CONTRIBUTION DES TIC A LA DURABILITE DES ORGANISATIONS LOGISTIQUES ET DE TRANSPORT



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Networks and Communication Studies, NETCOM, vol. 22 (2008), n 3-4 pp. 277-286 CONTRIBUTION DES TIC A LA DURABILITE DES ORGANISATIONS LOGISTIQUES ET DE TRANSPORT CORINNE BLANQUART, MALIK DRIAD, THOMAS ZEROUAL, VALENTINA CARBONE 1 Résumé - La récente révision du livre Blanc des transports en 2006 prône comme option de transport durable la co-modalité, autrement dit «le recours efficace à différents modes de transport isolément ou en combinaison» (CCE, 2006). La maîtrise de l information, rendue possible grâce à de nouveaux systèmes de gestion, est au cœur du développement de la co-modalité. C est en tout cas le pari du fret intelligent, qui soutient l application aux infrastructures et aux matériels des nouvelles technologies. De fait, l offre de services logistiques et de transport a évolué, et intègre de plus en plus d opérations de nature «informationnelle». Toutefois, leur mobilisation par les firmes dans le cadre de leurs stratégies logistiques dépend d autres facteurs, parmi lesquels : - les contraintes tenant à l optimisation micro-économique en termes de coûts et de temps pour la firme ; - les contraintes imposées au niveau méso-économique par les relations avec les autres acteurs du système productif (et notamment les clients). C est pourquoi il existe une diversité de stratégies logistiques et de transport, qui vont appeler des besoins de services différents. De même, les choix en faveur de la durabilité pourront être très différents et mobiliser des leviers spécifiques. Dès lors, l influence des systèmes de transport intelligents sera très variable. Mots-clés - transport ; logistique ; systèmes productifs ; développement durable ; technologies de l information et de la communication Abstract - The recent revision of the White Paper on transport in 2006 supports the concept of comodality to achieve sustainable transport, that is to say " the efficient use either remotely or combined - of various ways of transportation " (CCE, on 2006). At the heart of co-modality is the need to harness information and this has been made possible thanks to new management systems. This is the intention of intelligent freight which encourages the application of new technologies to infrastructure and materials. In fact, logistic and transport services now involve more and more operations that have an informative side. However, their use by the firms within their logistic strategies depends on a palette of factors, such as: - The firm s constraints regarding micro-economic optimization in terms of costs and time; - The imposed constraints for the middle-economic level trough the relations with the other actors of the productive system (in particular the customers). 1 Corinne Blanquart, Chargée de recherches, corinne.blanquart@inrets.fr ; Malik Driad, Doctorant, malik.driad@inrets.fr ; Thomas Zeroual, Doctorant, thomas.zeroual@inrets.fr ; Valentina Carbone, Professeur, Valentina.carbone@esce.fr. INRETS-SPLOT ; BP 317-59666 Villeneuve d Ascq cedex ; 03.20.43.83.53. ESCE et ESCP- EAP ; PULV 92916 Paris La défense F ; 01.41.16.73.46

278 NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 Consequently, there is a variety of logistical and transport strategies that will need different services and the choices in favour of durability may be very different and mobilize specific controlling levers. Consequently, the influence of transport intelligent systems will be highly variable. Key-words - transport, logistic, production systems, sustainable development, information and communication technology INTRODUCTION Le transport durable se décline désormais à travers l objectif de co-modalité, qui se substitue désormais au découplage (CCE, 2006). Il ne s agit donc plus de réduire le trend de croissance des flux, ou de ne viser que le report modal, mais d optimiser l usage des différents modes de transport. La maîtrise de l information et les TIC deviennent des leviers essentiels. Les solutions de fret intelligent se développent et étendent l application aux infrastructures et aux matériels des nouvelles technologies. Les systèmes d'information pour le transport des marchandises doivent, pour leur part, répondre aux besoins croissants d'information des entreprises à l'internationalisation, la sécurisation et la traçabilité des flux, ainsi qu'à la dématérialisation des procédures. Destinés à favoriser l émergence des activités à forte visibilité internationale et par làmême à améliorer l attractivité du territoire, les pôles de compétitivité sont constitués par le regroupement sur un territoire d entreprises, d établissements d enseignement supérieur et d organismes de recherche publics ou privés qui ont vocation à travailler en synergie. Le pôle i- trans à vocation mondiale développe des projets de systèmes d information pour le transport. S il est encore trop tôt pour évaluer ces projets spécifiques, l objectif de l article est de questionner l influence des systèmes de transport intelligents sur les organisations logistiques mises en place et les modalités d utilisation des différentes infrastructures et matériels, dans un sens de durabilité. Il s agira de considérer non seulement l évolution de l offre de services logistiques et de transport, mais aussi celle des conditions de mobilisation de ces services, fonction des modalités d organisation des relations entre les acteurs (acteurs des systèmes logistiques et de transport certes, mais aussi des systèmes productifs). 1. LES POLITIQUES DE TRANSPORT DURABLE : LE PARI DU FRET INTELLIGENT C est avec le livre blanc de 2001 que la référence à la durabilité apparaît de façon explicite dans la politique européenne des transports (CCE, 2001). Il s agit en effet de «l heure des choix» pour le secteur du transport, confronté à 3 difficultés majeures : - la croissance inégale des différents modes de transport; - la congestion de certains grands axes routiers et ferroviaires ; - les nuisances à l'égard de l'environnement et de la santé des citoyens. L objectif politique est alors d aboutir au report modal, c'est-à-dire le transfert des flux de la route vers des modes moins polluants, tels le rail ou la voie d eau. Toutefois, l une des limites de ces modes est de ne pas être en mesure d effectuer du transport de marchandises de porte à porte. Les ruptures de charge génèrent des pertes de temps et des surcoûts, leur compétitivité en pâtit et cette situation profite à la route.

NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 279 L objectif du développement des TIC est donc la mise en place de systèmes logistiques et de transport intégrés tout le long de la chaîne. Cette intégration doit permettre de combiner les qualités spécifiques de chaque mode pour offrir aux chargeurs le meilleur service tant au niveau de l efficacité du transport, qu au niveau du prix ou de l impact sur l environnement. La révision en 2006 du livre blanc de 2001 va dans ce sens en prônant la comodalité, autrement dit «le recours efficace à différents modes de transport isolément ou en combinaison» (CCE, 2006). «L innovation technologique est une opportunité à saisir pour intégrer les modes de transport, optimiser leur performance, les rendre plus sûrs et contribuer à rendre le système européen de transports compatible avec le développement durable des transports» (annexe 4 du livre blanc de 2001). L expression «transports intelligents» désigne ces applications des TIC au domaine des transports. Ces technologies ont un rôle essentiel à jouer pour : - améliorer la sécurité et la sûreté ; - optimiser l utilisation des infrastructures ; - limiter les consommations d énergie, les pollutions et les nuisances ; - favoriser les transferts vers les modes les plus respectueux de l environnement. Le déploiement des systèmes de transport intelligent concerne le mode routier, avec la mise en place de services de gestion du trafic, de gestion du fret, d information routière, des systèmes de péage électronique. Mais il concerne également les autres modes et on citera le système européen de gestion du trafic ferroviaire ERTMS, dont la fonction principale est de suivre et d assurer un espacement minimal entre les trains. Le trafic aérien comme la sécurité du trafic maritime pourront également bénéficier de ce développement des TIC. A compter du 1 er juillet 2008, la France préside l Union Européenne, pour une durée de 6 mois. L enjeu des transports durables y est réaffirmé et l une des priorités, comme l a rappelé Dominique Bussereau, sera le développement des systèmes de transport intelligent. Nous questionnerons l influence de telles options au regard de l évolution de l offre de services logistiques et de transport, mais aussi par rapport aux besoins des firmes, en lien avec les préoccupations de durabilité. 2. FRET INTELLIGENT ET EVOLUTION DES SERVICES LOGISTIQUES ET DE TRANSPORT Il est de plus en plus difficile de séparer les activités de transport simple des activités logistiques (Savy, 2007). Les services logistiques ont eux-mêmes beaucoup évolué et il existe une diversité de situations. On distingue ainsi : - les opérations liées à la rupture de charge : réception et contrôle des marchandises, manutention et stockage, mise en rayonnage - les opérations liées à la livraison terminale : préparation de commandes, constitution de lots promotionnels, ensachage, marquage des prix - les opérations de gestion proprement dite : prises de commande, suivi des dates de péremption, gestion des stocks - Les prestations informatiques : gestion des stocks, de la flotte et des préparations de commandes, comptabilité clients, télétransmission. Les prestations physiques s accompagnent en effet de prestations informatiques pour permettre le

280 NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 déclenchement, ni trop tôt, ni trop tard, des différentes activités (informatique de transaction), tout en améliorant leur suivi (informatique de gestion). En outre, l intégration de plus en plus forte des systèmes informatiques permet aux prestataires de se positionner sur des activités périphériques de prescription : élaboration de prévision de la demande pour les fournisseurs, conseil et ingénierie logistique. La prise en compte de cette complexité peut être opérée en mobilisant les travaux de l économie des services et en décomposant le produit de l activité de service en quatre opérations (Gadrey, 1996 ; Gallouj, 1999) : - les opérations de logistique et de transformation de la matière (M) qui consistent à traiter des objets tangibles, c est-à-dire à les transporter, transformer, entretenir, réparer...; - les opérations de logistique et de traitement de l information (I) qui consistent à traiter de l information codifiée, c est-à-dire à la produire, la saisir, la transporter, etc. ; Il s agit principalement des opérations de traitement, de codification de l information, réalisées à l aide des technologies de l information pour des usages internes et externes avec des objectifs de gestion des temps de travail, de gestion de la qualité, d évaluation de la performance, etc. Les principaux outils développés sont des bases de données, des outils de contrôle de qualité, etc. - les opérations de service en contact ou relationnelles (R), celles dont le principal support est le client lui-même, et qui consistent en un service direct (en contact). - les opérations de traitement intellectuel des connaissances. Gallouj (1999) ajoute ce type d opérations encore appelées fonctions méthodologiques à la décomposition fonctionnelle de Gadrey. Il montre qu elles sont particulièrement importantes pour rendre compte de la dynamique et de l innovation dans les activités de services intensives en connaissances (comme le conseil). Mais elles sont également présentes dans d autres types de services, et notamment aujourd hui dans les services non informationnels. Des travaux menés sur l innovation dans le transport routier de marchandises (TRM) (Djellal, 2001) et sur les effets de l introduction des TIC (Burmeister, Djellal, 2002) confirment la coexistence au sein de ce secteur d une configuration fondamentalement matérielle et d activités intégrant des aspects informationnels, relationnels voire intellectuels et de connaissance. Opérations concernant : Opérations de logistique matérielle (M) Déplacement, transport de biens à l aide de technologies simples ou complexes de traitement de l information (I) Traitement des flux d information inter et intraentreprises de services en contact ou relationnelles (R) Engagement sur le suivi, la qualité au niveau du client de traitement de la connaissance ou méthodologique (C) Coordonner et organiser les différentes opérations ; Trouver les compétences nécessaires La coexistence de différents types d opérations dans le secteur du TRM Source : Burmeister, Djellal (2002)

NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 281 On peut ainsi, d un point de vue dynamique, mettre en évidence plusieurs trajectoires «servicielles» dans le transport de marchandises et la logistique. A l origine, les entreprises du secteur ont développé des opérations uniquement matérielles, puis sous l impulsion des besoins des clients et des stratégies des offreurs, ont innové pour intégrer des traitements davantage informationnels, relationnels puis de connaissance. Les petites entreprises de forme artisanale se positionnent essentiellement sur la première étape et évoluent parfois sur l étape 2. Les plus grandes unités et les groupes de transport et de logistique «délaissent» le transport à proprement parler pour s orienter davantage sur des opérations d organisation et de gestion de la prestation. Les options de transport intelligent interviendront alors sur ces opérations. L objectif de durabilité a, de même, fait évoluer l offre de services. Ainsi, les opérations matérielles peuvent avoir recours à davantage de modes doux ou à des véhicules propres. Les opérations informationnelles ont développé l utilisation d outils de planification type ECR, qui autorisent une meilleure organisation des groupages entre les firmes, une optimisation des taux de remplissage, voire une réduction des déplacements. La vulgarisation des services de traçabilité modifie également ces opérations informationnelles. Les opérations en connaissance se complexifient elles aussi. L intégration de l objectif de durabilité se retrouve ainsi pour l ensemble des opérations élémentaires. Des trajectoires nouvelles se mettent par ailleurs en place, en fonction de la coexistence des évolutions de ces opérations élémentaires. Toutefois, si les options de fret intelligent peuvent accompagner l évolution de l offre de prestations, leur influence sur la mobilité durable va dépendre de l adéquation de ces prestations à la demande et aux besoins des chargeurs. 3. LE FRET INTELLIGENT : UNE REPONSE AUX BESOINS DES CHARGEURS? L impact potentiel des systèmes de transport intelligent a été apprécié tant au niveau de la recherche que des premières phases de déploiement. De nombreux travaux s attachent à l analyse de l évolution des caractéristiques du déplacement (coût, temps, répartition spatiale des trafics) (Haynes K.E. et alii, 2000 ; Taniguchi E. et alii, 2001). Des réductions de temps de déplacement jusqu à 20% et des améliorations de l ordre de 5 à 10 % de la capacité du réseau ont souvent été obtenues dans différentes configurations. Les améliorations visant la sécurité ont souvent été estimées à environ 10 à 15 %. Toutefois, ces résultats sont conditionnés par la mobilisation de ces services. C est pourquoi il convient de prendre en compte les conditions de «production» de ces services, qui sont toujours le produit d une rencontre entre un chargeur et un prestataire certes, mais aussi d une organisation logistique particulière qui traduit à son tour les relations entre les acteurs de la chaîne productive (Meunier, Zeroual, 2006). Les choix des chargeurs sont complexes et vont certes considérer l offre d infrastructures et de services disponibles. Mais, les besoins logistiques et de transport des firmes sont aussi des choix stratégiques cherchant à concilier des éléments, des acteurs et des niveaux de gestion très différents, parmi lesquels :

282 NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 - les contraintes tenant à l optimisation micro-économique en termes de coûts et de temps (de transport et de traitement logistique) pour la firme. Le graphique cidessous montre l importance des critères de coût et de temps dans les choix modaux des chargeurs. Graphique 1 : hiérarchie des critères de choix modal pour les chargeurs Source : Guilbault M., Soppé M. (2007) traitement enquête ECHO 2 (INRETS, 2004) Ainsi, les trois premiers critères de choix modal des chargeurs sont le coût de transport, la fiabilité des délais et la durée du transport. Il est important de noter que cette dernière importe moins que le respect par le prestataire des engagements pris en termes de délais de livraison. Au regard des interactions croissantes entre les firmes d une même chaîne 2 Cette enquête de 2004 dispose d un échantillon composé de 3000 établissements enquêtés qui représentent après pondération un peu moins de 70 000 établissements au niveau national. L échantillon intègre uniquement les entreprises de plus de 10 salariés dans les secteurs de l industrie et du commerce de gros, la vente par correspondance, l entreposage et la récupération. Sont exclus de l analyse les secteurs de l exploitation agricole, de l industrie d extraction, le BTP, les autres services et commerces de détail. Pour de plus amples informations : www.inrets.fr/splot.

NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 283 productive, cet arbitrage portant sur le temps de transport dépasse déjà le seul cadre de la firme. La fiabilité des délais de transport doit assurer le bon fonctionnement de la chaîne productive, et permet ce faisant à la firme d assurer elle aussi ses engagements productifs vis-àvis de ses partenaires, dans un contexte de recours croissant au juste-à-temps. C est la raison pour laquelle on avance que les choix de transport des firmes sont encastrés et dépendent aussi : - des contraintes imposées au niveau méso-économique par les relations avec les autres acteurs du système productif (et notamment les clients). Ainsi, en fonction des contextes, les besoins seront différents, et les prestations mobilisées également. La diversité des prestations réalisées sur plate-forme ou dans les entrepôts est illustrée dans les deux graphiques ci-dessous. Graphique 2 : Prestations réalisées dans des entrepôts (en % des établissements) Source pour les deux graphiques : Guilbault M., Soppé M. (2007) d après ECHO 2004 Graphique 3 : Prestations réalisées dans les plates-formes (en % des établissements)

284 NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 Le graphique 2 montre que la principale prestation réalisée dans les entrepôts est du stockage, qui correspond à une opération d ordre matériel. Les prestations de type informationnel (gestion des stocks, suivi informatique des produits ) concernent beaucoup moins d établissements. Des fonctions similaires sont par ailleurs assignées aux plates-formes, comme en atteste le graphique 3. Par ailleurs, pour un même type d opérations, la demande peut également varier. Le traitement de l enquête ECHO en Nord-Pas de Calais pour quelques opérations informationnelles donne les résultats suivants. Les graphiques ci-dessous présentent les pourcentages d envois faisant l objet en cours de trajet de prestations que nous avons sélectionnées. 60 57,05 50 40 30 32,54 36,11 36,48 26,29 35,02 39,23 31,46 32,42 20 10 0 EA agricult ure, sylvicult ure, pêche EB indust ries ag r i co l es et aliment aires ECindustriesde biensde consommat ions ED indust rie aut omo bi le EEindust rie de biens d équipement EF industrie de biens intermédiaire EGénergie EJcommerce EKtransport terrestres Graphique 4 : suivi informatique des envois (% des envois) 60 52,5 7 50 40 32,5 4 30 20 20,3 9 23,26 13,62 24,9 7 19,8 21,12 15,02 10 0 EA agriculture, sylviculture, pêche EB industries agricoles et alimentaires EC industries de ED industrie biens de auto mo bile consommations EE industrie de biens d équipement EF industrie de biens intermédiaire EG énergie EJ commerce EK transport terrestres Source : ECHO (2004) pour les deux graphiques Graphique 5 : preuve de livraison électronique (% des envois)

NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 285 L exemple de ces deux types d opérations de nature informationnelle (le suivi informatique des envois et la preuve électronique de livraison) montre ainsi des recours très hétérogènes en fonction des secteurs. Ces deux opérations concernent la traçabilité des flux, qui se définit comme l aptitude à retrouver l historique, l utilisation ou la localisation d une entité au moyen d informations enregistrées. Ce suivi est par ailleurs avancé comme une solution de logistique durable par les firmes, dans la mesure où il contribue à la sécurité des marchandises transportées. Ces opérations de suivi sont essentielles au bon fonctionnement du système productif dans son ensemble et au maintien des relations entre les acteurs. La performance logistique est dès lors associée à la réactivité et la flexibilité de la chaîne. Il convient de pouvoir faire face aux imprévus au risque de perturber l ensemble du système. C est également dans ce cadre que les préoccupations de durabilité doivent se situer. Il n y a donc pas une forme unique de stratégies logistiques et de transport mais une diversité, avec des besoins spécifiques en fonction des contextes. C est pourquoi les orientations en faveur de la durabilité seront elles mêmes différentes. Quatre grandes options de durabilité peuvent être données à titre d exemple. Pour certaines firmes, il s agira d avoir recours aux modes alternatifs ; pour d autres d optimiser les livraisons ; pour certains encore, de mutualiser les entrepôts ; enfin, d assurer la sécurité des marchandises transportées. Dès lors, la diversité des choix stratégiques des firmes en matière de transport et de logistique et la variété des stratégies de durabilité ouvrent la voie à une diversité d influence des transports intelligents. Un processus logistique industriel, sur stocks, mobilise des prestations simples à dominante matérielle. Le transport est mobilisé dans sa dimension la plus élémentaire et l évolution vers la durabilité peut prendre à son tour une «dimension matérielle» dont la sensibilité aux options de fret intelligent sera moindre. Mais l influence de ces mesures s accroit dès lors que les processus productifs requièrent des processus logistiques plus complexes. Les opérations purement matérielles (parmi lesquelles le transport) perdent alors en importance relative. La durabilité sera ainsi davantage prise en compte au niveau des opérations informationnelles, relationnelles ou en connaissance, ce qui rend ces processus plus sensibles aux options de fret intelligent. CONCLUSION Dans l incitation au développement durable des transports, le recours aux systèmes de fret intelligent est fréquemment mis en avant. Il convient pourtant de mettre les innovations et les TIC mobilisées au service des besoins des utilisateurs des solutions de transport, à savoir les chargeurs. La réponse en termes d offre technologique, de la même façon que celle en termes d infrastructures, doit être pensée en fonction des besoins, de la demande de prestations logistiques et de transport des entreprises. Or, ces besoins apparaissent très divers, de même que la représentation de la performance «durable» du transport et de la logistique. Les systèmes de transport intelligent s adresseront ainsi davantage aux organisations logistiques complexes. C est donc vers la recherche de solutions dédiées aux besoins des chargeurs qu il convient de s orienter, et cherchant à concilier leurs visions de la performance «durable» des chaînes à l intérêt général.

286 NETCOM, vol 22, n 3-4, 2008 BIBLIOGRAPHIE BURMEISTER A., DJELLAL F. (2002), L impact des technologies de l information et de la communication sur l organisation spatiale des activités de services, Cahiers de l économie de l innovation, n 19, janvier. BERNADET M. (1997), Le transport routier de marchandises, fonctionnement et dysfonctionnement, Economica. CARBONE V. (2004), Le rôle des prestataires logistiques en Europe. Intégration des chaînes et alliances logistiques, Thèse de doctorat, Ecole des Ponts et Chaussées. CCE (2001), Livre Blanc : La politique européenne des transports à l horizon 2010 : L heure des choix, 12 septembre, Bruxelles. CCE (2006), Pour une Europe en mouvement. Mobilité durable pour notre continent. Examen à mi-parcours du livre blanc sur les transports publié en 2001 par la commission européenne, Bruxelles. DE BRITO M., CARBONE, V., MEUNIER C. (2008), Towards a sustainable fashion retail supply chain in Europe: Organisation and performance, International Journal of Production Economics. DJELLAL F. (2001), Les trajectoires d'innovation dans les entreprises de transport routier de marchandises, Revue Française de Gestion, n 33. DJELLAL F., GALLOUJ F. (2006), La productivité dans les services administratifs, Ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité, juin. GADREY J. (1996), L économie des services, La Découverte, Paris. GALLOUJ F. (1999), Les trajectoires de l innovation dans les services : vers un enrichissement des taxonomies Evolutionnistes, Economies et Sociétés, Série EGS, n 1, 5, p. 143-169. GALLOUJ C., GALLOUJ F. (1996), L'Innovation dans les Services, Economica. GOLICIC, S.L., FOGGIN, J.H. & MENTZER, J.T. (2003), Relationship magnitude and its role in interorganizational relationship structure, Journal of Business Logistics, Oak Brook, Council of Logistics Management, Vol. 24(1), pp. 57-75. GUILBAULT M., SOPPE M. (2007), Grandes tendances d évolution des pratiques de transport et logistique au travers des enquêtes Chargeur 1988 et ECHO 2004, présentation à la journée spécialisée ECHO, septembre. GUILBAULT M., SOPPE M. et alii (2007), Pratiques modales : enquête ECHO 2004, présentation à la journée spécialisée ECHO, septembre. HAYNES K.E. et alii (2000), Intelligent transportation systems benefit priorities: an application to the Woodrow Wilson bridge, journal of transport geography, Vol 8, Issue 2. MEUNIER C., ZEROUAL T. (2006), Transport durable et développement économique, Revue électronique Développement durable et territoires, 13 décembre. SAVY M. (2007), Le transport de marchandises, Eyrolles. TANIGUCHI E. et alii (2001), City logistics: network modelling and intelligent transport systems, Pergamon, Oxford.