ORIGINES ET CONTOURS, FONDEMENTS ET TRAJECTOIRE DES ENTREPRISES COLLECTIVES AU QUÉBEC ET DANS LE MONDE
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- Olivier Samson
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1 CHAPITRE 1 ORIGINES ET CONTOURS, FONDEMENTS ET TRAJECTOIRE DES ENTREPRISES COLLECTIVES AU QUÉBEC ET DANS LE MONDE L enjeu théorique COOPÉRATION ET ÉCONOMIE SOCIALE : UNE SYNTHÈSE INTRODUCTIVE L initiative économique n est pas réservée aux riches ni n est le monopole de l entreprise privée. J.-P. VIGIER, directeur de la Société d investissement et de développement international (SIDI), France. Dans la plupart des pays du monde et depuis des décennies, des initiatives économiques populaires associent des gens pour entreprendre autrement. Plusieurs de ces initiatives de même que des dispositifs innovateurs d accompagnement (en matière de financement, d aide à la création d entreprises, d insertion socioprofessionnelle et de soutien à la relance de communautés locales ) témoignent de pratiques de solidarité où l économique et le social se croisent et interagissent. Lorsqu il est question de création de richesses, il est faux de prétendre que seule la logique capitaliste prévaut. En fait, plusieurs logiques guident l essor du développement économique et social de nos
2 2 Entreprises collectives sociétés : celle du marché assurément, mais aussi celle de l État et celle des entreprises collectives et de la société civile. Le rôle et la place de l économie sociale et solidaire au Québec et dans le monde, tout particulièrement dans un contexte de forte mondialisation, sont au cœur de cet ouvrage. Entre autres sujets, seront dévoilés, dans ce chapitre d introduction, l origine, les contours, les fondements et la trajectoire qui bordent les concepts centraux de «coopération» et d «économie sociale», à la lumière des travaux sur la question produits depuis une dizaine d années en sciences économiques et sociales. Les entreprises collectives que nous avons pu étudier et observer depuis une quinzaine d années et les dizaines de monographies que nous avons réalisées, seul ou avec d autres, dévoilent une économie sociale et solidaire sortie de son éclipse de plusieurs décennies et offrant, à certaines conditions, un potentiel de développement de nouvelles formes de régulation démocratique, d identité et d utilité sociale. Certes, il peut s agir dans certains cas de nouvelles formes de gestion sociale de la pauvreté (une dérive possible). Mais ces entreprises offrent aussi, à certaines conditions, une réponse inédite à des besoins sociaux (nécessité), à des aspirations au maintien ou au développement d appartenances collectives (identité), le tout se conjuguant avec la visée d un monde démocratique et équitable (projet de société). Pour ce qui est du Québec en particulier, l économie sociale en général, la coopération et la mutualité surtout, a de profondes racines sur l ensemble du territoire. Alors que des organismes comme les centres de la petite enfance (CPE) ou les coopératives de santé sont apparus assez récemment, les coopératives agricoles et financières, de même que les mutuelles (d assurances) ont déjà dans plusieurs cas plus d un siècle d histoire. Les coopératives agricoles, les mutuelles d assurances et les caisses populaires, notamment, ont joué et jouent encore un rôle central dans le développement économique et social du Québec. De plus, les coopératives forestières, les coopératives de travail, les coopératives en milieu scolaire, les coopératives funéraires, les coopératives d habitation et d alimentation, de même que les coopératives de solidarité multiservices font de même depuis 10, 20, 30 ou 40 ans. Aujourd hui, au Québec seulement, les entreprises collectives les coopératives, les mutuelles et les associations (OBNL) qui ont des activités économiques ont un chiffre d affaires global de plus de 20,7 milliards de dollars et emploient environ personnes (dont dans les coopératives), sans compter les milliers de dirigeants bénévoles. Ils sont plus de dans le seul mouvement coopératif. Le Québec est d ailleurs la seule société où la principale institution financière, Desjardins, est une coopérative. Et par son histoire, Desjardins a fait la preuve que des gens modestes,
3 Fondements et trajectoire des entreprises collectives au Québec et dans le monde 3 presque sans capital, ont été capables avec le temps de générer une grande institution financière, économiquement viable et socialement rentable sans compter les syndicats, qui ont créé des fonds de travailleurs, dont une partie des ressources financières sert à la capitalisation d entreprises collectives. Depuis le milieu des années 1990, à cette force de frappe de l institution financière coopérative Desjardins et des différentes composantes du mouvement coopératif réunies sous le chapeau du Conseil québécois de la coopération et de la mutualité (CQCM) s ajoute, sous celui du Chantier de l économie sociale, un regroupement d entreprises surtout associatives comprenant CPE, entreprises d insertion, organismes sans but lucratif d habitation, ressourceries, OBNL d aide à domicile etc., le plus souvent issues du mouvement communautaire, qui avait longtemps roulé dans l organisation de groupes au sein de quartiers urbains où la précarité prévalait. Constatant qu il ne suffisait pas de contester un État qui ne répondait plus de toute façon à leurs besoins, une partie de ce mouvement s est lancée dans la création de petites entreprises à caractère social. Fortes de ses expériences et d un certain nombre de succès, la coopération et l économie sociale constituent en ce début de XXI e siècle une force en pleine évolution dont il ne faut pas sous-estimer l apport. La proposition qui inspire l ensemble de cet ouvrage est qu il y a au Québec une «économie sociale coopérative» (à dominante d entreprises collectives) et une «économie sociale associative» (à dominante d entreprises sociales) comme nous allons tenter de le démontrer dans le présent chapitre. Il y a deux familles dans cette économie sociale et des regroupements qui leur correspondent, poursuivant et approfondissant ce que le RISQ de la première période affirmait dans ses travaux (RISQ, 2004). Par là nous choisirons de faire l examen critique de cette évolution et de ce développement, certes sur le plan économique mais aussi sur le plan de leur itinéraire sociopolitique, ce deuxième registre étant généralement sous-estimé, voire escamoté. 1. QUELQUES RAISONS D ÉTUDIER L ÉCONOMIE SOCIALE EN SCIENCES ÉCONOMIQUES ET SOCIALES Partout dans le monde aujourd hui, des alternatives économiques ont surgi. Que l on pense, dans les pays du Nord, aux coopératives de solidarité ou aux entreprises d insertion au Québec, aux services de proximité et aux Régies de quartier en France, aux coopératives sociales en Italie, aux coopératives de travail associé en Espagne, aux credit unions américaines. Que l on pense, pour ne mentionner que les plus connues dans les pays du Sud, à la Grameen Bank (Bangladesh), qui a développé un système de microfinancement pour venir en aide aux familles les plus démunies (petits
4 4 Entreprises collectives prêts pour le démarrage de microentreprises), aux cuisines collectives latino-américaines ou à la microfinance africaine, ou encore aux filières de commerce équitable Nord-Sud et Sud-Sud qui se développent ici et là depuis une décennie. Elles ont toutes en commun, malgré leur grande diversité, d être des entreprises collectives 1. Partout dans le monde, ces initiatives sont également en voie de renouveler l économie sociale, concept «parapluie» rassemblant le monde des coopératives, des mutuelles et des associations qui ont des activités économiques. À notre avis, cet ensemble d initiatives que le mouvement ouvrier a contribué à mettre au monde au siècle dernier, parce qu il s était vu obligé de fournir des réponses inédites à l offensive capitaliste, doit être examiné sur au moins trois registres : d abord les impératifs économiques (de stricte nécessité) mais aussi les impératifs socioculturels (d identité) et les impératifs sociopolitiques (de projet de société). Partout dans le monde se réinvente aujourd hui une «autre économie» (qui prend soit le nom d économie coopérative, soit d économie sociale ou solidaire ou soit d économie alternative ) 2. L érosion des compromis sociaux et la remise en question des règles institutionnelles qui ont constitué la base du modèle de développement de l après-guerre (le modèle fordiste et providentialiste) constituent le cœur de la crise actuelle : la mondialisation néolibérale a provoqué une concurrence à la hausse entre pays, de l exclusion et un déficit démocratique, les États devenant de plus en plus redevables à des acteurs qui leur sont extérieurs (FMI, Banque mondiale, etc.). C est la toile de fond qui explique en grande partie la résurgence du thème d une économie à visage humain au sein 1. Entreprise collective entendue ici dans son sens plus général, englobant toutes les formes de regroupements de personnes mobilisées par un engagement social quelconque sur le terrain économique (mutuelles, coopératives et OBNL) et produisant donc biens et/ou services sur le marché privé ou public en y obtenant en dernière instance des revenus propres relativement consistants de manière à y assurer leur autonomie et leur développement propre. 2. Au plan international, l expression «économie sociale et solidaire» est de plus en plus utilisée (Favreau et al., 2003 ; Demoustier, 2001), celle d «économie solidaire» représente un courant français spécifique (Dacheux et Laville, 2003). Dans les pays du Sud, notamment en Amérique latine (RIPESS, Amérique latine, 2007), on parle davantage de pratiques d «économie populaire solidaire» (Castel, 2002) et d «économie solidaire» comme ambitieux projet alternatif pour l ensemble de l économie. Au Québec, généralement l expression «économie sociale» prévaut tant chez les chercheurs que dans les organisations, bien que la filière syndicale de la CSN utilise aussi l expression d «économie solidaire» de même que le Groupe d économie solidaire du Québec (GESQ) qui forme depuis 2000 le regroupement des organisations d économie sociale engagées dans la solidarité internationale (CQCM, Chantier de l économie sociale, OCI, syndicats ).
5 Fondements et trajectoire des entreprises collectives au Québec et dans le monde 5 d ONGD, de mouvements sociaux et d institutions internationales comme l UNESCO, le BIT, le PNUD... et qui sont à la recherche d une économie qui rend possible création et répartition des ressources et de la richesse. Les mouvements sociaux au Nord comme au Sud ont en effet subi les contrecoups de cette mondialisation. Ils vivent donc depuis plus d une décennie un temps fort d incertitudes. Mais la crise a aussi libéré un espace inédit pour de nouvelles réponses, notamment dans la zone où le «social» et l «économique» se superposent, ce qui est le cas des entreprises collectives. La période de mutation du travail, de l État social et des territoires que nos sociétés traversent présentement nous rappelle donc que l intervention de l État dans le développement économique et social des sociétés ne suffit pas à lui seul à développer une économie socialement responsable et équitable. Cette raison fournit une clé essentielle de l interrogation sur l apport passé, actuel et à venir des coopératives et de l économie sociale et solidaire en général. L économie sociale nous rappelle en effet d abord ce XIX e siècle, dans les pays du Nord, là où les mouvements sociaux ont cherché les voies d une économie plus humaine, les voies d une création de richesses qui ne se réduit pas à l économie de marché. Des sociétés d entraide devenues par la suite des mutuelles, des coopératives ou des associations ont pris forme dans la mouvance du mouvement ouvrier de l époque (Gueslin, 1998). La notion relativement récente d une «économie plurielle» évoquée dans certains travaux de l OCDE (1996) et celle de «modèles de développement» (Bourque, 2000). Bref des économies, certes avec marché, mais surtout des économies où l intérêt général est plus fortement présent si les économies publique et coopérative/associative y sont bien vivantes. Tel est aussi le sens de l idée d une économie où l ensemble des entreprises subissent la sanction du marché (l impératif de croissance) sans que s éclipsent d indispensables règles du jeu favorisant un développement économique au service de la société. Mais ce développement et cette démocratisation de l économie ne sont rendus possibles que par un incessant rapport de force entre les différents pôles de développement que sont l entreprise privée, l entreprise publique et l entreprise collective 3. C est ce qu expriment à leur manière les économistes Bartoli (2003) et Petrella (2007) dans leurs plus récents travaux. 3. Hall et Soskice (2001) parlent d «économies de marché libérales» et d «économies de marché coordonnées», ces dernières étant celles auxquelles nous faisons référence : intervention plus marquée de l État, présence plus forte de la société civile (syndicats, entreprises collectives ). Voir à ce propos le chapitre «Coopération, économie sociale et politiques publiques».
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