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2 VENDREDI 13 ================= Auteur : Pierre Azuélos. pazuelos@free.fr Personnages : Trois femmes Josette : elle est simple, généreuse, elle aime compter, même si elle n est pas très bonne en calcul... Denise : la bonne copine, volontiers blagueuse, même à contretemps Marie-Jeanne : elle régule le trio, elle est sûrement la plus organisée des trois. Résumé : Trois copines, persuadées de gagner au loto lors du tirage du lendemain, discutent de ce qu elle donneront à des causes humanitaires. Décor : Un simple lieu de rencontre (banc public, salon) Costumes : de la vie quotidienne... JOSETTE -... Avec Maurice, ça fait quatre vingt mille, plus cinq mille pour Marcel. En tout quatre vingt cinq... Pas mal... Même avec une marge de quinze, on arrive à dix... non, je m embrouille... on arrive à cent mille, et il me reste, sur mon million, neuf cent mille! DENISE - Oui, moi j arrive aussi à neuf cent mille... C est pas mal, hein? MARIE-JEANNE - Bien sûr que c est pas mal. Moi, j arrive à peine à imaginer, neuf cent mille, rien que pour moi : une maison bien sûr, plus une voiture, avec des options s il vous plait, et quelques beaux voyages. DENISE - Peut-être que c est mieux de rester modeste et d en mettre une partie de côté, à la Caisse d Epargne, pour avoir... comme un salaire régulier? JOSETTE - Oui, par exemple, cent mille euros, si ça rapporte, par exemple trois pour cent, ça fait... ça fait trente... non, ça fait trois mille euros par an... donc pour cinq cent mille, ça fait cinq fois trois quinze... quinze mille euros! Et pour neuf cent... encore plus. Comme un gros smic! assuré! C est pas le luxe, mais c est sans travailler! MARIE-JEANNE - Mouais... Mais il faut penser à l augmentation du coût de la vie. Tes mille cinq cent euros, dans cinq ans, c est peut-être peanuts! Non! Soit on s éclate un bon coup, soit on fait comme les vrais riches, on investit, on achète à la bourse : des actions, des obligations, des bons du trésor, pour faire grossir le capital. JOSETTE - A la bourse?... il faut savoir faire, c est un métier. DENISE - C est sûr que si tu vas voir un banquier et que tu lui dis : «voilà ma petite fortune, faites-la grossir», il va être d accord... Il va se régaler... Mais moi, j ai pas vraiment confiance! JOSETTE - Moi non plus. Les banquiers, on les connaît... MARIE-JEANNE - Alors quoi? DENISE - Je ne sais pas, moi... Peut-être... JOSETTE Les filles! On a oublié un truc. Il faudrait aussi faire un don à l humanitaire. 2

3 DENISE - Ah zut. C est vrai, on a oublié les bonnes œuvres. MARIE-JEANNE - Ne dis pas comme ça... «Les bonnes œuvres», ça fait vieillot. JOSETTE - Tu as raison, Marie-Jeanne, mais vieillot ou pas, il faut y penser. On ne peut pas... ramasser comme ça un million chacune et ne pas penser un peu aux autres. DENISE - Penser aux autres, bien sûr... Mais il sont nombreux, les autres. MARIE-JEANNE - Oui, ils sont nombreux... JOSETTE Ils sont nombreux mais ils sont malheureux. Par exemple les aveugles. Il faut y penser aux aveugles. Ils ne voient pas leurs enfants, ils ne voient pas la télévision, ils ne voient rien, quoi! DENISE - Oui, mais des fois, quand on voit ce qui passe à la télé, on se dit... MARIE-JEANNE - Arrête Denise, tu dis des bêtises! JOSETTE Oui, ben moi, je leur donnerais bien dix mille aux aveugles. DENISE - Tu sais, Josette, combien ils sont, les aveugles? Plus que dix mille sûrement, rien qu en France... Alors tes dix mille, ça ne fait pas beaucoup pour chacun. JOSETTE Mais c est l intention, c est le geste qui compte, c est pas la somme. DENISE - Oui mais la somme, il faut bien la choisir... Et bien moi, si tu dis dix mille pour les aveugles, moi je les donne au cancer. MARIE-JEANNE - Le cancer, c est une bonne cause. Il y a le cancer du sein, du sang, du foie... DENISE - De la prostate même. JOSETTE Mais ça c est pour les hommes. DENISE - Ben quoi? Les hommes... il y en a aussi qui méritent, non? JOSETTE Si on veut... MARIE-JEANNE - De toutes façons, pour le cancer, c est à la recherche qu on donne.. DENISE - A la recherche? MARIE-JEANNE - Oui, à des laboratoires, à des chercheurs qui travaillent pour trouver des nouveaux médicaments. DENISE - Et ils trouvent? MARIE-JEANNE - Ben, des fois, sûrement... ils élèvent des souris, de bactéries, des virus, et ils regardent dans de gros microscopes. DENISE - Et il y a des chercheurs aveugles? 3

4 JOSETTE - Arrête, Denise, c est sérieux. DENISE - Bon, alors, moi, je pousse jusqu à quinze mille pour le cancer. MARIE-JEANNE - Tu as raison. C est une bonne action. JOSETTE Et toi, Marie Jeanne, tu n as encore rien dit? MARIE-JEANNE - Ben moi, je pensais... par exemple aux orphelins. J imagine, comme ce doit être dur... l absence de parents... JOSETTE Moi j ai un cousin, qui est orphelin, total! ni père ni mère! depuis longtemps. Et bien ça ne se voit pas... à l intérieur peut-être. MARIE-JEANNE - Oui, à l intérieur sûrement... Heureusement, il y en a beaucoup moins aujourd hui que pendant la guerre, des orphelins. DENISE - Quand même, il y a Harry Potter... MARIE-JEANNE - Denise! On parle des orphelins en chair et en os, pas dans les romans. Mais il en reste ; de naissance même, ou d accident. Il y a des maisons qui s occupent d eux et qui ont sûrement besoin d aide. Alors, moi je mets... vingt mille pour les orphelins. JOSETTE Houla! Bon, ben... dix, quinze, vingt... quarante... non quarante cinq! Il vaut peut-être mieux faire la moyenne... ça ferait quinze, non? Oui, peut-être qu il vaut mieux... Zut! On en a oublié une! MARIE-JEANNE - Une quoi? JOSETTE - Ben, une maladie grave... peut-être la plus délicate d ailleurs. DENISE - Délicate, pourquoi? JOSETTE - Parce qu elle ne va peut-être pas plaire à tout le monde... Je pense au Sida. DENISE - Ah le Sida! et pourquoi délicate? Tu dis ça parce que tu penses que j ai des préjugés contre les... JOSETTE Contre les quoi? DENISE - Tu sais bien, contre les personnes qui l attrapent le plus souvent. Et ben non! Je ne suis pas bornée... Je plains tous ceux, je dis bien tous ceux, qui ont attrapé le sida, d un côté ou de l autre! MARIE-JEANNE - Du calme les filles! Ca vire grossier! Et on ne va pas se disputer pour ça... Bon, alors, qu est-ce que vous proposez pour le sida. DENISE - Et bien on ajoute cinq chacune, ça fera quinze, comme les autres. Vous voyez que je suis bien disposée. 4

5 MARIE-JEANNE - Sans compter que, avec quinze mille pour le Sida, il y aura sûrement un article dans le journal, ou même à la télévision, avec une chanteuse, ou un nouveau philosophe. JOSETTE Ah oui, avec un grand chèque en carton, un faux bien sûr. Ben, si c est la télé avec Mireille Mathieu, moi je mets vingt mille, et je vous laisse les aveugles. DENISE - Ca, c est pas sympa pour les aveugles... Moi aussi, je pourrais vous laisser le cancer... Pour aller briller devant les caméras, cinq ou dix mille de plus, c est pas très cher. MARIE-JEANNE - Ca suffit! On ne va pas faire une compétition entre les malheureux... On met vingt chacune, et on partage le tout : soixante, divisé par quatre, ça fait : quinze mille pour les aveugles, autant pour le cancer, le sida, et les orphelins. JOSETTE Oui... Et pour la télé? Qu est-ce qu on fait? MARIE-JEANNE - Ben, si on a la télé, on y va toutes les trois. Ensemble. «Les copines généreuses» ça a de la gueule, ça, non? DENISE - Très bonne idée. C est nos maris qui vont être jaloux. Je vois déjà leurs têtes... JOSETTE Oui... DENISE - Bon... Et bien... JOSETTE Ben... Il n y a plus qu à attendre. DENISE - Tu as bien gardé le bulletin? MARIE-JEANNE - Mais oui, je l ai. Et le tirage, je vous rappelle que c est demain, vendredi 13. DENISE - Ah ben, je ne suis pas prête de l oublier... C est moi qui suis née un vendredi. MARIE-JEANNE - Et c est moi qui suis née le treize! JOSETTE Et c est moi qui ai fait le rêve prémo..., avec les bons numéros, la somme, et tout... MARIE-JEANNE - Prémonitoire, le rêve! Bon, alors à demain, huit heures et demie. DENISE - Oui, demain... huit heures et demie... chez moi, comme d habitude. JOSETTE Demain... J ai envie d y être... Mais dites... il me vient une pensée terrible... Si on ne gagnait pas? DENISE - N importe quoi... On a tous les signes favorables... MARIE-JEANNE - Mais Denise a raison... On peut aussi... ne pas gagner, ça arrive... JOSETTE Mon Dieu! C est les aveugles qui seraient déçus... DENISE Et les orphelins alors... 5

6 JOSETTE Et le cancer DENISE - Et ceux du sida! MARIE-JEANNE - Heureusement! ils ne savent encore rien. JOSETTE Oui, ils ne savent rien... Heureusement. MARIE-JEANNE - Donc, attention... On ne dit rien... A personne. Motus! DENISE - D accord, on ne dit rien... Jusqu à demain, après le tirage! MARIE-JEANNE et JOSETTE - Jusqu à demain! Motus! FIN 6