DES E-SERVICES POUR DES E-CITOYENS? Organisateur LE GROUPE LA POSTE Animateur Michel NAMURA, Directeur Général des Services (DGS) de la Ville de Saint-Ouen Avec 75 % des foyers français aujourd hui équipés d au moins un ordinateur, on constate que la société se numérise à grande vitesse, donnant naissance au concept de «e- citoyen», dont la maîtrise des outils numériques, et la volonté de dialoguer à travers eux avec l Administration, sont grandissantes. Quelles conséquences ce taux d équipement entraîne-t-il pour la relation entre les usagers et les services publics? Quel doit être le rôle des acteurs publics dans l offre d eservices aux e-citoyens? A l heure du tout numérique Any Time, Any Where, Any Content (ATAWAC), est-il par ailleurs pertinent d instaurer un rapport direct et permanent entre les citoyens et les collectivités territoriales? Les acteurs territoriaux doivent aujourd hui appréhender les enjeux et les opportunités des outils numériques Systèmes d Information (SI), interfaces de programmation, réseaux sociaux, etc. ainsi que les risques qu ils comportent. Pour les y aider, trois spécialistes de l utilisation des outils numériques par l Administration réfléchissent à l introduction de ces outils dans la relation entre usagers et acteurs publics. Du cloisonnement à la transversalité Guy SHMITT Vice-président, COTER Club 1 Si les innovations technologiques ont tout d abord servi l amélioration des processus dans les administrations elles-mêmes «e-administration», l appropriation de ces mêmes technologies par les citoyens a fait apparaître chez ces derniers la volonté de voir se nouer de nouvelles relations plus directes et plus transversales entre eux et ces administrations. Plutôt que de «e-administration», on parle désormais davantage de «e- service». Cette augmentation de la transversalité dans les rapports entre citoyens et Administration est en cohérence avec la mission première des agents publics : servir les citoyens. Les leviers et contraintes de la transversalité Le passage de services cloisonnés à des services ouverts témoigne d un véritable bouleversement sociologique, qui touche en premier lieu les administrations elles -mêmes. Si des contraintes semblent se mettre en travers du chemin de la transversalité des systèmes d information publics, celles-ci doivent être mises en regard avec les leviers existant en la matière. 1 http://www.coter-club.org/ www.inet-ets.net Page 1 sur 5
Tout d abord, le rapport des administrations aux SI a souvent été perçu comme étant de nature arbitraire 2, mais les contraintes règlementaires qui leur ont été imposées en la matière ont parfois été bénéfiques à la transversalité des SI Règlement Général d Accessibilité pour les Administrations (RGAA), Référentiel Général d Interopérabilité (RGI). Par ailleurs, l ouverture des SI des collectivités, qui craignent que la sécurité de leurs données soit menacée, constitue une source d inquiétude pour celles-ci. Néanmoins, rappelons que des techniques permettent la sécurisation de ces SI (signature électronique, «coffre-forts» électroniques, etc.). A ceux qui considèrent qu il existe des freins techniques voire sociologiques à une utilisation plus poussée des nouvelles technologies par les citoyens et les agents publics, il faut enfin répondre que ces innovations ont depuis longtemps envahi la vie personnelle de la majorité des citoyens et donc des agents eux-mêmes. Dès lors, il n y a aucune raison que l Administration ellemême ne suive pas cette tendance. Quels e-services? La mise à disposition, au sein des administrations, de véritables outils de Gestion de la Relation Client (GRC) peuvent leur permettre de rassembler en une ou plusieurs bases de données l ensemble des demandes formulées par les citoyens à leur encontre. Cela pourrait permettre aux administrations de mieux gérer ces demandes, et d offrir aux usagers un suivi précis de celles-ci. De plus, de tels outils auraient l avantage de débarrasser l action publique des contingences administratives. Au lieu de se consacrer au remplissage de formulaires par les usagers, les agents publics pourraient ainsi se concentrer davantage sur la gestion humaine des problèmes rencontrés par les citoyens. Au final, l introduction d e-services permettra aux collectivités territoriales de mieux assumer leur rôle d animateur du territoire et de mieux communiquer avec leurs ressortissants. La transversalité des SI publics peut également se traduire par l élaboration de Systèmes d Information Géographiques (SIG) par les collectivités, grâce auxquels les citoyens pourraient par exemple indiquer sur une carte l emplacement d un problème. Par ailleurs, à travers l open data par exemple, les citoyens pourraient déployer leur inventivité et créer de nouveaux services à destination des autres citoyens. Le baromètre des e-services dans les collectivités territoriales Muriel BARNÉOUD Président-Directeur Général (PDG), Docapost Docapost est une filiale du Groupe La Poste spécialisée dans les échanges numériques. Sa valeur ajoutée réside dans les échanges de documents numériques et papiers passage du papier au numérique et vice versa, ce qui peut fortement intéresser les collectivités territoriales. Le Groupe La Poste a réalisé un baromètre de la place des e- services au sein des collectivités territoriales, dont les résultats permettent de tirer de nombreux enseignements. Résultats du baromètre Parmi les collectivités interrogées par le Groupe La Poste dans le cadre de son étude, 51 % évoquent l amélioration de la relation à l usager comme motivation principale pour justifier le développement de l e-administration. On voit ainsi que la priorité des collectivités territoriales n est pas de se conformer à la réglementation ou d optimiser leur fonctionnement, mais bien de mieux servir les citoyens. Il faut cependant ajouter que 90 % du contrôle de légalité et de la chaîne financière et comptable ont cependant déjà 2 Citons par exemple l obligation de dématérialiser les marchés publics en 2005, mal vécue à l époque par certaines administrations www.inet-ets.net Page 2 sur 5
été dématérialisés dans les collectives territoriales, sous l effet de contraintes règlementaires. Par ailleurs, si 75 % de la gestion interne des aides offertes par les collectivités territoriales aux citoyens ont été dématérialisés, seuls 20 % de la relation aux bénéficiaires de ces mêmes aides a, quant à elle, fait l objet d une dématérialisation. Un autre chiffre évocateur, révélé par l étude du Groupe La Poste, est le suivant : 60 % des démarches en e-administration sont portées par les élus et leur direction générale, ce qui montre que l association de ces deux entités est fondamentale dans ce domaine. Les enjeux de l e-administration L étude réalisée par le Groupe La Poste sur le déploiement de l e-administration dans les collectivités territoriales permet de tirer plusieurs enseignements, et de définir quelques enjeux dans ce domaine. D une manière générale, le rythme de déploiement de l e-administration doit s accélérer, car il représente un enjeu en termes d efficacité interne, mais également une réponse aux attentes de la population en la matière. Le deuxième enjeu de ce déploiement est de veiller à ne pas opposer les différents canaux d information, car le but de l e-administration, dans ses relations avec des e-citoyens, est de donner le maximum de choix à ces derniers. Le troisième enjeu est celui du pilotage des SI mis en place entre les citoyens et l Administration meilleurs traitements, suivi des demandes, etc. Le quatrième enjeu est celui des gains de productivité et d efficacité que la mise en place d une e-administration peut permettre de réaliser pour la collectivité concernée. Enfin, face aux interrogations relatives à l enjeu fondamental de la protection des données publiques, qui préoccupe nombre de collectivités, il faut répondre que le risque de voir ces données pillées ou utilisées à mauvais escient existe déjà du fait de la dématérialisation d un certain nombre de ces données et ne sera pas véritablement aggravé par la création d e-services au profit des citoyens. Ce n est donc pas en refusant de s inscrire dans ce nouveau type de relations avec ses usagers que les administrations peuvent se protéger d un tel risque. Au contraire, face à celui-ci, il est nécessaire d adopter une attitude proactive. Les acteurs publics face aux transformations servicielles Jacques-François MARCHANDISE Directeur de la recherche et de la prospective, Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) La transformation de la relation entre citoyens et collectivités territoriales à travers l introduction d e-services ne doit pas être justifiée par une volonté de ces dernières de succomber à la «mode» du numérique, mais doit être considérée comme une modalité d accompagnement d un projet de la collectivité. L introduction d une relation servicielle est le fruit d une construction historique récente qui touche peu à peu les collectivités. Elle nécessite par ailleurs de repenser, dans le cadre de cette relation, la place de l usager d une part et celle de l administration elle-même d autre part. Bref historique de la relation servicielle entre usagers et organisations Les notions de «e-service» et de «e-citoyenneté» sont les fruits de transformations servicielles qui ont été introduits par les acteurs du service dans les années 1960. Néanmoins, la difficulté des acteurs publics de s inscrire dans ce mouvement provient pour une large partie du fait que leur relation avec les usagers n est pas, à l origine, de nature servicielle. www.inet-ets.net Page 3 sur 5
Les premières expériences réussies en la matière sont celles qui ont facilité d une part le rapport de l usager à l Administration et d autre part, le travail de cette dernière. On peut citer par exemple les facilités offertes aux citoyens et aux agents publics par les numérisations de formulaires, ou encore par la possibilité de déclarer ses impôts ou de s acquitter d amendes en ligne. Remettre l usager au centre Comme les entreprises l ont fait pour leurs clients au cours des 40 dernières années, les administrations doivent replacer l usager au centre de leurs interventions. A la différence des acteurs privés, les acteurs publics doivent toutefois le faire en toute transparence vis-à-vis des usagers. En outre, ce repositionnement de l usager suppose de prendre en compte le caractère multilatéral de la relation de ce dernier avec l Administration. Un usager, même pour un problème spécifique, n est en effet que très rarement en relation avec une administration unique, mais doit souvent dialoguer avec une multitude d acteurs publics. Pour celui-ci, il est ainsi parfois difficile de coordonner ces différentes relations. Au lieu de fracture numérique, il faut donc également craindre la possibilité d une fracture administrative entre le citoyen et les acteurs publics. Dans ce cadre, l introduction d e-services dans leurs relations peut constituer une avancée à condition de permettre, pour l usager, une simplification du dialogue avec l Administration et de ne pas entraîner, au contraire, une complexification de celle-ci. Un repositionnement nécessaire pour les acteurs publics Il n est pas simple pour un acteur public de devenir un acteur de l offre. Désormais en situation de concurrence vis-à-vis d autres acteurs de service (urbains, numériques), les administrations qui désirent offrir des e-services aux citoyens doivent disposer des compétences nécessaires pour cela alors qu ils s en sont parfois beaucoup dessaisis. Par ailleurs, ils devront réaliser des investissements pertinents pour répondre aux demandes des citoyens en matière d e-services. Avec l ouverture des données publiques, les administrations subissent en effet la concurrence des acteurs privés dans leurs propres champs de compétences. Face aux grands acteurs de services urbains (approvisionnement en eau, gestion des déchets, transports, énergie, etc.) qui se lancent peu à peu dans la fourniture d eservices, un positionnement pertinent des acteurs publics pourrait être celui de constituer un socle de règles et de l entretenir auxquelles seraient soumis les e-services proposés par les acteurs privés. Grâce à de réelles stratégies publiques dans ce domaine, et à l instauration d un mode de gouvernance défini en commun en faveur de l intérêt général, les acteurs publics pourraient veiller à ce que les e-services permettent, outre la fourniture de services aux usagers, un réel enrichissement de leur expérience. La fourniture de services publics en ligne permettra en outre d économiser des postes d agents publics dans certains domaines, ce qui est appréciable dans un contexte actuel où il est demandé aux administrations de faire mieux avec moins de moyens. L introduction d e-services dans la relation entre l usager et l administration représente donc de réels atouts, à condition de pouvoir répondre aux demandes des usagers, citoyens mais également, désormais, clients des collectivités territoriales et consommateurs d e-services. Ces derniers sont en effet souvent autant si ce n est plus informés que les agents dans certains champs de l action publique, grâce à leur maîtrise des outils numériques. Il faut donc s assurer que les agents des collectivités dans leur ensemble aient au minimum le même niveau de connaissances que les citoyens dans ce domaine. www.inet-ets.net Page 4 sur 5
SIGLES ATAWAC : Any Time, Any Where, Any Content DGS : Directeur Général des Services FING : Fondation Internet Nouvelle Génération GRC : Gestion de la Relation Client PDG : Président Directeur Général RGAA : Règlement Général d Accessibilité pour les Administrations RGI : Référentiel Général d Interopérabilité SI : Systèmes d Information SIG : Système d Information Géographique Les propos énoncés dans ce document n engagent que la responsabilité de la personne citée. Compte-rendu des Entretiens territoriaux de Strasbourg 5 et 6 décembre 2012 CNFPT INET 2012 Réalisation : www.inet-ets.net Page 5 sur 5