connue, elle n a jamais fait partie de ma vie et j ai grandi sans elle, ce qui fait qu elle ne m a jamais manqué. Je le répète, une mère, j en avais une, à Marles les Mines, celle qui m avait élevé comme son propre fils, et cela suffisait à mon bonheur. Quant à mon père, c est le mystère absolu, le néant. Si Victor Hugo a écrit «Mon père ce héros» en parlant de son père, glorieux général d Empire, moi je pourrais écrire «Mon père cet illustre inconnu» en parlant de mon géniteur. J ai grandi sans père, car celui qui aurait pu devenir mon père nourricier, est décédé alors que je n avais pas encore trois ans. A cet âge là, on ne garde aucune trace de son passé. Mes premiers souvenirs remontent aux évènements du Front Populaire en 1936, avec les rassemblements et les discours sur la place de l Hôtel de Ville à Marles, j avais quatre ans. Aujourd hui, mes petits enfants, Guillaume et Coralie, ainsi que ma fille Corinne, qui s intéressent à la généalogie, m ont incité à approfondir mes recherches afin de connaître mes origines.

86 Par l intermédiaire d un camarade de l école d Alembert, Jacky Dubois, président de l Association des pupilles et anciens pupilles de l Etat, j ai réussi à obtenir une copie de la totalité de mon dossier, comprenant tous les documents concernant ma mère biologique, sa situation familiale au moment de ma naissance, mon abandon, ainsi que les courriers échangés entre le directeur de l agence de Saint-Pol sur Ternoise et l administration générale de l Assistance Publique à Paris. Curieusement, mon dossier, comprenait même les renseignements concernant mon mariage avec Ginette en 1958, alors que je n étais plus sous la tutelle de l A.P depuis longtemps. A partir de ces informations, Corinne peut, si elle le souhaite, approfondir ses recherches généalogiques et pourquoi pas, tenter de retrouver le lieu où ont vécu mes aïeux maternels. Service militaire -- Mai Octobre 1954

87 Pendant mon séjour à Gournay en Bray, j ai passé début 1951, le conseil de révision, obligatoire à cette époque. Avec plusieurs jeunes de mon âge, réunis dans une même salle, nous étions nus comme des vers, à attendre notre tour afin de passer devant le médecin militaire, pour un examen superficiel et rapide. Il fallait être manchot ou cul-de-jatte pour être réformé. Au cours de l entretien avec les officiers, nous devions répondre à certaines questions : dans quelle armée aimerions-nous être incorporés : Terre, Mer, Air, et aussi quelles étaient nos préférences sur les lieux d affectation : Métropole, Outre-mer. J ai indiqué que j aurais aimé aller à Madagascar. Pourquoi Madagascar? Tout simplement parce que cette grande île lointaine dans l océan Indien, je la connaissais bien pour l avoir étudiée à l école. De mémoire, j étais capable de la dessiner en indiquant la position des villes principales, des cours d eau, des montagnes, etc. Mais la première des motivations à ce choix, était surtout l attrait du voyage. La tradition voulait que tous les jeunes conscrits, déclarés aptes au service militaire, fassent ensuite la fête ensemble, en se promenant et gesticulant à travers la ville, décorés de rubans et de cocardes tricolores accrochés aux vêtements, tout en allant de bistrot en bistrot, pour finir complètement ivre. Ne connaissant aucun des garçons, et n ayant aucune envie de courir et chanter dans les rues avec eux, et encore moins de me soûler, je me suis éclipsé discrètement, et je crois bien que je suis retourné à l atelier. Lorsque début avril 1953, j ai reçu la convocation me fixant la date exacte et le lieu de mon incorporation pour effectuer mon service militaire, j ai eu la surprise de constater que mon souhait, émis au conseil de révision en 1951, avait été retenu. J étais affecté au 3 ème Régiment d Infanterie Coloniale à Maisons-Laffitte pour partir à Madagascar. Je disposais de trois semaines pour mettre de l ordre dans mes affaires avant de me présenter à la caserne. Comme il me fallait libérer la chambre d hôtel, je suis allé à Marles passer

88 quelques jours de vacances et en profiter pour emporter à la maison le peu de vêtements que j avais acheté depuis ma sortie de l école, ainsi que mon vélo. Le samedi 9 mai, je rentre à Paris et je retourne à l hôtel Ste-Marguerite où je reste deux nuits. Les patrons de l hôtel me font cadeau des deux nuitées, ce qui n est pas un grand sacrifice pour eux, car le mois d avril était payé en totalité alors que j étais parti avant la fin du mois. En arrivant l après-midi du lundi 11 mai à la gare de Maisons-Laffitte, j ai été accueilli et emmené dans un camion militaire qui attendait les jeunes appelés afin de les conduire au camp, assez éloigné du centre ville. Le même jour, j ai été transféré à la caserne de RueilMalmaison avec ceux, qui comme moi, avaient reçu leur feuille d incorporation pour Madagascar. Les 12, 13, et 14 mai, je suis resté dans mes habits de civil, à traîner dans la caserne et à répondre à quelques formalités. Enfin, le 15 mai, on nous conduisit à la caserne de Clignancourt pour recevoir notre paquetage militaire. La séance d habillage fut assez pittoresque, en commençant par les prises de mesures. Voici à quoi je ressemblais ce jour là : taille 1m63, tour de tête 57, tour de cou 38, poitrine 88, ceinture 76, longueur des pieds 26cm. On me donna donc des vêtements taille 46, treillis et tenue de sortie. En 1953, beaucoup de jeunes devançaient l appel sous les drapeaux, pour être assurés de faire leur service militaire dans les pays qui étaient encore sous la domination française, dont Madagascar, et c était pour eux une façon de pouvoir voyager. Le contingent qui devait partir à Madagascar devait être de cent-vingt personnes, et les «E V D A. engagés volontaires par devancement d appel», donc prioritaires, étaient déjà une centaine. Parmi les appelés de ma classe, nous étions une cinquantaine à avoir postulé pour Madagascar, et il n en fallait que vingt pour compléter. Pour ne pas faire de préférence, le capitaine a mis les cinquante noms dans un chapeau et a effectué un tirage au sort. Ce jour là, je n ai pas eu la chance d être l heureux gagnant de cette loterie un peu spéciale. Comme quoi, le hasard peut avoir parfois, une influence, bonne ou mauvaise, sur notre vie. Sur le coup, j étais plutôt déçu, mais rapidement je me suis consolé en me disant que finalement, j avais peut-être échappé aux attaques de moustiques qui s acharnent sur les peaux blanches comme la mienne pour vous transmettre le paludisme ou autres maladies tropicales. Pendant le peu de semaines que j ai passées à la caserne de Rueil-Malmaison, j ai eu le temps de devenir coiffeur. Un jour, un camarade de chambrée, me demanda si je voulais bien lui couper les cheveux. Je l ai mis en garde en lui expliquant que je n avais jamais pratiqué ce genre de travail, mais comme il a insisté, j ai finalement accepté. Sans autres outils qu une paire de ciseaux et d un peigne, je me suis mis à tailler en faisant très attention à ne pas le blesser, et à lui faire une coupe à peu près convenable. Nous n étions que tous les deux dans la chambre d une dizaine de lits, et je vois encore très bien la scène quand le capitaine est entré subitement. Me voyant occupé à coiffer le copain, il s est approché, a regardé la coupe qui était pour ainsi dire finie, et m a demandé si j étais coiffeur dans le civil. Lui ayant répondu par la négative, il m a félicité pour le résultat qui lui semblait correct, et m a proposé de devenir coiffeur à la caserne. J ai même été très surpris quand après être sorti, il est revenu immédiatement avec une boite dans laquelle il y avait une tondeuse, un rasoir et des peignes. Il y avait un petit salon de coiffure au rez-de-chaussée d un des bâtiments, et le 21 mai je suis allé m y installer et exercer mes nouveaux talents de coiffeur avec le matériel que le capitaine m avait confié. Le salon n était ouvert qu à certaines heures de la journée, et cette activité me rapportait quelques pourboires non négligeables. Le 23 mai, j ai eu droit à ma première piqûre T-A-B très douloureuse avec obligation de rester couché deux jours. Cela m a rappelé l école d Alembert où j avais subi à quatorze ans les mêmes piqûres tout aussi douloureuses.

89 Les 28 et 29 mai, nous avons passé divers examens médicaux dont une radioscopie à l hôpital militaire Villemin près de la gare de l Est à Paris. L armée ne voulait peut-être plus s encombrer de recrues dont la santé était déficiente. Le dimanche 31 mai, un camarade Lillois, a réussi à me convaincre de l accompagner au stade de Colombes pour assister à un match de foot, et pour cause, il s agissait du match LilleNancy, deux équipes très réputées. Je ne me souviens plus qui avait gagné. A cette époque, beaucoup de grands matches se jouaient à Colombes. Arriva le moment où l on demanda aux nouvelles recrues, celles qui voulaient suivre le peloton pour devenir caporal. Je n ai pas hésité une seconde et je me suis porté volontaire. J ai préféré abandonner mon statut de coiffeur et les avantages pécuniaires qu ils m apportaient, pour tenter ma chance de futur gradé, car je pensais qu il valait mieux commander plutôt que d être commandé. Affecté à la 3ème compagnie avec les quelques camarades de chambrée avec qui j avais sympathisé, je suis retourné le 2 juin au camp militaire de Maisons-Laffitte. Le camp de Maisons-Laffitte est immense avec des bâtiments en dur et de nombreuses tentes marabout plantées dans la verdure. C est dans ces grandes tentes que l on nous a installés, chacune comprenant une vingtaine de lits de camp posés sur une dalle de béton. Dix lits disposés de chaque côté d une allée centrale avec une étagère individuelle entre chaque lit pour ranger notre paquetage. Le samedi 6 juin, nouvelle piqûre dans l épaule, tout aussi douloureuse que la première, qui entraîna une consigne sanitaire avec repos obligatoire pendant deux jours et interdiction de sortir du camp. Dans la tente qui était devenue notre lieu de vie, il y avait beaucoup d appelés sursitaires dont quatre séminaristes avec qui je me suis rapidement accordé. Chaque année, au mois de juin, l armée organise un pèlerinage de trois jours à Lourdes et bien entendu je me suis inscrit pour participer au voyage avec mes nouveaux camarades

90 séminaristes. C était pour moi l occasion de voir une région que je ne connaissais pas. C est dans un train spécial uniquement rempli de militaires, que nous sommes partis de la gare d Austerlitz le vendredi soir 12 juin, pour arriver à Lourdes le samedi matin. A Lourdes, on nous installa dans un camp de toiles du type marabout, monté pour la circonstance sur les hauteurs de la ville. A nouveau, j ai fait connaissance avec le camping, mais cette fois sur une grande échelle et avec une organisation toute militaire. Les 13 et 14 juin ont été consacrés au pèlerinage avec diverses cérémonies dont les chemins de Croix, les retraites aux flambeaux et les grands-messes sur le parvis de la cathédrale, par le cardinal Feltin. Je n avais jamais vu un tel rassemblement, et j étais très impressionné, non seulement par cette foule immense mais aussi par cette ferveur qui s en dégageait. Voir autant de dignitaires religieux devant la Basilique, pour célébrer les offices pendant ces trois jours, participer le soir à la retraite aux flambeaux tout en chantant, je dois reconnaître que c est émouvant même pour quelqu un qui comme moi est plus tolérant que croyant. Le lundi 15 juin nous avons visité le centre ville avec ses rues commerçantes où la plupart des nombreuses boutiques proposent aux pèlerins une multitude d articles religieux, sur la Grotte et la Vierge Marie. Comme beaucoup, j ai acheté en guise de souvenir, un crucifix en plâtre pour l offrir à ma mère. En voyant toutes ces boutiques collées les unes aux autres, je n ai pu m empêcher de penser que les bonnes affaires primaient sur la religion. Le soir nous avons repris le train à vingt et une heures trente, pour arriver à Paris dans la matinée. A cette époque les temps de parcours en train étaient beaucoup plus longs que maintenant. Dès le lendemain de mon retour de Lourdes, j ai commencé le peloton d instruction pour

91 devenir caporal. Le samedi 20 juin, nous avons subi la piqûre de rappel, avec toujours les mêmes consignes, obligation de se reposer et interdiction de sortir du camp. L épaule était tellement douloureuse que je n avais pas envie de faire autre chose que de m allonger à l ombre des nombreux arbres autour de nos tentes et lire un peu. Notre compagnie devant défiler sur les Champs-Elysées le 14 juillet, nous les jeunes recrues, avons été soumis à un entraînement intensif pour apprendre à marcher au pas cadencé et à garder un alignement parfait dans les rangs. Ce mardi 14 juillet, réveil en fanfare à trois heures pour être en place dès cinq heures dans une des rues adjacentes à la place de l Etoile, alors que le défilé ne commence qu à neuf heures. C est épuisant, non pas du fait de s être levé tôt, mais surtout d attendre là, pendant des heures, le moment de descendre les Champs-Elysées. Malgré tout on est impressionné par l ambiance et on fini par oublier les inconvénients, tout heureux de participer à cette grande cérémonie nationale. De retour au camp de Maisons-Laffitte à 12h30, nous avons eu droit à un repas amélioré et une permission. J en ai profité pour retourner à Paris afin d y retrouver quelques camarades d école et de passer un bon moment avec eux en faisant le tour des bals populaires, surtout celui très réputé installé sur la place de la Bastille. J ai rejoint la caserne à 7 h du matin, heure limite pour répondre présent à l appel. A cette époque, on pouvait encore se promener seul la nuit dans Paris, sans craindre d être agressé. Le mercredi 22 juillet, à deux heures du matin, nous sommes partis pour de longues manœuvres à La Courtine dans la Creuse. Le déplacement s est effectué en camions sur cinq jours très éprouvants, avec des nuits très courtes et inconfortables sur de la paille dans des granges ou carrément sur le sol dans un pré. Le clairon nous réveillait vers 1 heure ou 4 heures du matin pour des manœuvres qui consistaient à simuler des encerclements de villages. J ai même traversé la rivière le Cher à St-Amand, tout habillé en tenue de combat avec équipement et fusil. Il fallut ensuite se déshabiller pour faire sécher un peu nos vêtements, le temps d une pause, et les remettre encore humide pour repartir. Les soirées au bivouac étaient très animées avec feux et chants plus ou moins grivois. Nous sommes arrivés au camp de La Courtine dimanche 26 dans l après-midi. Pendant le trajet vers La Courtine, il m est arrivé une aventure assez cocasse. Alors que nous roulions en convoi depuis un long moment, j ai eu un besoin urgent d uriner. En convoi, les camions ne peuvent pas s arrêter et je commençais à avoir vraiment mal au ventre. Comme je ne voulais pas pisser dans mon pantalon, j ai trouvé un moyen astucieux. J ai pris la gaine flexible de mon masque à gaz, je l ai glissée dehors en la passant sous la bâche, et de cette façon j ai pu soulager ma vessie sans inonder l intérieur du véhicule. Trouvant cela très drôle, et très efficace, plusieurs camarades en firent autant. Le camp de la Courtine est immense avec des terrains de manœuvres dans les environs. Ces manœuvres étaient très dures physiquement avec un crapahutage quasi permanent, ce qui finit par me provoquer des douleurs aux genoux. Le 18 août, je suis rentré à l infirmerie du camp pour des soins, piqûres, repos allongé. Au bout de quatre jours, comme les douleurs persistaient, on m a envoyé à l hôpital de la Courtine. Là, je me suis retrouvé avec d autres militaires et l un d eux m a expliqué qu il était impossible pour le médecin, de déceler si les douleurs aux genoux étaient vraies ou simulées. Si je voulais échapper aux manœuvres, il fallait continuer de dire que j avais toujours mal. C est ce que j ai fait, et c est ainsi que je suis resté 10 jours à l hôpital, à me prélasser au soleil sur la terrasse, tout en passant beaucoup de temps à jouer aux cartes ou à lire. Sorti de l hôpital le 1er septembre, les manœuvres se terminaient le 3, et le 4 nous quittions le camp de la Courtine. Nous nous sommes arrêtés à Orléans et avons passés la nuit à la caserne des hussards. Le samedi 5, lever à 4 heures pour le retour au camp de Maisons-Laffitte.

92 Le 8 septembre à dix-sept heures, je suis enfin libre de partir en permission pour une semaine. Les permissions d un week-end, je les passais parfois à Paris, mais quand il y avait plusieurs jours d affilée, j en profitais pour aller à Marles. Ce jour là, il était déjà très tard quand je suis descendu du train à Béthune. Il n y avait plus de correspondance S-N-C-F et pas plus d autobus pour Marles. Le dernier autobus qui circulait encore, allait à Bruay. Cela ne m arrangeait pas, mais je l ai quand même pris, car il me rapprochait de Marles. J ai terminé à pied les quelques kilomètres qui séparent Bruay de Marles pour enfin, arriver à la maison vers minuit. Au camp, nous faisions beaucoup de sport et voici mes prouesses lors d un entraînement le 22 septembre. : Le 100 mètres parcouru en 13 secondes. : Le 1000 mètres parcouru en 3,5 minutes. : Le lancement du poids : 7 kg à 6 mètres. : Le saut en hauteur : 1 m 20. Ces résultats n étaient pas terribles, mais cependant, j étais loin d être le dernier. Les examens au peloton de caporal se sont déroulés sur plusieurs jours fin septembre, et le 3 octobre, j étais reçu au grade de caporal, avec une note de 15,38 sur 20. Ma solde de troufion allait augmenter. Le 6 octobre au soir j étais à nouveau autorisé à partir en permission pour cinq jours. Comme le mois précédant, j ai pris un train tard le soir en gare du Nord pour aller à Marles et une nouvelle fois, je me suis retrouvé coincé à Béthune et dans l obligation de faire à pied à 11 heures du soir, le trajet de Bruay à Marles. Je me suis souvenu longtemps des péripéties de ces deux voyages, car par la suite, je me suis méfié et plus jamais je ne suis retourné à Marles par le train, tard le soir. Pendant les mois passés au camp de Maisons-Laffitte, notre compagnie était souvent sollicitée pour des cérémonies officielles. C est ainsi que le 22 octobre, lever à cinq heures pour participer à une présentation d armes à l occasion de l arrivée à Paris du Roi du Laos avec réception gare de Lyon et place de l Etoile. Samedi 31 octobre, lever vers quatre heures pour être en place de six heures à douze heures dans la cour des Invalides à Paris à l occasion de remises de décorations. C était très fatiguant de rester sur place sans bouger pendant des heures, sauf bien sûr, quand il fallait présenter les armes au moment de la remise des médailles. Mercredi 11 novembre, lever à cinq heures pour défiler à nouveau sur les Champs-Elysées entre huit heures et douze heures. Je me souviens surtout d avoir eu très froid. J avais les doigts gelés et de temps en temps je mettais le plus discrètement possible la main gauche dans la poche pour la réchauffer, pendant que la main droite tenait le fusil, ce qui n était pas très réglementaire. Pour faire oublier ces moments de froidures, nous avons eu droit à un repas amélioré en rentrant à la caserne. Mercredi 2 décembre, nous partons cette fois-ci, pour des manœuvres au camp de Sissonne dans le département de l Aisne. Comme au camp de La Courtine, il s agissait d exercices de combats. Les conditions étaient différentes, nous étions en hiver et il faisait très froid. L hiver fut très rigoureux, par l intensité du froid mais aussi par sa durée. C est au cours de cet hiver que l Abbé Pierre, député à cette époque, fit parler de lui en défendant la cause des mal-logés. Je me souviens d un exercice au cours duquel nous étions supposés encercler une ville. Nous avions creusé notre trou individuel pour nous allonger dedans avec nos armes, et sommes restés toute la nuit en position de surveillance. Ce qui était rageant, c était d apercevoir les lumières de la ville en pensant que les habitants étaient bien au chaud chez eux, alors que moi, je grelottais dans mon trou. Au petit matin, nous avons fini par lever le siège et rentrer à la caserne, tous très heureux de

93 réintégrer un endroit plus douillet et de boire un bouillon chaud de viandox, boisson très à la mode à l armée, que l on nous distribuait pour nous ravigoter. Le dimanche matin 13 décembre, avec mes quatre camarades séminaristes, nous sommes allés en stop du camp de Sissonne à Reims pour visiter la Cathédrale. Grâce à leur position de futurs religieux, nous avons été bien accueillis et un prêtre nous a servi de guide pour la visite complète de la Cathédrale. Comme à l école, j avais étudié l histoire de l art avec les différents styles, j ai pu admirer et apprécier toutes les parties de la cathédrale avec la finesse de son architecture gothique. En sortant de la cathédrale, nous sommes allés déjeuner au restaurant, et comme Reims est la capitale du Champagne, nous avons voulu le déguster. Nous avons trouvé que le prix d une simple coupe de Champagne était vraiment excessif. Après avoir visité la ville, nous sommes rentrés à la caserne, toujours en stop. A cette époque, le stop était le moyen de transport gratuit, le plus utilisé par les militaires en tenue, et les automobilistes s arrêtaient facilement. Samedi 19 décembre, retour vers Maisons-Laffitte en passant par Laon et Soissons que j ai pu admirer au cours des arrêts. Il est curieux de constater que certaines images vous restent présentes à l esprit. C est le cas pour la ville de Laon qui est construite sur une colline et que l on aperçoit de loin en arrivant, avec ses remparts imposants et sa cathédrale. Bien plus tard, en 1963 lors d un voyage avec Ginette, entre les Vosges et Marles, j ai tenu à m arrêter à Laon afin de pouvoir cette fois, visiter la ville haute et sa magnifique cathédrale gothique. En arrivant au camp, j étais le soir même en permission pour une semaine. J ai passé le dimanche à Paris avec les copains que je retrouvais chez «Marinette», ceux qui n étaient pas encore au régiment, mais surtout Guy Préjean qui, handicapé d une jambe, était exempté. L après-midi, notre distraction préférée était encore le cinéma avec des salles bien chauffées car dehors, il faisait toujours aussi froid pour les promenades à pied. Du mardi 22 au dimanche 27, je suis allé à Marles où j ai passé les fêtes de Noël. Cette fois-ci, je suis parti le matin pour ne pas rencontrer les mêmes inconvénients que lors des voyages précédents. Le vendredi 1er janvier 1954, au réfectoire de la caserne, nous avons bénéficié d un repas amélioré dont voici le menu : apéritif, vin blanc, vin rouge, huitres avec citron, viande et petits pois, fromage, orange, café et rhum. Un vrai repas de fête avant le travail. En effet, à quinze heures, le repas à peine avalé, avec d autres camarades, on nous conduisit à la gare de l Est, au service du tri postal pour remplacer les agents des P et T en grève. Le travail consistait à trier le courrier en le classant dans des casiers par département. Cette activité me plaisait assez bien car avec une bonne connaissance en géographie des villes et des départements, j arrivais à classer le courrier avec beaucoup de facilité et une certaine rapidité, j avais l impression de m amuser. La journée fut longue, car nous sommes rentrés à la caserne passée minuit. Au cours du mois de janvier, comme la grève se prolongeait, et l armée étant toujours réquisitionnée, je suis retourné plusieurs fois travailler au centre de tri de la gare de l Est. Il faut dire que dans les années 1950, les grèves à la poste étaient fréquentes. En juillet 1953, pendant les manœuvres à La Courtine, la grève avait durée plusieurs semaines et nous étions restés sans courrier et sans colis. Pour des militaires, l attente de nouvelles était parfois dure à supporter. Début février, j ai eu l agréable surprise de recevoir 1740 francs comme paie par les P et T pour le service de tri en gare de l Est. Financièrement je n étais pas trop démuni car j avais quelques économies sur un livret de caisse d épargne, et je trouvais parfois un peu d argent dans les lettres que je recevais. Pour les fêtes de fin d année Pierre et Simone Lejeune m ont envoyé francs, Mr et Mme Nugues de Dompierre sur Besbres, 500 francs.. Ma mère mettait également de temps en temps un billet de cent francs dans ses lettres.

94 J ai reçu également un mandat de francs de l école d Alembert, très surpris d apprendre que cet argent venait de l assistance publique qui soldait mon compte de pupille. Pendant mon séjour à l école d Alembert des primes étaient versées régulièrement sur un livret de caisse d épargne dont j ignorais l existence. En plus de ma solde mensuelle de 648 francs, je recevais six paquets de cigarettes et deux paquets de tabac gris. Ne fumant pas, je revendais le tabac aux copains, ce qui me rapportait à chaque fois 200 francs. J ai appris à jouer au poker, et nous jouions pour des cigarettes. Je gagnais très souvent et lorsque mon stock de cigarettes grossissait, je vendais le surplus. Début janvier 1954, débutèrent les cours d instruction au peloton de sous-officier. Je devais passer de nombreuses soirées d étude obligatoire de dix-neuf heures à vingt-heures trente, mais je me pliais sans difficulté à cette discipline car toutes les matières à apprendre m intéressaient, telles que la topographie et l armement. Nous faisions toujours beaucoup de sport et je parcourais le 1000 mètres en 3 mn 22. Ce qui me situait en bonne place parmi les copains. A la corde, je grimpais sans difficulté les 10 mètres. Au lancer du poids, j avais fait des progrès : 7 kg 257 à 7 mètres. Pour le saut, ce n était pas terrible, 1m 15 à 1m 20 en hauteur et 3m 50 en longueur. Le dimanche 17 janvier, je retrouve à Paris mon camarade Pierre François qui est venu en permission depuis Coblence en Allemagne où il effectue son service militaire. Ensemble nous déjeunons et dînons à l hôpital St-Antoine. Dans l après midi, nous sommes allés salle Japy dans le 11ème arrondissement pour assister à des matches de basket. A l école, Pierrot jouait au basket et faisait partie de l équipe de Lagny. En soirée, nous sommes allés au cinéma voir «Dortoir des Grandes». Film amusant qui nous rappelait les batailles de polochons dans les dortoirs à l école, à la différence que dans cette histoire il s agissait de filles. Ce soir là, après avoir raté le dernier train à la gare St-Lazare, je me suis rendu au pont de Neuilly où je pensais arriver à temps pour attraper le dernier bus pour Maisons-Laffitte. Pas de chance, j arrive trop tard là aussi, et me retrouve coincé sans moyen de transport. Sans bus et sans métro, j ai donc pris mon courage, non pas à deux mains, mais à deux jambes pour revenir pedibus, à la gare St-Lazare afin d y attendre le premier train pour MaisonsLaffitte et être présent au camp au moment de l appel à sept heures. Je me suis souvenu très longtemps de cette randonnée, seul au cœur de la nuit, sur les boulevards entre le pont de Neuilly et la gare St-Lazare. Le trajet est très long avec de surcroît un temps d hiver, mais engoncé dans ma grande capote militaire, et avec la démarche rapide du fantassin que j été devenu, je n ai vraiment pas souffert du froid. En 1954, on pouvait encore marcher la nuit, seul dans les rues de Paris sans trop d appréhension. Actuellement j hésiterais et je crois même que j y renoncerais. Au cours de mes sorties à Paris en janvier, je suis également allé au cirque d hiver (300 francs l entrée) voir un spectacle au cours duquel il y avait en plus des numéros avec les animaux, les numéros de clown avec Alex Zavatta. Au cinéma j ai vu «jour de Fête» de Jacques Tati, «la vierge du Rhin». Il fallait compter 150 francs en moyenne pour une entrée au cinéma. Je suis même allé salle Pacra près de la place de la Bastille où se produisaient des chanteurs parfois débutants. Les spectateurs étaient souvent des habitués et très exigeants. Ils n hésitaient pas à siffler si le chanteur était mauvais, mais par contre, s il était franchement applaudi, il avait toutes les chances de réussir par la suite. Je me souviens que j allais au pigeonnier, le dernier étage de la salle où les places n étaient pas chères, mais il fallait rester debout pour voir la scène. Visite également au Musée du Louvre que j avais déjà visité une fois avec mon professeur de dessin alors que j étais en 3ème année à l école d Alembert. Les militaires en tenue, bénéficiaient d une réduction importante qui devait être je crois, de 50% sur les transports S-N-C-F. C est pourquoi, je n hésitais pas à aller très souvent à Paris le dimanche et à Marles chaque fois que j obtenais une permission de plusieurs jours.

95 Du mercredi 3 au dimanche 7 mars, je me suis donc retrouvé une nouvelle fois à la maison. Ma mère pouvait maintenant profiter un peu mieux de la vie. Elle vivait avec Baptiste Lhost, qui s était installé définitivement à la maison, et travaillait encore au fond à la mine. Elle percevait la maigre demi-pension de son mari tout en profitant du salaire de Baptiste. A présent, elle n avait plus besoin de faire ses courses à crédit comme ce fut le cas pendant des années. Baptiste est l oncle et parrain de Ginette que j ai épousée plus tard en A la mort de sa mère, l année précédente, Baptiste avait récupéré une armoire et un buffet à deux corps qu il avait apportés à la maison, ce qui permit à ma mère de remplacer le vieux petit buffet bas que j avais toujours connu, et d avoir enfin une armoire digne de ce nom pour ranger ses vêtements. Depuis mon apprentissage de l ébénisterie, je pouvais juger de la qualité du mobilier. A chacun de ces voyages, je ne manquais jamais de rendre une visite à Lucienne, à Simone et à Maurice qui habitaient tous à quelques minutes à pied de la maison. C était aussi parfois l occasion de rester manger avec eux. En allant voir nos voisins Marie et François Jourdain chez qui, entre 13 et 18 ans, j ai passé beaucoup de temps, j ai pu constater qu ils étaient encore parmi les premiers de la rue à acquérir les dernières nouveautés, comme un téléviseur par exemple. C est presque naturellement, un peu comme si je faisais partie de leur famille, que j étais admis à passer la soirée chez eux. Je regardais surtout les spectacles de variétés. De retour au camp, le lundi 8 mars, j ai quitté la tente marabout, pour m installer dans le chalet n 24, bâtiment construit en dur où les chambres étaient plus confortables. Lundi 22 mars, lever à quatre heures pour partir en manœuvres au camp de Mourmelon dans le département de la Marne. Pendant ces deux semaines de manœuvres, nous avons effectué beaucoup de marches de 10, 12, 15, 20 kilomètres. Il y avait bien sûr, les exercices au tir : fusil, grenades, mortiers, également le bazooka. Comme je voulais absolument décrocher les galons de sergent, il n était plus question de tirer au flanc et de me faire porter pâle. C est sur les immenses terrains militaires de Mourmelon, que j ai appris qu une maladie, la myxomatose, décimait tous les lapins sauvages de la région. C était affreux de voir tous ces lapins atteints de la pelade, qui se traînaient avec difficulté pour tenter de s enfuir à notre approche. Tous, finissaient par crever et à la vue de ces nombreux cadavres, nous avions de quoi nous alarmer. On a bien voulu nous rassurer en nous affirmant que la myxomatose n était pas transmissible à l homme, mais par précaution, il valait mieux ne pas toucher les lapins. Les dimanches passés au camp, étaient jour de repos. Il y avait un cinéma le Tipoli où nous avons pu voir les films tels que «winchester 73» ou encore «Ivanhoé». Les places coûtaient 100 francs. Le soir on s offrait aussi un dîner au restaurant pour 250 francs. Parmi les camarades avec qui je sortais, il y avait un sursitaire, guide touristique dans le civil et en plus très bon musicien. Dans un bistrot où nous allions parfois, il y avait un piano. Avec l accord du patron, le copain se mettait au piano et nous pouvions nous amuser à chanter et danser avec les filles qui fréquentaient ce type d établissement, genre piano-bar, où se retrouvaient les militaires en garnison. Quand je dis danser, il s agissait des autres car en ce qui me concerne, j étais incapable de mettre un pied devant l autre. Je me suis juré d apprendre et c est ce que j ai fait un peu plus tard, dès la fin de mon service militaire. Le mercredi 7 avril, le clairon nous réveille à quatre heures, rassemblement à cinq heures, embarquement dans les camions, et à six heures, nous quittions le camp de Mourmelon pour celui de Maisons-Laffitte où nous sommes arrivés à quinze heures.

96 Les trois jours suivants, nous nous sommes reposés. Détente complète au camp : lecture, mots croisés, promenades en forêt, courrier aux amis et à la famille, j écrivais beaucoup. Le samedi soir, pour nous changer de l ordinaire servi à la caserne, avec quelques camarades, nous allions parfois dîner dans un petit restaurant dans le centre ville de Maisons-Laffitte pour 350 francs. Pendant les mois passés au camp de Maisons-Laffitte, comme je l ai déjà dit, j allais souvent à Paris le dimanche. Je me rendais au bistrot «chez Marinette» pour y retrouver quelques camarades de l école d Alembert et manger avec eux à l hôpital St-Antoine où nous étions toujours acceptés. Dans l ensemble, nous les jeunes de l école, étions très estimés par le personnel d intendance du réfectoire et souvent à l entrée, la personne chargée de récupérer les tickets des repas, me laissait passer sans prendre mes tickets. L économie réalisée n était pas négligeable. Le dimanche 11 avril, après avoir déjeuné à l hôpital, nous sommes allés à la Bastille voir la foire à la ferraille et aux jambons qui se tenait sur le boulevard Richard-Lenoir. C était la première fois que je voyais un tel bric-à-brac réunissant au même endroit autant de vieilles choses. Nous avons terminé l après midi dans le grand cinéma Gaumont-Théâtre à regarder le film de Sacha Guitry «Si Versailles m était conté» Très beau film que j ai apprécié et revu plusieurs fois par la suite. Le prix des places ( 350 francs) étaient nettement plus chères qu une place dans un cinéma de quartier. La principale des distractions était le cinéma et voici quelques titres des films qui sortaient pendant cette période : Les Hauts de Hurle vent ; La belle de Cadix avec le célèbre chanteur d opérette Luis Mariano ; Les trois mousquetaires avec Bourvil ; Le chasseur de chez Maxime. Il m arrivait de plus en plus fréquemment d assister seul à des spectacles : à la Comédie Française voir «Tartuffe» de Molière, «un Ami de Jeunesse», et beaucoup d autres pièces, ou encore au caveau de la République voir les chansonniers. Je ressentais vraiment beaucoup de plaisir en assistant à tous ces spectacles très variés, car en plus de la joie qu ils procurent, ils m apportaient énormément de connaissances. Il m arrivait souvent de rentrer au camp vers minuit, une heure, voire trois heures du matin. En écrivant ces lignes, je me rends compte que je sortais beaucoup et que je n hésitais pas à assister à toutes sortes de spectacles. Les 12, 13, et 14 avril, je passe avec succès les épreuves sportives d élève sergent. Le samedi 17 avril, je pars en permission pour une semaine à Marles. Les journées se passent à rendre des visites à la famille. Lucienne, Simone, Maurice. Avec mon vélo qui est entreposé à la maison, je vais également voir les oncles et tantes à Chocques. Je joue aussi aux cartes avec Baptiste Lhost et quelques voisins. Baptiste est un champion de la manille qui se joue à quatre et parfois à deux. Plus jeune il participait à des parties de cartes pour de l argent et selon certains, il était connu pour gagner régulièrement. Comme dans tous les jeux de cartes, il y a un facteur chance dans la répartition des cartes mais il est nécessaire d avoir une bonne mémoire et un esprit de déduction. Dimanche 25 avril, retour au camp de Maisons-Laffitte avant minuit. Tous les matins de la semaine suivante, compte tenu de mes bons résultats au tir pendant le peloton de sergent, j ai été sélectionné pour aller m entraîner au tir au fusil et au révolver, en prévision du championnat de tir militaire. L entraînement avait lieu, non pas au camp, mais dans un stand de tir de Maisons-Laffitte. Le 30 avril au concours de tir interne, j étais bien placé pour continuer.

97 Le lundi 3 mai, c est un grand jour pour moi. Nommé au grade de sergent, j ai droit à une chambre individuelle que je m empresse d occuper au rez-de-chaussée d un petit bâtiment de type bungalow, bien situé dans la verdure du camp. Seul dans une chambre relativement spacieuse, la vie est différente. Je me retrouve un peu comme à l hôtel. Lorsque je ne suis pas de service, surtout le dimanche, je peux faire une grasse matinée sans être dérangé par le va-et-vient des copains dans une chambre collective. Désormais, je vais au mess des sous-officiers où les repas sont améliorés et l ambiance nettement plus calme. Le soir je peux m attarder dans la salle de jeux, à regarder la télévision, à jouer au billard, au baby-foot, ou encore au ping-pong. C est aussi le début d un travail plus intéressant. Les journées des 4, 5, et 6 mai sont occupées par l accueil des nouvelles recrues, et la formation de la 6ème section à laquelle je suis attaché comme sergent adjoint au chef de section. Le dimanche 9 mai, je vais à Paris et pour ne pas changer, je vais déjeuner et même dîner à l hôpital St-Antoine avec les camarades. Ce jour là, je retrouve Pierre François qui est revenu vivre au Faubourg St-Antoine après avoir terminé depuis avril son service militaire à Coblence. Ensemble nous allons à la foire du Trône place de la Nation, et ensuite au cinéma le Cyrano voir «Avant le Déluge». Avec Pierrot, nous entretenions d ailleurs une correspondance assez suivie pendant ses dix huit mois de service militaire. Né en mars 1932 il avait été appelé en octobre 1952, donc libérable 6 mois avant moi. Le lundi 10 mai commence l instruction des jeunes recrues, avec les tests et leurs corrections, ce qui nous prend toute la semaine. Le samedi 15 mai, jour de paie. C est là que l on apprécie les avantages d un galon supplémentaire. Je perçois désormais 888 francs avec toujours les six paquets de cigarettes et un paquet de tabac gris que je continu de vendre 200 francs. Ce pécule m aide à payer mes sorties. Sergent instructeur, j ai choisi les spécialités que j aimais bien et dans lesquelles je me débrouillais facilement : l armement, l orientation et l observation. Le vendredi 21 mai à dix-sept heures, pour la première fois, j assure la garde comme chef de poste pour vingt-quatre heures, dans le bâtiment à l entrée du camp. Malgré une petite appréhension, la nuit et la journée se déroulent sans difficulté. Il faut filtrer toutes les personnes civiles qui se présentent à l entrée, les renseigner, les diriger, ou les refouler si nécessaire, organiser les relèves des soldats qui assurent la garde surtout celle très importante de l armurerie. Par la suite, les permanences comme chef de poste étaient assurées par roulement, tantôt la nuit, tantôt la journée. En même temps je continuais l instruction des nouveaux appelés du contingent, et j ai été surpris de constater, que dans ma section il y en avait plusieurs qui savaient à peine lire et écrire. J avais du mal à comprendre, car apparemment ils semblaient n avoir rien retenu de leur passage à l école primaire. Parallèlement à mes nouvelles fonctions, je poursuivais toujours mon entraînement au stand de tir de Maisons-Laffitte pour le prochain concours de tir militaire.

98 Le jeudi 3 juin, je pars en permission pour quatre jours, afin d assister au mariage de mon frère Henri. Ce soir là, j ai réussi à attraper un train à dix-sept heures à la gare du Nord et arriver sans difficulté à la maison vers vingt heures quarante-cinq, car à Béthune, le trafic vers Marles fonctionnait encore. Le samedi 5 juin, Henri épouse Hortense Leveau à la mairie de Marles les Mines et à l église ensuite, en présence des membres de chaque famille et des amis. Mariage intime car pour des raisons probablement économiques, après le traditionnel vin d honneur, douze personnes seulement se sont retrouvés pour le repas de noces chez les parents d Hortense 116 rue Pasteur à Marles. Parmi les proches d Henri, il n y avait que notre mère avec Baptiste Lhost et moi comme témoin. Malgré les modestes moyens, le mariage a été bien arrosé et s est achevé vers quatre heures du matin. Photo prise devant la maison des parents d Hortense rue Pasteur et sur laquelle on m aperçoit avec Jacqueline la femme de mon frère Maurice. Derrière nous, se trouve ma sœur Lucienne et son mari Maurice Marquis. Ma mère est entre les mariés Henri et Hortense. Pour la petite histoire, le grand-père paternel d Hortense, Henri Leveau a été le maire de Marles de 1929 à 1945, et le grand-père paternel de Ginette, Jean-Baptiste Lhost a fait parti du conseil municipal de 1929 à Après son mariage, Henri a habité chez les parents d Hortense pendant plusieurs années, avant d obtenir une maison aux houillères nationales dans le haut de la rue d Anvers, à quelques mètres de la maison de Maurice et de celle de notre mère Marie.

99 Comme l année précédente, l armée organise en juin un pèlerinage militaire à Lourdes. Avec mes camarades séminaristes, nous nous sommes une nouvelle fois inscrits, en payant une participation de 2760 francs. Le vendredi 11 juin, départ à dix-huit heures de la gare d Austerlitz. Après les arrêts en gare d Orléans, Angoulême, Bordeaux, Dax, Pau, nous avons fini par arriver à Lourdes le lendemain matin à sept heures. Installation au camp de toile sur les collines qui surplombent Lourdes, visite de la grotte. L après-midi de 13 à 19 heures, nous nous sommes promenés sur les collines et avons escaladé le mont Bréout qui domine Lourdes. De là-haut, nous avions une vue magnifique sur le gave de Pau. Le soir j ai participé à la procession avec la retraite aux flambeaux. Spectacle toujours aussi impressionnant et émouvant par la ferveur qui s en dégage. Le dimanche, je participe au chemin de croix et j assiste à la messe dirigée par le cardinal Feltin sur le parvis de la basilique. En début d après-midi j assiste à une conférence sur Lourdes et ensuite je visite la ville. Le lundi 14 juin à 9 h 30, avec plusieurs camarades, nous partons en car pour une excursion à Gavarnie : 400 francs pour la journée. Me voici au centre de la photo en compagnie de deux camarades séminaristes. A droite, André Gueret, ordonné prêtre le 15 février 1958 à la Sté des Missions Africaines de Lyon. En arrivant à Gavarnie, nous avons loué des chevaux pour parcourir la piste qui conduit au cirque en longeant le gave de Pau. Parmi les jeunes militaires pèlerins en excursion avec nous, il y en avait quelques uns qui appartenaient à un régiment de spahis, et pour le temps d une photo, mon appareil kodak ne me quittait jamais, ils ont accepté de nous prêter leur belle cape blanche. Nous nous sommes amusés comme des enfants, à escalader quelques rochers au pied de la grande cascade, et à se bombarder de boules de neige. Nous sommes rentrés au camp à 17 heures très heureux d avoir passé une journée magnifique. A dix-neuf heures, nous reprenions le train pour Paris et le lendemain 15 juin à dix heures trente, nous étions de retour au camp, fatigués mais en ce qui me concerne, très heureux d avoir revu cette belle région des Hautes-Pyrénées. De plus en plus, je me sentais attiré par les voyages. Des voyages, j allais en faire quelques-uns, et plus vite que j aurais pu l imaginer.

100 En 1954, c était la guerre en Indochine-Française, et il fallait expédier des renforts. Le 3ème régiment d infanterie coloniale auquel j appartenais, était tout désigné pour être expédié en Asie. Le lundi 21 juin à neuf heures, à jeun depuis la veille, nous avons subi une piqûre T-A-B, et le droit de nous reposer. Les évènements s accélèrent car le samedi 26 juin, nous sommes transférés au camp de Satory à Versailles, pour être affectés à la 9ème compagnie du 3/16 RIC. Mon petit confort a disparu, nous sommes plusieurs sous-officiers par chambre et elles ne sont pas très propres, ce qui est presque normal paraît-il puisque ces bâtiments servent actuellement de transit aux régiments qui se reconstituent avant leur départ pour les colonies. Mais le plus repoussant, c était et de loin, les punaises dans les lits, je devais faire la chasse chaque soir avant de m allonger. Malgré les précautions, il était fréquent d en trouver une ou deux écrasées dans les draps le matin au réveil, et c était répugnant car une punaise écrasée dégage une odeur nauséabonde vraiment désagréable. Nous devons nous débarrasser de toutes nos affaires personnelles civiles en prévision de notre prochain départ. Le samedi 3 juillet, je vais donc à Marles afin d y porter les quelques objets et vêtements que j avais gardées. Mes deux valises étaient lourdes à porter et c est en taxi (250 francs) que je suis allé de la gare des Invalides à la gare du Nord. Le dimanche, je vais rendre une visite à mes sœurs et frères et les prévenir que je ne reviendrais pas avant plusieurs mois. En fin d après-midi, je reprends le train à Marles pour être au camp à Versailles à minuit. Le samedi 10 et dimanche 11 juillet, nous avons encore quartier libre. Avec mes copains séminaristes, nous partons le samedi en stop de Versailles à Chartres dans l Eure-et-Loir. Le soir, nous sommes accueillis au grand séminaire et nous couchons dans les chambres des jeunes séminaristes en vacances, chambres qu il vaut mieux appeler cellules individuelles par leur exiguïté. Le dimanche, nous prenons le petit déjeuner et le repas du midi avec les prêtres. Un Père nous sert de guide pour une visite complète de la cathédrale y compris les tours et la crypte. Je dois reconnaître que c est fantastique de pouvoir visiter ce monument aussi prestigieux, joyau de l art gothique, dans de telles conditions. Nous étions seuls avec le guide et j ai pu profiter et apprécier pleinement toutes ses explications. Nous avons payé 300 francs chacun pour une participation aux frais : draps et repas, c était tout simplement formidable. Nous avons ensuite visité un peu la ville de Chartres avant de reprendre la route, toujours en stop jusqu à Versailles. Je n ai jamais oublié cette promenade à Chartres qui fait partie de mes bons souvenirs. Le mercredi 14 juillet, nous étions consignés à la caserne afin de terminer les derniers préparatifs à notre départ fixé au lendemain. Pour marquer ce jour de fête nationale, le midi au mess nous avons eu droit à un repas amélioré que j ai qualifié d excellent, comparé aux repas habituels.

101 Campagne militaire en Tunisie Jeudi 15 juillet, réveil en fanfare à trois heures et départ du camp de Satory à quatre heures trente. Embarquement dans des wagons à bestiaux avec notre sac à dos, et départ du train à six heures vingt pour Marseille où nous sommes arrivés après vingt-huit heures de trajet. Notre train n était certainement pas prioritaire car les arrêts étaient fréquents et parfois très long sur des voies de garage dans les gares traversées telles que : Sens, Dijon, Châlons-surSaône, Lyon, Pont-Saint-Esprit, Avignon. Malgré l absence totale de confort, nous avions juste la place pour nous allonger afin de pouvoir dormir un peu sur le plancher du wagon, j ai quand même apprécié le voyage pendant la journée. En effet, il faisait très beau et j étais souvent assis sur le bord des portes grandes ouvertes. La vitesse du train n était pas excessive et je pouvais admirer la diversité des paysages qui défilaient sous mes yeux. Dès notre arrivée à la gare Saint-Charles, on nous a convoyés au camp militaire SainteMarthe, situé sur les hauteurs de Marseille où nous avons passé le reste de la journée et la nuit. Du camp, je me souviens surtout de la vue magnifique que nous avions sur la ville et la mer. Samedi 17 juillet, réveil à cinq heures et départ du camp à sept heures pour le port. Nous avons embarqué sur un grand paquebot le «Ville d Oran». C était la première fois que j approchais un bateau de cette taille et j étais assez impressionné en grimpant la passerelle pour monter à bord. Comme tous les autres sergents, nous avons eu l agréable surprise d être logé en cabinedouble de troisième classe touriste. Après avoir déposé mes affaires dans la cabine, il fallut s occuper à installer le reste de la section. A dix heures, après les traditionnels coups de sirènes, le paquebot libéré de ses amarres et tiré par un remorqueur pour le faire pivoter, se détachait du quai. J ai passé beaucoup de temps sur le pont à observer les manœuvres pour sortir du port de Marseille. Comme il faisait beau avec un ciel dégagé, j ai pu apercevoir et prendre des photos de l île d If avec son château rendu célèbre par les personnages légendaires du roman d Alexandre Dumas père «le Comte de Monte-Cristo». Avec les jumelles très puissantes que l on m avait attribuées, j ai pu suivre les côtes que le bateau a longées pendant un bon moment, et qui finirent par s éloigner progressivement pour disparaître totalement. Nous étions au large, il n y avait plus que le ciel et la mer. La deuxième grande surprise arriva lorsqu avec mes camarades sous-officiers nous fûmes invités à prendre nos repas au restaurant, partageant les mêmes tables avec les passagers civils, et servis comme eux avec les mêmes égards, par un personnel stylé. Militaire, j étais époustouflé par la façon d être accueilli à bord de ce paquebot, j avais l impression de partir au loin pour des vacances.

102 J ai d ailleurs conservé en souvenir, les menus des quelques repas pris pendant la traversée. Ces menus étaient imprimés sur des cartons très joliment décorés de la compagnie transatlantique. Par contre, les camarades simple-troufions, étaient moins bien installés, groupés sur les ponts inférieurs, ils ne bénéficiaient pas du même confort pour dormir et devaient également se contenter de l ordinaire pour repas. Comme je ne pouvais rien changer au système hiérarchique préétabli, je me suis contenté d apprécier le moment présent et de me dire une fois de plus, que finalement les galons avaient du bon, même si dans mon cas, il ne s agissait que de modestes galons de sergent. Nous avons fini par apprendre que nous allions en Tunisie pour une campagne de maintien de l ordre. Des négociations étaient en cours pour accorder une indépendance complète à la Tunisie, mais suite à des actes de terrorisme, il fallait des renforts militaires pour assurer la sécurité des Français très nombreux à vivre dans ce pays. Au moment de mon transfert de Maisons-Laffitte au camp de Satory à Versailles, il y avait des rumeurs qui circulaient sur une éventuelle expédition de mon régiment au Viêt-Nam en Indochine. C était la guerre là-bas depuis plusieurs années et comme appelés, nous aurions été affectés dans les grandes villes en remplacement des militaires de carrières, pour leur permettre de renforcer ceux qui combattaient l armée Viêt-Minh. J ai appris ensuite que ce voyage n avait plus aucune raison d être, puisque des négociations étaient en cours à Genève pour un armistice. Le cessez-le-feu intervint d ailleurs le 27 juillet, c est-à-dire peu après mon arrivée en Tunisie. Malgré ma prédilection pour les voyages lointains, j étais nettement plus heureux d apprendre que nous allions en Tunisie plutôt qu en Indochine, car selon les informations, les combats étaient violents et beaucoup de militaires français étaient tués ou prisonniers. Bien que navigant sur une mer plutôt calme, on ressent toujours les mouvements inévitables des roulis et tangage du bateau. Pour mon premier voyage en mer, je n ai pas trop souffert de ces désagréments et j ai même réussi à bien dormir. En juillet, le soleil se lève tôt et dès que j ai entendu les haut-parleurs annoncer que les côtes de Tunisie étaient en vue, je suis vite monté sur le pont avec mes jumelles pour ne rien perdre du spectacle. En effet, une fois dans le golfe de Tunis, le bateau longe la côte un long moment avant d entrer dans le chenal de la Goulette qui conduit au port de Tunis. Sur le parcours on pouvait apercevoir Carthage avec les vestiges de la ville antique. Le voyage fut donc très agréable jusqu à Tunis où nous avons accosté à huit heures le dimanche matin après vingt-deux heures de traversée. Après le débarquement, nous avons installé notre campement au stade national de Tunis. Le lendemain après-midi 19 juillet, nous sommes allés nous installer dans le camp militaire de Servière à 25 kilomètres au sud-est de Tunis. Rien n était préparé pour nous recevoir, nous avons passé la nuit à la belle étoile. Le mardi 20 on nous donne enfin des tentes marabout qu il nous faut monter pour passer la nuit. Nous percevons des vêtements adaptés au climat : short, chemisette, pantalon de toile légère. Le 23, démontage de la grande tente marabout et installation dans une tente individuelle. Le samedi 24, le clairon nous réveille à quatre heures pour notre départ du camp. Démontage de ma tente qu il faut bien plier et ranger dans son sac. Avec armes et bagages, nous effectuons à pied deux kilomètres pour nous rendre à la gare et bien sûr, sans être informé du lieu où nous allons. Nous découvrons notre destination au moment de notre arrivée. C est paraît-il toujours comme ça à l armée, seul les officiers sont dans le coup. Nous passons la journée dans un train réquisitionné pour la circonstance, et après de nombreux arrêts, nous arrivons dans la gare de Mahdia à seize heures trente. Je pense alors qu il s agit là d un arrêt de plus mais on nous annonce que c est le terminus de notre voyage pour notre compagnie. A pied, nous allons nous installer en ville dans la cour de l école «Eugène Lumboso». Nous installons notre tente marabout et nous dormons sur le sable ce

103 qui n a rien de confortable mais ce n est pas nouveau non plus. Le lendemain, nous allons sur la plage de Mahdia ramasser du varech, le plus sec possible pour rembourrer des sacs en grosse toile que l on appelait sacs à viande, et qui vont nous servir de matelas. Le varech est une algue que la mer abandonne sur la plage à marée basse. La première nuit, on l apprécie, c est plus moelleux qu un sol même de sable, mais ensuite le varech se met en boule et attention aux courbatures le matin au réveil. Ce Dimanche 25, après les recommandations d usage, nous avons reçu l autorisation de faire un tour en ville. Pour notre première sortie dans ce pays inconnu, il était plus prudent d être à plusieurs et ne pas nous aventurer trop loin. J en ai profité pour donner à développer chez un photographe du quartier, les photos que j avais prises depuis mon départ de Marseille. Le lundi 26 juillet, je fais un peu de courrier à la famille et à quelques camarades de l école d Alembert, dont Robert Raymond qui effectue également son service militaire en Tunisie, à Bizerte, grande ville portuaire au nord de Tunis, mais surtout port militaire et base navale, utilisée par l armée française. Je sors aussi pour aller récupérer mes photos que j ai payées 380 francs. Comme le tirage était de bonne qualité, c est dans cette boutique que j ai acheté et fait développer toutes les pellicules pendant mon séjour à Mahdia. Mon appareil Kodak de l époque, acheté en juillet 1951 faubourg St Antoine à Paris, était simple, repliable avec soufflets mais n utilisait que des pellicules de huit photos en noir et blanc. Le vendredi 30 juillet, la compagnie déménage pour s installer dans une autre école. Les salles de classe nous servent de dortoir et dans lesquelles il fait nettement moins chaud que sous la tente surchauffée par le soleil brûlant. Nous dormons toujours sur les matelas rembourrés de varech mais posés à même le sol carrelé. Une fois de plus, le privilège du grade, gratifia les sous-officiers d un lit de camp, ce qui me permit de mieux dormir. Les repas se prenaient dehors, la nourriture n était ni suffisante ni appétissante, il fallait vraiment avoir faim pour l avaler, car en plus, il fallait se battre avec les nuées d énormes mouches vertes qui s abattaient et recouvraient notre assiette. Je n avais jamais vu autant de mouches réunies au même endroit, c était épouvantable et écœurant au point de vous couper l envie de manger. De midi à quinze heures, il fait tellement chaud, que la sieste est nécessaire et même recommandée. Les fenêtres et les volets sont fermés afin d obtenir un peu de fraîcheur. Des centaines d insectes volant et bourdonnant dans une salle, c est désagréable et insupportable pour les oreilles. Pour pouvoir se reposer dans le calme, il fallait donc vaporiser un insecticide, sortir de la pièce, attendre un moment et balayer le sol recouvert d un tapis de mouches mortes. Cet exercice devait être répété midi et soir. Il y avait une explication à cette invasion de mouches. Mahdia est un port de pêche avec des conserveries de sardines. Ces conserveries rejettent à la mer tout ce qui n est pas mis en boîte, et j ai été surpris de voir dans quel état de saleté repoussante se trouvaient les bords de mer sur tout le côté industriel de la ville. Des milliers de têtes de sardines surnageant et dégageant des relents nauséabonds. Heureusement sur l autre côté de la ville il n y avait pas d usine et la mer était très propre. Le contraste était surprenant, il y avait une très belle plage où l on pouvait se faire dorer et se baigner. J étais surpris de constater que debout dans la mer jusqu aux épaules, on apercevait le sable fin tellement l eau était claire et transparente. Pendant les moments de détente nous étions autorisés à aller à la plage mais à condition d y aller nombreux et d assurer notre sécurité. Nous devions installer des guetteurs avec fusils mitrailleurs en position de tir de chaque côté de l espace de plage où nous étions allongés. En plus des nuées de mouches qui nous harcelaient de leur bourdonnement, il y avait

104 également de nombreux scorpions et de très grosses araignées affreuses à voir. Avant de s asseoir sur le sol il fallait toujours s assurer qu il n y avait pas une de ces dangereuses bestioles qui traînait. Chaque matin, avant d enfiler mes chaussures, je les secouais bien et en plus, j inspectais l intérieur. Plusieurs camarades se sont fait piqués, c est très douloureux et sans être mortel, le venin injecté par ces piqûres donne une forte fièvre qu il faut soigner rapidement Vieux pays, la Tunisie a vu au cours des siècles, se succéder des civilisations diverses. Elle fut très longtemps une province de l empire romain et Mahdia en a conservé quelques traces. A vrai dire peu de chose, juste quelques fondations d habitations avec salle de bain tout en mosaïque murale et aussi des canalisations qui amenaient l eau courante dans la maison. C était quand même surprenant de tomber par hasard, au cours de patrouilles le long de la côte rocheuse, sur ces rares vestiges à ciel ouvert et laissés à l abandon sans aucune indication ni protection pour les conserver, à croire que cela n intéressait personne. Quelques siècles plus tard, après l époque romaine, le port de Mahdia devint un repaire pour les corsaires qui sillonnaient la Méditerranée, pour ensuite tomber en léthargie. Cette petite ville tout en longueur, forme une pointe qui s avance dans la mer. Un fort construit à l extrémité de cette pointe, témoigne de son passé de place forte sur le pourtour méditerranéen. C est actuellement un petit port de pêche qui vit paisiblement de ses conserveries. Les jours de marché étaient assez pittoresques. Les gens qui avaient quelque chose à vendre, s installaient un peu n importe comment, là où ils pouvaient. Rien n était ordonné comme sur les marchés français. Les paysans venaient parfois de très loin avec leur âne bâté vendre leurs produits et il y avait beaucoup d animation. Un jour de marché, le 6 août, alors que j étais de service en patrouille, je me suis amusé à grimper sur le dos d un dromadaire, et je dois reconnaître que ce n est pas très confortable. Plusieurs commerces étaient tenus par des Français installés depuis très longtemps dans cette petite ville. Dans le fort situé à l extrémité de la pointe, il y avait un restaurant français où je suis allé à plusieurs reprises avec quelques camarades. C est d ailleurs dans ce restaurant que j ai fêté le dimanche midi 8 août, mes vingt-deux ans. Sortir d une salle relativement fraîche du restaurant et marcher ensuite sous un soleil de plomb, c était l insolation assurée. Comme des pachas, c est en calèche, protégés du soleil par la capote, que nous sommes rentrés au camp, et cela nous amusa beaucoup.

105 Nous sommes allés également manger dans des restaurants tunisiens et dans lesquels nous étions malgré tout, très bien reçus. De toute façon, quelque soit le restaurant où nous allions, toujours à plusieurs, nous restions sur nos gardes. A table, on s installait pour avoir en permanence un œil sur toutes les issues et pouvoir réagir rapidement avec nos armes. Avec la chaleur, il valait mieux ne pas boire d alcool dans la journée. Sans être porté sur les boissons alcoolisées, il m arrivait le soir en jouant aux cartes de boire un petit vin rosé de pays très doux. Frais et fruité, ce rosé se buvait facilement, et quand la partie s arrêtait vers vingttrois heures ou minuit, nous avions parfois dépassé la dose sans nous en rendre compte. Je me souviens que les coteaux, que l on apercevait au loin sur les hauteurs de Mahdia, étaient couverts de vignobles produisant ce délicieux vin rosé. Cela fait partie des bons souvenirs que j ai conservés de cette petite ville. Après trois semaines passées à Mahdia, je me risque à sortir seul en ville pour aller chez un coiffeur tunisien. Assis le dos tourné à la porte, mais face aux miroirs fixés au mur, je pouvais surveiller l entrée et la rue. Je conservais également un œil sur le coiffeur manipulant son rasoir, en gardant la main droite sur l échancrure de ma chemise dans laquelle j avais caché mon révolver. Je me faisais peut-être beaucoup de cinéma car les habitants n avaient rien d hostile dans leur attitude, et je crois que dans l ensemble, ils appréciaient les militaires surtout les commerçants qui réalisaient de bonnes affaires. Le jeudi 12 août, tôt le matin, la compagnie part en tournée d inspection dans les villages très retirés à l intérieur des terres. En fin de matinée, pendant que nous roulions sur une route caillouteuse, j aperçois au loin un édifice qui se dresse au milieu d une plaine immense, quasi désertique, et autour, des maisons basses aux toitures en terrasse. Il s agit du village d El-Djem et de son Colisée Romain du IIIème siècle. En approchant, j ai d abord été très impressionné par l imposante construction en ruine, ensuite vraiment intéressé par l architecture et la conception de cet Amphithéâtre. Je connaissais pour l avoir appris en histoire de l art, l existence de ces colisées construits par les Romains un peu partout dans les pays qu ils ont colonisés, mais le matin en partant, je ne m attendais pas à en découvrir un dans un tel endroit. Bien entendu, j ai pris quelques photos et acheté tout un lot de cartes postales à expédier, mais aussi pour compléter ma collection. Nous avons pique-niqué assis sur les grosses pierres. J étais fasciné par ce que je voyais, j ouvrais grand les yeux, j oubliais la raison pour laquelle je me trouvais là. Nous avons pris le temps de parcourir l intérieur, afin de visiter la fosse aux lions et les galeries étagées.

106 Comme je ne comprenais pas pourquoi certaines parties de la construction étaient intactes et d autres complètement démolies, on m a donné un début d explication. Pendant les siècles précédents, les maisons des villages environnants ont étaient construites avec les pierres arrachées au colisée. Lorsque je l ai visité, depuis bien longtemps déjà, il était interdit d enlever la moindre petite pierre. Actuellement il est en partie restauré pour garder son aspect de ruines, en bon état de conservation. Rentré à Mahdia, j avais l impression d avoir fait du tourisme plutôt que du maintien de l ordre. Lorsque j étais de service et que je devais, comme chef de patrouille, effectuer des rondes dans la ville pendant deux heures, nous n étions jamais nombreux, six voir sept personnes maximum. Lorsque la nuit était tombée, sans être vraiment inquiet, nous devions malgré tout, rester très vigilants, surtout dans certains quartiers aux rues étroites, à la merci de gamins nous balançant quelques pierres depuis les toits en terrasse, ou encore de tireurs isolés, embusqués eux aussi sur ces toits. Il y avait à Mahdia deux maisons closes dans lesquelles officiaient de nombreuses prostituées de plusieurs nationalités dont quelques Françaises et Espagnoles. Au cours de mes patrouilles, effectuées en première partie de soirée, en passant devant ces maisons closes, je m arrêtais pour m assurer que tout était calme, car il faut ajouter que ces lieux étaient également fréquentés par de nombreux militaires. Souvent j étais invité à l intérieur où je me reposais un bon quart d heure, tout en dégustant un thé que l on m offrait. On nous proposait également de passer un moment agréable avec les filles, moyennant finance bien sûr, mais là, concernant ce genre de relation, j ai toujours refusé, car j avais retenu de mes cours d instruction, qu une maladie vénérienne pouvait vous gâcher la vie des années durant. Ces visites aux deux bordels égayaient un peu nos patrouilles nocturnes. Dans cette paisible petite bourgade, ce qui m a toujours surpris, c est de voir très souvent, des hommes plus ou moins âgés, en djellaba blanche, accroupis à l ombre des murs, qui semblaient totalement désœuvrés en fumant la pipe. Comme l ombre se déplaçait avec le soleil, on trouvait ces mêmes hommes assis d un côté de la rue le matin, et de l autre côté en fin d après-midi. Cela me faisait sourire. Le plus gros du régiment se trouve à Sousse qui est une grande ville portuaire à une cinquantaine de kilomètres au nord de Mahdia. Pour approvisionner la compagnie en nourriture et en matériel, il fallait régulièrement se déplacer en camion jusqu à Sousse. J étais assez souvent de service pour escorter les convois. J aimais bien ces déplacements car la route longe la mer et le voyage n était pas désagréable. Il fallait être vigilant, mais nous n avons jamais eu besoin d utiliser les armes. Samedi 14 août, l ensemble de la compagnie fait un aller-retour à Sfax pour une prise d armes, mais je ne sais plus qui ou quoi était honoré ce jour là. Sfax est également une grande ville portuaire à quatre-vingts kilomètres environ au sud de Mahdia. Je n ai pas eu le temps de visiter la ville, mais en la traversant en camion, j ai pu constater qu elle était très grande et très belle. En Tunisie la plupart des grandes villes sont implantées sur le littoral, et celles que j ai pu visiter rappelaient un peu les villes de province en France, par l architecture des constructions et leurs rues commerçantes, surtout dans les quartiers dits «centre-ville». L ensemble de la compagnie effectue souvent des marches de nuit d une vingtaine de kilomètres en guise de patrouille dans les environs de Mahdia. Nous dormons à même le sol et rentrons au petit matin. C est au cours de ces nuits passées à la belle étoile que j ai pu observer le ciel constellé d étoiles, toutes plus brillantes les unes que les autres et admirer la voie lactée, cette longue bande d une lueur blanchâtre. C est également au cours de ces nuits, que j ai aperçu le plus d étoiles filantes. Finalement, c est quand on est allongé sur le dos à observer le ciel la nuit, que l on se pose beaucoup de questions sur la terre, l univers, bref sur la vie en général.

107 C est au cours de ces patrouilles que j ai appris à manger des pastèques. Je ne connaissais pas ces gros fruits à la peau verte. Nous marchions souvent le long de champs remplis d énormes pastèques et il m est arrivé à plusieurs reprises d en cueillir une. Leur chaire rouge très juteuse était un vrai régal, et surtout désaltérante, ce qui est appréciable quand on marche longtemps. En maraudant ces pastèques, on se permettait quelques libertés au grand dam des producteurs locaux, mais comme on dit, pas vu, pas pris. Me voici au deuxième plan à droite et assis à ma gauche Marcel Lebris, séminariste. Moments de détente sur la plage de Mahdia ce 4 septembre, avec quelques camarades, sous la protection d autres camarades en armes positionnés le long des maisons. On peut remarquer que le sable est envahi de boules de varech. Il n y avait aucun civil français à la plage et, curieusement pas plus d autochtones d ailleurs. Peut-être que les évènements politiques du moment n encourageaient pas les gens à fréquenter la plage ou que la mode en Tunisie n était pas encore aux bains de mer. Dimanche 5 septembre, avec trois autres copains sergents, nous prenons un véhicule quatrequatre et allons à Sousse où nous sommes invités au bal des sous-officiers organisé par les civils. Partis dans l après-midi, nous roulons en nous promenant le long du littoral, passons à Monastir que nous visitons au passage. Monastir est la ville où est né et habitait Bourguiba, l homme politique et artisan principal de l indépendance de la Tunisie C est aussi à cause de lui que je me trouvais dans ce pays. Lorsque Bourguiba est devenu président de la république tunisienne en 1957, il n a plus voulu quitter le pouvoir et s est ensuite fait élire président à vie avant d être destitué en En arrivant à Sousse, nous avons visité la ville, et profité du beau temps pour déguster des boissons fraîches aux terrasses de cafés. Nous sommes allés ensuite, dîner au restaurant (330 francs) avant de nous rendre à la soirée dansante. Par la suite, on m a expliqué que cette soirée était organisée de temps à autre pour permettre à des jeunes filles à marier de rencontrer des jeunes effectuant leur service militaire. C était pour les parents présents dans la salle, un moyen de trouver un prétendant à leur fille afin qu elle puisse retourner vivre en métropole. Ce soir là, j ai une fois encore, regretté de ne pas savoir vraiment danser, mais je me suis quand même lancé sur la piste, tant pis pour les faux pas et quelques pieds écrasés. Je me suis promis d apprendre dès mon retour à Paris. Rentrés à Mahdia à cinq heures du matin, nous étions satisfaits de cette agréable soirée.

108 Mardi 7 septembre, avec mon groupe, j assure le service de garde au poste de police de Mahdia. Ce jour là, je fais une découverte étonnante. En discutant avec le brigadier français, nous nous apercevons que nous sommes tous deux du Pas-de-Calais, mais le plus drôle de l histoire, c est quand il m apprend qu il est proche parent de Marie et François Jourdain mes voisins rue d Anvers à Marles, chez qui, j ai dormi pendant des mois à l âge de treize, quatorze, quinze ans. Je lui citai beaucoup de noms des membres de la famille Jourdain que j avais eu l occasion de rencontrer et il était très heureux de me dire, oui, celui-là c est mon cousin, celle-là, c est ma belle-sœur. Ce brigadier je l avais rencontré à plusieurs reprises depuis mon arrivée à Mahdia, mais nous n avions jamais eu l occasion de bavarder et de faire vraiment connaissance. Dans ce même commissariat, il y avait surtout des policiers tunisiens, et l un d eux particulièrement sympathique et pro-français, m avait invité un soir chez lui, avec deux autres camarades sergents ainsi que le brigadier français originaire du Pas-de-Calais, pour un pot de l amitié. Habituellement, les femmes musulmanes ne participent pas à ce type de réunion, pourtant ce soir là, un fait rare pour être souligné, le policier tunisien à fait venir sa femme pour nous la présenter. Très belle et sans voile, nous avons pu bavarder un moment avec elle. Mercredi 15, dans une boutique de Mahdia, j achète une valise 1380 francs, très résistante en métal, que j ai toujours 56 ans plus tard, et deux petits tapis pour 1400 francs, afin de pouvoir les rapporter facilement en France.

109 Dimanche 19 septembre, avec le capitaine Moos et un copain, André Grosshans, nous partons en jeep pour la journée à Kairouan, distante d une centaine de kilomètres de Mahdia. Kairouan avec ses nombreuses mosquées est la plus grande ville Sainte de Tunisie, et la quatrième de l Islam. C est aussi une ville réputée pour la fabrication de ses tapis. Je crois qu il était interdit de s y promener avec nos armes, nous les avons donc laissées au chauffeur qui lui, est resté avec la jeep dans un endroit protégé par l armée. Nous prenons le temps de visiter trois mosquées, ce qui me change des cathédrales visitées en France avec mes copains séminaristes. Ensuite, le capitaine nous offre un bon repas au restaurant avant de faire le tour des marchands de tapis. En venant à Kairouan, le capitaine avait surtout l intention de faire de bonnes affaires en trouvant de vrais tapis d orient pour les envoyer à sa femme en France. Avant de discuter affaires, les commerçants commencent par nous offrir le thé, que nous avons accepté, afin de respecter leur tradition. Ce qui m a frappé, c est tout le cérémonial qui l accompagne, dont cette façon amusante de le verser et de le servir dans de toutes petites mais très jolies tasses. J ai bien sûr, bu le thé, mais il était très épicé et n avait rien à voir avec le thé que je buvais parfois en infusion le soir quand je m attardais chez Marinette près de l hôpital St-Antoine. Après avoir visité plusieurs boutiques, le capitaine trouve enfin ce qu il cherchait et se décide à acheter plusieurs tapis, très beaux et très chers, qui seront expédiés directement chez lui en France. Je profite de l occasion, moi aussi, pour en acheter trois afin de les offrir à la famille avec les deux déjà achetés à Mahdia, mais compte tenu de mes faibles moyens, les tapis choisis sont moins grands et d une qualité quelconque. Un tapis mural à 3000 francs, et deux plus petits à 500 et 350 francs. Ces tapis se roulent bien et je les emporte car leurs prix modestes, ne permettaient pas de bénéficier d un envoi en France. Le plus grand des tapis que j ai offert à ma mère, est resté accroché au mur dans la pièce de devant pendant de nombreuses années. Le plus drôle dans cette histoire, c est que j ai appris par la suite que ces tapis achetés en Tunisie, avaient été fabriqués à Roubaix, et vendus en laissant croire aux naïfs qu ils étaient de purs produits locaux. Nous avons ensuite récupéré notre jeep et son chauffeur, nos armes, et sommes rentrés à Mahdia à dix-huit heures sans être inquiétés sur la route. Je ne me souviens plus des raisons qui ont amené le capitaine à m inviter dans sa virée à Kairouan, mais par contre j ai conservé un excellent souvenir de cette magnifique journée d escapade avec lui et de sa gentillesse. J ai profité de justesse de cette sortie touristique dans une ville que je n aurais probablement jamais connue, car une semaine plus tard, je quittais la compagnie pour être réexpédié en France. En effet, le mardi 21 septembre, je range mes affaires militaires dans mon grand sac en toile épaisse et rends le tout au fourrier. Je passe ensuite une bonne partie de la journée à lire et à

110 me promener. Ce jour là, nous avons déploré le premier et aussi le seul décès à la 9 ème compagniependant ma campagne tunisienne. Rien à voir avec les indépendantistes, mais suite à l accident stupide du caporal Horrit, électrocuté alors qu il procédait au raccordement d une ligne électrique. Mercredi 22 septembre, les appelés libérables dont je fais partie, passons la matinée à emménager dans une des usines de conserves de sardines, alors qu une bonne partie de la 9 ème compagnie reconstituée avec les nouveaux appelés, part pour la journée à Sfax. Libre de toute contrainte militaire, c est avec l esprit du quillard que je passe mes derniers jours sur le sol tunisien. Toujours avec les mêmes camarades, le midi je vais au restaurant français, repas 300 francs, je passe l après-midi à la plage pour une agréable baignade. Le soir, afin d apprécier les plats locaux, nous allons dîner dans un restaurant oriental pour 170 francs. Enfin, pour terminer la soirée, nous sommes invités au cercle français en compagnie des quelques policiers français du commissariat de Mahdia. C est l endroit où se retrouvent autour d un verre, les Français de Mahdia, qu ils soient militaires, fonctionnaires ou commerçants. A vingt-deux heures trente, la soirée s éternisant, mes amis et moi, préférons rentrer nous coucher à l usine. C est une grande salle avec de la paille pour matelas, j avais rendu mon lit de camp la veille, et pour faire bonne mesure, l odeur persistante de poisson, ce qui est normal pour une conserverie même en arrêt d activité. Je crois me souvenir qu elle ne fonctionnait que pendant la période de pêche. Jeudi 23 nous occupons la journée comme bon nous semble. Déjeuner au restaurant (250 francs), promenade en ville, mais nous rentrons à la compagnie pour le repas du soir, jouons aux cartes avant de retourner à la conserverie, nous allonger sur notre botte de paille. Vendredi 24 septembre, les appelés libérables, allons nous installer dans un train en gare de Mahdia et à dix-huit heures c est enfin le départ. Adieu Mahdia où j ai passé un agréable séjour. Peu après, en gare de Sousse, le train s arrête sur une voie de garage pour la nuit. J en profite pour m aventurer en ville avec quelques copains. Encore maintenant, je me souviens parfaitement bien de cette sortie, car j avais acheté de belles et grosses bananes que j ai dévorées trop rapidement et sans modération. Il s ensuivit une indigestion avec des vomissements qui me rendirent malade le reste de la soirée, d où ce souvenir cuisant. Depuis, j ai toujours évité de faire un repas uniquement avec des bananes. Nous sommes retournés à la gare à minuit afin de réintégrer notre train. Samedi 25 septembre à quatre heures trente-cinq, nous quittons Sousse et arrivons à Tunis à onze heures trente. A pied, nous rejoignons le camp de transit où aucune contrainte ne nous est imposée, nous sommes libres de notre temps. Le midi, toujours à plusieurs, nous déjeunons au restaurant, et allons ensuite nous baigner à la piscine du Belvédère pour nous rafraîchir. En fin d après midi, quand le soleil tape moins fort sur nos têtes, nous visitons une partie de la ville, surtout les beaux quartiers avec leurs belles avenues. La plus belle est incontestablement l avenue Jules-Ferry, d une grande largeur avec une allée centrale très ombragée pour la promenade, et de chaque côté des immeubles qui n avaient rien à envier à ceux des Champs-Elysées à Paris. Nous terminons la soirée dans un petit restaurant avant de regagner le camp, fatigués mais heureux. Dimanche 26 septembre, bien reposé je sors du camp dès neuf heures, toujours accompagné des trois copains, pour aller visiter les Souks dans la Médina. Dans un dédale de ruelles étroites souvent couvertes, un vrai labyrinthe de petits ateliers et de boutiques. Les Souks sont divisés par quartiers selon les corporations et j ai été très intéressé par le travail des artisans qui travaillaient dehors, devant leurs échoppes. J ai surtout observé ceux qui fabriquaient des plats, martelant le métal pour lui donner sa forme et son aspect, avant de le ciseler. Ils étaient très adroits et précis dans leurs gestes et je serais bien resté toute la journée à les regarder, mais voulant visiter au maximum ce lieu magique, il ne fallait pas s attarder. Dans la Médina, il y avait un restaurant «le Tourcoing» dans lequel nous sommes rentrés pour déjeuner. Nous avons été bien accueillis par les patrons, un couple de Français

111 originaires de Tourcoing dans le Nord, d où l enseigne du restaurant. En apprenant que j étais du Pas-de-Calais, nous avons bavardé un peu du nord de la France qu ils n avaient pas vu depuis longtemps, et ce qui ne gâche rien, bénéficié d un bon repas, bien servi pour un prix d ami de 200 francs. Lundi 27 septembre, je vais en ville tôt le matin pour une dernière sortie dans Tunis. Petit déjeuner dans un bar avec café et croissants chauds. Promenade et retour au camp pour le repas de midi au mess. A quinze heures nous partons en camion pour le port et là, je suis surpris d embarquer sur le même paquebot qu en juillet, le «Ville d Oran». Toujours aussi curieux, je reste sur le pont pour assister aux manœuvres du départ et regarder ensuite les côtes qui défilent tout au long du chenal qui conduit à la sortie de la Goulette vers la haute mer. Je peux alors dire adieu à la Tunisie. Comme pour ma traversée en juillet, je partage avec un camarade une belle cabine en 3ème classe touriste et je prends les repas au restaurant avec les civils. Une fois de plus j apprécie les plats que l on nous sert avec d excellents vins, blanc et rouge. Cette deuxième traversée est moins calme, la mer est agitée et heureusement que tous les équipements sont bien arrimés. Au restaurant tout est fixé pour éviter que les tables, assiettes, verres et bouteilles ne partent dans tous les sens. Comme beaucoup de mes camarades, je n ai pas échappé cette fois-ci au mal de mer et à deux reprises je me suis précipité pour vomir par-dessus le bastingage. Le mardi 28 en fin d après-midi, je peux à nouveau admirer les côtes de France que nous longeons assez longtemps. A dix-neuf heures trente, nous accostons dans le port de Marseille. Nous sommes immédiatement pris en charge et transportés en camion directement à la gare Saint-Charles, pour nous installer sans transition, dans un train militaire avec wagons de troisième classe. Partis à vingt-deux heures trente-six de Marseille, nous arrivons le lendemain matin à huit heures trente en gare de Lyon à Paris après avoir passé la nuit assis sur une banquette inconfortable. A la gare je prends un dernier café avec les copains avant de nous séparer et de nous promettre de s écrire. C est vrai que nous avons échangé quelques lettres au début et qu ensuite nous nous sommes définitivement perdus de vue. On se rencontre, on sympathise, on cohabite, et puis on s oublie, ainsi va la vie. Sans perdre de temps, en métro je vais à la gare du Nord pour y déposer ma valise en consigne, et je fais un saut au faubourg Saint-Antoine où je retrouve mon copain Raymond Robert qui est rentré de Tunisie depuis peu. Je retourne ensuite à la gare du Nord pour attraper le train de treize heures afin d aller à Marles où j arrive à dix-sept heures. Ne sachant pas exactement comment mon retour de Tunisie allait s effectuer, je n avais prévenu personne de mon arrivée, et ma mère fut très surprise de me voir apparaître à la porte de la maison. Elle remarqua surtout la barbe que j avais laissée pousser dès mon arrivée en Tunisie et qui formait à présent un superbe collier roux. Immédiatement, elle me dit que je n étais pas beau avec cette barbe qui me vieillissait. Elle me demanda également si je ne voulais pas devenir curé, comme beaucoup de prêtres qui portaient la barbe, et sans doute aussi, parce que je lui avais raconté dans mes lettres que j avais au régiment plusieurs camarades séminaristes. Le lendemain, jeudi 30 septembre, après avoir fait une grasse matinée, en me regardant dans la glace, j ai réalisé que ma mère avait raison et j ai suivi son conseil en me rasant

112 complètement la barbe. Depuis, plus jamais je n ai eu de collier, mais par contre, j ai conservé pendant de très nombreuses années, la fine moustache que j avais auparavant. Me voici dans la tenue en toile légère pour nos sorties en ville avec mon superbe collier. Du 1er au 15 octobre, je suis considéré comme permissionnaire sans solde. J en profite pour passer ces deux semaines à Marles et me réhabituer à la vie civile. Afin de me déplacer plus facilement, j ai rapidement remonté mon vélo qui était rangé avec toutes mes affaires dans ma chambre à l étage. Pendant plusieurs jours je me suis promené à rendre des visites à la famille à qui j ai offert les quelques tapis rapportés, et bien entendu j ai partout, été soumis aux mêmes questions sur mon voyage en Tunisie. C est vrai, j ai toujours gardé un très bon souvenir de cette fin de service militaire en Tunisie, que j ai souvent considéré par la suite, comme un voyage d agrément. Plus tard, à plusieurs reprises, j ai pensé y retourner en vacances, mais cela ne s est jamais produit. Pendant ces quelques jours, j allais souvent chez Marie Jourdain qui habitait toujours la maison d à côté, je rentrais et sortais, j étais un peu comme chez moi, je pouvais passer de longs moments à écouter des disques anciens 78 tours et aussi des plus récents en 33 et 45 tours. Je pouvais également m attarder chez eux certains soirs à regarder la télévision. A la maison il n y a jamais eu d électrophone et le premier téléviseur en noir et blanc à été acheté par Baptiste en octobre 1964, avec les deux-cent-cinquante mille francs qu il a gagnés au tiercé au cours de la semaine, que ma mère et lui, étaient venus passer à Champigny-surMarne, dans l appartement que j avais acheté après mon mariage avec Ginette. Pour préparer mon retour à Paris, j envoie une lettre à Mr et Mme Delbos, les propriétaires de l Hôtel Ste-Marguerite, pour les informer de mon retour et leur réserver une chambre. Retour à la vie civile

113 Libéré de mes obligations militaires, le vendredi 15 octobre je quitte Marles par le premier train pour Paris où j arrive à douze heures. Sans rien perdre de mes vieilles habitudes, je vais déjeuner à l hôpital St-Antoine et ensuite je vais à l usine Thévenin-Fert-et-Mayet afin de les prévenir que je reprendrai le travail le lundi suivant. A l hôtel, on me donne une chambre au premier étage, moins grande et moins bien située que celle du quatrième étage que j occupais auparavant. La fenêtre donne sur la cour très étroite de l hôtel avec une vue réduite qui se limite au mur gris et imposant de l immeuble voisin. Je paie d avance 5250 francs pour les quinze derniers jours d octobre. Samedi 16 octobre 1954, je concrétise le souhait que je m étais promis de réaliser, apprendre à danser. Avec mes camarades Pierre François et Gaby Quéméner, nous nous inscrivons dans un club de danse boulevard Voltaire. Les cours sont à la fois collectifs et particuliers, et se règlent d avance par groupe de cinq leçons pour 2250 francs. Le club est dirigé par le professeur et sa femme ; tous deux sont très patients avec les débutants, et ils organisent des soirées dansantes entre les élèves filles et garçons. A ces soirées, une tenue vestimentaire correcte est exigée et aucun comportement déplacé n est toléré. C est la règle que chacun doit accepter et respecter, sinon, vous êtes prié d aller voir ailleurs. Nous avons fréquenté ce club pendant plusieurs mois, même après avoir cessé de prendre des leçons car l ambiance des soirées dansantes étaient très agréables. Le lundi 18 octobre, je réintègre les ateliers T-F-M pour reprendre mon activité professionnelle. Rien n a changé, les horaires sont toujours de 7 h h et 13 h- 18 h 06, afin d obtenir les 48 heures hebdomadaires sur cinq jours de travail. Je retrouve aussi mes copains d école, Robert Raymond, Pierre François, sauf Guy Préjean qui avait quitté l entreprise et cessé toute relation avec l ensemble des camarades. Comme il ne venait plus chez Marinette où l on se retrouvait, je n ai jamais cherché à le revoir. On me demande assez souvent de travailler le samedi matin, parfois même toute la journée, ce que j accepte très volontiers. En novembre, nous avons installé de nouveaux comptoirs de vente au magasin «Le Printemps», boulevard Haussmann à Paris. Nous avons fait les transformations du magasin sur plusieurs nuits, car le matin à l ouverture, tout devait être impeccable pour recevoir les clients. Au cours de cette période il m est donc arrivé de travailler à l atelier pendant la journée et «Au Printemps» pendant la nuit ce qui allongeait considérablement les semaines. Je ne me plaignais pas car le travail était intéressant et la paie également. J avais obtenu une augmentation de dix francs ce qui me faisait 160 francs de l heure. Ce n était pas énorme, comparaison faite avec le salaire d un compagnon ébéniste, mais même à 22 ans, on est encore considéré un peu jeunot dans ce métier. Par contre, parmi mes camarades d école, les typographes, tout en étant aussi jeunes que moi, étaient mieux payés, car dans les professions du livre, les salaires étaient en général plus élevés. Après cette période militaire au grand air, me retrouver enfermé toute la journée dans un atelier, je me suis posé quelques questions, à savoir si le métier que j exerçais me convenait vraiment. Comme je l ai dit, les salaires n étaient pas mirobolants dans la profession en générale et quel était mon avenir dans cette entreprise? Je ne me voyais pas travailler à l établi des années durant, comme simple ébéniste. Plusieurs anciens élèves ébénistes de l école d Alembert n avaient pas hésité à changer de métier pour des professions mieux rémunérées, mais aussi parce que leur travail devenait de moins en moins intéressant, avec l apparition des nouvelles techniques de fabrication en séries, et du travail aux pièces c'est-àdire au rendement.

114 Après avoir laissé mûrir mes réflexions pendant quelque temps, j ai pensé finalement rentrer dans la police, non pas comme gardien de la paix, ça ne m emballait pas, mais pour devenir inspecteur. Je me suis renseigné et comme je m y attendais un peu, il fallait des diplômes que je n avais pas (le bac par exemple) pour être admis directement au concours. Il existait également une autre filière, plus longue mais plus facile pour moi, afin d accéder à ce concours. Entrer d abord dans la police comme gardien de la paix avec la possibilité de me former et d étudier, ce qui m aurait permis ensuite de me présenter au concours. Malheureusement il y avait un hic de taille, la mienne. Je mesurais 1m63 alors que le règlement en vigueur depuis peu, exigeait 1m70 pour devenir gardien de la paix. Je n ai pas insisté et je n ai pas non plus cherché dans une autre activité. Sans être vraiment déçu, j ai continué à exercer ce que je savais faire, c'est-à-dire l ébénisterie, tout en me promettant de progresser rapidement pour quitter l établi. Les cours de dessin que je suivais avant le régiment avaient un but, réaliser mon souhait qui était de devenir dessinateur. J ai donc repris sans hésiter des cours du soir, mais cette fois à l Ecole Boulle, avec comme professeur de dessin, monsieur Xavier Hosch. Ancien élève de l école d Alembert, monsieur Hosch était revenu dans son ancienne école comme professeur en ébénisterie pour les élèves de 4ème année. C est là que je l ai connu avant qu il soit reçu par concours comme professeur dans la prestigieuse Ecole Boulle. Par ailleurs, je commençais de temps à autre à quitter l atelier pour accompagner les livreurs chez les clients particuliers. J étais surtout chargé de remonter les meubles et de contrôler leur bon fonctionnement. Avec mon plus beau sourire, je n oubliais jamais de demander aux clients avant de partir «Etes-vous satisfait, cela vous convient-il?» Les clients étaient souvent généreux et me donnaient un bon pourboire que je partageais bien sûr, avec les deux livreurs. Chaque livraison me rapportait personnellement environ deux-cents francs, voire le double ce qui était appréciable. Toujours autorisé à prendre mes repas midi et soir au réfectoire de l hôpital St-Antoine avec le personnel, je réalise ainsi quelques économies car les repas ne sont pas très coûteux, seulement 103 francs, boisson comprise. Comme je l ai déjà souligné, toujours très estimé par certaines personnes habituellement chargées à tour de rôle, de prendre les tickets repas à l entrée du réfectoire, on me faisait signe discrètement de passer sans prendre mes tickets, ce qui était tout bénéfice pour moi. Cette faveur accordée également à d autres copains de l école était fréquente et a duré aussi longtemps que j ai pu prendre mes repas à l hôpital. Le vendredi 19 novembre, je fais un saut à Marles par le train de dix-neuf heures vingt à la gare du Nord pour arriver à Béthune à vingt et une heures vingt où l autobus me conduit ensuite jusqu à Bruay. Cette fois encore, et bien qu ayant travaillé debout toute la journée je n ai eu aucune difficulté à parcourir à pied les quelques kilomètres jusqu à la maison. De toute façon je savais à quoi m attendre. Comme toujours, c est l occasion de rendre visite à mes frères et sœurs tout en déplorant ne pas pouvoir rester plus longtemps dans chaque maison. Je reprends le train le dimanche en fin d après-midi avec une valise très lourdement chargée des affaires que j avais entreposées dans ma chambre pendant la durée de mon régiment. A la gare du Nord, j ai pris un taxi pour ne pas avoir à traîner cette valise dans les couloirs du métro, ce qui était quand même moins fatigant et plus rapide A vingt-trois heures j étais à l hôtel.

115 Après tous ces mois passés à l armée je dois refaire quelques achats pour m habiller et surtout pour aller danser. Une très belle chemise blanche, 2400 francs. Les boutons de manchettes plaqués or, 950 francs. Deux autres chemises blanches plus simples à 995 francs pièce, une paire de chaussures à 3950 francs. Voici plusieurs prix en cette fin d année 1954 : une simple coupe de cheveux 175 francs, une douche au bain-douche du quartier 80 francs. Je gagnais un peu plus de francs nets par semaine en fonction des heures supplémentaires que j effectuais. Depuis mon adhésion au club de danse, en plus des cours, j assiste assez souvent le samedi soir aux soirées dansantes avec mes amis Pierre François et Gabriel Quéméner. Le vendredi soir 24 décembre, je passe cette soirée de Noël, à danser jusqu à minuit. En sortant du club boulevard Voltaire, je passe devant l église Saint-Ambroise et n étant pas pressé d aller au lit, je suis rentré pour assister à la messe de minuit, plus par curiosité que par dévotion. Il faut reconnaître que les chants de Noël dans une église sont à la fois émouvants et très agréables à écouter. Je suis donc resté jusqu à la fin, ce qui me fît coucher cette nuit là à trois heures du matin. J ai passé le samedi de Noël avec mes camarades dont Robert Raymond en allant au cinéma l après-midi voir «Le train de 8h47» et le soir voir «La flèche et le flambeau». Après quoi, je suis allé au bal à la Mutualité pour rentrer finalement à 3h30 du matin. Le dimanche après-midi nouvelle sortie mais cette fois avec un autre copain Guy Doisne, pour aller au Théâtre des Capucines assister au spectacle «Les chansons de Bilitis». Ce soir là, je me suis couché à une heure raisonnable pour être en forme le lendemain matin à l atelier. En écrivant ces lignes je me rends compte que je sortais beaucoup et que mes week-ends étaient bien remplis. Il serait fastidieux d énumérer dans le détail toutes ces sorties mais je me dois d en citer quelques unes pour expliquer que si je travaillais beaucoup, je sortais également beaucoup et je peux affirmer que je ne me suis jamais ennuyé. Début janvier, je ne faillis pas à la tradition en adressant mes vœux pour la nouvelle année à toute la famille et à de nombreux amis. En ce temps là, j écrivais beaucoup et souvent. Les timbres- poste pour lettre étaient à 15 francs. Toujours intéressé par l histoire, le dimanche 9 janvier en soirée je vais salle Pleyel à Paris assister à une conférence sur l Egypte avec projection cinématographique. J achète le livre «Trésor de l Egypte» que l auteur Samivel, qui commentait la projection, m a dédicacé. J ai toujours eu la passion des livres. J en ai lu beaucoup, et acheté très souvent. Ce que j aime dans les livres, en plus d acquérir du vocabulaire et approfondir mes connaissances, c est parfois l émotion que l on ressent, à la lecture d une belle histoire. Pour moi, les livres sont sacrés, j ai du mal à m en séparer et je ne comprends pas qu on puisse les abîmer. C est pourquoi, ceux que j ai achetés depuis tant d années sont toujours en parfait état.. Ceux qui n aiment pas lire vous dirons que les livres vieillissent mal, qu ils prennent la poussière, qu ils empestent le moisi, c est vrai, mais je les garde quand même dans des cartons. S il avait fallu jeter tous les livres sous prétexte qu ils jaunissent, il n y aurait jamais eu de grandes bibliothèques qui ont permis de transmettre le savoir.

116 Depuis quelque temps les scooters sont à la mode et comme beaucoup de jeunes, je suis assez tenté d en acheter un. Le scooter le plus connu est le Vespa italien mais je le trouve instable, car avec son moteur sur le côté, il roule incliné. En faisant le tour des magasins, j ai trouvé un autre type de scooter, le Lambretta que je trouve plus élégant, car moins trapu, mais surtout avec un moteur bien centré ce qui le rend plus stable. La conduite de ces engins de 125 cm3 ne nécessitant pas de permis, et après avoir fait le compte de mes économies, ma décision est prise. Le mardi 5 avril 1955, je commande un beau Lambretta. Je verse un acompte de francs et 700 francs pour la carte grise. C est depuis cette date que je possède un compte chèque postal, nécessaire pour payer les mensualités du crédit que j avais pris et la prime d assurance à la «Vigilance». A cette époque, les salaires étaient payés en espèces, je devais donc approvisionner régulièrement ce compte postal par mandats cartes. Depuis, j ai toujours le même n de C.C.P. Le samedi 9 avril au matin, je prends livraison du scooter et je m achète une paire de lunette (1270 francs) pour la conduite. Du magasin, place de la République à l hôpital St-Antoine où je suis allé manger avec mes camarades, j ai roulé prudemment pour me faire la main. Je n avais pas peur de la circulation car j étais habitué à rouler dans Paris avec mon vélo, mais il me fallait bien maîtriser les vitesses et le freinage. Sans perdre de temps, je passe à l hôtel prendre quelques affaires et à treize heures trente, me voilà parti pour Marles. Je prends les mêmes routes que j avais parcourues à vélo en juillet Cette fois-ci je n ai plus besoin de pédaler et c est sans difficulté et sans fatigue que j arrive rue d Anvers à dixneuf heures trente. Six heures pour effectuer le trajet peut paraître long mais en rodage je ne pouvais pas forcer sur la vitesse, et encore moins risquer d avoir un accident ce premier jour de conduite. A la maison, c est la surprise car personne n était prévenu de mon arrivée à scooter. J avais laissé le scooter le long du trottoir devant la maison, et le temps d embrasser ma mère, quelqu un s est emparé de ma vieille serviette en cuir fixé sur le porte-bagages, et dans laquelle j avais mis des sous-vêtements et une chemise. Je n imaginais pas que l on puisse voler ce genre d affaire, surtout dans notre rue où à ma connaissance rien n a jamais été volé. Sans perdre de temps, je suis allé au commissariat afin de déclarer le vol, et là, c est moi qui suis surpris, car les policiers avaient entre les mains ma serviette avec le linge à l intérieur. Une personne venait de la rapporter en expliquant qu elle l avait trouvée. Un jeune, probablement étranger à notre rue, l avait dérobée et s apercevant que cela n avait aucun intérêt pour lui, s en était débarrassé. Le lendemain 10 avril, dimanche de Pâques, je passe la matinée à rendre une visite à mes frères et sœurs. Dans l après midi je vais à Lozinghem voir le copain Claude Denis, celui avec qui je devais faire le trajet à vélo de Paris à Marles, et le soir nous allons ensemble au bal à Auchel jusqu à trois heures du matin. Depuis que je prends des cours de danse, il faut bien mettre les leçons en pratique et voir de quoi je suis capable. Le lundi de Pâques au matin, j ai vite fait de parcourir en scooter, les quelques kilomètres pour aller à Beuvry voir les sœurs Simone et Raymonde Geudet. Elles habitent encore chez leurs parents nourriciers qui apprécient toujours mes petites visites. Je quitte Marles à quatorze heures pour retourner à Paris et en passant à Saint-Pol sur Ternoise, je vais voir Louis Pinjeunot, un camarade de l école d Alembert de deux années en dessous. A vingt et une heure trente, je suis à l hôtel, très heureux et surtout très satisfait de mon acquisition. Ne pouvant pas laisser mon scooter dans la cour de l hôtel ni dans la rue, j ai dû chercher un local pour l entreposer. J ai trouvé un garage rue Paul Bert, mais qui n est malheureusement pas très proche de l hôtel.

117 C est le printemps, il fait beau et avec le scooter, mes dimanches s organisent différemment. Je quitte plus facilement Paris pour la banlieue. Ce dimanche 17 avril 1955 après-midi, je vais à Rueil-Malmaison afin de rendre une visite à Jacques Reissner, l ancien de l école d Alembert qui m avait accueilli chez lui en janvier 1950 alors que j étais encore à l école. Avec sa femme, ils tiennent toujours le bistrot et très heureux de me voir, ont insisté pour que je reste dîner avec eux. La soirée s est prolongée à bavarder et je ne suis rentré à l hôtel que vers minuit. Le dimanche 24 avril, je suis allé cette fois-ci à Villacoublay pour voir Jacques Duhamel qui effectue actuellement son service militaire au camp d aviation. Nous avons passé l après-midi ensemble à visiter le château de Versailles. Jacques est le camarade avec qui j ai grandi dans la rue d Anvers à Marles. Il habitait la maison en face de la nôtre, et nous partagions les mêmes jeux y compris celui qui a failli mal tourner quand on se lançait des cailloux. Son père, Jules Duhamel, mineur comme tous les hommes du quartier, élevait en plus des lapins et des volailles, quelques moutons dont un superbe bélier. Un jour, alors qu avec Jacques, nous jouions à saute-mouton, et que j étais plié la tête entre les jambes, le bélier qui broutait à proximité est arrivé derrière moi par surprise et d un violent coup de tête m expédia deux mètres plus loin. Heureusement qu il avait les cornes repliées, car je n ai pas été blessé, mais j ai quand même eu les fesses douloureuses pendant une bonne semaine. Cette histoire a bien fait rire tout le monde sauf moi bien sûr. Par la suite j évitais d approcher ce bélier de trop près comme on se méfie des taureaux. Une autre histoire, mais celle-là dramatique, concernant le père de Jacques. Il était connu dans le quartier pour ses opinions communistes et un matin de mars 1943, avant le lever du jour, des hommes sont venus chez lui et l on embarqué en voiture soi-disant pour l interroger. Pendant la guerre, les Allemands persécutaient les communistes, et Jules n est jamais revenu. Personne n a jamais su ce qu il était devenu. Des bruits ont couru qu il avait été dénoncé et fusillé discrètement dans la région, mais son corps n a jamais été retrouvé. Si je me suis toujours souvenu de ce drame c est que l enlèvement a eu lieu le matin de la naissance à la maison, de Maurice Marquis, le fils aîné de Lucienne, j allais sur mes onze ans. Je trouve que ce sont des points de repaire comme ceux là, qui permettent de se rappeler les évènements marquants de la vie. Le mardi 26 avril 1955, avec quelques camarades de l école d Alembert, Pierre François, Gaby Quéméner, Guy Doisne, Alain Mund, Jean Lacombe, Roger Roche, nous allons dîner au restaurant et nous terminons la soirée à la foire du Trône qui se tenait à cette époque place de la Nation et sur le cours de Vincennes. En redescendant le faubourg Saint-Antoine vers vingttrois heures pour rentrer dans nos hôtels respectifs, nous chahutions en faisant plus ou moins de bruit. Nous avons même soulevé une voiture 2 chevaux-citroën qui se trouvait sur la route, pour la reposer délicatement sur le large trottoir, n ayant pas du tout l intention de l abîmer. En arrivant place Faidherbe, nous avons été accueillis par quelques policiers en armes. En Algérie les émeutes s intensifiaient, et en France, par crainte des attentats, la police était sur ses gardes. Conduits au commissariat du quartier, nous avons passé la nuit au poste. Après un contrôle d identité et enquête de moralité sur chacun d entre nous auprès des hôteliers, nous avons eu droit à un petit sermon et avons été relâchés un à un à partir de quatre heures jusqu à six heures du matin, pour nous permettre d aller au travail. Il n y a pas eu de suite à cette histoire que l on se rappelait en riant, lors de nos rencontres, bien des années plus tard. A l usine, il y a beaucoup de commandes et je travaille de plus en plus fréquemment le samedi toute la journée. Cela ne me dérange pas car je ne refuse jamais, sauf exception quand il y a une fête par exemple, avec un week-end prolongé, pour me permettre d aller en province.

118 Le dimanche 1er mai, je pars à scooter à six heures trente pour aller voir Pierre et Simone Lejeune qui habitent maintenant à Argueil où se trouvent les ateliers des Frères Lejeune. En passant à Gournay où se trouvent toujours le magasin des parents je m arrête pour leur dire bonjour. Monsieur Jules Lejeune, mon ancien patron, m offre le petit déjeuner, tout content de constater que je suis resté en bonne relation avec son fils Pierre. En arrivant à neuf heures trente à l usine, Pierre et Simone commencent par me faire visiter leurs nouveaux appartements qu ils aménagent dans ce qui était autrefois un moulin à eau dont les grandes roues étaient actionnées par l eau de la rivière qui passe le long des bâtiments. Actuellement ces roues fonctionnent encore, mais pour produire un peu d électricité qui sert uniquement à l éclairage des ateliers. Ensuite, j ai droit à la visite des ateliers qui s améliorent progressivement, avec des machines plus performantes. L après-midi nous allons en voiture visiter le parc zoologique de Clères et nous passons ensuite la soirée à bavarder de nos passions respectives. De la fabrication de meubles, ce qui est logique puisque Pierre en fabrique et que je suis ébéniste, et de littérature puisque Simone, qui possède une bibliothèque bien garnie adore lire et que je suis également un lecteur assidu Le lendemain lundi, très tôt je reprends la route dès cinq heures pour être au travail à huit heures chez Thévenin à Paris. Pour garer mon scooter, j ai fini par trouver un local beaucoup plus près, au 207 faubourg StAntoine, à quelques minutes seulement de l hôtel, pour 1000 francs de location mensuelle. C est d autant plus pratique que cela me permet désormais, de l utiliser régulièrement pour aller travailler, ayant là aussi, la possibilité de le garer dans la cour de l usine. Pour comparer, la location mensuelle de ma chambre d hôtel coûte actuellement francs. L hiver, avec le chauffage, les loyers étaient beaucoup plus élevés. Le dimanche 22 mai, je retourne à l aéroport militaire de Villacoublay voir mon camarade Jacques Duhamel.. A part les allers-retours à Marles lors de ses permissions, il ne sort pas du camp pour connaître la région. Il fait beau et j en profite pour l emmener visiter le parc et le château de Rambouillet. Cette promenade lui change les idées et l enchante car il s aperçoit que dans la région parisienne, il y a de beaux endroits à visiter. Le samedi 28 mai, je travaille toute la journée, et le soir, je vais au cinéma voir le film «Sur le banc» avec Pauline Carton et Raymond Souplex. Ce film, je l ai revu plusieurs fois car il était franchement drôle et les comédiens tellement sympathiques. Le dimanche 29 mai, je retourne chez Pierre et Simone Lejeune. Je m arrête encore à Gournay mais cette fois-ci pour rendre une visite impromptue à Marcel Pohu, l ancien de l école d Alembert qui m avait fait embaucher chez Marius Lejeune à Gournay. Marcel habite toujours l école primaire où sa femme est directrice mais elle doit partir très prochainement en retraite. Je passe également saluer Léon et Léontine, le couple chez qui je prenais tous les repas du midi. Ma visite les a un peu surpris mais leur fit plaisir en constatant que je ne les avais pas encore oubliés. C est vrai qu ils étaient très gentils et j appréciais leur cuisine, même si je trouvais parfois que les menus se répétaient invariablement d une semaine à l autre. A onze heures j étais chez Pierre et nous avons passé une partie de l après-midi à pêcher dans le petit cours d eau qui traverse la propriété. Le lundi après-midi nous sommes allés en voiture nous promener à Dieppe pour visiter la ville et aussi la plage avec ses célèbres galets, sur lesquels il ne fait pas bon marcher pieds nus. Rentré à Paris le mardi en fin de matinée, j étais à l atelier à treize heures, satisfait de ce week-end avec Pierre et Simone, et aussi très heureux de constater que je pouvais prendre une matinée sans que les responsables de l atelier me reprochent quoi que ce soit.

119 Samedi 4 juin 1955, je me lève vraiment tôt pour aller à Marles où je suis invité à la communion solennelle de mon neveu, Maurice Marquis le fils ainé de ma sœur Lucienne. Parti à cinq heures et demie sous la pluie avec mon scooter, je m arrête à Amiens pendant deux heures afin de visiter le centre ville et sa très belle cathédrale du XIII ème siècle, une merveille du style gothique rayonnant. Le ciel s étant éclairci, je reprends la route et je suis à Marles pour midi. L après-midi je vais à Chocques pour rendre une courte visite aux tantes et oncles du côté de mes deux parents nourriciers. Ce qui a toujours étonné mon entourage familial, c est que j étais le seul des enfants de notre famille à me déplacer à Chocques pour les voir de temps à autre, que ce soit à pied étant gamin, à vélo ensuite, à scooter comme aujourd hui, ou encore en voiture, bien plus tard après mon mariage avec Ginette. Le dimanche matin, à l église de Marles, j assiste à la messe des communiants. Dans nos cités, c est plus par tradition, que les enfants font leur communion, car les parents ne sont pas ce qu on pourrait appeler de fervents catholiques. La plupart ne vont jamais à la messe, si ce n est pour les mariages ou les enterrements.. La communion des enfants est également le prétexte pour se retrouver en famille, bien manger et s amuser. Pour faire plaisir au jeune Maurice, je retourne aux vêpres à dix-sept heures. Maurice Marquis le père, savait encore amuser les autres en racontant des histoires, surtout les histoires de cafougnette qui se racontaient beaucoup quand j étais gamin. Toute la soirée, nous nous sommes divertis avec des chansons de la musique et quelques danses. A une heure du matin, en arrivant chez moi, au lieu d aller me coucher je suis allé chez mes voisins François et Marie Jourdain qui fêtaient eux aussi les communions de leurs jumeaux Jean-Claude et Nicole. Connaissant toute la famille, personne n a été surpris de me voir arriver car j étais un peu comme qui dirait l invité permanent de la maison. Il me restait encore un petit creux pour avaler un dessert avec une coupe de champagne. Finalement il était trois heures quand je suis allé me coucher. Le lundi de Pentecôte 6 juin, après avoir déjeuné chez ma sœur Simone, je reprenais à seize heures trente, la route pour Paris. L inconvénient du scooter est la faible contenance du réservoir, cinq litres seulement et il faut faire très attention à ne pas tomber en panne sèche.je prenais quand même mes précautions en ayant un bidon de deux litres en permanence sur le porte-bagages. A vingt-deux heures j étais à l hôtel après avoir essuyé un gros orage et fait le plein deux fois. Samedi 11 juin, je travaille toute la journée, et le soir, avec mon jeune camarade Marc Jampolski, également ébéniste, mais sorti de l école d Alembert trois ans après moi, nous allons nous promener au jardin des Tuileries. C est la fête avec spectacles et chants. C est à cette fête que j ai vu pour la première fois sur scène le chanteur Henri Salvador, qui est devenu très populaire par la suite. Le dernier métro étant passé, nous rentrons à pied vers trois heures du matin l hôtel. Grace à l estime que me portaient depuis quelques années, les patrons de l hôtel, Marc avait lui aussi, réussi à obtenir une chambre. Dimanche 26 juin, je vais une fois encore au camp militaire de Villacoublay afin de rendre une visite à mon camarade Jacques Duhamel. Je l emmène pour une virée sur les chemins de la vallée de Chevreuse. Je connaissais déjà une partie de cette région pour l avoir parcourue à vélo avec mes copains de l école d Alembert. En roulant doucement, confortablement assis sur un scooter, on peut profiter pleinement du paysage verdoyant des coteaux surplombant l Yvette. Peu après, Jacques fut libéré de ses obligations militaires, et lorsque je le rencontrais par la suite, en allant à Marles, il ne manquait jamais de me rappeler combien il avait apprécié ces petites sorties. Mercredi 13 juillet au soir, c est la fête à l occasion du 14 juillet. Des bals populaires avec

120 orchestres sont organisés dans tous les quartiers de Paris. Je commence la soirée en allant danser place de la Bastille, et ensuite je vais au bal des pompiers à la caserne boulevard Henri IV. N ayant pas trouvé l âme sœur, je rentre me coucher à deux heures du matin. Jeudi 14 juillet, jour férié, je pars seul pour une balade à scooter, sans but bien précis. Finalement je me retrouve à Mantes. Il fait beau et pour le plaisir de rouler, je poursuis ma route jusqu à Evreux. Cette promenade m ayant ouvert l appétit, le soir en rentrant, je me suis payé un petit restaurant près de la place de la Bastille. En écrivant ces lignes, je me rends compte que je ne restais pas enfermé dans ma chambre et que j étais souvent de sortie. Le dimanche 17 juillet, sortie pour la journée avec les copains de l école d Alembert. Raymond Robert vient avec moi sur le scooter, Gaby Quéméner et sa grosse moto avec Henriette, une infirmière de l hôpital St-Antoine. Nous conduisons Henriette chez la nourrice qui garde sa petite fille. Nous avons pique-niqué midi et soir, après avoir acheté sur place, juste ce qu il fallait pour ne pas mourir de faim : baguettes de pain, camemberts, boisson, et j en ai profité pour offrir à boire à l occasion de la St-Camille. Nous nous sommes même baignés dans la Seine à Elisabethville «Yvelines». Mercredi 3 août, j effectue une journée de treize heures, les congés approchent et il faut terminer certains travaux qui doivent être livrés avant la fermeture. Le soir, je vais dîner au «foyer des jeunes» avenue Ledru-Rollin, à quelques minutes à pied de l hôtel. C est en fréquentant ce foyer que mon copain Pierre François a rencontré Josiane, une des serveuses qui est devenue sa femme le 28 janvier 1956.

121 Samedi 6 août, je pars à Marles pour trois semaines de congés. Avec mon scooter, ces vacances sont plus agréables car je peux me déplacer plus facilement et plus rapidement dans toute la région. Mardi 9 août, j emmène mon frère Maurice à Wizernes chez ses beaux-parents. A l arrière du scooter, Maurice n est pas du tout rassuré, je le sens, il se cramponne craignant de tomber. Le trajet n est pas long, à peine une quarantaine de kilomètres, mais pour ne pas trop l angoisser, je roule lentement et fais attention à bien négocier les virages. C était la première fois qu il montait sur un scooter mais ce fut également la dernière. Mercredi 10, je vais à Stella-plage afin de retrouver mes voisins, toute la famille de Marie Jourdain. Ils ont acheté récemment une voiture pour que Francis l aîné, le seul de la famille susceptible de conduire, puisse les emmener à la mer. Je passe la soirée avec Francis et la nuit dans sa tente. Le lendemain matin 11 août, je reprends la route pour Marles et en passant à Saint-Pol sur Ternoise, je fais un petit détour pour tenter de rencontrer mon camarade d école, Louis Pinjeunot, que j avais déjà revu à Pâques de cette année. J ai de la chance, il habite toujours chez ses parents nourriciers, et il est également en congé. Comme la première fois, il est très surpris et heureux de constater qu un copain de l école d Alembert ne l a pas oublié. Je suis moi aussi, agréablement surpris par l accueil chaleureux de sa mère qui m invite immédiatement à déjeuner. Comme le trajet qui restait à parcourir pour rentrer chez moi, n était pas trop long, j ai passé une partie de l après-midi avec mon copain. Il m expliqua qu il souhaitait rester vivre et travaillerprès de chez ses parents, ce qui m a paru normal mais curieusement, il n a jamais cherché à rester en relation avec ses camarades de promotion, et n a jamais adhéré à notre association. Malgré mes deux visites pour le revoir, nous ne nous sommes jamais écrit, ni revus par la suite. La vie est ainsi faite, chacun la mène à sa guise. Jeudi 18 août, six heures du matin, je pars seul pour une promenade sur la côte d Opale. Le Touquet-Paris-Plage, Stella-Plage, Merlimont-Plage, Berck.. Le parcours est agréable et en prenant les routes les plus proches des côtes, on peut avoir presque en permanence, une vue sur la mer. Je rentre à la maison en fin d après-midi très heureux de cette balade. Cela n a rien de comparable avec celle, que j avais effectuée avec un vieux vélo, pour aller à Berck en août Dimanche 21 août, cinq heures du matin, je pars pour la journée en excursion en Hollande, avec mon frère Henri, Hortense sa femme, et ses beaux-parents. Le but du voyage était d aller sur la presqu île de Walcheren afin de visiter une ville miniature. Pour éviter un grand détour par la route, je me souviens que nous avons pris un bateau genre ferry-bac, pour traverser le détroit qui sépare le continent de cette presqu île. Le beau temps était de la partie et je n ai pas regretté cette sortie qui s est terminée à une heure du matin. Port de pêche de Walcheren au Pays-Bas. Samedi 27 août, je retourne à Divion et je passe la journée avec Serge que j avais déjà vu le 17. Il est arrivé des Vosges où il travaille depuis sa sortie de l école afin de passer quelques jours de vacances chez ses parents nourriciers. Pour nous occuper, nous sculptons des pierres tombales pour

122 son père toujours entrepreneur de maçonnerie et des pompes funèbres. Je mange avec toute la famille midi et soir. Satisfait du travail que je pensais avoir réalisé pour me distraire, le père de Serge me gratifie de 500 francs que j ai d abord refusés, mais il a tellement insisté que j ai fini par accepter. Dimanche 28 août, je quitte Marles vers dix-sept heures pour Paris où j arrive à vingt et une heures trente. Il fait jour très tard, cela facilite le parcours qui s est déroulé sans difficulté, d autant mieux, que je commence à bien repérer les endroits où il faut se méfier et être prudent. Lundi 29 août, reprise du travail chez T-F-M. Avec le scooter, c est plus rapide pour me rendre à l hôpital ST-Antoine, où le midi je suis pour le moment, toujours autorisé à prendre mes repas avec le personnel. Je suis étonné, et je dois avoir une tête vraiment sympathique car encore bien souvent, à l entrée du réfectoire, quand je présente mon ticket de repas, on me fait discrètement signe de le garder. Bien sûr, je n insiste pas non plus pour le donner de force. Je crois l avoir déjà dit, cette faveur représente à la longue une économie appréciable. Comme disait Letizia, la mère de Napoléon Bonaparte «Pourvu que ça dure». Dimanche 25 septembre, je déjeune à l hôpital avec Robert Raymond et l après-midi nous partons avec mon scooter pour aller réconforter notre camarade Bernard Chrzan qui se trouve à la caserne du génie à Fontainebleau. Bernard a été contraint d effectuer quelques mois supplémentaires pour compenser les nombreux jours de prison qu il avait récoltés pour indiscipline. Rien de bien grave, je crois me souvenir qu il oubliait souvent de rentrer à la caserne lorsqu il était en permission. Ce soir là, en rentrant de Fontainebleau, nous apprenons avec stupeur la mort de notre copain Gaby Quéméner, à la suite d un accident de moto. Gaby était parti à moto la veille au soir avec Henriette Simon, notre copine de l hôpital St-Antoine, pour se rendre à ClermontFerrand. Il faisait nuit et il était presqu arrivé à destination, lorsque, ébloui par une voiture qui arrivait en face, il est monté sur le bas-côté. Sa passagère a été éjectée au premier choc dans la rigole d écoulement et s est relevée indemne. Gaby n a pas eu la même chance, tué par ce qu on appelle le coup du lapin, les vertèbres cervicales brisées par le casque qu il portait. Il n avait aucune autre contusion sur le corps. Robert est allé aux obsèques afin de représenter tous les camarades de l école, à St-Gal sur Sioule, le patelin de sa famille nourricière. La mort brutale à vingt-trois ans de notre camarade nous avait terriblement affectés, et personnellement, j ai mis longtemps à admettre sa disparition, car je trouvais cela très injuste de mourir si jeune. Gaby était quelqu un de sympathique, jovial et bon camarade. A l école, je passais des heures à jouer au ping-pong avec lui, et je dois admettre qu il me battait souventc est lui aussi qui m avait hébergé à plusieurs reprises lorsque j ai débarquai à Paris en mai Dimanche 9 octobre, je vais déjeuner à l hôpital avec Pierrot à qui j avance quelques tickets de repas. Mon ami Pierrot qui travaille avec moi chez T-F-M, a parfois des fins de semaine difficile et je le dépanne de temps à autre, en lui prêtant également des petites sommes de 1000 francs. Pierrot n était d ailleurs pas le seul camarade que j ai dépanné en avançant des tickets de repas et un peu d argent. J avais le sens de l amitié et avec mes camarades d école, nous nous sommes toujours bien accordés, peut-être même mieux, qu avec de véritables frères. Chez Thévenin-Fert-et-Mayet, il n y a pas de cantine, la plupart des ouvriers déjeunent sur place. Ils apportent leur gamelle qu ils font réchauffer au bain-marie et mangent sur leur établi. Plusieurs camarades, vont déjeuner dans une cantine d entreprise avenue Michel Bizot.

123 Cette société beaucoup plus importante que la nôtre, a accepté d accueillir le personnel d autres entreprises, afin d obtenir de la part des traiteurs des repas à des prix avantageux. Le jeudi 27 octobre, je vais moi-aussi, déjeuner dans cette cantine. Les tickets de repas s achètent par dix pour 2180 francs, ce qui n est pas excessif pour des repas corrects. Le vendredi 11 novembre 1955, jour férié pour la commémoration de l armistice de la guerre , je travaille à l atelier toute la journée. En ce moment, il y a beaucoup de commandes qu il faut réaliser rapidement car les délais d exécution imposés par les clients, sont parfois très courts. Les heures sont payées doubles les jours fériés et j en profite quand l occasion se présente. De toute façon, cela m intéresse plus que de rester dans ma chambre allongé sur le lit à lire, et de surcroit j obtiens une augmentation de salaire de 10 francs ce qui me fait 200 francs de l heure. Dans la semaine, il m arrive de faire des journées de 10 heures trente à treize heures, soit à l atelier, soit en allant chez les clients particuliers, ce qui en plus de mon salaire me rapportait de substantiels pourboires. Le dimanche 13 à midi je commence pour la première fois à déjeuner au restaurant le relais «chez ma Tante» 76 rue Crozatier, à deux pas de mon hôtel, n ayant que le faubourg St-Antoine à traverser. Par la suite, ce restaurant deviendra ma cantine pour les repas du soir en semaine et celui du dimanche midi seulement, car il est fermé ces soirs là. Le dimanche soir, il m arrivait donc parfois de grignoter un morceau dans ma chambre. Le mercredi, je réalise encore une performance en travaillant 13 heures. Ce jour là, j ai installé des meubles spéciaux dans un appartement cossu du 16ème arrondissement. Le client, M. Goldberg était architecte et habitait dans l immeuble qu il avait lui-même conçu. Satisfait de ma prestation, ce client s est fendu d un pourboire de 665 francs, que je n ai pas refusé bien sûr. Dimanche 18 décembre, je vais me dégourdir les jambes en effectuant une longue promenade sur les grands boulevards. A l approche des fêtes de Noël, les magasins commencent à décorer leurs vitrines et les restaurants à proposer leurs menus avec animations. Ensuite je me paie une toile au ciné «Jeux interdits» de René Clément avec la jeune Brigitte Fossey. Film que j ai revu également de nombreuses fois. Samedi 24 décembre, je travaille toute la journée jusqu à dix-neuf heures, chez un client particulier qui tenait à avoir ce soir là, le meuble qu il avait commandé pour son petit Noël. Il s agissait d un meuble-bar spécial, réalisé sur mesures, entièrement laqué noir brillant, que j ai ajusté dans le renfoncement du salon. La pièce était joliment décorée, un peu comme un décor de théâtre, et je devais faire très attention à ne rien abîmer. Le client, ayant obtenu ce qu il souhaitait, à la dernière minute, c est vrai, mais satisfait du résultat, ne m a pas oublié avant de partir. Le soir j ai passé le réveillon de Noël avec mes amis de l hôtel, Bob et Chica Nuvelone. Dimanche 25 décembre, jour de Noël, je suis seul et je vais me fondre dans la foule des badauds qui arpentent les trottoirs des grands boulevards. Ce parcours que j affectionne, me conduit de la place de Bastille à la place de la République, ensuite toujours les grands boulevards vers l Opéra, la Madeleine, la Concorde, et enfin les Champs-Elysées jusqu à l Etoile. Pour le retour, depuis la Concorde, je prends les quais de la Seine jusqu à la Bastille. Après cette balade, je suis allé au lit sans manger avec un bon livre pour nourriture spirituelle. Cela ne me dérange pas du tout. En effet, comme le restaurant «chez ma tante» est fermé le dimanche soir, il m arrive parfois de ne pas manger ces soirs là. D ailleurs, jeûner de temps à autre est bon pour la santé, parait-il? Quoi qu il en soit, les tarifs affichés par les restaurants pendant ces jours de fête, me paraissant excessifs, j avais préféré rentrer me coucher.

124 Samedi 31 décembre, je travaille à l atelier toute la matinée, l après-midi je me repose et le soir, je retourne travailler mais en allant au magasin «Au Printemps» boulevard Haussmann, de dix-sept heures trente à vingt et une heures, afin de modifier les comptoirs de vente. C est ma façon de fêter la Saint-Sylvestre en travaillant. Après quoi je suis rentré me reposer et passer une bonne nuit au lit. Pour marquer cette fin d année, mes patrons se sont fendus d une prime de 2000 francs, ce n était pas terrible mais cela fait quand même plaisir. Dimanche 1er janvier 1956, je débute cette nouvelle année en passant la journée avec mes amis Bob et Chica qui m invitent chez eux pour déjeuner et dîner. Dans l après-midi, nous allons jouer au ping-pong, au sous-sol du cinéma situé à l angle du faubourg St-Antoine et de l avenue LedruRollin. Avec Chica, nous allions souvent passer une heure ou deux, à jouer au ping-pong dans cette salle. Le soir, nous allons au ciné voir «Attila, fléau de Dieu». Lundi 2 janvier, journée chômée-payée, pourquoi? Peut-être parce que le 1er tombait un dimanche et que le lundi était jour d élections? Je ne sais plus! C est la première fois que je vote, et il s agit d élections législatives. Je retourne encore jouer au ping-pong et au cinéma voir «La terre des Pharaons», film qui m a intéressé par son histoire et ses décors. En ce moment je vais souvent chez les clients particuliers pour effectuer des montages de meubles, ce qui me rapporte à chaque fois un pourboire de francs. Combien cela représenterait-il actuellement, je l ignore, mais à l époque, ces petites sommes étaient les bienvenues. Samedi 21 janvier, en soirée, je vais à la mairie du 13ème arrondissement, pour assister au gala annuel de la mutuelle des anciens d Alembert, où je retrouve, quelques uns de mes camarades de promotion, mais aussi beaucoup d autres, jeunes et anciens, venus de province. Après le spectacle en première partie de soirée, c est le bal jusqu à l aube. Je mets en pratique toutes les danses : valse, tango, paso-doble, slow, que j avais apprises au club pendant l année écoulée. Avec les camarades qui habitent le quartier St-Antoine, nous nous attardons et rentrons joyeusement en métro vers huit heures du matin. Ce dimanche 22 dans la matinée, Pierrot devait retrouver sa fiancée Josiane accompagnée de sa mère, chez Marinette, le bistrot au coin de l hôpital St-Antoine. Leur mariage prévu pour la semaine suivante, a failli être rompu à la suite d un malentendu. Josiane et sa mère, avaient aperçu Pierrot dans la rame du métro à l arrêt, alors qu elles étaient, elles, sur le quai d en face, au moment où nous étions tous, les copains habitants le quartier St-Antoine, en train de bien rigoler en revenant du gala. Au café chez Marinette, après quelques explications, tout s est finalement bien arrangé. Pierrot et Josiane se sont bien mariés le 28 janvier et sont allés s installer en banlieue «LesMureaux», en «Seine et Oise» devenue les Yvelines depuis la nouvelle répartition des départements franciliens. Actuellement nous avons toujours beaucoup de commandes pour les grands magasins «Au Printemps». Courant février, pendant trois samedis, nous avons travaillé de dix-huit heures à vingt-trois heures et les trois dimanches, de huit heures du matin à dix-huit heures, ce qui donnait des semaines bien remplies. Les comptoirs de vente fabriqués à l atelier, devaient être installés pendant la fermeture du magasin. En plus des heures payées double, nous percevions des indemnités de repas. Au cours de cette période des années cinquante et soixante, les entreprises sérieuses regorgeaient de travail, on travaillait beaucoup et personne n était stressé.

125 Comme j utilise de plus en plus mon scooter, il est nécessaire de m équiper un peu mieux. Le 20 mars, j achète un pare-brise pour me protéger de la pluie et du vent 6500 francs, un casque 2500 francs, une paire de gros gants fourrés 1400francs, un gros pull-over beige 4000 francs. Cet équipement me permet de rouler plus confortablement. Le samedi 24 mars, je travaille toute la journée ainsi que Pierrot, et en fin d après-midi, je le reconduis à scooter chez lui «Aux-Mureaux». Je passe la soirée, la nuit et la journée du dimanche avec lui et Josiane son épouse. Cinquante-cinq ans plus tard, nous continuons à nous fréquenter régulièrement. Le vendredi 30 mars, je travaille encore chez un particulier à installer un ensemble d éléments et le client me gratifie d un pourboire de 1000 francs. J ai toujours mon vélo cyclotouriste garé dans la cour de l hôtel où il risque de s abîmer, et ce vendredi soir, je l expédie par la S.N.C.F à Marles, afin de le donner à mon frère Henri, qui l utilisera pendant plusieurs années encore. Coût de l expédition 690 francs. Le samedi 31, je pars à Marles pour le week-end de Pâques avec le scooter équipé de son pare-brise. C est plus agréable, car le vent plutôt frais du matin, n arrive plus directement sur le corps. Après avoir passé le dimanche tranquillement chez moi, le soir je vais me dégourdir les jambes au bal à l Eldorado à Auchel, un des rares dancings du secteur. Malgré le plaisir que j éprouve à danser, je ne trouve pas l ambiance excitante et je ne m attarde pas. Le lundi de Pâques, je vais déjeuner chez ma sœur Lucienne, et en fin d après-midi, je reprends la route de Paris. Depuis ma sortie de l école, j ai toujours adhéré à la mutuelle des anciens élèves de l école d Alembert, dont les réunions se tenaient le dimanche matin, et à cette époque au premier étage du café le «Tambour» place de la Bastille. Ce dimanche matin 15 avril, je vais donc à la réunion pour retrouver quelques camarades, surtout ceux qui ne résident pas dans le secteur et que je ne rencontre pas souvent. Je paie ma cotisation annuelle de 1200 francs.

126 Guerre d Algérie 1956 Fin 1954 l insurrection algérienne se développe, et s intensifie en La France instaure l état d urgence et doit engager d importants moyens militaires. Début 1956 il est décidé de rappeler sous les drapeaux les jeunes ayant accomplis leur service militaire, afin de les envoyer en Algérie pour assurer le maintient de l ordre, c est la version officielle, mais en réalité c est une guerre qui va durer plusieurs années. Le mercredi matin 18 avril 1956, deux gendarmes se présentent à l atelier chez ThéveninFert-et-Mayet pour me remettre en main-propre la convocation qui stipulait que j étais rappelé en activité pour l Algérie et dans l obligation de me rendre au camp de Sissonne (Aisne) dans les plus brefs délais. Les gendarmes voulaient même que je parte le lendemain. Je leur ai fait remarquer qu habitant à l hôtel, je devais au préalable mettre de l ordre dans mes affaires et aller voir ma famille en province. Je me souviens encore de leur réponse : «Eh bien, faites pour le mieux mais ne tardez pas trop». A l atelier, après avoir rangé tous mes outils dans les caisses, elles-mêmes mises en sécurité dans un local fermé, j ai fait mes adieux aux camarades qui ne pouvaient pas faire autrement que de me souhaiter bonne chance. Le jeudi 19 avril, je regroupe quelques affaires dans une valise, abandonne le reste dans la chambre d hôtel que je garde en location et pars avec mon scooter à Marles où je compte le laisser. Le vendredi 20, je confie mon scooter à mon frère Henri qui peut le ranger dans le garage, chez ses beaux-parents où il habite encore. Je lui confie également mon livret de caisse

127 d épargne et francs en espèces que je n avais pas eu le temps de placer. Je vais chez Lucienne, Simone et Maurice afin de leur expliquer que j étais rappelé à l armée pour aller en Algérie et bien sûr, leur dire au revoir. Le samedi 21 avril, je quitte donc Marles par le train de six heures vingt pour Béthune, Arras, Douai, Saint-Erme où j arrive à onze heures quarante. A la gare, un camion militaire récupère les jeunes rappelés au fur et à mesure qu ils arrivent pour les conduire au camp de Sissonne. Dans le train j ai eu la surprise de retrouver un camarade de l école primaire, Michel Vasseur qui fait également partie des rappelés. En arrivant au camp, je suis reçu au mess des sous-officiers. Ensuite je passe le reste de la journée en visite médicale et à essayer les nouveaux habits kaki que je devrai désormais porter, pendant une durée indéterminée. Dimanche 22, nous avons quartier libre dans le camp. Je me lève à huit heures, et à dix heures trente, c est en tenue militaire que j assiste à une messe chantée. Je passe l après-midi au foyer «Jeanne d Arc» à jouer au ping-pong et toujours grand amateur de cinéma, je regarde un film dont le titre «Pitié pour celui qui tombe», est presque de circonstance. Le lundi 23 se passe à organiser les sections pour constituer la compagnie. Je suis affecté à la 4ème section de la 9ème compagnie du 3/ 94ème régiment d infanterie. Michel Vasseur, le camarade de Marles, était resté près de moi pour être dans la même section et ensuite m avait demandé de le prendre dans mon groupe. Nous sommes donc restés ensemble pendant la durée de notre séjour en Algérie. Le mardi 24, on nous inflige une piqûre de rappel qui fait suite à celles déjà subies lors du service militaire. Piqûre toujours aussi douloureuse qui nous contraint au repos pendant quarante-huit heures avec l obligation de ne pas sortir du camp. Dans l impossibilité de remuer l épaule, je ne peux pas jouer au ping-pong, j en profite pour faire un peu de correspondance, lire, et jouer aux cartes. Les 26, 27, 28, et 29 avril, sont occupés avec l armement et l entraînement au tir. C est sérieux car il s agit de savoir utiliser les armes que l on nous attribue. Il y a également quelques moments de détente avec la possibilité de sortir dans Sissonne que je ne pensais pas revoir aussi vite. Mais l ambiance était différente car les circonstances de notre présence à Sissonne n étaient plus les mêmes. Lundi 30 avril, c est le grand branle-bas de départ. Rassemblement avec armes et paquetage, avant de quitter le camp à pied pour rejoindre la gare de Saint-Erme où nous nous installons dans de vieux wagons.

128 A dix-neuf heures quarante, coup de sifflet et c est parti pour un long périple vers l inconnu, vers un pays hostile et en guerre, l Algérie. Ce train spécial militaire, ne devait certainement pas avoir la priorité sur le parcours, car nous nous arrêtons souvent, et j ai largement le temps de passer une tête à l extérieur dans les gares que nous traversons : Reims, Châlons-sur-Marne, Dijon, Lyon, Montélimar, Tarascon, Avignon, Marseille où nous arrivons à dix heures le lendemain matin, soit plus de quatorze heures de train. En juillet 1954, lors de mon départ vers la Tunisie, nous avions battu le record de lenteur avec vingt-huit heures de train pour descendre à Marseille. Nous sommes transférés immédiatement au camp militaire Sainte-Marthe, que je retrouve tel que je l avais connu en Comme rappelé et sergent, je perçois maintenant une vraie solde, rien de comparable avec l argent de poche que l on nous attribuait pendant le service militaire, mais par contre au mess des sous-officiers, j ai dû payer mon repas 180 francs. En ce qui concerne ma solde, j en perçois la moitié moins les frais de nourriture que retient l armée, l autre moitié est virée directement sur un compte bloqué à Lille au nom de mon frère Henri que j avais désigné comme titulaire. L après-midi de ce mardi 1er mai, se passe en promenades dans le camp. J en profite pour acheter quelques cartes postales de Marseille et de les expédier à la famille à Marles. Le mercredi 2 mai, nous embarquons à onze heures sur le paquebot «Ville d Alger» qui est la copie conforme du «Ville d Oran» à bord duquel j avais effectué deux traversées, en 1954, lors de mon expédition en Tunisie. Comme sur le «Ville d Oran» on m attribue une cabine deux places en classe touriste. Je prends également mes repas au restaurant avec les civils, en profitant des mêmes menus qu eux et je peux dire que les repas étaient plus que corrects. A table, la conversation porte évidemment sur les évènements en Algérie, on nous félicite, nous les militaires, d aller remettre de l ordre dans ce pays où vivent des milliers de colons Français. Je me permets de

129 leur expliquer que je vais là-bas contre mon gré, mais ne sachant pas à qui je m adresse, je me garde bien de leur dire que je me fiche éperdument des colons qui souhaitent surtout garder leurs privilèges dans un pays que je n ai jamais vraiment considéré comme faisant partie intégrante de la France. Je passe beaucoup de temps sur les ponts arrières, appuyé au bastingage, à admirer les longues traînées blanchâtres d écume que laisse le navire derrière lui. J essaie aussi de descendre dans les entrailles du bateau afin de visiter les salles des machines. On se perd facilement et il fallait bien se repérer en parcourant toutes ces longues coursives. A huit heures trente ce jeudi matin 3 mai, nous arrivons à Bône, grand port de l est algérien. Débarquement et installation dans les hangars du port avec la mise en place immédiate d un service de garde que nous assurons par roulement. Curieux de connaître un peu cette ville, et malgré les instructions qui nous recommandaient de ne pas quitter le quartier, en petit groupe, nous sommes quand même sortis en soirée pour aller dîner dans un restaurant français et acheter quelques cartes postales. Le vendredi 4 mai, ça devient sérieux, on nous distribue les munitions. A Sissonne on nous avait bien remis les armes, mais nous n avions rien à mettre dedans. Comme sergent, j avais des jumelles, un pistolet à la ceinture et en plus j avais un P. M ( pistolet mitrailleur). Le soir, nouvelle sortie pour aller dîner. Nous sommes allés au Ritz, restaurant tenu par des Français où nous avons apprécié le repas pour un prix correct. Fraîchement débarqué, nous avons bien entendu été questionnés par les patrons qui voulaient savoir de quelle région nous étions, mais surtout savoir comment on réagissait en métropole sur les évènements en Algérie. Eux aussi, trouvaient formidable de voir arriver des renforts militaires. Contrairement aux réserves prises lors des entretiens avec les civils sur le bateau, nous avons été beaucoup plus directs. Nous leur avons fait comprendre que nous étions tous rappelés et pas du tout d accord pour venir nous battre dans ce pays, et de risquer notre vie, afin de défendre les intérêts de quelques gros colons. Ces restaurateurs nous ont expliqués qu ils ne faisaient pas partie de cette catégorie et qu ils devaient travailler dur et même souvent plus que les Algériens pour réussir à maintenir leur commerce. Nous nous sommes quittés en nous souhaitant mutuellement bonne chance. Samedi matin 5 mai, j achète pour 1000 francs un poignard avec son étui que l on fixe au ceinturon, en me disant qu il pourrait être utile, sans trop savoir à quoi. Curieux de savoir où je suis, j achète également une carte Michelin 151 d Afrique du Nord, ce qui me permettra ensuite de suivre tous mes déplacements. Un peu plus tard, ordre nous est donné de préparer nos paquetages et à quinze heures nous quittons Bône par chemin de fer, dans des wagons à bestiaux. En dehors des officiers supérieurs, personne ne semble savoir où nous allons, même les sous-lieutenants l ignore. Arrêts fréquents : Jemmapes, Saint-Charles, Robertville, quelques noms que j avais notés au

130 passage. A vingt et une heures, nous arrivons à Constantine où nous passons la nuit en gare, dans l inconfort des wagons à bestiaux. Les noms français des villes et de certains villages, me font oublier par moment que je suis en Algérie. La vitesse réduite du train permet également d admirer la région traversée surtout la région montagneuse de Constantine qui est magnifique. Dimanche 6 mai à cinq heures, départ de Constantine toujours dans les mêmes wagons. Je suis de service de garde en tête du train sur la plate-forme équipée de fusils mitrailleurs. Nous traversons la région des lacs, moins attrayante, pour arriver à Batna à midi. Batna qui se trouve à cent-vingt kilomètres environ au sud de Constantine, est la porte d accès au massif de l Aurès dont certains sommets culminent entre 1700 et 2330 mètres. En gare de Batna, transfert de la troupe et du matériel dans les camions. Formation en convoi pour prendre la route vers le nord-est. Nous n allons pas très loin car le convoi s arrête une première fois à Fesdis et ensuite à El-Madher où nous installons notre bivouac sur un plateau au pied du massif El-Mader qui se dresse à 1746 mètres. Lundi 7 mai, nous installons notre campement pour durer, mais sans savoir pour combien de temps. On nous communique notre secteur postal S.P 86495, car depuis notre départ de France, si nous pouvions envoyer du courrier, nous ne pouvions pas en recevoir. Mardi 8 mai à dix-huit heures, je pars avec la section pour le djebel Bou-Arif qu il faut escalader et nous prenons position pour la nuit sur les crêtes, afin d assurer la protection du camp un peu plus bas dans la plaine. A partir de minuit, la température baisse considérablement et en altitude elle devient glaciale. Prévenus de ces changements brutaux de température entre le jour et la nuit, nous étions équipés de nos capotes et de nos gants ce qui nous a permis de ne pas geler complètement. Lorsque nous sommes redescendus vers huit heures du matin, j ai été tout aussi surpris par la chaleur qui vous tombe dessus très brutalement, il fallait se dévêtir au fur et à mesure de la descente. Je me souviens que descendre les rochers était beaucoup plus pénible et surtout plus dangereux que de les escalader. A neuf heures trente, j ai enfin pu me coucher pour un repos bien mérité jusqu au déjeuner à douze heures trente. L après-midi nous nous entraînons au tir et le soir je suis de garde à dix-neuf heures trente. Ensuite j assure le quart de nuit de vingt-trois heures à deux heures trente du matin. Je prends très au sérieux ce travail qui demande beaucoup de vigilance, car il y va de la vie de ceux qui se reposent en toute confiance. Dimanche 13 mai, réveil à quatre heures pour aller à Batna. Défilé et prise d armes sous une chaleur insupportable et un soleil de plomb qui vous brûle la peau, surtout quand il faut rester immobile au cours des cérémonies. De retour au camp à treize heures, repas et sieste jusqu à seize heures. La tente surchauffée n est pas l endroit idéal pour faire la sieste mais il n y avait rien d autre où trouver un peu de fraîcheur. Mardi 15 mai à quatre heures trente, départ en camion pour une opération, où? Comme toujours, nous n en savons rien. Nous passons à Batna, et par le col de Talmet à 1750 m, nous allons à Corneille. Je ne suis pas très rassuré en roulant, la route est étroite, sinueuse, et cahoteuse. J ai en permanence, l impression que notre camion va basculer dans les ravins. Après avoir abandonné les camions, nous poursuivons à pied la progression jusqu à 2000 m, et redescendons ensuite en formation de ratissage vers la vallée. Nous installons notre bivouac près d un point d eau où je monte ma tente individuelle pour la nuit. Nous passons la journée du mercredi 16 au même endroit à nous reposer et en dehors des heures de garde, je dors une bonne partie du temps à l ombre des arbres car cet endroit montagneux est relativement bien boisé. Jeudi 17 mai, réveil à deux heures du matin pour lever le camp à trois heures trente. Descente en ratissage sur Corneille-Bernelle où nous récupérons les camions et rentrons au camp de Fesdis en fin de journée, en passant par le village de Pasteur. Grace à ma carte, je peux suivre nos déplacements et je reste étonné de constater que ces petites bourgades ont des noms de Français célèbres.

131 Au camp, nous pouvons prendre possession de notre courrier, et je dois reconnaître que ça fait plaisir, d avoir enfin des nouvelles de France. Des lettres de ma mère, de mes frères Maurice et Henri, de Thérèse Nuvelone ma voisine et amie de l hôtel Sainte-Marguerite à Paris, de Marcel Lebris copain séminariste connu au régiment. Toutes ces lettres font un bien immense et permettent de garder le moral. Samedi 19 mai, nous percevons un équipement mieux adapté pour la région. Chapeau de brousse, un calot en toile plus léger et moins chaud que le calot en drap épais, et des chaussures «pataugas» qui sont les bienvenues pour crapahuter et surtout pour éviter de se tordre les chevilles en escaladant les rochers. Dimanche 20 mai, nous levons le camp, notre régiment le 3/94e RI fait mouvement, comme on dit à l armée. La 1ère compagnie, celle à laquelle j appartiens s arrête à Bou el Freiss. Sur le parcours nous sommes tombés sur une route coupée par la démolition d un passage souterrain que les rebelles avaient fait sauter. Comme toujours, en arrivant sur un nouveau campement, il faut organiser en priorité les postes de garde afin d éviter les attaques surprises. Ce jour là, tous les officiers et sous-officiers de la compagnie, sommes invités à une petite réception par la coloniale du 3/24e au cours de laquelle nous apprécions un bon repas. Lundi 21 mai, je participe à une mission d escorte à Edgar-Quinet pour l approvisionnement de la compagnie et d une section en poste dans une ferme isolée sur la plaine de Bretteville. Le 23 mai, déménagement du camp, notre section va s installer dans la ferme de Bretteville pour remplacer les militaires que j avais vus deux jours plus tôt. Le reste de la Cie commandée par le lieutenant Beau, va s installer dans un village à vingt kilomètres environ de l autre côté des collines. La ferme située sur une vaste plaine entourée de petites montagnes, est composée de quelques bâtiments agricoles disposés en rectangle, d une maison d habitation au centre, avec un puits d eau potable. Le sous-lieutenant, chef de section et les quatre sergents, nous nous installons dans la maison, tandis que le reste de la section s installe dans un hangar dont l étage est aménagé en dortoir. Notre mission est de protéger l exploitation : Bâtiments, matériels, et les cultures essentiellement céréalières comme le blé. Mais cette mission consistait aussi et surtout à occuper cette zone immense afin d éviter que des rebelles ne s y installent. En arrivant, la première des urgences est notre propre sécurité. Nous mettons immédiatement en place des postes de surveillance avec fusils mitrailleurs aux quatre coins des murs d enceinte. Pour réaliser des travaux de maçonnerie afin de renforcer la protection des murs d enceinte, des abris d observation et de défense, nous sommes obligés de récupérer des matériaux de construction sur des cabanes abandonnées. Nous effectuons plusieurs voyages avec un camion, en évitant d aller trop loin et sans négliger les mesures de sécurité. C est ainsi que nous érigeons de vrais blockhaus en miniature dans lesquels sont installés les fusils mitrailleurs en position de tir, ainsi qu un mirador. Pour être honnête je dois préciser que mon rôle consiste à donner quelques directives et à surveiller les travaux, mais comme je suis également concerné par la sécurité collective, je n hésite pas à donner un bon coup de main pour stimuler les autres afin d activer les constructions. Le seul lien qui rattache notre section de 30 personnes à la compagnie, c est la radio. En cas d attaque, nous ne devons compter que sur nous-mêmes pour nous défendre. Le fermier vit seul depuis le début des émeutes, sa famille étant retournée en France par mesure de sécurité. Comme le bon moral des troupes commence par une bonne nourriture, nous construisons sans tarder, le lendemain 24, un abri avec toiture afin de protéger notre matériel de cuisine si précieux pour la préparation de nos repas. Notre cuistot, rappelé comme tous les gars de la section, est un vrai professionnel de la boucherie à Roubaix. Ce soir là, il réussit même à nous

132 préparer un bifteck avec des frites comme on les fait dans le Nord. L après-midi, de quinze heures trente à dix-huit heures, avec cinq hommes j assure une patrouille dans le secteur. C est la première fois depuis mon arrivée en Algérie que je me retrouve dans un environnement hostile aux Français avec un effectif aussi réduit. Le secteur est plutôt isolé, quasi désertique et aucun d entre nous n était vraiment rassuré, même armés de fusils, fusil mitrailleur et bazooka (lance roquettes). Je n ai pas eu besoin de recommander une vigilance permanente car nous avions tous les six, les yeux grands ouverts. Cette première patrouille s est bien déroulée ainsi que toutes les autres d ailleurs. En ma qualité d adjoint au chef de section, je suis chargé d établir le planning de toutes les gardes pour toute la section. Avec les autres sergents, nous nous partageons les permanences et cette nuit là, je prends le quart de minuit à deux heures du matin. Nous sommes tellement isolés que c est une patrouille de parachutistes qui vient nous apporter le courrier les 27 et 30 mai. A la ferme nous entreprenons des travaux de nettoyage pour vivre dans un minimum de propreté et d hygiène. Le sous-lieutenant Lemoine, rappelé également, m apprend à jouer au bridge et aux échecs, ce qui permet de passer le temps pendant les périodes consacrées à la sieste ou le soir et bien sûr, en dehors des heures de permanences et de patrouilles. Vendredi 1er juin, nous effectuons une patrouille avec les parachutistes qui trouvent un Algérien blessé et l embarquent avec eux, car à la ferme nous ne sommes pas équipés pour soigner. Beaucoup d habitations sont désertées par leurs habitants et les animaux domestiques sont abandonnés. Sans hésiter, nous récupérons quelques vaches abandonnées dans la nature et nous les ramenons à la ferme. Le soir même après le coucher de soleil, notre cuistot-boucher en abat une en nous expliquant que la viande pourra ainsi se raffermir pendant la nuit toujours plus fraiche, et n en sera que meilleure. Pour notre petit déjeuner, nous avons droit aux meilleurs morceaux de la bête. Il n est pas question de se priver, et nous en profitons largement, car sans réfrigérateur la viande doit être consommée rapidement. Le Général Vanuxen commandant la région, vient en hélicoptère nous rendre une visite à la ferme. Originaire du Nord comme tous les gars de la section, il est d un abord très agréable et s enquérit de nos conditions de vie. Nous en profitons pour lui présenter nos doléances concernant la viande infecte que l intendance nous expédie. Nous lui suggérons d acheter la viande sur pieds et sur place, ce qu il accepte sans hésitation en nous disant qu il allait donner les instructions pour que notre demande aboutisse rapidement. Dimanche 3 juin, je ne suis pas de service, j occupe mon temps en lessive, lecture, écoute la radio. Je me promène un peu autour de la ferme.. Je joue également au Rami et au bridge que j apprends très rapidement

133 Lundi 4 juin, je passe la matinée en patrouille pour un contrôle d identité avec fouille des rares mechtas isolées du secteur (Habitations locales) à la recherche d éventuelles caches d armes. Nous jetons un coup d œil à l intérieur des demeures mais sans trop nous attarder car il y fait très sombre. On fouillait également les grandes jarres remplies de céréales susceptibles de cacher des fusils. Ce type de contrôle se renouvellera plusieurs fois, mais nous n avons jamais trouvé d armes. Les gens n avaient en apparence, aucune agressivité envers nous, et en moi-même je les plaignais car il fallait voir dans quelles conditions ils vivaient. En France, en 1956, dans certaines régions retirées, les paysans n avaient pas toujours de maisons confortables, mais là, j avais du mal à réaliser comment on pouvait vivre de cette façon, dans des taudis qui ressemblaient plus à des étables qu à des logis, et surtout sur ces terrains rocailleux où les cultures ont du mal à pousser. Mardi 5 juin, lever à quatre heures trente et à cinq heures trente nous quittons la ferme, plus nombreux cette fois et avec le sous-lieutenant, 15 personnes, c est-à-dire la moitié de la section. Par les sentiers de montagne, nous effectuons environ 20 kilomètres à pied pour atteindre Yabous, le village où se trouve notre compagnie. Après avoir déjeuné et pris un peu de repos, nous reprenons le même chemin montagneux pour rentrer à la ferme où nous parvenons à dix-huit heures trente. Ce soir là, j assure la garde de vingt à vingt-deux heures, ce qui veut dire que la journée fut longue et fatigante. Cette liaison avec la compagnie à Yabous, se renouvellera plusieurs fois pendant mon séjour à la ferme et je dois reconnaître que ces longues randonnées sur les sentiers de montagne ne me déplaisaient pas. J aimais marcher, les pieds nous portent, nous transportent, nous supportent, mais si le mental, lui, n est pas d accord, les pieds refusent parfois de suivre. Le dimanche de Pentecôte 10 Juin, j assure le quart de quatre à six heures. Ensuite dans la matinée, j effectue une patrouille dans le secteur Est de la ferme. Quand on est peu nombreux, sans être vraiment angoissé, ce n est quand même pas très rassurant et il faut être sur le quivive en permanence. Le midi, avec le sous-lieutenant et les autres sergents, nous prenons l apéritif. Il faut préciser que nous avons la possibilité d acheter quelques bouteilles d alcool qui nous sont livrées par les convois qui effectuent notre ravitaillement. Préparé par notre cuistot-boucher, le repas est excellent : Jambon-beurre, bifteck-pommes anglaises, cerises et gâteau, café. Satisfaits, ceux qui n assurent pas la garde peuvent faire une bonne sieste, ce que je fais jusqu à seize heures. Ensuite détente en jouant aux cartes : bridge, belotte, rami. Lundi 11 juin, également journée de repos en dehors des gardes bien sûr. Repas toujours excellent et sieste. Je fais toujours beaucoup de correspondance : A la famille, aux amis et aux copains comme Pierre François, Robert Raymond.

134 Camille dans le rôle de gardien de but. Le pré devant l entrée de la ferme, nous sert de terrain de football et de volley pour nous défouler collectivement de temps en temps en fin d après-midi après la chaleur. Le terrain derrière est également dégagé ce qui nous permet de surveiller plus facilement les abords. Pendant nos jeux, des sentinelles sont postées à proximité avec des fusils mitrailleurs. Il fait chaud sous les casques et nous avons besoin d avoir les cheveux courts. Dans l impossibilité d aller chez le coiffeur, nous devons nous débrouiller entre nous. Me rappelant que j avais exercé la fonction de merlan «coiffeur» au début de mon service militaire, je me dévoue en raccourcissant les tignasses de quelques gars de la section, mais sans tondeuse, et cette fois-ci, personne ne s est plaint des escaliers dans la coupe.

135 Salon de coiffure à l ombre de la maison d habitation Jeudi 22 juin, cinq heures, réveil en fanfare. Arrivée à la ferme d une partie de notre compagnie accompagnée d autres compagnies du bataillon. Avec armes et rations militaires pour deux jours, nous embarquons à bord des camions pour la montagne où nous prenons position en postes de combat. Il n y eut cependant aucun combat, je pense qu il devait plutôt s agir d une manœuvre d entraînement et en même temps d intimidation pour les fellaga du coin. Pour compléter nos rations et améliorer nos repas, quelques débrouillards de notre section sont allés récupérer plusieurs poulets qui avaient le malheur de se trouver éloignés de leur propriétaire, et que nous avons fait rôtir sans autre forme de procès. Nous sommes restés également dans la montagne toute la journée du 23. Les nuits sont fraîches et ces deux nuits ont été très éprouvantes car nous n avions rien pour nous allonger sur le sol rocailleux et encore moins pour nous protéger du froid. Le dimanche 24 à quatre heures du matin, je fus très heureux de quitter les lieux et à sept heures nous étions de retour à la ferme de Bretteville pour un repos bien mérité, en dehors des heures de permanence bien sûr, sécurité oblige. Je passe une bonne partie de mon repos à jouer au bridge que je commence à bien maîtriser. Dimanche 1er juillet, étonnement général. C est à dos de mulets que nous arrive notre ravitaillement avec une patrouille à pied. On nous apporte également le courrier et une partie de notre solde de juin en espèces qui est pour moi de francs, l autre partie étant virée directement sur mon compte en France. Mardi 3 juillet, alors que la nuit est tombée depuis longtemps et que je suis au lit, alerte dans la ferme, le feu prend dans les champs de blé. Branle-bas de combat. Comme je dors en survêtement, je suis vite debout, le temps d attraper mon P M (pistolet-mitrailleur), de boucler mon ceinturon avec les chargeurs, de prendre quelques grenades et les consignes fusent immédiatement. Pendant que nous organisons une sortie de la ferme, le fermier et les quelques ouvriers Algériens qui lui sont restés fidèles, sortent les machines agricoles pour faucher de larges saignées dans les parcelles de blé afin d isoler celle où le feu a pris et ainsi éviter que l incendie ne se propage à toute la plaine. La patrouille que nous effectuons

136 n aboutit à rien, l incendie est circonscrit et après nous être assurés que le secteur est redevenu calme, nous rentrons à la ferme. Mercredi 4 juillet, nous effectuons une patrouille avec contrôle d identité. Cette nuit là peu avant minuit, le feu reprend dans un champ mais il est vite maîtrisé. Avec quelques gars, j effectue une patrouille mais en sachant d avance que nous ne trouverions personne. Cette sortie de nuit aurait pu se terminer par un drame. Au retour, une fois arrivés à proximité de la ferme, malgré les signaux de reconnaissance convenus que nous envoyons avec nos torches électriques, les camarades de garde nous tirent dessus au fusil mitrailleur. Nous réussissons enfin à nous faire reconnaître et c est une chance que personne dans le groupe ne fut tué ou blessé. Lundi 9 juillet, par message radio nous recevons l ordre de préparer nos sacs et armement. A dix-huit heures, la section au complet part en camions afin de rejoindre définitivement la compagnie à Yabous. Une autre section viendra assurer la relève. En arrivant au village, au lieu de loger dans les locaux de l école avec les autres sections, nous allons nous installer quatre cents mètres environ plus loin, sur une colline qui domine les installations de l école. Nous commençons immédiatement par creuser des trous individuels, pour dormir, mais aussi pour nous protéger d éventuels tireurs embusqués dans les massifs boisés qui nous entourent. Sur un sol rocailleux et aride, avec la petite pelle que chacun de nous possède dans son paquetage, j ai quelques difficultés à creuser un trou suffisamment profond pour m y allonger. Heureusement mon petit 1m63 m évite de creuser trop long. Ce trou surmonté de ma tente va devenir ma chambre pour plusieurs nuits, le temps de nous construire des logements. Ce n est pas très confortable, c est le moins que l on puisse dire, mais par obligation on s adapte à toutes les conditions de vie, même si elles sont parfois difficiles à supporter. Le lendemain mardi 10 juillet, lever à six heures pour entreprendre sans tarder la construction de plusieurs blocs de logements. Travaux de maçonnerie jusqu à onze heures avec pause à neuf heures pour le petit déjeuner. Tente individuelle couvrant notre trou pour dormir Je descends parfois à l école, prendre les repas avec les sous-officiers et les officiers et remonte ensuite sur le piton qui devient définitivement mon lieu de résidence. Après la traditionnelle sieste que je passe à lire, nous reprenons le travail de quinze heures quarante-cinq jusqu au dîner à dix-huit heures. Désormais, les patrouilles sont réalisées avec un effectif beaucoup plus important, l équivalent d une section parfois deux avec les sous-lieutenants, à pied ou en camions selon les missions. Bien souvent, nous partons très tôt le matin ce qui nous oblige à nous lever vers quatre voire trois heures, et rentrons un peu avant midi.

137 Il m arrive assez régulièrement de participer à des convois pour aller chercher le ravitaillement et le courrier à Edgar Quinet, petite ville où se trouve une caserne avec l intendance. Les jours sans patrouille, nous nous transformons en bâtisseurs. Construction des blocs logements et d un grand mirador. Le jeudi 12 juillet, un cargo Nord-Atlas nous parachute des matériaux pour nos constructions et des colis de ravitaillement qu il faut ramasser. L après midi je vais me baigner dans l oued pas trop loin de l école, mais avec une surveillance armée. Les militaires cantonnés dans l école depuis fin mai, avaient installé un barrage avec des troncs d arbres sur ce petit cours d eau presque asséché en cette période de l année, afin de créer un bassin suffisamment long et profond pour effectuer quelques brasses Samedi 14 juillet, lever sans clairon à six heures. La matinée se passe gentiment comme pour un jour de repos en commençant par le petit déjeuner, la toilette, et en ce qui me concerne, se poursuit par un peu de lecture. Le repas de midi est excellent : Poulet, rosbif, couscous pommes rissolées, le tout suivi d une bonne sieste, quasi nécessaire jusqu à seize heures. A dixsept heures trente, le lieutenant Beau, commandant la compagnie, offre l apéritif aux officiers et sous-officiers avant de nous remettre à table pour le dîner. Ce fut une très bonne journée de fête nationale. Mercredi 18 juillet, je passe la matinée en convoi à Edgar-Quinet. Le soir, les copains n oublient pas de me souhaiter la Saint Camille. Bien entendu je me plie de bonne grâce à cette tradition, en leur offrant une bière, qui n est pas toujours très fraîche malheureusement. Jeudi 19 juillet, lever à cinq heures. Avec la section, j effectue une patrouille à pied d une vingtaine de kilomètres dans le secteur. Je prends quelques photos des habitations et je suis toujours étonné de voir comment vivent les habitants de cette région. L après-midi, petite sieste et baignade dans l oued à proximité de l école. Pour pouvoir nous baigner en toute sécurité, nous prenons toujours les précautions d usage. A tour de rôle, quelques sentinelles sont postées avec fusil-mitrailleur sur les hauteurs. Samedi 21 juillet, encore de convoi à Edgar-Quinet, mais cette fois nous restons à la caserne et je déjeune au mess avec les sous-offs. Le temps d une petite sieste et nous repartons pour Yabous où nous arrivons vers seize heures. Pas le temps de souffler, car à peine arrivé, je repars assurer une ouverture de route. Mardi 24 juillet, lever à trois heures quarante-cinq pour partir en patrouille à quatre heurestrente dans la montagne. Retour un peu avant midi pour le déjeuner. Pour ce type de patrouilles, assez fréquentes, que nous effectuons loin de notre campement, nous partons très nombreux et en camions. Dans ce massif de l Aurès, les journées sont chaudes sans être d une chaleur accablante. Après minuit, la fraîcheur s installe et il est plus prudent de s endormir avec le ventre couvert pour ne pas se réveiller avec une bonne diarrhée. La nuit, lorsque je suis de permanence, de minuit à deux heures trente par exemple, j apprécie souvent ces instants de calme. Je regarde la voûte céleste avec parfois, la chance d apercevoir une traînée laiteuse qui traverse le ciel, éclairant la nuit d une multitude de points lumineux. C est magnifique, je reste admiratif, sans jamais me lasser d observer ces milliards d étoiles. La nuit, les bruits se répercutent très loin et il arrivait aussi que le calme soit déchiré par les aboiements ininterrompus de quelques chiens des mechtas pourtant éloignées du camp. Il y avait également certaines nuits, au loin, le hurlement lugubre d un animal, chacal ou hyène, qui rodait à la recherche de nourriture.

138 Le samedi 28 juillet après-midi, comme cela se reproduira assez souvent, je suis responsable du convoi pour un aller-retour à Bretteville afin de ravitailler la section en poste à la ferme. Le lendemain dimanche 29, c est à huit heures que nous partons pour Edgar Quinet. Ces voyages sont fréquents pour l approvisionnement, le courrier à expédier et à réceptionner. J en profite pour m acheter un album photos 3000 francs et une valise 1600 francs afin d y ranger mes petites affaires personnelles : les lettres que je reçois, les photos, etc. Retour à douze heures trente pour le déjeuner. Repos tout l après-midi avec la visite de la Croix-Rouge qui nous offre cigares et cigarettes, que j offre aux copains au cours de parties de cartes. Quant à moi, je n éprouve toujours aucune satisfaction dans le fait de fumer. La construction de nos logements avance. Quatre petits blocs disposés sur le pourtour du dôme commencent à prendre forme. Une double clôture en fil de fer barbelé avec un chemin de ronde entre les deux est posée. Un mirador en bois est érigé afin de dominer toute la colline et surveiller tous les abords. Comme nous manquons de matériaux, à plusieurs reprises, des sorties en camion ont été organisées dans les environs, pour récupérer des planches, des tuiles, sur les toitures des bâtiments délabrés et abandonnées. Le 1er août, toujours au camp d Edgar Quinet, je fais la connaissance de nouvelles recrues qui arrivent de France. J ai également eu la surprise de rencontrer plusieurs gars à qui j avais fait les classes en 1954 au camp de Maisons-Laffitte, avant mon départ en Tunisie. C est incroyable, mais ils en étaient à leur 27ème mois de service militaire. Le jeudi 2 août, la compagnie est partie en manœuvres et notre section est de garde sur la colline jour et nuit. Entre les heures de garde, nous ne nous tournons pas les pouces, bien au contraire, nous devenons des bâtisseurs, car nous avons hâte d être à l abri dans nos cabanes. Mardi 7 août, lever à cinq heures trente et départ en camions pour une opération de surveillance dans le secteur. Au retour, nous récupérons encore des matériaux sur les maisons abandonnées pour équiper nos propres constructions. Aujourd hui, j ai 24 ans et je me demande pour quelle raison je suis dans ce trou à jouer tantôt au démolisseur, tantôt au bâtisseur. Malgré cela, comme il ne faut pas se laisser entraîner dans la mélancolie, le soir, avec quelques copains, j arrose mon anniversaire. Il faut en profiter car ici, on ne sait jamais ce que nous réservera le lendemain. Sur le piton où nous sommes installés, il n y a aucune commodité. Pas d eau courante, pas de w-c, mais des latrines creusées dans le sol avec une légère isolation en bambous pour protéger une certaine intimité. Nous avons réussi à installer une ligne électrique raccordée directement

139 au réseau de l école, pour éclairer nos futurs logements. L eau potable que nous utilisons pour boire ou pour la toilette est stockée dans une petite citerne ambulante que nous devons remplir relativement souvent à l école. Pour la toilette quotidienne, nous nous lavons dans notre casque dur qui sert de lavabo. Pour la douche, il a fallu inventer un système archaïque mais efficace. Sur une petite plateforme surélevée, nous avons installé un gros fût rempli d eau qui chauffe au soleil. Une pomme d arrosoir, un levier articulé équipé d une tige en fil de fer pour le manœuvrer afin d ouvrir ou fermer l eau. Me voici à gauche devant ma chambre pour une toilette dans mon casque dur, et à droite avec le berger allemand, notre mascotte qui ne voulait plus me quitter. La chambre d à côté est occupée par notre chef de section actuel, le sous-lieutenant Lionel Leblanc ici à droite, qui est dans le civil, instituteur à l école Gambetta de Marles où j ai passé mon certificat d étude en juin Nous avions une radio qui nous permettait d être au courant de l actualité et aussi d écouter de la musique. Sur les ondes cette année là, on entendait souvent les chansons de Georges Brassens. Dans cette partie du massif de l Aurès où nous sommes installés, j ai constaté l énorme différence qui existait entre les paysans de la vallée qui cultivaient leurs lopins de terre à la main et le colon de la ferme de Bretteville qui disposait d un matériel mécanique performant.

140 Pour retourner sa terre, le paysan utilisait encore une charrue archaïque tirée par deux chevaux plus ou moins squelettiques. Le battage des maigres céréales récoltées était tout aussi rudimentaire. Les épis étaient étalés et disposés en cercle sur le sol, piétinés par les chevaux qui tournaient en rond, ainsi que par toute la famille. Par contre, le fermier colon qui exploitait des centaines d hectares dans la plaine de Bretteville, disposait d une moissonneusebatteuse moderne qui aurait fait beaucoup d envieux en France. Un matin, le mardi 14 août, au cours d une autre récupération de planches et de vieilles tuiles, des fellagha ont tiré sur nous, blessant légèrement un des nôtres. Nous avons riposté immédiatement au fusil mitrailleur dans la direction d où été partis les coups, mais sans trop savoir si nos tirs avaient touché l ennemi, car même avec nos jumelles, il fut impossible de distinguer quoi que ce soit. Sans perdre de temps, par radio, nous avons alerté la compagnie qui a elle-même, aussitôt demandé une intervention aérienne. Comme il n y eut pas d autres tirs sur nous, nous avons quitté les lieux et sommes rentrés au camp. C est seulement après notre retour, vers quatorze heures trente, que des avions de chasse et des hélicoptères ont survolé les collines boisées d où étaient partis les tirs. Pour faire fuir les rebelles embusqués dans le maquis, les hélicoptères n ont pas hésité à expédier quelques rafales de balles incendiaires, avec pour conséquence, l incendie du massif forestier qui s est consumé pendant plusieurs jours. Mercredi 22 août, nous partons et comme toujours, sans savoir à l avance où nous allons. J emporte souvent une carte routière avec moi, je peux donc repérer les itinéraires que nous empruntons en camions. Ce jour là, nous effectuons une opération de ratissage dans le djebel Chélia qui culmine à 2328m. Après avoir crapahuté une bonne partie de la journée, nous bivouaquons sur place dans la montagne. La nuit est calme mais très froide, et il est difficile de bien dormir sur un sol rocailleux malgré la couverture que nous avions pour nous

141 protéger. Jeudi 23 à seize heures, fin de l opération, nous redescendons vers les camions pour un retour à Yabous, sans avoir eu besoin d utiliser les armes. Le vendredi 24 août vers dix-neuf heures, sur notre colline, à plusieurs reprises, nous avons essuyé des tirs de fusils auxquels il a fallu riposter immédiatement avec nos fusils mitrailleurs et les mortiers. Cet échange de tirs a bien duré une demi-heure, et heureusement, personne parmi nous n a été blessé. Les tirs de harcèlements sur nos installations se sont répétés à plusieurs reprises pendant mon séjour, mais nous n avons jamais eu à déplorer de victimes au cours de ces attaques surprises. Le dimanche 26 août, nous sillonnons le secteur pour inciter les habitants à scolariser leurs enfants à l école de Yabous. Les enseignants sont des militaires français. Le 30 août, comme chaque fin de mois, c est la paie. Je perçois en espèces, environ la moitié de ma solde, l autre moitié étant toujours virée directement sur un compte en France. Pour ne pas conserver trop d argent sur moi, j expédie le lendemain, un mandat de francs à mon frère Henri qui les reversera sur mon livret d épargne. Dimanche 2 septembre, journée de repos. Officiers et sous-officiers déjeunons tous ensemble à l école, dans une pièce aménagée en réfectoire. Repas copieux et excellent que je pourrais presque qualifier de gueuleton. Après un peu de repos, le temps de digérer, nous organisons un match de football sur le grand terrain devant l école. Mercredi 5 septembre, nous allons en convoi à Edgar Quinet où nous passons la soirée et la nuit à la caserne. Repas très agréable avec apéritif au mess des sous-officiers. Je profite de l occasion pour donner des photos à développer dans un magasin Kodak de la ville. Dès l aube, le lendemain, nous repartons pour Khenchela et de là, nous gagnons la montagne. Sur un terrain relativement dégagé, on nous embarque par groupe de six dans des hélicoptères Sikorsky afin de nous acheminer en altitude. Après un vol relativement court, on nous demande de sauter de l appareil alors qu il est encore en suspension à environ un mètre du sol, pour qu il ne perde pas de temps à se poser, afin d effectuer d autres rotations très rapidement. Là-haut, nous tombons en pleine fusillade, sans savoir de quel côté prendre position, face à quoi? Face à qui? Les explications finissent par arriver et la situation s éclaircit. Notre mission consiste à boucler le secteur pour éviter toute fuite possible des fellagha, que les légionnaires sont en train de traquer et faire sortir du maquis. En observant à la jumelle les terrains en contrebas, j aperçois deux militaires couchés et inertes, probablement morts, et plus loin deux autres militaires blessés mais ne pouvant bouger. Un sous-lieutenant propose d aller récupérer les blessés. Opération délicate et dangereuse compte tenu des tirs croisés entre légionnaires et fellagha. Comme nous sommes tous rappelés, et la plupart hostiles à la guerre en Algérie, personne ne se précipite pour être volontaire. Finalement il n a pas été nécessaire de menacer qui que ce soit de la cour martial pour désobéissance, ce sont les légionnaires qui ont dégagé leurs camarades. En fin d aprèsmidi, nous sommes redescendus à pied un peu plus bas pour nous installer sur un plateau. Nous passons la nuit à la belle étoile, à même le sol, sans couverture et sans vêtement chaud, et surtout sans manger. L opération héliportée était tout ce qu il y a d improvisée. Parti dans la journée sous la chaleur, j étais torse nu sous le treillis, et, pour ne pas changer, en altitude la nuit est glaciale. Mardi 11 septembre, nous passons une bonne partie de la journée à la construction d un mur d enceinte avec meurtrières entre les deux petits bâtiments, afin de nous protéger des tirs d harcèlement sur le côté qui fait face à la montagne.

142 A gauche, les logements des quatre sergents de la section et du sous-lieutenant. A droite, nous avions même installé un local-bar pour les assoiffés. Nous avions bien sûr, récupéré un peu partout, tous les accessoires plus ou moins hétéroclites. Les camarades cantonnés dans l école en bas de la colline, venaient également se désaltérer dans notre bar. Vendredi 14 septembre, lever à quatre heures trente, et à cinq heures quinze, nous partons assez nombreux pour une patrouille à pied. Nous escaladons le djebel qui domine notre secteur pour ratisser une partie de ce massif. Il faut faire très attention où l on pose les pieds, mais les pataugas que j ai aux pieds accroche bien la roche, et elles ne sont pas trop lourdes à traîner. Je me sens d ailleurs très à l aise à escalader les rochers et j arrive même à y prendre un certain plaisir. Mardi 18 septembre à sept heures, nous partons à pied pour une opération de surveillance dans le secteur de Foum Tarit. Toute la journée, nous crapahutons sous la pluie et nous rentrons au camp vers dix-huit heures trente, trempés jusqu aux os. Depuis plusieurs jours il pleut fréquemment mais jamais aussi longtemps et c est la première fois que nous subissons une telle pluie. Dimanche 23 septembre, je passe la matinée dans la montagne pour assurer une ouverture de route. L après-midi, n étant pas de service, je participe à un concours de belote avec les souslieutenants et sergents. Le soir je dîne avec eux au P-C à l école et ne remonte sur le piton qu à vingt-deux heures trente, heureux d avoir passé un bon moment de détente. Dimanche 30 septembre, je participe au convoi qui assure la liaison avec Touffana et la ferme de Bretteville. C est toujours pendant ces parcours qu il faut redoubler de vigilance car c est sur la route que nous sommes le plus exposés. Et pourtant, c est à la tombée de la nuit, de dixneuf heures quarante-cinq à vingt heures trente, que notre piton subi plusieurs tirs de harcèlement. Personne n est blessé, nous ripostons comme à chaque fois quand nous sommes attaqués, mais sans jamais savoir si nos tirs font mouche. L essentiel est surtout de dissuader l ennemi de poursuivre ses tirs. Mardi 2 octobre, nous allons sur la route de Foum-Toub avec nos camions, afin de récupérer du sable pour nos constructions. Il faut faire très attention aux serpents qui se nichent sous les cailloux, certains font plutôt peur par leur taille. Avec mon révolver, il m est arrivé d en tuer plusieurs. Dimanche 7 octobre, nous avons inauguré le bar-foyer que nous avons construit en face de nos chambres et auquel j ai contribué à la décoration. Le repas de midi est excellent, avec une dinde pour cinq, ce qui est énorme. J ai ensuite passé

143 l après midi à jouer aux cartes. D abord à la belote, puis au bridge avec le lieutenant Beau commandant la compagnie et deux sous-lieutenants. Ce jour là, le lieutenant était mon partenaire et pendant qu il faisait le mort de la partie, il s est placé derrière moi pour observer mes cartes et voir comment je réagissais avec mon jeu. C est en étant debout dans mon dos et en apercevant mon portefeuille qui sortait légèrement de la poche arrière qu il s est dit «tient je vais faire une bonne blague à Consalvo en lui fauchant son portefeuille». C est deux jours plus tard, que je me suis rendu compte que mon portefeuille avait disparu. Ne sachant vraiment pas comment j aurais pu le perdre, j en parle autour de moi et bien entendu au lieutenant Beau qui n attendait que ça. Sans se démonter il me dit «Si tu l as perdu à l extérieur du camp, cela peut avoir de graves conséquences à cause des papiers militaires qu il contenait et que des rebelles pouvaient trouver et utiliser». Après m avoir fait languir un jour de plus, il me rendit mon portefeuille en me racontant qu un honnête paysan du coin l avait trouvé et rapporté. Bien entendu, il me fit comprendre que j étais bon pour payer une bonne bouteille de whisky. J étais très sceptique sur la véracité de son histoire mais de bonne grâce j ai acheté une bouteille de whisky «Johnny Walker» que nous avons bu ensemble avec les sous-offs et les officiers. C est à ce moment là qu il a fini par m avouer qu il était l auteur de cette blague. On peut être commandant de compagnie et savoir plaisanter de temps en temps pendant les moments de détentes. A gauche, me voici avec notre mascotte, le berger allemand, et ici agenouillé au centre gauche avec une cigogne blessée à une patte que nous avions soignée avant de la relâcher. Ce soir du 7 octobre, sur notre piton, nous avons encore essuyé des tirs de harcèlement, et notre chien, un superbe berger allemand a été tué. La nuit venue, il tournait sans cesse entre les deux rangées de barbelés clôturant notre campement. Malgré les fusées éclairantes que nous avons lancées, sur les pentes autour de notre piton, nous n avons aperçu qui que ce soit à proximité. Ce chien était notre mascotte, tout le monde l adorait, et nous l avions habitué à effectuer avec nous, les rondes de nuit le long des barbelés. Les moments de détentes, il faut les apprécier quand ils se présentent, pour éviter la déprime qui pourrait nous affecter, surtout quand on se pose des questions sur la nécessité de notre présence en Algérie et sur la finalité de ce conflit. Enfin, les travaux que nous réalisons sur cette colline pelée afin de nous loger, étaient-ils vraiment nécessaire? On aurait très bien pu nous installer dans une petite agglomération avec des bâtiments existants susceptibles de nous abriter, mais je pense qu il fallait surtout occuper le terrain dans l Aurès.

144 Il faut reconnaître sincèrement, que malgré les tirs de harcèlement, nous ne vivons pas dans une angoisse permanente. Les rebelles ne disposent pas encore d aviation, et les risques d être bombardé sont inexistants. Les vrais dangers résident surtout lors de nos déplacements en véhicules sur les routes. Nous devons constamment assurer des missions de protection «ouvertures de routes». Mission qui consiste à prendre position sur les hauteurs, à des points stratégiques, pour éviter que les convois militaires qui circulent sur la route en contrebas, ne tombent dans une embuscade. Si dans la journée nous étions plutôt sereins sur notre piton, la nuit apportait toujours une certaine crainte. La peur des sentinelles terrées dans leurs trous individuels disposés sur la périphérie du campement était bien réelle. Même moi, je n étais pas toujours rassuré quand je devais effectuer une ronde entre chaque poste de surveillance pour m assurer que tout était normal. Je me souviens d une vraie peur, la seule d ailleurs. Une nuit sans lune, au cours d une ronde, en approchant d un trou de surveillance où se trouve une sentinelle, j entends un bruit bizarre comme un gargouillis. Immédiatement je pense au pire et me dis que le gars s est fait surprendre, et que, égorgé il est en train de râler. Sur mes gardes je m allonge, et en rampant je m approche le plus possible. Mais plus j approche, plus le bruit devient familier, comme le ronflement de quelqu un qui dort. Arrivé près du trou, je vis le canon du fusil qui en sortait et me rendis compte alors que le gars dormait vraiment. En le surprenant brutalement, je risquais de lui faire peur et de recevoir un coup de fusil. Aussi sans le réveiller, je lui pris son arme tout doucement et l emportai dans le local de garde. Je suis retourné ensuite le réveiller et il a eu le toupet de me soutenir qu il ne dormait pas. Je lui ai fait remarqué alors que s il ne dormait pas, où était donc passé son fusil? Je l ai engueulé copieusement en lui expliquant qu il avait failli à son poste de sentinelle et risqué la vie de ses camarades. Je lui ai également expliqué que, si je faisais un rapport au commandant concernant sa négligence, la sanction serait la prison. Comme nous étions tous rappelés contre notre volonté, je lui ai rendu son fusil en lui demandant de terminer sa garde normalement, en gardant cette fois-ci les yeux grands ouverts. Je l ai également rassuré en lui disant que je ne ferais rien qui puisse lui créer des ennuis. Mardi 9 octobre, lever à quatre heures trente. Nous partons à pied en patrouille d observation dans le secteur. Nous rentrons vers neuf heures avec 5 vaches que nous avons trouvées totalement perdues dans des friches. Nous parquons ces vaches dans un enclos aménagé près de l école et elles vont assurer notre approvisionnement en viande fraîche. En octobre, des rumeurs d une prochaine libération circulent parmi les rappelés. Les premiers à partir sont les mariés ou célibataires soutiens de famille. Mardi 16 octobre à seize heures, nous partons en véhicules au camp de Foum-Toub où j ai le plaisir d assister à une séance de cinéma. A vingt-trois heures trente, la récréation est terminée, nous quittons le camp à pied pour aller dans la montagne à environ deux kilomètres. Nous nous installons en position d observation et nous passons la nuit sur les rochers. Le ciel est étoilé, mais la nuit très froide ne m incite pas à trouver une quelconque sympathie dans l expression «passer une nuit à la belle étoile». Le lendemain 17 octobre, nous restons toute la matinée en observation dans le massif qui surplombe le camp. En début d après-midi, nous redescendons et rentrons à Yabous.

145 Vendredi 19 octobre, lever à quatre heures trente. A six heures nous partons très nombreux en camions pour une opération de bouclage. Nous nous installons sur les pentes du mont Chélia que j ai déjà escaladé en août. Nous passons la journée en observation et en position de bouchon, pendant que d autres compagnies ratissaient le terrain à la recherche de fellaga. La vue sur la région est magnifique, je prends quelques photos et nous réussissons même à écouter la radio qu un camarade avait emportée avec lui. Dommage que ce soit la guerre dans ce pays. De retour à Yabous à dix-huit heures trente, fatigué, je vais au lit à vingt heures, aussitôt après dîner. Dimanche 21 octobre, je m entraîne à conduire une jeep. Ce n est pas la première fois et comme ici, il n y a aucun risque, j en profite pour me faire la main. Je passe une partie de l après-midi à jouer au bridge avec les officiers et le soir je dîne avec eux. Lundi 22 octobre, j assure une fois de plus comme responsable, le convoi à Edgar Quinet. Je vais déjeuner avec les sous-offs et ensuite j ai le temps de faire quelques parties de billard avec eux au mess avant de reprendre la route. A quinze heures trente, je suis de retour à Yabous. Mardi 23 octobre, lever à cinq heures trente. Nous embarquons à bord de gros hélicoptères, appelés «banane», sans doute à cause de leur forme incurvée, pour une opération en montagne. Héliporté en altitude, c est quand même plus rapide et moins fatigant que d escalader les rochers. Là-haut, notre mission consiste à surveiller et interdire tout passage dans un secteur déterminé. Dans l après-midi, nous ratissons le terrain tout en redescendant, et rentrons au camp à la nuit tombante. Nous sommes fin octobre et les nuit deviennent de plus en plus froides. J ai même été très surpris un matin au réveil, de trouver l eau gelée sous le robinet de la citerne. Je ne pensais pas que la température pouvait descendre en dessous de zéro. Mardi 30 octobre après-midi, j assiste à une séance de cinéma en plein-air, sur le terrain près de l école. Une équipe de militaires passe avec son matériel dans les différents camps pour présenter des films, mais également des reportages d actualité. Ce jour là, nous avons eu droit au film «Le gentilhomme de la Louisiane». Le jeudi 8 novembre, la section qui est en poste à la ferme de Bretteville, réintègre la compagnie. Elle est remplacée par la 4 ème section, composée de jeunes du contingent récemment arrivés Cela sent la libération prochaine des rappelés. Effectivement, le lendemain vendredi 9 novembre, on nous informe que la quille est imminente. C est la liesse générale parmi tous les libérables Samedi 10, je range mes quelques affaires personnelles dans ma valise et rends mon paquetage, ne gardant pour le retour en France, que les vêtements que je porte sur moi, c'est-à-dire la tenue militaire en gros tissu. Dimanche 11, notre départ étant prévu pour le lendemain, nous sommes dégagé de toute

146 obligation, je passe donc le plus clair de mon temps à lire. Vers seize heures, nous essuyons encore quelques tirs de harcèlement au fusil, qui sont immédiatement suivis par une riposte au mortier et fusils mitrailleurs. Cette riposte a été faite avec vigueur et colère car la veille de quitter cette colline pour rentrer en France, nous ne pouvions quand même pas nous laisser blesser ou tuer sans réagir. Pendant mon séjour, nous n avons eu parmi les rappelés de la compagnie, aucun blessé grave, ni tué, du fait d accrochage avec les fellagha. Par contre, à plusieurs reprises, nous avons failli avoir de sérieux ennuis, consécutifs aux erreurs de camarades. Tout d abord dans la ferme où je suis resté plus d un mois. Un gars de la section qui avait bu plus qu il n aurait dû, est devenu subitement fou sous les effets conjugués de l alcool et d un coup de soleil sur la tête, puis, s en est pris à ses camarades en les menaçant de son fusil dans le hangar qui leur servait de dortoir. Il avait commencé à tirer, sans atteindre heureusement qui que ce soit, avant d être maîtrisé et attaché, le temps qu il retrouve ses esprits. Cette affaire est restée sans suite, mais a servi de leçon pour les autres qui ont vite compris qu il était dangereux de picoler et d aller ensuite au soleil. Une autre fois, alors que nous marchions en file indienne, en rentrant de patrouille, un copain sergent, a eu le talon broyé par une balle de pistolet mitrailleur tirée par celui qui le suivait à quelques mètres. La nuit tombait et le gars pas très rassuré, étant sur le qui-vive, avait appuyé sans le vouloir sur la détente de son arme, heureusement inclinée vers le bas. Ce camarade a eu beaucoup de chance dans son malheur car il aurait pu être tué. Il a immédiatement été évacué pour être soigné et rapatrié ensuite en France. Dans la matinée du 15 octobre, au cours d une inspection après le nettoyage des armes, un aspirant nouvellement arrivé de France et de service ce jour là, a failli tuer plusieurs personnes. Dans un des blocs logement où la lumière du jour avait du mal à pénétrer, cet aspirant n avait pas remarqué qu un chargeur était engagé dans le fusil mitrailleur qu il examinait, et totalement inconscient il appuya sur la détente, expédiant une rafale dans le local. Je me trouvais dehors assez loin et en entendant ce tir et les cris qui ont suivis, je me suis précipité avec d autres pour voir ce qui se passait. Fort heureusement, personne n avait été touché, et cette fois encore, la chance était avec nous. Cet aspirant chargé de contrôler la propreté des armes, venait de faire la preuve de son incompétence en matière d armement, en ne respectant pas les consignes élémentaires de sécurité. Avec les autres sergents de la section, nous avons, sans prendre de gants, félicité cet aspirant qui n en menait pas large après cette bévue monumentale. Moi aussi, j ai failli être victime de cette même erreur. Un après-midi, dans la chambre que je partageais avec un autre sergent, Clotaire Chiraux, nous avions démonté nos pistolets pour les nettoyer. Occupé avec mon propre pistolet, je ne regardais pas ce qu il était entrain de faire. Après avoir remonté le sien, il a appuyé sur la détente pour faire un essai, et là, ce fut le choc, un coup est parti. Une balle est allée percuter le sol sur lequel elle a ricoché pour aller perforer ma valise et ma collection de cartes postales qui s y trouvaient. Cet imbécile avait mis un chargeur, l avait retiré après avoir manœuvré la culasse, mais une balle était restée engagée. J ai réalisé après coup que j aurais pu avoir le pied fracassé, car j avais la jambe allongée et la balle est passée à quelques centimètres. En 1957, à deux reprises, j ai revu ce copain Bd Ney à Paris, dans la boucherie où il travaillait. Je recherchais un appartement à louer sur Paris avant de me marier et je lui avais demandé si dans ses relations, il ne connaissait pas quelqu un susceptible de m en louer un. Il m a effectivement donné une adresse à Saint-Ouen, mais il fallait payer une reprise exorbitante que je n ai pas acceptée. Par la suite, j ai renoncé à louer et trouvé plus

147 avantageux d acheter. Je n ai pas non plus cherché à revoir ce copain. Lundi 12 novembre, le grand jour est arrivé. A neuf heures, nous quittons Yabous en camions, sans connaître les modalités de notre rapatriement vers la métropole, mais qu importe, nous partons, c est l essentiel. 1ère étape du retour au camp de Khenchela, où nous y passons la journée et la nuit. Le midi je déjeune au mess et dans l après-midi nous allons au cimetière pour un adieu aux morts du bataillon. Je fais ensuite un petit tour en ville pour effectuer quelques achats. Je me laisse tenter par un appareil photo 24x36 «Iloca Rapid A» pour francs, appareil beaucoup plus performant que mon petit «kodak». J achète également des albums photo pour francs, des cigares 900 francs pour offrir à Baptiste Lhost, un foulard francs pour offrir à Ginette, un costume francs pour mon neveu-filleul, Dominique Pamart, né en mai et que je ne connais pas encore. Le soir au mess, en compagnie de plusieurs camarades nous arrosons notre retour en France avec quelques verres de champagne. Le lendemain mardi 13, je me lève à six heures trente, malade avec une petite crise de foie, probablement due aux excès de la veille au soir. De Khenchela, nous allons en train jusqu à Ouled Rahmoun où nous arrivons à la nuit tombante. De la gare nous sommes transférés par camions au camp militaire de Constantine afin d y passez la nuit. Ce soir là, au mess, je me suis bien gardé de toucher à l alcool. Mercredi 14 novembre, lever six heures, départ huit heures en camions pour arriver à onze heures au camp militaire Pehau à Jeanne d Arc près de Philippeville où nous passons le reste de la journée et la nuit. Le camp est situé en bordure de mer et j en profite pour admirer l endroit et prendre quelques photos. Pour éviter d avoir trop d argent sur moi pendant le voyage de retour, par prudence, je vire sur mon compte en France les francs qui me reste en espèces. Le soir au mess c est la fête. Le repas est excellent : escargots, crabes, et j en passe, champagne, le tout égayé par des chants afin d animer la soirée. Jeudi 15 novembre, lever six heures, petit déjeuner, et nous partons ensuite en camions jusqu au port de Philippeville où nous embarquons à bord du «Charles Plumier» spécialement équipé pour les transports de troupes. A douze heures trente, le bateau lève l ancre et je crois que personne parmi ceux qui sont avec moi, ne regrette à cette minute précise, de quitter l Algérie.

148 La Méditerranée est agitée, je ne ressens malgré tout aucun mal de mer, mais par précaution je ne mange pas grand-chose. Ce voyage de retour est loin d être aussi confortable qu à l aller. Pas de cabine particulière, mais une chaise longue avec une couverture pour la nuit. Pas de restaurant non plus, juste les rations militaires, c est vraiment un minimum. La mer finit par se calmer et après un jour et demi de navigation, nous arrivons à Marseille le vendredi soir à vingt et une heures trente, en plein brouillard. C était impressionnant car sur le pont on ne distinguait rien au-delà de cinq mètres, une véritable purée à couper au couteau dans la nuit noire, et je me suis demandé comment ce gros bateau pouvait se guider pour entrer dans le port. Je rends la couverture, la gamelle avec les couverts que l on nous avait distribués pour la traversée, et ensuite on nous donne des casse-croûte pour la suite du voyage. Sans perdre de temps on nous transfère en camions à la gare Saint-Charles. C est par train spécial pour militaires que nous quittons Marseille à vingt trois heures. Entre deux assoupissements, j entendais le nom des villes qui étaient annoncées à chaque arrêt ; Lyon, Dijon, Laroche-Migennes, Creil, et enfin Arras où nous sommes arrivés à treize heures dix. Passer plus de quatorze heures de voyage assis dans un compartiment aux banquettes peu confortables, le trajet semble long malgré les nombreux allers-retours dans le couloir pour me dégourdir les jambes et me distraire en regardant défiler le paysage. En gare d Arras, je fais mes adieux aux quelques camarades de la région du Nord qui poursuivent leur chemin, soit vers Dunkerque, St-Omer, Calais, Lens, tout en nous promettant bien sûr, de nous écrire. A quatorze heures j attrape un autobus qui m amène directement à Marles où mon périple s achève à seize heures. Cela me fait vraiment plaisir de retrouver Marles, de remonter à pied la côte de Lozinghem toujours aussi dure mais que je parcours allègrement jusqu à la cité Ste-Barbe et la maison. Dans l impossibilité de prévoir le jour exact de mon retour, je n avais prévenu personne et ma mère fut agréablement surprise de me voir apparaître à la porte. C est assez émouvant de se retrouver là, en famille à la maison, après avoir bourlingué pendant sept mois dans un pays d Afrique du Nord, et ce, sans l avoir désiré. Le soir je n ai pas traîné, et à vingt heures trente j étais couché, très heureux de retrouver un vrai lit avec des draps, mais surtout rassuré, sachant qu ici je ne risquais pas d être réveillé par une fusillade. Je m estime très heureux d être rentré intact de cette guerre en Algérie car beaucoup trop de

149 jeunes y ont laissé leur vie. Retour à la vie civile après cette 2ème période militaire Lundi 19 novembre, je vais à la gendarmerie d Auchel afin de connaître les démarches à suivre pour ma démobilisation. Comme à Auchel les boutiques sont plus nombreuses avec beaucoup plus de choix qu à Marles, j en profite pour m acheter des souliers francs et un costume pour francs afin de réintégrer la vie civile. Mercredi 21 novembre, je vais en autobus à la sous-préfecture de Béthune qui doit, selon la gendarmerie, confirmer ma démobilisation. Je suis désormais en permission libérable jusqu au 14 décembre et j en profite pour m attarder quelques jours à Marles. Samedi 24 novembre, jour de marché sur la place de l Hôtel de ville, j y vais faire un tour pour m acheter encore quelques effets : une chemise blanche avec manchettes 1900 francs, une cravate 500 francs, une ceinture 4500 francs, des chaussettes 100 francs. J indique le coût des vêtements à cette époque, pour établir une comparaison avec les prix actuels. Au début de mon séjour en Algérie, ma mère m avait écrit que Ginette aurait bien aimée correspondre avec moi. Je lui avais alors dit que je répondrais bien volontiers à ses lettres si elle m écrivait. Je connaissais déjà Ginette depuis longtemps, lorsqu elle venait rue d Anvers avec ses jeunes frères afin de rendre une visite à son parrain Baptiste. Je me souviens même d elle, toute petite, quand ses parents ont habité un peu plus haut dans notre rue. Je devais avoir entre cinq et six ans.

150 Sur cette photo que j ai prise en 1953 lors d un week-end à la maison, on peut voir Ginette qui a dix-huit ans, son parrain Baptiste, ma mère, Georges et Gérard Lhost les deux jeunes frères de Ginette, et debout devant ma mère son petit fils, Maurice Marquis le fils de Lucienne. Ginette n était donc pas une inconnue pour moi et c est presque naturellement que j ai accepté de lui écrire pendant mon séjour en Algérie et d échanger une correspondance assez régulière. J aimais écrire et là j avais quelqu un à qui raconter ma vie dans les Aurès avec quelques photos à l appui. Dimanche 25 novembre, avec ma mère et Baptiste Lhost, nous sommes invités pour déjeuner chez Raymonde et Joseph Lhost les parents de Ginette. Cette petite réunion permet d officialiser un tant soit peu nos futures relations. A Marles, il y a deux salles de cinéma, le «Variété» sur la route de Calonne-Ricouart, et le «Gambetta» sur la route d Auchel. Après avoir passé tout l après-midi à bavarder, j ai invité Ginette au cinéma «Variété» où nous avons vu le film «Voyage à Rio». Nous avons ensuite terminé la soirée au bal de la Sainte-Catherine et sommes rentrés à une heure du matin. Lundi après-midi 26 novembre, je vais à Auchel voir Lionel Leblanc, qui habite chez ses parents. Son père est porion aux Mines et la maison est autrement plus spacieuse que celles des simples ouvriers mineurs. Nous regardons les photos prises ensemble en Algérie, et nous écoutons quelques disques, surtout de Georges Brassens qui était le chanteur à la mode. Le soir je retourne chez Henri où je m attarde jusqu à vingt-trois heures trente à regarder la télé que les parents d Hortense possèdent. Mardi 27 novembre, je vais au marché d Auchel, à pied bien entendu, ce qui représente une bonne demi-heure de marche. L hiver approche et j ai besoin d un pardessus bien chaud que j achète francs. L après-midi je classe mes photos d Algérie dans les albums que j avais achetés là-bas. Lionel Leblanc que j avais invité la veille, vient à son tour me voir à la maison avant que je reparte à Paris, pour reprendre mon travail. Mercredi 28, je retourne une fois encore, à la gendarmerie d Auchel afin de rendre les effets militaires que j avais sur moi pendant le voyage de retour d Algérie. A la gendarmerie, je

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