LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 par Pierre Colmez Table des matières. La fonction zêta p-adique...................................................... Valeurs aux entiers négatifs de la fonction zêta de Riemann..............2. Les congruences de Kummer............................................ 2.3. Restriction à......................................................... 3.4. La fonction zêta de Kubota-Leopoldt.................................... 4.5. Transformée de Mellin p-adique et transformée Γ de Leopoldt........... 4.6. Construction de la fonction zêta de Kubota-Leopoldt.................... 7.7. Le résidu en s = de la fonction zêta p-adique.......................... 7.8. Les zéros de la fonction zêta p-adique................................... 8 2. Fonctions L de Dirichlet..................................................... 9 2.. Caractères de Dirichlet et sommes de Gauss............................. 9 2.2. Les fonctions-l de Dirichlet............................................. 0 2.3. Fonctions L p-adiques attachées aux caractères de Dirichlet............. 2.4. Comportement en s = des fonctions L de Dirichlet.................... 2 2.5. Torsion par un caractère de conducteur une puissance de p.............. 3 3. Séries de Coleman........................................................... 5 3.. Unités cyclotomiques et fonctions L p-adiques........................... 6 3.2. Existence des séries de Coleman......................................... 7 3.3. Dérivée logrithmique des séries de Coleman et opérateur ψ.............. 9. La fonction zêta p-adique.. Valeurs aux entiers négatifs de la fonction zêta de Riemann Soit ζ(s = + n= n s = p ( p s la fonction zêta de Riemann. Soit Γ(s = + t=0 e t t s dt t la fonction Γ d Euler. Cette fonction est holomorphe pour Re(s > 0 et satisfait l équation fonctionnelle Γ(s + = sγ(s, ce qui permet de la prolonger en une fonction méromorphe sur C tout entier.
2 PIERRE COLMEZ Lemme.. Si Re(s >, alors ζ(s = Γ(s + 0 dt e t ts t. Démonstration. Il suffit d écrire e t sous la forme + n= e nt et d utiliser la formule + 0 e nt t s dt t = Γ(s n. s Proposition.2. Si f est une fonction C sur R + à décroissance rapide à l infini, alors la fonction L(f, s = + f(tt s dt Γ(s 0 t définie pour Re(s > 0 admet un prolongement holomorphe à C tout entier et, si n N, alors L(f, n = ( n f (n (0. Démonstration. Soit ϕ une fonction C sur R +, valant sur [0, ] et 0 sur [2, + [. On peut écrire f sous la forme ϕf+ ( ϕf et L(f, s sous la forme L(ϕf, s + L(( ϕf, s et comme ( ϕf est nulle dans un voisinage de 0 et à décroissance rapide à l infini, l intégrale + 0 f(tt s dt t définit une fonction holomorphe sur C tout entier. Comme de plus, Γ(s s annule aux entiers négatifs, on a L(( ϕf, n = 0 si n N. On voit donc que, quitte à remplacer f par ( ϕf, on peut supposer f à support compact. Une intégration par partie nous fournit alors la formule L(f, s = L(f, s + si Re(s >, ce qui permet de prolonger L(f, s en une fonction holomorphe sur C tout entier. D autre part, on a + L(f, n = ( n+ L(f (n+, = ( n+ f (n+ (tdt = ( n f (n (0, ce qui termine la démonstration. On peut en particulier appliquer cette proposition à f 0 (t = t e t. Soit + n=0 B n tn n! le développement de Taylor de f 0 en 0. Les B n sont des nombres rationnels appelés nombres de Bernoulli et qu on retrouve dans toutes les branches des mathématiques. On a en particulier B 0 =, B = 2, B 2 = 6, B 4 = 30,..., B 2 = 69 2730, et comme f 0 (t f 0 ( t = t, la fonction f 0 est presque paire et B 2k+ = 0 si k. Un test presque infaillible pour savoir si une suite de nombres a un rapport avec les nombres de Bernoulli est de regarder si 69 apparaît dans les premiers termes de cette suite. Théorème.3. (i La fonction ζ a un prolongement méromorphe à C tout entier, holomorphe en dehors d un pôle simple en s = de résidu. (ii Si n Q, alors ζ( n = ( n B n+ n+ ; en particulier, ζ( n Q. Démonstration. On a ζ(s = s L(f 0, s comme on le constate en utilisant la formule Γ(s = (s Γ(s ; on en déduit le résultat. Remarque.4. Les valeurs aux entiers de la fonction zêta, ou plus généralement des fonctions L de la géométrie arithmétique, recellent une quantité impressionante d informations arithmétiques. Par exemple, Kummer a montré que, si p ne divise pas le numérateur de ζ(, ζ( 3,..., ζ(2 p, alors p ne divise pas le cardinal du groupe des classes d idéaux du corps Q(µ p. 0
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 3 Cela lui a permis de démontrer le théorème de Fermat pour un tel p dit régulier. Le point de départ de la démonstration de Kummer est la formule analytique du nombre de classes d idéaux qui permet d exprimer ce nombre de classes en termes de fonctions L de Dirichlet en s = 0. L une des étapes principale de la démonstration de Kummer consiste à établir une congruence modulo p (ou plus exactement modulo m Qp (µ p entre ces fonctions L de Dirichlet en s = 0 et les valeurs aux entiers négatifs de la fonction zêta. Ces congruences sont des cas particuliers de congruences mod p k, elles-aussi découvertes par Kummer, entre les valeurs aux entiers négatifs de la fonction zêta..2. Les congruences de Kummer Si a R +, on peut appliquer la proposition.2 à la fonction f a (t = e t a e at qui est C sur R + (on s est débrouillé pour supprimer le pôle en 0 et à décroissance rapide à l infini. Corollaire.5. Si a R +, la fonction ( a s ζ(s = L(f a, s a un prolongement analytique à C tout entier et, si n N, alors ( a +n ζ( n = ( n f a (n (0. En particulier, si a Q, alors ( a +n ζ( n Q. Proposition.6. Si a, il existe une mesure µ a dont la transformée de Laplace est f a (t. De plus, v D0 (µ a 0 et si n N, alors Z p x n µ a = ( n ( a +n ζ( n. Démonstration. Pour démontrer l existence de µ a, il suffit de vérifier que la série obtenue en remplaçant e t par + T est à coefficients bornés ; ce sera alors la transformée d Amice de µ a. Or on peut écrire ( + T a sous la forme at ( + T g(t avec g(t = + n=2 a( a n T n 2 Z p [[T ]] et donc T a + ( + T a = ( T n g n Z p [[T ]]. n= Comme on a obtenu une série à coefficients entiers, on obtient en prime la minoration v D0 (µ a 0. Finalement, on a Z p x n µ a = L µ (n a (0 = f a (n (0. Proposition.7 (congruences de Kummer. Soit a N {} premier à p. Soit k. Si n et n 2 sont deux entiers k vérifiant n n 2 mod. (p p k, alors v p ( ( a +n ζ( n ( a +n 2 ζ( n 2 k. Démonstration. Comme on a supposé n k et n 2 k, on a v p (x n k et v p (x n 2 k si x pz p. D autre part, comme (Z/p k Z est de cardinal (p p k, et que l on a supposé n n 2 mod. (p p k, on a x n x n 2 p k Z p si x. En résumé, v p (x n x n 2 k quel que soit x Z p, et donc v C 0(x n x n 2 k. Comme v D0 (µ a 0, ceci implique v p ( ( a +n ζ( n ( a +n 2 ζ( n 2 = v p ( Z p (x n x n 2 µ a (x k et permet de conclure.
4 PIERRE COLMEZ.3. Restriction à L énoncé ci-dessus n est pas très esthétique à cause de la condition n, n 2 k. La démonstration montre que cette condition vient de ce qu on intègre sur Z p tout entier, et que la vie serait plus agréable si on pouvait se restreindre à. Malheureusement, si µ est une distribution quelconque, il n y a aucun lien, a priori, entre xn µ et Z p x n µ. Par contre, la proposition suivante va nous fournir un tel lien, dans le cas de la mesure µ a. Proposition.8. Si a, alors (i ψ(µ a = µ a ; (ii Res (µ a = ( ϕµ a ; (iii xn µ a = ( p n Z p x n µ a, quel que soit n N. Démonstration. Soit F (T = ψ( T. Par définition, on a F (( + T p = p ζ p = ( + T ζ = p = + ζ p = n=0 + m=0 (( + T ζ n ( + T pm = ( + T p. On a donc ψ( T = T. (Formule très utile! Maintenant, la transformée d Amice de µ a est T a a (+T a = T a T a, et comme ψ commute à l action de a, et ψ(a µ = A ψ(µ, si µ est une distribution, on en déduit le (i. Le (ii suit du (i et du fait que l on a Res (µ = ( ϕψµ, si µ est une distribution. Finalement, le (iii suit du (ii et de ce que Z p x n ϕ(µ = Z p (px n µ, si µ est une distribution. Corollaire.9. Soit a N {} premier à p. Soit k. Si n et n 2 sont deux entiers vérifiant n n 2 mod. (p p k, alors v p ( ( a +n ( p n ζ( n ( a +n 2 ( p n 2 ζ( n 2 k..4. La fonction zêta de Kubota-Leopoldt Le corollaire.9 traduit une propriété de continuité p-adique de la fonction n ( p n ζ( n. On peut grandement préciser cet énoncé. Pour avoir des formules uniformes, on pose q = 4 si p = 2, et q = p si p 2. On note φ la fonction indicatrice d Euler ; on a donc φ(q = 2 si p = 4, et φ(q = p si p 2. Théorème.0. Si i Z/φ(qZ, il existe une unique fonction ζ p,i continue sur Z p (resp. Z p {} si i (resp. si i = telle que la fonction (s ζ p,i (s soit analytique sur Z p (i+2z p si p = 2, et que l on ait ζ p,i ( n = ( p n ζ( n si n N vérifie n i modulo p. Remarque.. (i Le théorème ci-dessus est dû à Kubota et Leopoldt et la fonction ζ p,i est appelée la i-ème branche de la fonction zêta de Kubota-Leopoldt. Si i est pair, alors ζ p,i est identiquement nulle car ζ( n = 0 si n 2 est pair. (ii On voit que pour rendre la fonction n ζ( n p-adiquement continue, on a été forcé de se restreindre à une classe de congruence modulo p et surtout de multiplier ζ( n par le facteur ( p n qui est le facteur d Euler en p de la fonction ζ. L explication folklorique de ce phénomène
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 5 est en général la suivante. On a ζ(s = l. Si l p, on peut, en se restreignant à une l s classe de congruence modulo p (c.f. n o suivant, prolonger la fonction n l n en une fonction continue sur Z p ; par contre, il n y a rien à faire avec le facteur ( p n qui tend p-adiquement vers quand n tend vers +. Il semble donc normal d être forcé de retirer ce dernier facteur si on veut que le produit soit p-adiquement continu. Malheureusement, cette explication séduisante est un petit peu trop simpliste pour être juste, comme le montre l exemple des fonctions L p- adiques attachées aux formes modulaires. Une définition des facteurs d Euler qu il faut mettre en p pour pouvoir espérer des propriétés de continuité p-adique pour une fonction L générale a été donnée par Perrin-Riou. Cette définition utilise intensivement les anneaux de Fontaine. (iii L unicité de ζ p,i est immédiate puisque i + φ(qn est dense dans Z p si p 2, et dans i + 2Z p, si p = 2. Par contre l existence est un miracle, comme l était déjà la rationalité des valeurs aux entiers négatifs de la fonction zêta. Cette existence repose sur la transformée Γ de Leopoldt qui donne un résultat plus fort que l analyticité sur Z p..5. Transformée de Mellin p-adique et transformée Γ de Leopoldt On note le groupe des racines de l unité contenues dans Q p. Donc est le groupe (cyclique des racines φ(q-ième de l unité, et est la réunion disjointe des ε + qz p pour ε. On note ω : Z p {0} la fonction définie par ω(x = 0 si x pz p, et x ω(x qz p, si x. Si x, on définit x + qz p par x = xω(x. Proposition.2. Si i Z/φ(qZ, la fonction x ω(x i x s est une fonction localement analytique sur Z p. De plus, ω(x i x n = x n si n i [φ(q] et si x, ω(x i x s = n s lim x n quels que soient x, s Z p. n i [φ(q] Démonstration. L analyticité locale vient de ce que l on a ω(x i x s = 0 sur pz p et ω(x i x s = ε i ( x + ( s ε s = ε i n (x ε n, n si x ε + qz p et ε. Le reste de la proposition suit de ce que étant d ordre φ(q, on a ω(x n = ω(x i si n i [φ(q]. Si i Z/φ(qZ, on définit la i-ème branche Mel i,µ de la transformée de Mellin d une distribution continue µ par la formule Mel i,µ (s = ω(x i x s µ(x = ω(x i x s µ(x, Z p la seconde égalité résultant du fait que ω(x = 0 si x pz p. D autre part, on a Mel i,µ (n = xn µ si n i [φ(q]. Remarque.3. On préfère souvent définir la transformée de Mellin d une distribution µ sur comme la fonction qui à un caractère localement analytique β de à valeurs dans C p associe l intégrale Mel µ (β = β(x µ(x. n=0
6 PIERRE COLMEZ On retrouve l autre définition de la transformée de Mellin en évaluant cette transformée de Mellin en le caractère ω(x i x s et on a donc la formule Mel i,µ (s = Mel µ (ω(x i x s. L existence des φ(q branches de la transformée de Mellin correspondent au fait que l espace des caractères continus de dans C p est naturellement la réunion de φ(q boules ouvertes, une pour chaque caractère de (un caractère général de est de la forme x ω(x i v θ(x, avec i Z/φ(qZ, et v D(, 0 +. Soit u un générateur topologique du groupe multiplicatif + qz p, et soit θ : + qz p Z p le morphisme de groupes qui à x associe log x log u. Ce morphisme est analytique et son inverse aussi, ce qui fait que, si f est une fonction localement analytique (resp. continue sur + qz p, la fonction θ f définie par θ φ(x = φ(θ(x est localement analytique sur Z p (resp. continue. Si µ est une distribution à support dans + qz p, on définit la distribution θ µ sur Z p par la formule φ θ µ = Z p θ φ µ. +qz p Et comme θ transforme une fonction continue sur Z p en une fonction continue sur + qz p, l image d une mesure par θ est encore une mesure. Exercice. Montrer, plus généralement, que l image d une distribution d ordre r par θ est une distribution d ordre r. Lemme.4. Si X est un ouvert compact de Z p, si α, et si µ est une distribution continue sur Z p, alors Res X (µ α = Res α X(µ α. Démonstration. Comme on a X (αx = α X(x si X Z p ; on en déduit la formule φ(x Res X (µ α = X (xφ(x µ α = X (αxφ(αx µ(x Z p Z p Z p = φ(αx( α X(x µ(x = φ(αx Res α X(µ Z p Z p = φ(x Res α X(µ α, Z p ce qui permet de conclure. Définition.5. Si µ est une distribution sur et si i Z/φ(qZ, on définit la i-ième branche Γ (i µ de la transformée Γ de µ par la formule ( ( Γ (i µ = θ Res +qzp ε i µ ε = θ ε i Res ε +qz p (µ ε, ε l égalité entre les deux définitions résultant du lemme précédent. Il est clair que, si µ est une mesure sur, alors Γ (i µ est une mesure sur Z p, et que l on a v D0 (Γ (i µ v D0 (µ. ε
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 7 Proposition.6. Si µ est une distribution continue et i Z/φ(qZ, alors Mel i,µ (s = ω(x i x s µ(x = u sy Γ (i µ (y = A (i Γ (u s. µ Z p Démonstration. La première (resp. dernière égalité est une conséquence de la définition de la transformée de Mellin (resp. d Amice d une distribution continue. Si y = θ(x = log x log u, on a u sy = exp(s log x = x s et donc u sy Γ (i µ (y = x s ε i Res ε +qz p (µ ε. Z p +qz p ε Utilisant le fait que ω(x = ε si x ε + qz p et que εx = x, on obtient u sy Γ (i µ (y = ω(x i x s µ(x, Z p ε ε +qz p et le résultat suit de ce que est la réunion disjointe des ε + qz p pour ε. Corollaire.7. (i Si µ est une distribution continue et si i Z/φ(qZ, la fonction Mel i,µ (s est une fonction analytique de s et même de u s. (ii Si µ est une mesure vérifiant v D0 (µ 0, et si i Z/φ(qZ, alors il existe g i,µ O L [[T ]] tel que Mel i,µ (s = g i,µ (u s..6. Construction de la fonction zêta de Kubota-Leopoldt Si i Z/φ(qZ, et si a vérifie a, définissons une fonction g a,i sur Z p par la formule g a,i (s = ω(a i a s Mel i,µ a ( s = ω(a i a s ω(x i x s µ a (x. D après le corollaire.7, Mel i,µa ( s est une fonction analytique de s. D autre part, si ω(a i, la fonction s ω(a i a s est une fonction analytique de s ne s annulant pas sur Z p car a s + qz p et ω(a i {} et donc ω(a i / + qz p et si ω(a i =, la fonction a s ne s annule que pour s =. On en déduit le fait que g a,i est une fonction continue sur Z p {} et même sur Z p si ω(a i. De plus, si n i [φ(q], on a ω(a i = ω(a +n et ω(x i = ω(x n si x. Donc g a,i ( n = ω(a +n a +n ω(x n x n µ a (x = a +n x n µ a (x =( n ( p n ζ( n ne dépend pas du choix de a. Si a et a sont 2 éléments de, la fonction g a,i g a,i est donc un quotient de fonctions analytiques sur Z p s annulant en un nombre infini de points, ce qui implique qu elle est identiquement nulle et que la fonction g a,i est indépendante du choix de a. Il suffit donc de poser ζ p,i = g a,i pour n importe quel choix de a vérifiant a = et ω(a i si i pour avoir une construction de la fonction zêta de Kubota-Leopoldt.
8 PIERRE COLMEZ.7. Le résidu en s = de la fonction zêta p-adique La série formelle log(+t T convergeant sur B(0,, il existe une distribution µ KL dont c est t la transformée d Amice. La transformée de Laplace de µ KL est e t = f 0(t et x n µ KL = f (n 0 (0 = ( n nζ( n, Z p Comme on le constate en utilisant le théorème.3. Cette distribution ressemble beaucoup à la mesure de Haar mais n est pas invariante par translation. On a en effet le lemme suivant. Lemme.8. a+p n Z p µ KL (x = p n Démonstration. a+p n Z p µ KL (x = p n ε pn = ε a A µkl (ε et comme log(ε = 0 si ε est une racine de l unité d ordre une puissance de p, tous les termes de la somme sont nuls sauf celui correspondant à ε =, ce qui donne le résultat. Proposition.9. On a : (i ψ(µ KL = p µ KL ; (ii Res (µ KL = ( p ϕµ KL ; (iii xn µ KL = ( n n( p n ζ( n, si n N. Le (i suit des formules ψ( T = T (cf. démonstration de la prop..3 et ϕ(log( + T = p log( + T, et de ce que ψ(ϕ(ab = aψ(b. Le reste s en déduit comme dans la proposition.3. Théorème.20. La branche ζ p, de la fonction zêta p-adique a un pôle simple en s = de résidu p. Démonstration. D après ce qui précède, on peut définir la fonction ζ p,i, si i Z/φ(qZ, par la formule ζ p,i (s = ( i s Mel i,µ KL ( s = ( i ω(x i x s µ KL (x. s En effet, les membres de droite et de gauche de la formule ci-dessus sont analytiques sur Z p {}, et prennent la même valeur, à savoir ζ p,i ( n = ( p n ζ( n, si n N vérifie n i [p ]. Ils sont donc égaux en tout point. De plus lim (s ζ p,i(s = ω(x i µ KL (x s Ceci permet de conclure. = ω(α i µ KL (x = α α+pz p { p si i =, 0 sinon. Remarque.2. (i La formule lim(s ζ p, (s = s p est à rapprocher de la formule analogue pour la fonction zêta de Riemann. La différence entre les deux formules est encore une fois donnée par un facteur d Euler en p. (ii On préfère souvent voir la fonction zêta p-adique comme une fonction d un caractère continu (et donc localement analytique η : C p ; auquel cas, le résultat précédent se traduit
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 9 en disant que la fonction zêta p-adique a un pôle simple en le caractère x (i.e. x x de résidu p..8. Les zéros de la fonction zêta p-adique La fonction zêta p-adique est étroitement reliée aux groupes de classes d idéaux (quotient du groupe des idéaux fractionnaires par celui des idéaux principaux des corps Q(e 2iπ p n, pour n N. Le théorème.22 ci-dessous est une conséquence d un théorème plus précis de Mazur et Wiles et donne une bonne illustration de ce lien. L énoncé de ce théorème va demander un peu de préparation. Tout d abord, si K/F est une extension finie de corps de nombres, et si a est un idéal non nul de l anneau des entiers O K de K, on définit l idéal N K/F (a comme l idéal de O F engendré par les N K/F (α, pour α a. On a N K/F (ab = N K/F (an K/F (b et N K/F ((α = (N K/F (α, ce qui montre que N K/F induit, par passage aux quotients, un morphisme de groupes du groupe des classes d idéaux de K dans celui des classes d idéaux de F. Ce morphisme envoie le p-sylow dans le p-sylow puisque le p-sylow d un groupe abélien fini n est autre que l ensemble des éléments d ordre une puissance de p. Dans tout ce qui suit, on suppose p 2. Si n, on note F n le corps cyclotomique Q(e 2iπ p n et X n le p-sylow du groupe des classes d idéaux de F n. D après la discussion précédente, l application N Fn+ /F n induit un morphisme de groupes de X n+ dans X n. On note X la limite projective des X n relativement aux applications N Fn+ /F n. Un élément c de X est donc une suite (c n n, avec c n X n et c n = N Fn+ /F n (c n+ quel que soit n. Comme chaque X n est un p-groupe abélien fini et donc un Z p -module, X est un Z p -module compact. On note F la réunion des F n. C est une extension galoisienne de Q et son groupe de Galois est canoniquement isomorphe à via le caractère cyclotomique χ cycl. Le groupe Gal(F /Q laisse fixe chaque F n et respecte l anneau des entiers, et donc transforme un idéal en un idéal et un idéal principal en un idéal principal et, par suite, agit sur X n. Comme cette action commute aux applications N Fn+ /F n, on obtient une action de Gal(F /Q sur X. Théorème.22. Si i (Z/(p Z est impair et si s Z p, alors les deux conditions suivantes sont équivalentes : (i ζ p,i (s = 0 ; (ii il existe un élément c de X qui n est pas tué par une puissance de p et sur lequel σ Gal(F /Q agit via la formule σ(c = ω(χ cycl (σ i χ cycl (σ s c. Le théorème précédent caractérise les zéros de la fonction zêta p-adique mais n est pas très explicite : on ne sait, par exemple, pas démontrer l énoncé suivant qui reste le principal problème ouvert concernant la fonction zêta p-adique. Conjecture.23. Si i (Z/(p Z est impair, et si k est un entier, alors ζ p,i (k 0. On sait démontrer ce résultat pour k =, mais cela résulte d un théorème profond sur les formes linéaires de logarithmes de nombres algébriques (cf. n o 2.4 du 2.3. Pour traiter le cas général, il faudrait disposer d un résultat analogue pour les polylogarithmes.
0 PIERRE COLMEZ 2. Fonctions L de Dirichlet Ce que l on a fait pour la fonction zêta de Riemann s étend sans douleur aux fonctions L de Dirichlet (à l exception du théorème de Mazur-Wiles, bien sûr. 2.. Caractères de Dirichlet et sommes de Gauss Si D est un entier, on appelle caractère de Dirichlet modulo D un morphisme de groupes de (Z/DZ dans C. L image d un caractère de Dirichlet est bien évidemment incluse dans le groupe des racines de l unité. Si D est un diviseur de D et χ est un caractère de Dirichlet modulo D, on peut aussi voir χ comme un caractère de Dirichlet modulo D en composant χ avec la projection (Z/DZ (Z/D Z. On dit que χ est de conducteur D si on ne peut pas trouver de diviseur D de D distinct de D, tel que χ provienne d un caractère modulo D. De manière équivalente, χ est de conducteur D si quel que soit D diviseur de D distinct de D, la restriction de χ au noyau de la projection (Z/DZ (Z/D Z n est pas triviale. Si χ est un caractère de Dirichlet modulo D, on note χ le caractère de Dirichlet modulo D défini par χ (n = (χ(n si n (Z/DZ. Si χ est un caractère de Dirichlet modulo D, on considère aussi souvent χ comme une fonction périodique sur Z de période D en composant χ avec la projection naturelle de Z sur Z/DZ et en étendant χ par 0 sur les entiers non premiers à D. On a donc χ (n = (χ(n si (n, D =, mais χ (n = 0 si (n, D. Si D est un entier, si χ est un caractère de Dirichlet de conducteur D et si n Z, on définit la somme de Gauss tordue G(χ, n par la formule et on pose G(χ = G(χ,. G(χ, n = a mod D na 2iπ χ(ae D, Lemme 2.. (i Si n N, alors G(χ, n = χ (ng(χ (ii G(χG(χ = χ( D. Démonstration. Si (n, D =, alors n est inversible dans (Z/DZ, ce qui permet d écrire G(χ, n = na 2iπ χ(ae D = χ na 2iπ (n χ(ane D = χ (ng(χ. a mod D an mod D Si (n, D = e >, on peut écrire D = ed et n = en. Soit U le noyau de la projection de (Z/DZ sur (Z/D Z. Si on choisit un système S de représentants de (Z/D Z dans (Z/DZ, on a G(χ, n = nau 2iπ χ(aue D. a S u U Si u U et a Z, alors nau na = n nau 2iπ ea(u 0 mod D et donc e D donc G(χ, n = na ( 2iπ χ(ae D χ(u = 0 a S u U na 2iπ = e D. On obtient car u U χ(u = 0 puisque χ est un caractère non trivial de U (sinon χ serait de conducteur D. Ceci démontre le (i.
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 Utilisant ce qui précède, on obtient G(χG(χ = e 2iπ b D χ (bg(χ = et comme (a+b 2iπ e D = = a mod D e 2iπ b D ( a mod D ( χ(a e χ(ae ab 2iπ D (a+b 2iπ D { D si a =, on en tire la formule G(χG(χ = χ( D. 0 sinon 2.2. Les fonctions-l de Dirichlet Soient D un entier et χ un caractère de Dirichlet de conducteur D. Soit L(χ, s = + n= χ(n n s = p premier la fonction L de Dirichlet attachée à χ. Si on utilise l identité on obtient χ(n = L(χ, s = Utilisant la formule + 0 e nt t s dt t G(χ G(χ L(χ, s = G(χ Γ(s = G(χ Γ(s ( χ(pp s, pour Re(s >, χ nb 2iπ (be D, + χ (b n= nb 2iπ e D n s = Γ(s n, on obtient, ayant posé ε s D = e 2iπ D, + 0 + χ (b 0 + n= ε nb D e nt χ (b dt ε b ts D et t. En particulier, la proposition.2 implique que L(χ, s admet un prolongement holomorphe à C tout entier et que, si n N, alors L(χ, n est ( n la dérivée n-ième de la fonction (b χ G(χ prise en t = 0. Pour supprimer le ε b D et ( n, on peut changer t en t, utiliser l identité ε b D e t = ε b D et et le fait que χ (b = 0 et on obtient L(χ, n = ( d dt n L χ (t 0, où l on a posé L χ (t = G(χ χ (b ε b D et.
2 PIERRE COLMEZ 2.3. Fonctions L p-adiques attachées aux caractères de Dirichlet Soit χ un caractère de Dirichlet de conducteur D > premier à p. Si χ (b 0, alors ε b D est une racine de l unité d ordre premier à p et distincte de, ce qui implique v p (ε b D = 0. On en déduit le fait que la série entière F χ (T = G(χ χ (b ( + T ε b D = G(χ + χ ε nb D (b (ε b D T n n+ est à coefficients bornés (et même à coefficients entiers, puisque G(χ et G(χ sont des entiers algébriques et v p (G(χG(χ = v p (D = 0, ce qui implique v p (G(χ = v p (G(χ = 0 et donc est la transformée d Amice d une mesure µ χ sur Z p dont la transformée de Laplace est F χ (e t = L χ (t. On a donc Z p x n µ χ = L (n χ (0 = L(χ, n d après le n o 2.2 et v D0 (µ χ 0. Définition 2.2. On définit la fonction-l p-adique associée à χ comme étant la transformée de Mellin de µ χ et on note cette fonction β L p (χ β. Si β est un caractère localement analytique sur, on a donc L p (χ β = β(xµ χ (x. D autre part, si i Z/φ(qZ, on pose L p,i (χ, s = L p (χ (ω i (x x s = n=0 ω i (x x s µ χ (x. Proposition 2.3. Si i Z/φ(qZ, la fonction L p,i (χ, s est une fonction analytique sur Z p et on a L p,i (χ, n = ( χ(pp n L(χ, n si n N vérifie n i [φ(q]. Démonstration. Le fait que L p,i (χ, s soit une fonction analytique sur Z p suit des propriétés générales de la transformée de Mellin d une mesure (corollaire.7. D autre part, d après la démonstration de la prop..3, on a η p = ( + T ε b D η = p ( + T p ε pb D on en déduit le fait que la transformée d Amice de la restriction à de µ χ est G(χ χ (b ( + T ε b D χ (b ( + T p ε pb D, ce qui, mettant χ (b sous la forme χ(pχ (pb et utilisant le fait que b pb est une bijection modulo D, peut se réécrire sous la forme A µχ (T χ(pa µχ (( + T p. On en déduit les formules L Res (µ χ(t = L µχ (t χ(pl µχ (pt et x n µ χ = ( χ(pl(χ, n, si n N, et le résultat.
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 3 2.4. Comportement en s = des fonctions L de Dirichlet En reprenant la formule pour L(χ, s donnée au n o 2.2 du 2, on obtient L(χ, = G(χ = G(χ + χ (b n=0 ε nb D n χ (b log( ε b D. On peut obtenir de plus jolies formules en regroupant les contributions de b et b et en séparant le cas χ pair (χ( = du cas χ impair (χ( =. Nous allons établir l analogue p-adique de cette formule. Il s agit de calculer x µ χ. Pour ce faire, nous allons calculer la transformée d Amice de x µ χ (qui n est déterminée qu à constante près puis restreindre à, ce qui tue l indétermination qui correspond à un multiple de la masse de Dirac en 0. Proposition 2.4. La transformée d Amice de x µ χ est (à constante près : A x µ χ (T = G(χ χ (b log(( + T ε b D Démonstration. Si µ est une distribution, les transformées d Amice de µ et x µ sont reliées par la formule ( + T d dt A x µ(t = A µ (T. Appliquons l opérateur ( + T d dt G(χ χ ( + T ε b D (b ( + T ε b D = G(χ au membre de droite de l identité à vérifier ; on obtient ( χ (b ( + T ε b D + et cette dernière expression est égale à A µχ (T comme on le voit en utilisant le fait que χ (b = 0. On en déduit le fait que les deux membres ont même image par ( + T d dt et donc qu ils diffèrent par une fonction localement constante. Pour conclure, il faut encore vérifier que le second membre est bien donné par une série convergeant sur D(0, 0 + ; mais on a log(( + T ε b D = log(ε b D + log( + εb D T + ε b D = log(εb D + n= ( n n ( ε b D T ε b D n et comme on a supposé (D, p =, on a v p (ε b D = 0, et la série converge bien sur D(0, 0+. Ceci permet de conclure. Lemme 2.5. La transformée d Amice de la restriction de x µ χ à est donnée par la formule A Res (x µ χ (T = ( G(χ χ (b log(( + T ε b D p log(( + T p ε pb D =A x µ χ (T χ(p p A x µ χ (( + T p.
4 PIERRE COLMEZ Démonstration. On utilise la formule générale donnant la transformé d Amice de la restriction à d une mesure en fonction de celle de la mesure et l identité η p = log(( + T ε b Dη = log(( + T p ε pb D, ce qui permet de montrer la première des deux égalités ; la seconde se démontre en écrivant χ (b sous la forme χ(pχ (bp et en utilisant le fait que b pb est une bijection modulo D comme nous l avons déjà fait. En posant T = 0 dans la formule précédente, on obtient L p, (χ, = L p (χ x = x µ χ = ( G(χ χ(p p χ (b log(ε b D, formule qui ne diffère de la formule complexe que par un facteur d Euler et le remplacement du logarithme usuel par le logarithme p-adique. Il s agit d une illustration d un phénomène surprenant au premier abord qui fait que les formules p-adiques et les formules complexes continuent à se ressembler beaucoup même en des points où elles n ont aucune raison de le faire a priori. 2.5. Torsion par un caractère de conducteur une puissance de p Notre but dans ce paragraphe est d étendre les résultats des deux paragraphes précédents pour calculer la fonction L p-adique de χ évaluée en un caractère de la forme β(xx n, où β est un caractère de Dirichlet de conducteur une puissance de p (vu comme caractère localement constant de et n un entier. Nous utiliserons la notation χ β pour désigner le caractère de Dirichlet modulo Dp k défini par (χ β(a = χ(aβ(a, où χ et β sont vus comme des caractères mod Dp k grâce aux projections respectives de (Z/Dp k Z sur (Z/DZ et (Z/p k Z. Lemme 2.6. Soit k, β un caractère de Dirichlet de conducteur p k et µ une distribution continue sur Z p. Alors on a β(x( + T x µ(x = Z p G(β β (ca µ (( + T ε c p. k c mod p k Démonstration. On a β(x( + T x µ(x = β(a ( + T x µ χ Z p a mod p k a+p k Z p = ( β(a p k a mod p k = η pk = η pk = η a A µ (( + T η ( A µ (( + T η p k β(aη a. a mod p k Si on écrit η sous la forme ε c p k = e 2iπ c p k, on reconnait dans le terme entre parenthèses une somme de Gauss tordue (divisée par p k dont la valeur est donnée par le lemme 2. et ce terme vaut donc p k β ( cg(β = β (c G(β,
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 5 la dernière égalité provenant de la formule G(βG(β = β( p k (lemme 2.. On en tire le résultat. Proposition 2.7. Si µ est une mesure sur Z p dont la transformée d Amice est de la forme A µ (T = G(χ χ (bf (( + T ε b D et si β est un caractère de Dirichlet de conducteur p k avec k, alors β(x( + T x µ(x = Z p G((χ β (χ β (af (( + T ε a Dp. k a mod Dp k Démonstration. D après le lemme précédent, on a β(x( + T x µ(x = Z p G(χ G(β χ (bβ (cf (( + T ε b Dε c p. k c mod p k Pour mettre cette expression sous une forme un peu plus sympathique, on peut utiliser le fait que tout élément a de Z/Dp n Z peut s écrire de manière unique sous la forme Dc + p n b, avec b Z/DZ et c Z/p n Z, ce qui donne les formules et permet de conclure. ε a Dp k =ε b Dε c p k (χ β (a =χ (p k β (Dχ (bβ (c G((χ β = (χ β (aε a Dp k a mod Dp k ( ( =χ (p k β (D χ (bε b D β (cε c p k c mod p k =χ (p k β (DG(χ G(β On peut appliquer la proposition précédente à la distribution x µ χ et à la fonction F (T = log(t. On obtient, en évaluant le résultat en T = 0, L p (χ (x β = β(xx µ χ = Z G((χ β (χ β (x log(ε x Dp n, p x mod Dp n formule qui est à rapprocher de la formule correspondante sur les complexes. Proposition 2.8. Si β est un caractère de Dirichlet non trivial de conducteur une puissance de p, et si n N, alors L p (χ (x n β = L(χ β, n. Démonstration. On tire de la proposition précédente et de la formule donnant la transformée d Amice de µ χ, le fait que la transformée d Amice de β(xµ χ (x est G((χ β x mod Dp n (χ β (x ( + T ε x Dp n et donc que sa transformée de Laplace est la fonction L χ β (t. Le résultat s en déduit.
6 PIERRE COLMEZ Remarque 2.9. Il n y a pas de facteur d Euler apparaissant dans les deux formules précédentes ; c est dû au fait que p n est pas premier au conducteur de χ β. Exercice 2. Soient p 3, i et soit u un générateur topologique de + pz p. (i Montrer qu il existe g i Z p [[T ]] tel que ζ p,i (s = g i (u s. (ii Montrer que, si v p (ζ(i p = 0, alors v p (ζ p,i (s = 0 quel que soit s Z p. (iii Calculer ζ p,i (0. En déduire que, si v p (ζ( = v p (ζ( 3 = = v p (ζ(4 p = 0, alors v p (L(ω i, 0 = 0 si i Z/(p Z est impair, différent de. 3. Séries de Coleman Ce est consacré à une autre construction de la fonction zêta p-adique et des fonctions L p-adiques attachées aux caractères de Dirichlet. Cette construction repose sur une machine, due à Coleman, qui fabrique, à partir d un «système compatible d unités locales», une mesure sur Z p. Elle est conceptuellement un peu plus compliquée que la précédente, mais a l avantage de fournir un lien direct entre des objets «globaux», à savoir les unités cyclotomiques, et les fonctions L p-adiques. Ce lien permet, grâce à une méthode puissante (méthode des systèmeis d Euler introduite récemment par Kolyvagin, de faire une étude fine des propriétés arithmétiques des fonctions L p-adiques. En particulier, cela a permis à Rubin de donner une démonstration «élémentaire» du théorème de Mazur-Wiles (cf. Washington, Introduction to cyclotomic fields ou Lang, Cyclotomic fields I and II. Par ailleurs cette machine de Coleman a été étendue par Perrin-Riou dans un cadre très général, et la théorie des (ϕ, Γ-modules de Fontaine permet d étendre encore un peu plus la machine de Perrin-Riou pour fournir une construction générale de fonctions L p-adiques à partir «d éléments globaux» (généralisation des unités cyclotomiques. La méthode des systèmes d Euler permet alors de faire cracher à la fonction L p-adique les informations arithmétiques qu elle contient. La seule ombre à ce tableau idyllique est qu on ne sait pas, sauf dans des cas très particuliers, construire les éléments globaux dont on a besoin... 3.. Unités cyclotomiques et fonctions L p-adiques. Si N N, notons ε N une racine primitive N-ième de l unité. Soit D N, premier à p. Si D et si n, alors v l (ε Dp n = 0 quel que soient le nombre premier l et le plongement de Q(µ Dp n dans Q l. Ceci implique que ε Dp n est une unité de l anneau des entiers de Q(µ Dp n. Si D =, on a v l (ε p n = 0 quel que soient le nombre premier l p et le plongement de Q(µ p n dans Q l ; par contre v p (ε p n = 0. Donc ε (p p n p n n est pas une unité de l anneau des entiers de Q(µ p n mais, si a Z est premier à p, alors εa p n ε p n en est une. Les unités ε Dp n, si D, ou εa p n ε p n, sont appelées unités cyclotomiques. Maintenant, un petit calcul montre que, si n 2, alors N Q(µDp n/q(µ Dp n (ε Dp n = ε p Dp n et N Qp(µ Dp n/q p(µ Dp n (ε Dp n = ε p Dp n. Autrement dit, les unités cyclotomiques forment un système compatible pour les applications norme dans la tour des extensions cyclotomiques globales Q(µ Dp n, n, et locales Q p (µ Dp n, n.
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 7 Exercice 3. Exprimer N Q(µDp /Q(µ D (ε Dp en termes de ε p Dp, et de l action de p (Z/DZ = Gal(Q(µ D /Q. Soit F = Q p (µ D ; c est une extension finie non ramifiée de Q p, (on a donc F = W (k F [ p ], et F est muni d une action bijective de ϕ. Soit ε = (, ε (,... Ẽ+ notre système habituel de racines de l unité, et soit π = ε. Si n N, soit F n = F (ε (n, et soit π n = ε (n. Soit limo Fn la limite projective des O Fn pour les applications N Fn+ /F n. Un élément de u de limo Fn est donc une suite u = (u n n, où u n O Fn pour tout n, et u n = N Fn+ /F n (u n+ si n. On a démontré dans le chapitre sur les anneaux de Fontaine, que σ(x x π O Fn+, si n, si x O Fn+, et si σ Gal(F n+ /F n, et donc que N Fn+ /F n (x x p π O Fn+ si x O Fn+. Cela implique que u = (u n n est un élément de l anneau des entiers E + F du corps des normes E F, et donc qu il existe un unique g u k F [[T ]] tel que g u (π = u. Si g = + k=0 a kt k est un élément de F [[T ]], ou de k F [[T ]], et si n N, on note g [n] la série + k=0 ϕ n (a k T k. Si g k F [[T ]], alors g [n] est aussi définie par l identité (g [n] (T pn = g(t pn. L identité g u (π = u se traduit donc par g u [n] (π n = u n dans O Fn /π O Fn, quel que soit n. Nous allons montrer que l on peut relever cette propriété en caractéristique 0. Théorème 3.. (Coleman (i Si u = (u n n limo Fn, il existe g u O F [[T ]] unique, telle que l on ait g u [n] (π n = u n quel que soit n. De plus, l application u g u est multiplicative. (ii Si u 0, et si = ( + T d dt, alors g u g u vérifie l équation fonctionnelle ψ ( g u [] g u = g u g u, et u g u g u induit un isomorphisme de Z p -modules de limo F n sur l ensemble des f O F [[T ]] vérifiant ψ [] (f = f. Remarque 3.2. (i D après le (ii, si u limo F n, alors gu g u O F [[T ]] est la transformée d Amice d une mesure µ u D(Z p, O F. Ceci permet de voir les séries de Coleman, comme une machine permettant d associer une mesure sur Z p à un système d unités locales compatibles par les applications norme. (ii Si on part de u = ( (+π n a π n n, on obtient g u = (+T a T, et gu a g u ( = (+T a + T. La mesure µ u est donc, au changement de variables x x près, la mesure µ a qui nous a permis de construire la fonction zêta p-adique, et on retrouve l équation fonctionnelle ψ(µ a = µ a qui nous avait servi à relier les intégrales de µ a sur Z p et. (iii De même, si D, si F = Q p (µ D, et si η µ D est une racine primitive D-ième de l unité, alors u η = (( + π n ϕ n (η n N limo F n. La série de Coleman associée est alors ( + T ε, la mesure λ η = µ uη ( a comme transformée d Amice. On voit donc (+T η que, si χ est un caractère de Dirichlet de conducteur D, alors µ χ est une combinaison linéaire des λ η, η µ D primitive. Autrement dit, les séries de Coleman permettent de construire les fonctions L p-adiques attachées aux caractères de Dirichlet à partir des unités cyclotomiques. Exercice 4. Retrouver la formule xn µ χ = ( χ(pp n Z p x n µ χ, en utilisant ce qui précède. 3.2. Existence des séries de Coleman. Ce n o est consacré à la démonstration du (i du th. 3.. Nous aurons besoin du lemme suivant.
8 PIERRE COLMEZ Lemme 3.3. Si f O F [[T ]], il existe N(f O F [[T ]] tel que N(f(( + T p = f(( + T ζ. De plus, on a (i N(f(π n = N Fn+ /F n (f(π n+ quel que soit n ; (ii N(f O F [[T ]] si f O F [[T ]] ; (iii N(f [] f π O F [[T ]], si f O F [[T ]] ; (iv si f (O F [[T ]], si k, et si f g π k O F [[T ]], alors N(f N(g π k+ O F [[T ]]. Démonstration. L unicité est immédiate. Passons à l existence. Tout élément f de O F [[T ]] peut s écrire de manière unique sous la forme f = p i=0 ( + T i f i (( + T p = p i=0 ( + T i ϕ(f i, avec f i = ψ(( + T i f O F [[T ]]. (Cela peut se voir, par exemple, en disant que f est la transformée d Amice d une mesure µ, et en décomposant µ sous la forme p ζ p = µ = Res i+pzp µ = δ i Res pzp (δ i µ; i=0 p i=0 ceci montre que f i est la transformée d Amice de ψ(δ i µ, et comme v D0 (ψ(λ v D0 (λ, on a f i O F [[T ]]. Autrement dit, A = O F [[T ]] est une extension de degré p de B = O F [[ϕ(t ]]. Comme A est obtenu en rajoutant à B une racine p-ième de ( + T p, le groupe des automorphismes de A au-dessus de B est µ p, où ζ µ p agit par ( + T ( + T ζ. On en déduit que ζ p = f(( + T ζ = N A/B(f B, ce qui prouve l existence de N(f. Maintenant, les conjugués de π n+ sous Gal(F n+ /F n sont les ( + π n+ ζ, et π n = ( + π n+ p ; on en déduit la propriété (i. Le (ii est immédiat via la théorie de Galois. Le (iii vient de ce que f(( + T ζ f(t mod π, et donc N(f(T p = f(t p dans k F [[T ]]. On en tire (N(f [] (T p = f(t p dans k F [[T ]], et finalement N(f [] = f dans k F [[T ]], ce qu il fallait démontrer. Finalement, on a N(f g = N(f N(g, ce qui permet, quitte à diviser f et g par f, de se ramener, pour démontrer le (iv, au cas où f = et g = + π k h. On a alors N(g(( + T p + π k ζ p = h(( + T ζ mod π 2k, et comme ζ p = h(( + T ζ = pϕψ(h est divisible par p, et donc a fortiori par π, cela permet de conclure. Corollaire 3.4. (i Si u E F vérifie v E (u = 0, alors il existe g u O F [[T ]] unique, tel que N(g u [] = g u et g u (π = u. (ii Si k, n, et si x + π k O F n+, alors N Fn+ /F n (x + π k+ O Fn+. Démonstration. Il existe g k F [[T ]] unique, tel que u = g(π. Soit g O F [[T ]] relevant g. La condition v E (u = 0 implique que g (O F [[T ]], et les (iii et (iv du lemme 3.3 montrent que l application f N(f [] est contractante (pour la topologie p-adique sur g + po F [[T ]]. Elle y admet donc un unique point fixe g u, ce qui démontre le (i. Pour démontrer le (ii, il suffit d écrire x sous la forme f(π n+, avec f + π k O F [T ], et d utiliser les (i et (iv du lemme 3.3.
LA FONCTION ZÊTA p-adique, NOTES DU COURS DE M2 9 Revenons à la démonstration du (i du théorème 3.. L unicité de g u vient juste de ce qu une série dans O F [[T ]] ayant une infinité de zéros dans D(0, 0 + est nulle. (cf. exercice sur le théorème de préparation de Weierstrass ; cela utilise crucialement le fait que F est de valuation discrète. Passons à l existence. Commençons par supposer que u limo F n. Alors u E + F vérifie v E (u = 0, et il existe g u O F [[T ]] unique tel que N(g u [] = g u et g u (π = u. Soit v n = g [n] u (π n. La propriété «g u (π = u» se traduit par «v n u n π O Fn quel que soit n», et la propriété «N(g u [] = g u» se traduit, d après le (i du lemme 3.3, par «N Fn+ /F n (v n+ = v n quel que soit n». Si w n = vn u n. D après ce qui précède, on a N Fn+ /F n (w n+ = w n et w n + π O Fn. D après le (ii du cor. 3.4, cela implique que w n = N Fn+k /F n (w n+k + π k+ O Fn quel que soit k N. On en déduit que w n =, et donc que u n = g [n] u (π n quel que soit n N, ce qui prouve le théorème dans le cas u limo F n, avec g u = g u. Dans le cas général, on peut écrire u n de manière unique sous la forme πn kn v n, avec k n N et v n OF n. Comme N Fn+ /F n (π n+ = π n, on a k n+ = k n quel que soit n, et N Fn+ /F n (v n+ = v n quel que soit n N. Soit k N la valeur commune des k n, et soit v = (v n n limo F n. D après ce qui précède, il existe g v O F [[T ]] tel que g v [n] (π n = v n quel que soit n, et il est clair que si on définit g u par g u = T k g v, alors g v [n] (π n = v n quel que soit n. Ceci permet de conclure. 3.3. Dérivée logrithmique des séries de Coleman et opérateur ψ. Ce n o est consacré à la démonstration du (ii du th. 3.. La prop. 3.5 permet de montrer que g u g u vérifie l équation fonctionnelle ψ ( g u [] g u = g u g u, et la prop. 3.9 permet de montrer que tout f O F [[T ]] vérifiant l équation fonctionnelle ψ(f [] = f est de la forme gu g u, pour u limo F n. Proposition 3.5. Si u lim O Fn est non nul et si = ( + T d dt, alors N(g u [] = g u et ψ ( g u g u [] = g u g u. Démonstration. D après le (i du lemme 3.3, on a N(g u [n+] (π n = N Fn+ /F n (g u [n+] (π n+ = g u [n] (π n. Comme les extensions galoisiennes F/Q p et Q p (µ p /Q p sont disjointes puisque l une est totalement ramifiée et l autre est non ramifiée, on peut trouver σ Gal(F /Q p agissant par ϕ sur F et par l identité sur π n pour tout n. En appliquant σ n à l identité ci-dessus, on en déduit que N(g u [] g u s annule en π n pour tout n, et donc est nulle. La seconde formule se déduit de la première en utilisant la formule ψ( log f = (log N(f qui est plus moins immédiate à partir des formules ϕ(n(f = f(( + T ζ, ϕ(ψ(f = f(( + T ζ, p ζ p = ζ p = (ϕ(g = pϕ( (g (g(( + T ζ = g(( + T ζ. Lemme 3.6. («de Dieudonné» Si g +T F [[T ]], les conditions suivantes sont équivalentes (i g + T O F [[T ]], g(t (ii p + pt O (g [] (T p F [[T ]].
20 PIERRE COLMEZ Démonstration. L implication (i (ii suit de ce que g(t p = (g [] (T p dans k F [[T ]]. Pour démontrer l implication réciproque, on peut écrire g, sous la forme g = + n= ( a nt n, avec a n F. Si a m O F, pour m n, alors n m= ( a mt m + T O F [[T ]]. On en déduit, en utilisant l implication (i (ii, que, si h = n m= ( a mt m h(t g, alors p +pt O (h [] (T p F [[T ]]. Comme le coefficient de T n h(t dans p est pϕ (a (h [] (T p n, on en déduit l appartenance de a n à O F, ce qui permet, par récurrence, de conclure. Lemme 3.7. Si G T F [[T ]] a une dérivée appartenant à O F [[T ]], alors (i G(( + T p G(T p po F [[T ]] ; (ii ζ p = G(( + T ζ pg(t po F [[T ]]. Démonstration. Comme G O F [[T ]], on a G (n O F [[T ]] quel que soit n. Maintenant, on peut écrire ( + T p sous la forme T p + pu, avec u O F [[T ]], et ( + T ζ sous la forme T + (ζ v, avec v O F [[T ]]. On obtient donc et donc v p ( TrF (µp /F + G(( + T p G(T p = G (n (T p (pun, n! pg(t + ζ p = G(( + T ζ = n= + n= + = n= G (n (T ζ p =, ζ (ζ n v n n! G (n v n ((ζ n Tr F (µp /F. n! Le (i suit alors de ce que n v p (n! quel que soit n, et le (ii de ce que ( (ζ n [ n! p + v p(d F /F ]. Lemme 3.8. Si x + po F, il existe c + po F tel que ϕ(c = xc p. n p v p(n! p, Démonstration. Comme x + po F, la suite de terme général ϕ n (x pn tend vers quand n tend vers +. Le produit infini + n= ϕ n (x pn converge donc dans +po F vers un élément c répondant à la question. Proposition 3.9. Soit f O F [[T ]] vérifiant ψ(f [] = f, et soient G T F [[T ]] la primitive de ( + T f et g = exp G + T F [[T ]]. Alors (i G R + F, (ii G(( + T p = ζ p = ( G [] (( + T ζ G [] (ζ, (iii F + T O F [[T ]], et il existe c + po F, tel que g = cg vérifie l équation fonctionnelle N(g [] = g. Démonstration. Le (i est immédiat. Pour démontrer le (ii, il suffit d appliquer l opérateur = (+T d dt, pour constater que les deux membres différent d une constante, et donc sont égaux puisqu ils le sont en T = 0. Pour démontrer le (iii, considérons h(t = g(t p + T F [[T ]]. (g [] (T p