WORKING PAPER 02/2007-F



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WORKING PAPER 02/2007-F Les mutations de la gouvernance financière en Suisse Le rôle des caisses de pension et les transformations des circuits de financement de l économie suisse (1985-2005) Thierry Theurillat & José Corpataux Mars 2007 GRET Groupe de Recherche en Economie Territoriale

Le GRET Le GRET est un groupe de recherche sur en économie territoriale à l Institut de Sociologie Université de Neuchâtel (Suisse). L'économie territoriale, telle qu'elle est pratiquée à Neuchâtel, puise ses racines théoriques et méthodologiques dans l'économie institutionnaliste ainsi que dans la géographie économique. Tout en s'inscrivant dans des traditions différentes, l'une économique et politique, l'autre géographique, ces deux écoles se fondent sur l'articulation du spécifique et du général, de l'individuel et du collectif, du local et du mondial. Les principaux thèmes de recherche portent sur l'innovation, la circulation et l'ancrage de la monnaie et du capital, la circulation et l'ancrage du travail et des compétences. Ces différents thèmes sont abordés par le territoire, c'est-à-dire par le milieu, la ville, la région, la frontière, la proximité et les institutions, c est-à-dire les règles de jeu partagées dans la société. GRET Groupe de Recherche en Economie Territoriale Pour d autres informations sur le GRET, veuillez contacter: Groupe de recherche en économie territoriale (GRET) Institut de Sociologie Université de Neuchâtel 27 Faubourg de l Hôpital CH - 2000 Neuchâtel Suisse Tel: +41 (0) 32 718 14 20 Fax: +41 (0) 32 718 12 11 E-mail: messagerie.socio@unine.ch Web: www2.unine.ch/socio

GRET WORKING PAPER 02/2007-F Les mutations de la gouvernance financière en Suisse Le rôle des caisses de pension et les transformations des circuits de financement de l économie suisse (1985-2005) Thierry Theurillat et José Corpataux Mars 2007 Article présenté aux 1ères Journées d histoire suisse, Berne (15-18.03.2007). Cet article s inscrit dans le cadre d un projet financé par le Fonds National Suisse pour la Recherche Scientifique (FNSRS), «L impact des caisses de pension sur les circuits de financement et de contrôle de l économie suisse (1985-2003)». Requérants : Olivier Crevoisier et José Corpataux (n o 101412-104102/1). Groupe de recherche en économie territoriale (GRET) à l Université de Neuchâtel, Suisse i

Les mutations de la gouvernance financière en Suisse: le rôle des caisses de pension et les transformations des circuits de financement de l économie suisse (1985-2005) Thierry Theurillat & José Corpataux GRET Working Paper 02/07-F Publié par le Groupe de recherche en économie territoriale, mars 2007 GRET Institut de Sociologie Université de Neuchâtel La reproduction, copie, transmission ou traduction de tout ou partie de cette publication ne doit être se faire que dans des conditions suivantes : la reproduction est autorisée pour des activités à but non lucratif ou pour l enseignement et la recherche. dans les autres cas, la permission du GRET est requise. Disponible au: Groupe de recherche en économie territoriale (GRET) Institut de Sociologie Université de Neuchâtel 27 Faubourg de l Hôpital CH - 2000 Neuchâtel Suisse Tel: +41 (0) 32 718 14 20 Fax: +41 (0) 32 718 12 11 E-mail: messagerie.socio@unine.ch Web: www2.unine.ch/socio ii

Table des matières INTRODUCTION... 6 1 LE DEVELOPPEMENT DE LA FINANCE DE MARCHE... 8 1.1 Les modèles stylisés de capitalisme et les formes d intermédiation...8 1.2 Les facteurs des mutations financières récentes...9 1.3 La montée en puissance des marchés financiers et la géographie : quels liens?...11 2 LES MUTATIONS DU SYSTÈME FINANCIER SUISSE... 13 2.1 De la stabilité aux changements...13 2.2 L émergence des caisses de pension...15 CONCLUSION... 23 BIBLIOGRAPHIE... 25 iii

Liste des tableaux Tableau 1: Actifs gérés par les caisses de pension suisses rapportés au PIB en % de 1987 à 2004 (en millions CHF)...16 Tableau 2 : le portefeuille des caisses de pension (1978; 1987; 1994 et 2004)...17 Tableau 3: Les 4 plus grandes sociétés cotées à la bourse suisse en 2004 (en millions CHF)...20 Tableau 4: Structure du marché suisse des obligations en 2004 (en millions)...21 Liste des figures Figure 1 : La filière d investissement des fonds de pension...22 iv

v

Introduction En moins de vingt ans, le système financier s est considérablement transformé. D un système de financement bancaire, cartellisé et à base régionale, la Suisse est passé à un système de financement national/ international où les marchés financiers jouent un rôle de plus en plus important. En bref, les circuits financiers régionaux ont décliné et tendent à ne laisser place aujourd hui qu à des circuits nationaux et surtout globaux. Globalisation et intégration de plus en plus poussée des marchés financiers bouleversent les structures financières dans la plupart des pays. De nombreuses réformes sont mises en œuvre à même d assurer la promotion et le développement de marchés financiers compétitifs sur le plan international. Parmi ces réformes, la libéralisation des mouvements de capitaux ou la mise en place de système de retraite par capitalisation sont des éléments majeurs dans l établissement de la nouvelle gouvernance financière. Celle-ci débouche indéniablement sur de nouvelles configurations. De nouveaux acteurs apparaissent, comme les investisseurs institutionnels ou les caisses de pension, de nouvelles modalités et de nouveaux circuits de placement se développent. Loin d être neutres, ces nouvelles configurations modifient le fonctionnement des économies contemporaines : les pays à dominante bancaire semblent aujourd hui bousculés et s aligner sur le modèle anglo-saxon, modèle dans lequel les marchés financiers jouent un rôle central. Dans le même temps, le passage par les marchés financiers pousse non seulement à la reconfiguration des circuits financiers mais influence également l orientation sectorielle et spatiale des investissements. Qu en est-il en Suisse, pays de configuration institutionnelle plutôt rhénane? La montée en puissance des marchés financiers a-t-elle radicalement transformé la gouvernance financière du pays? Les caisses de pension s y sont fortement développées depuis le milieu des années 80, comment les caisses de pension se sont-elles intégrées au système financier suisse et quel a été leur rôle dans les transformations structurelles et spatiales qui ont marqué ce même système? 6

Dans un premier temps, cet article revient sur certains éléments théoriques à même de préciser les débats contemporains en matière de gouvernance et de système financiers. Deux modèles stylisés de capitalisme aux structures financières distinctes le modèle rhénan et le modèle anglo-saxon sont brièvement introduits. Pour certains, le modèle anglo-saxon à dominante «marchés financiers» supplante aujourd hui le modèle rhénan à dominante bancaire. Le passage à une économie de marchés financiers étant latent, certes à des rythmes différents, dans la plupart des économies contemporaines, nous revenons sur quelques éléments à l origine de ce développement. Finalement, nous précisons les conséquences spatiales du passage à une économie de marchés financiers. Dans un deuxième temps, nous présentons les principales caractéristiques du système financier suisse jusqu au début des années 90, avant que celui ne connaisse d importantes transformations. Puis nous montrons comment et en quoi les caisses de pension suisses ont été parties prenantes à ces transformations. 7

1 Le développement de la finance de marché Notre époque est caractérisée par la centralité des marchés financiers. Nous présentons succinctement dans cette partie quelques éléments clés pour notre propos qui animent le débat contemporain en matière de gouvernance et de système financiers. 1.1 Les modèles stylisés de capitalisme et les formes d intermédiation Traditionnellement, on oppose dans la littérature deux modèles stylisés de capitalisme aux structures financières distinctes, et surtout aux formes d intermédiation différentes (Orléan, 1999). Le premier, le modèle rhénan l Allemagne incarne ce premier modèle de capitalisme, présente les caractéristiques suivantes : la concentration du capital permet un contrôle interne par les principaux actionnaires, en particulier les grandes banques. Ces dernières jouent donc un rôle central puisque, d une part, elles alimentent les entreprises en crédit et d autre part, elles participent également à leur gestion et à leur surveillance, en tant qu actionnaire souvent important. Si ce système est peu transparent, il confère toutefois une grande stabilité organisationnelle et permet le développement de relations étroites et de long terme entre banques et industries. Ce pouvoir bancaire procède d un rapport de force construit sur une information privée, abondante et secrète ainsi que sur des relations bilatérales régulières et de long terme. La propriété du capital se stabilise par le jeu de l autocontrôle et des participations croisées. Les marchés financiers sont peu développés et la liquidité ne joue que marginalement. Ce type de capitalisme est «verrouillé» et les prises de contrôles hostiles peu fréquentes. En bref, dans ce modèle, les banques sont au centre de la gouvernance financière. Le second, le modèle anglo-saxon les États-Unis ou le Royaume-Uni incarnent ce deuxième modèle de capitalisme, présente une configuration différente : des 8

marchés financiers très développés et liquides ainsi qu un actionnariat minoritaire dispersé rendent très difficiles et surtout très coûteux le contrôle direct des firmes. Les actionnaires n exercent donc pas un contrôle direct, ex-ante, sur la gestion mais font pression sur l équipe dirigeante par la menace de retrait de leur capital (défection). Il s agit donc d un contrôle «à distance», ex post, au vu des résultats de l entreprise, mais sans implication directe dans la gestion de la firme (Paillard et Amable, 2000). Dans ce second modèle, les prises de contrôle hostiles sont fréquentes. Le rôle des marchés financiers est primordial et les financements passe pour l essentiel par la bourse : les entreprises lèvent des capitaux sur les marchés financiers en émettant des titres (actions, obligations) et ces derniers sont achetés par des investisseurs en excédant de financement. Dans ce cas, l intermédiation bancaire et les banques joue un moindre rôle, les marchés étant au cœur de la gouvernance financière. Or, avec la globalisation financière et le fort développement de la finance de marché dans l ensemble des pays de la planète, la spécificité des structures financières développées jusque là dans les pays dits à «modèle rhénan» semble s atténuer. Certains y voient la fin de ce modèle et l alignement de celui-ci sur le modèle anglosaxon (par exemple : Morin, 2000). D autres (par exemple : Giraud, 2001) observent que le modèle anglo-saxon est également en transformation, les deux modèles ne cessent d ailleurs de se transformer et convergent déjà vers «autre chose». Nous ne trancherons pas ce débat. Néanmoins, observons que les réformes entreprises dans la plupart des pays, et en Suisse également, s inspirent systématiquement du modèle anglo-saxon et visent à assurer le développement de marchés financiers compétitifs. De plus, ces transformations soulèvent la question importante du devenir des banques puisque celles-ci semblent jouer un rôle moins central dans les capitalismes à dominante «marchés financiers». 1.2 Les facteurs des mutations financières récentes Comment expliquer cette montée en puissance des marchés financiers dans les sociétés contemporaines? Deux éléments nous semblent particulièrement importants à relever. Tout d abord, la montée en puissance de l épargne collective et sa concentration dans les mains des investisseurs institutionnels (Montagne, 2006 ; 9

Clark, 2000 et 2003) et ensuite les réformes politiques et institutionnelles cherchant à promouvoir la mobilité/liquidité du capital (Corpataux et Crevoisier, 2005a) La montée en puissance de l épargne collective et la concentration de celle-ci entre les mains des investisseurs institutionnels a joué un rôle important dans les transformations qui marquent le système financier. En effet, si les ménages détiennent directement et indirectement de plus en plus de titres, ce sont avant tout les intermédiaires financiers gérant ces fonds les banques, les compagnies d assurances et les caisses de pension que l on dénomme sous le terme d investisseurs institutionnels qui semblent exercer leur contrôle. Aux Etats-Unis, les investisseurs institutionnels seraient devenus dès la deuxième moitié des années 70 des acteurs financiers de premier plan et gèrent depuis lors la majeure partie des actifs financiers (Orléan, 1999 ; Giraud, 2001). Or, ceux-ci investissent principalement leurs fonds sur les marchés financiers. C est d ailleurs pour répondre à leurs besoins massifs de placement que s est développée, en partie, l industrie financière. Les investisseurs institutionnels ont été des vecteurs importants du développement des marchés financiers, voire même du mouvement général d expansion de la finance qui s est produit lors des deux dernières décennies. Parmi ceux-ci, les caisses de pension ressortent particulièrement (Boubel et Pansard, 2004 ; Plihon, 2004 ; Giraud, 2001). Deux types de réformes institutionnelles ont été mises en œuvre dans la plupart des pays afin de construire et renforcer le développement des marchés financiers tant au niveau national (libéralisation interne) qu international (libéralisation externe) (Morin, 2006). D une part, des réformes visent à de supprimer les barrières réglementaires qui entravent la libre et parfaite circulation des capitaux (par ex. la suppression du contrôle des changes par le Royaume-Uni en 1979, l ouverture partielle du marché financier japonais en 1983-84, la libéralisation des mouvements de capitaux en Europe exigée par l Acte unique (Bourguinat, 2000)), et ceci afin de favoriser la mobilité spatiale des capitaux. D autre part, des réformes visant à renforcer l efficience opérationnelle et informationnelle des marchés financiers, c est-à-dire visant à promouvoir leur liquidité, leur transparence ainsi qu à garantir une information publique de qualité. C est ce que nous avons appelé l accroissement de la mobilité/liquidité du capital (Corpataux et Crevoisier, 2005a) puisque la libéralisation des mouvements de capitaux va de pair avec le développement des marchés financiers et de leur liquidité. 10

Si la promotion et le développement des marchés financiers est salué par nombre d autres des marchés supposés efficients associés à une libre circulation des capitaux devant conduire à une allocation optimale du capital d autres soutiennent que le passage à une économie gouvernée par les marchés financiers ne conduit pas forcément au «meilleur des mondes» et renforce, au contraire, les inégalités de développement entre pays, mais également entre régions. En bref, ce passage ne serait pas sans répercussions spatiales. Nous présentons quelques unes de ces idées dans la partie qui suit. 1.3 La montée en puissance des marchés financiers et la géographie : quels liens? Si le mouvement est dans la plupart des pays à la promotion de la finance de marché, celui-ci n est pas sans conséquences sur la reconfiguration spatiale des circuits financiers, et plus généralement sur le développement économique et spatial d un pays. Avec l approche de la ville globale, Sassen (1991) montre que les activités financières se sont développées en même temps qu elles se sont concentrées en certains lieux. Ce processus de centralisation et de concentration spatiale du système financier remet en question, à l autre extrême, le développement et l autonomie des structures bancaires locales. Pour Dow (1999), les politiques de libéralisation du système financier ont joué un rôle significatif dans ces transformations. En effet, d un côté, dans un contexte où le capital circule plus librement, la préférence pour la liquidité des acteurs économiques est à l origine du drainage accru des flux financiers vers les centres financiers. En outre, dans un contexte de concurrence croissante, les banques locales et régionales peuvent rencontrer certaines difficultés de développement. Certaines disparaissent tandis que d autres sont rachetées par de plus grandes banques. Ce déclin affaiblit la capacité de création monétaire dans les régions non-centrales (Dow et Rodriguez-Fuentez, 1997), ou tout au moins réduit considérablement l autonomie décisionnelle locale, les banques/succursales bancaires locales fonctionnant avant tout comme point d entrée de l épargne (Crevoisier, 2001). Ces divers éléments renforcent en définitive la vulnérabilité des 11

régions périphériques et ont d importantes répercussions pour le développement des régions composées de PME (Dow, 1999; Pollard, 2003; Klagge et Martin, 2005). La montée en puissance des caisses de pension n est, de surcroît, pas sans conséquence sur ces transformations spatiales. Rappelons, en effet, que les caisses de pension se positionnent sur un segment la récolte et l allocation de l épargne des ménages occupé presque exclusivement jusqu aux années 80 par les établissements bancaires (Aglietta, 2001). Ces derniers récoltaient l épargne localement et la réinvestissaient en grande partie dans leur région d implantation sous forme de crédits bancaires, de crédits immobiliers, etc. Aujourd hui, les caisses de pension captent une part substantielle de cette épargne et concurrencent ainsi les établissements bancaires sur un terrain qui leur est traditionnellement réservé. Au Royaume-Uni, Martin et Minns (1995) montrent ainsi que l émergence des caisses de retraite britanniques à la fin des années 80 a eu d importantes répercussions spatiales sur l économie du pays. Alors que l épargne est récoltée de manière homogène sur l ensemble du territoire, celle-ci est canalisée par des institutions financières implantées principalement dans le sud-est du pays. Ces fonds sont ensuite investis principalement à la bourse londonienne et seules les entreprises cotées essentiellement des grandes entreprises en bénéficient. Pratiquement, très peu est réinvesti dans les différentes régions du pays. Qu en est-il en Suisse? La montée en puissance des marchés financiers et l émergence des caisses de pension ont-elles provoqué une profonde transformation de la gouvernance du système financier suisse? 12

2 Les mutations du système financier suisse Jusqu au début des années 90, une configuration «macro-institutionnelle» de type rhénane, relativement stable, caractérisait la Suisse. Une place financière d envergure internationale coexistait pacifiquement avec un secteur bancaire intérieur cartellisé. Or, dès les années 90, le système financier suisse connaît de profondes réformes et transformations. Dans le même temps, on assiste à la montée en puissance des caisses de pension suisses, celles-ci gérant une fortune qui devient de plus en plus colossale. 2.1 De la stabilité aux changements 2.1.1 La Suisse jusqu aux années 90 : quelques grands traits Jusqu'au début des années 90, on apparentait volontiers le modèle suisse de détention et de gestion du capital au modèle rhénan. Selon David et al. (2004), on pouvait ainsi caractériser le modèle suisse par trois éléments : premièrement, le pouvoir de contrôle y était fortement concentré et réparti entre un nombre peu élevé d actionnaires; deuxièmement, des relations bien établies et de long terme liaient banques et industries; troisièmement, des mesures visaient à protéger les grandes entreprises de prises de contrôle hostiles et étrangères. Le modèle suisse, à l instar du modèle rhénan, apparaît ainsi comme «verrouillé» par rapport à son homologue anglo-saxon. La propriété du capital s y stabilise par le jeu de l autocontrôle et des participations croisées et les banques y jouent un rôle central tant au niveau du contrôle que de l alimentation en crédits. En bref, une configuration «macroinstitutionnelle» plutôt rhénane caractérise le pays et le rend opaque, peu transparent, aux yeux des investisseurs étrangers, en particulier anglo-saxons. De plus, une place financière d importance internationale (avant tout spécialisée dans la gestion de fortune) cohabitait pacifiquement avec un système bancaire, très cartellisé, tourné avant tout sur l économie domestique. Des conventions bancaires, 13

en particulier l existence de tarifs uniformes, limitaient la concurrence et permettaient à nombre d établissements régionaux de se développer. Spatialement, à une place financière internationale, particulièrement concentrées dans trois villes (Zurich, Genève et Lugano), se juxtaposait un secteur bancaire intérieur composé de nombreuses banques cantonales et régionales ainsi que des grandes banques, encore très décentralisée à l époque du point de vue de leur organisation. Néanmoins, et alors que jusqu au début des années 90, l ensemble du secteur bancaire paraissait se développer d une manière harmonieuse, différentes réformes vont fortement influencer la restructuration du secteur. 2.1.2 Les réformes et transformations de la gouvernance du système financier Les années 90 voient, en effet, le secteur bancaire suisse se concentrer dans les mains d un nombre réduit d acteurs, principalement au travers des fusions et reprises de banques régionales en difficulté. Parallèlement, les principales banques s internationalisent et les opérations en Suisse se concentrent à Zurich. Nous revenons sur deux facteurs centraux à l origine de ces transformations. Tout d abord, la récession économique du début des années 90 a induit une série de réformes institutionnelles la décartellisation visant à accroître la concurrence et à renforcer les mécanismes de marché. Le secteur bancaire intérieur, cartellisé, est concerné et la plupart des accords et conventions bancaires sont supprimés au début des années 90 (ASB, 1999). A la même époque, avec la libéralisation des places financières concurrentes, les avantages traditionnels de la Suisse sont entamés. Des réformes visant à favoriser l efficience opérationnelle des marchés financiers suisses, c est-à-dire à promouvoir liquidité et transparence sont mises en œuvre dans différents domaines : révision du droit des sociétés anonymes et des droits des actionnaires (Guex et Pasquier-Dorthe, 1996), introduction de la bourse électronique, introduction de règles ou de pratiques comptables donnant plus de transparence (David et al., 2004). Dès le début des années 90, et à la suite de ces réformes, d importantes transformations marquent le système financier suisse. Tout d abord, on assiste à une 14

importante réduction du nombre de banques régionales (celles-ci passent de 216 en 1985 à 117 en 1997). Concrètement, la moitié des banques régionales qui ont disparu ont été reprises par l une ou l autre des banques appartenant à la même catégorie; les autres étant acquises par les grandes banques et les banques cantonales (ASB, 1999). Dans le même temps, les grandes banques suisses accélèrent leur processus d internationalisation en rachetant de nombreuses banques d affaires notamment anglo-saxonnes leur objectif étant de devenir des acteurs globaux de la finance mondiale. Les plus grandes banques cantonales leur emboîtent le pas. Enfin, les bourses locales, qui existaient dans la plupart des villes suisses, ont toutes été fermées. Ne subsiste d ailleurs aujourd hui qu une bourse électronique qui concentre la majeure partie de ses activités à Zurich (Corpataux et Crevoisier, 2005a et 2005b). Au milieu des années 90, Guex et Pasquier-Dorthe (1996) considéraient que c était les banques, et surtout les grandes banques, qui portaient la place financière et les innovations en Suisse. Leur réflexion ne prenait pas vraiment en compte les caisses de pension. La montée en puissance des caisses de pension tout au long des années 90 a-t-elle remis en question la place des banques? Se substituent-elles de plus en plus aux banques et amenuisent-elles leur rôle dans l économie suisse? Les caisses sont-elles à considérer aujourd hui comme de nouveaux acteurs financiers à part entière? En bref, comment les caisses de pension s insèrent-elles dans la gouvernance financière et dans quelle mesure leur émergence a-t-elle modifié les circuits financiers, les types et les lieux d investissements réalisés? 2.2 L émergence des caisses de pension 2.2.1 Le poids des caisses de pension La Suisse, à l instar des pays anglo-saxons (Etats-Unis, Royaume-Uni, Canada) et avec les Pays-Bas en Europe, est une économie où les caisses de pension gèrent une part considérable de l épargne des ménages. Depuis la mise en place de ce système obligatoire en 1985, les fonds de pension suisses provenant des cotisations des employés et des employeurs - n ont cessé de s accroître du milieu des années 80 aux années 2000. Depuis 1998, cette épargne a d ailleurs dépassé le PIB national (Tableau 1). 15

Tableau 1: Actifs gérés par les caisses de pension suisses rapportés au PIB en % de 1987 à 2004 (en millions CHF) Année Total des actifs sous gestion 1987 165'070 62.6 1989 198'246 65.6 1992 256'680 73.2 1994 296'027 80.5 1996 348'295 93.1 1998 428'251 109.8 2000 490'883 118.1 2002 440'555 102.3 2004 484'117 108.2 Source : OFS Total des actifs / PIB en % Au cours des années 90, le portefeuille des caisses a changé de profil puisque la part cumulée des actions et des obligations s est régulièrement renforcée, passant de 47% en 1994 (140 Mrds) à 64% en 2000 (314 Mrds), et à 63% en 2004 (307 Mrds) de la fortune totale, au détriment d actifs moins liquides tels que l immobilier direct ou encore les placements auprès de l employeur et les hypothèques (Tableau 2). C est à cette part croissante de fortune placée en valeurs mobilières que nous nous intéresserons par la suite. L augmentation du transit des fonds de pension par les marchés financiers n est en effet pas sans conséquences sur la reconfiguration des circuits financiers dans notre pays. 16

Tableau 2 : le portefeuille des caisses de pension (1978; 1987; 1994 et 2004) 45 40 35 30 25 20 15 1978 1987 1994 2004 10 5 0 actions et participations obligations et bons de caisse immobilier placements auprès de l'employeur et hypothèques autres actifs Source : OFS 2.2.2 Les secteurs et les territoires de l intermédiation financière : la filière des fonds de pension suisses Entre les espaces de récolte de l épargne et les investissements finaux, on trouve tout un circuit intermédiaire de gestion qui oriente considérablement l utilisation des fonds de pension. Quatre niveaux peuvent ainsi être distingués dans la filière des fonds de pension en Suisse (Theurillat, Corpataux et Crevoisier, 2006). Le premier niveau correspond au territoire de récolte de l épargne de prévoyance. Cette récolte est réalisée de manière relativement homogène sur l ensemble du territoire helvétique puisque celle-ci découle de la répartition spatiale des emplois. 17

Le deuxième niveau est celui de la gestion administrative des fonds de pension (lieux de localisation des caisses et de paiements des prestations). Ces dernières ne se situent pas cependant n importe où sur le territoire mais sont relativement concentrée dans les principaux centres urbains du pays. En effet, en 2002, alors que les 2445 caisses enregistrées 1 étaient réparties dans 93 régions MS 2, les dix premières régions comprenaient plus de la moitié des caisses (1331 caisses). Il apparaît également que les caisses étaient avant tout localisées dans les cinq principales villes du pays, à savoir respectivement Zurich, Bâle, Berne, Genève et Lausanne (980 caisses). Ces concentrations régionales peuvent apparaître comme évidentes et logiques puisque ce sont ces mêmes régions qui concentrent populations et emplois. En fait, cette distribution spatiale des caisses de pension s explique, pour l essentiel, par la localisation des employeurs (par ex., la caisse de pension de La Poste, qui comptabilise des cotisations venant de toute la Suisse, à son siège à Berne ; ou encore les caisses publiques cantonales sont situées dans les chefs-lieux cantonaux). C est également à ce deuxième niveau que sont prises les décisions globales d allocation (dite «stratégique») entre les différentes grandes formes de placement (part en obligations, actions, immobilier, etc.) ainsi que les décisions qui visent à déléguer ou non cette gestion. Rappelons qu en Suisse, la gestion des caisses de pension suisses est effectuée par des miliciens qui siègent, de manière paritaire entre les représentants des employés et des employeurs, au sein du conseil de fondation, organe suprême de la caisse. Ce sont donc ces miliciens qui ont pour mission de gérer et de placer les fonds récoltés en vue d assurer les rentes des futurs retraités. Si, à priori, trois possibilités de gestion s offrent aux caisses de pension - gestion complètement à l interne, gestion complètement à l externe ou compromis entre gestion interne et externe - dans les faits, la gestion de la fortune mobilière est généralement déléguée. 1 Il s agit des données mises à disposition par l OFS sur les caisses de pension enregistrées, c est-à-dire les caisses assurant les prestations obligatoires inscrites dans la Loi sur la prévoyance professionnelle (LPP). Les caisses enregistrées constituent l essentiel de la fortune totale du 2 ème pilier (près de 92% des 440.5 Mrds en 2002). 2 Il s agit de découpages correspondant aux mouvements de mobilité spatiale des personnes à l intérieur d une région. 18

Le troisième niveau correspond à la gestion concrète et non plus administrative des fonds et celle-ci est pour l essentiel déléguée. En effet, outre les caisses collectives (93 en 2002), qui sont complètement gérées par des assurances ou des banques 3, seules les grandes caisses (>1 Mrd de fortune sous gestion ; 62 en 2002) indépendantes ont potentiellement les moyens d engager des gestionnaires à l interne et d y développer des compétences. Or, si la caisse de Novartis, par exemple, gère une grande part de sa fortune mobilière à l interne, celle de Nestlé délègue. Néanmoins, les entretiens menés et les deux rencontres organisées avec les «experts» de la branche corroborent le fait qu en Suisse, les caisses de pension, y compris les grandes, recourent généralement à l externe pour l essentiel de leur gestion de leur portefeuille «titres». Par qui cette gestion et où cette gestion s effectue-t-elle en Suisse? Précisons tout d abord que si la grande majorité des caisses recourent à plusieurs institutions de placement aussi bien pour les mandats de gestion que pour les placements collectifs (Robeco ; 1998, 2000 et 2002, Lusenti, 2003) 4, cette multiplication des mandats ou des placements collectifs auprès de différentes institutions financières ne conduit pas à une multiplication des prestataires de services puisque les institutions financières qui gèrent ces placements ne sont qu un petit nombre à se partager le marché suisse! Dès lors, et globalement, c est bien un petit nombre toujours les mêmes qui effectuent ce travail de gestion. Ainsi, dans le cas des placements directs (qui représentent 80% des placements en 2002), les trois quart des placements sont réalisés par les banques privées suisses (30% en 2002), les grandes banques UBS et Crédit Suisse (28%) et les banques 3 Plus précisément, cela signifie que la gestion administrative ainsi que la gestion de fortune sont structurellement déléguées généralement à une assurance ou, dans une moindre mesure, à une banque. 4 Dans le cas des mandats de gestion ou placements directs, les caisses les investisseurs prennent des parts (actions ou obligations) directement auprès des sociétés cotées (publiques ou privées) et les investissements sont gérés de manière individuelle. Théoriquement, la gestion peut être effectuée soit à l interne, soit à l externe, généralement sous la forme de mandat de gestion. Dans le cas des placements collectifs il y a mise en commun des fortunes de différents investisseurs dans des fonds de placements. Les caisses prennent ainsi des parts au sein de fondations de placements, de fonds de placement ou de sociétés d investissements et la gestion est forcément déléguée. 19

cantonales et régionales (17%) (Robeco, 2002). Or, tous les départements de gestion de fortune de ces organismes sont localisés à Zurich ou à Genève. Dans le cas des placements collectifs (ou indirects) (20% des placements en 2002) la concentration du marché de la gestion de fortune «indirecte» est également très prononcée. Ainsi, les principales fondations de placements représentaient en 2005 une fortune totale de plus de 60 Mrds et étaient localisées dans les centres économiques du pays (12 sur 19 à Zurich dont les trois plus grandes UBS, CS et Swisscanto). Enfin, les sièges des nombreux fonds de placement ainsi que ceux des sociétés de placement sont en grande majorité situés dans les plus grands centres urbains du pays. A cette centralisation de la gestion concrète des fonds correspond, à un quatrième et dernier niveau, une concentration sectorielle et territoriale des investissements. En effet, en 2004, les caisses ont placé pour 306.9 Mrds en valeurs titres dont 151 Mrds sur le plan domestique. Dans ce cadre, et même s il est difficile de connaître précisément le portefeuille d actions et d obligations des caisses de pension suisses, la configuration des deux marchés suisses indique que le portefeuille type d une caisse comprend, d une part, les actions de quatre sociétés (Novartis, Nestlé, Roche et UBS) puisque celles-ci constituent près de 60% du Swiss Product Index (SPI) (Tableau 3) et, d autre part, les obligations de quatre types d émetteurs puisqu ils font plus de 80% du marché (Tableau 4). 2004 Tableau 3: Les 4 plus grandes sociétés cotées à la bourse suisse en 2004 (en millions CHF) Capitalisation boursière totale parts en % du SPI Capitalisation boursière en tenant compte du free float Novartis AG, Basel 152'999 17 143'972 18 Nestlé AG, Cham & Vevey 120'047 14 120'047 15 Roche Holding AG, Basel 115'965 13 95'961 12 UBS AG, Zurich 107'314 12 100'167 13 Total des 4 sociétés 496'326 56 460'148 59 Total SMI 760'014 86 696'846 89 Total SPI 886'748 100 780'320 100 Source : SWX, 2004 parts en % du SPI 20

2004 Tableau 4: Structure du marché suisse des obligations en 2004 (en millions) Emetteurs suisses Capitalisation (nominale) Parts en % (nominal) Capitalisation (marché) Confédération 91'498 38 100'540 39 Banques & sociétés financières 42'636 18 44'929 17 Etablissement de prêts et d'obligations hypothécaires 40'056 17 42'341 16 Cantons 21'925 9 22'940 9 Total des 4 émetteurs principaux 196'116 81 210'749 82 Total des émetteurs suisses 241'909 100 258'185 100 Total du marché suisse des obligations (émetteurs suisses et étrangers) 449'821 471'542 Source : SWX, 2004 Parts en % (marché) Bien sûr, dans leurs mandats de gestion, les caisses peuvent, par exemple, opter pour les valeurs secondaires du SPI par rapport aux blue chips. Mais, outre le problème lié à la détention de titres moins liquides, les caisses choisissent très rarement les sociétés dans lesquelles elles veulent investir avec précision. Les gestionnaires ont à respecter des marges d investissement générales (par ex. entre 12 et 15% en actions suisses). De plus, même si les caisses peuvent investir également hors marché financier on pourrait alors réellement parler de placements directs dans les faits, ce circuit court est très peu utilisé. En 2000, Puhr (2003) estimait que les investissements des caisses de pension dans les PME ne représentaient que 1% de la fortune du 2 ème pilier. Tout d abord, le premier phénomène frappant concerne la forme en entonnoir de la filière. Récoltée de manière large et gérée de manière centralisée, ce sont en définitive les quelques grands acteurs, publics (Confédération et cantons) et privés (grandes entreprises du Swiss Market Index, SMI) qui captent l essentiel des investissements financiers des caisses de pension. En d autres termes, cela signifie que les investissements par les marchés financiers se réalisent avant tout dans les grandes entreprises cotées et dans les régions centres de la Suisse, dont les deux principales places financières. Les régions périphériques qui sont spécialisées dans les activités traditionnelles industrielles et touristiques ne sont irriguées que partiellement et/ou indirectement par les marchés financiers. 21

Le deuxième phénomène marquant de la période est l internationalisation des fonds de pension helvétiques. Ainsi, en 2004, le portefeuille en titres étrangers de toutes les institutions du 2 ème pilier représentait plus de la moitié de la fortune mobilière (155.2 Mrds sur un total de 306.9 Mrds) alors que dix ans auparavant, ce même portefeuille représentait le tiers (46.9 Mrds sur un total de 139.9Mrds). De plus, une internationalisation indirecte marque les placements qui sont réalisés sur le plan domestique puisqu une importante partie des 151.7 Mrds placés en valeurs titres en 2004, sont investis à l étranger par le biais des grandes entreprises suisses, celles-ci jouant aujourd hui principalement le jeu de l investissement international. En définitive, seul le canal des obligations domestiques demeure véritablement dans les limites du pays et des ses régions. Figure 1 : La filière d investissement des fonds de pension Source : élaboration propre 22

Conclusion En moins de vingt ans, le système financier suisse s est ainsi profondément métamorphosé. Les banques du pays n ont cependant pas été contournées par la mise en place de la finance de marché et par la création du 2 e pilier. La marge d influence des caisses de pension en matière de gestion et de placement des actifs est, en effet, marginale. La structure actuelle (une multitude de petites caisses, gérées par des miliciens aux compétences financières souvent peu «sophistiquées, etc.) font que la grande majorité des caisses suisses demeurent prisonnières des principales banques du pays et de leur département d asset management. Ainsi, et contrairement à l idée de désintermédiation, c est-à-dire à la disparition pure et simple des intermédiaires financiers traditionnels (les banques en Suisses) qui ne laisseraient place qu à des relations directes entre offreurs et demandeurs de capitaux, on assiste plutôt une démultiplication des fonctions, des compétences et, parfois, des acteurs. Pour French et Leyshon (2004), il n y pas désintermédiation, mais simplement apparition de nouvelles configurations d intermédiation, phénomène qu ils qualifient de réintermédiation. De plus, dans le cas suisse, et si certains acteurs nouveaux émergent, ce sont surtout les acteurs traditionnels (les grandes banques du pays, privées et publiques, ou plutôt leur département d asset management) qui restent au centre de la nouvelle gouvernance financière en bénéficiant du marché de la gestion de fortune institutionnelle puisque la grande majorité des caisses de pension recourent à leurs services. Nous ajouterons que, dans notre cas, cette réintermédiation prend une tournure spatiale évidente puisque ces transformations renforcent avant tout l emploi et les compétences dans les principaux centres financiers du pays. La gestion de l épargne de prévoyance de la majorité des caisses de pension est, en effet, effectuée de manière très centralisée par un petit nombre d institutions situées dans les deux principales places financières du pays, Genève et de Zurich. Seules certaines grandes caisses de grandes entreprises publiques ou privées peuvent être potentiellement considérées comme des acteurs financiers à part entière. Notons tout de même le paradoxe : face à la croissante «technicité» des choix d investissements, les caisses font de plus en plus appel à des experts extérieurs pour minimiser les risques de placement. Or, aujourd hui, les institutions bancaires et 23

financières, qui alimentaient l économie en crédits et prenaient les risques, se détournent de leur rôle traditionnel pour se spécialiser dans l offre de services financiers. Ils externalisent et se délestent du même coup des risques, ceux-ci étant directement délégué aux investisseurs (en l occurrence les caisses en charges des fonds et, in fine, aux futurs rentiers si les caisses sont en primauté de cotisations). Nous pouvons également ajouter qu au niveau national et dans un environnement de gouvernance financière oligopolistique, les caisses partagent les mêmes risques et les mêmes rendements étant donné l étroitesse du marché financier. L évolution des revenus des banques suisses est d ailleurs symptomatique de ce mouvement. Comme le montrent Schnyder et al. (2006), les revenus des banques suisses proviennent de plus en plus, des honoraires et des commissions liés à la gestion de fortune ainsi que des opérations financières que des crédits bancaires. A l inverse, certains chiffres montrent l ampleur du désengagement bancaire. Ainsi, en six ans (entre 1997 et 2003), les lignes de crédits bancaires destinées aux entreprises domestiques ont reculé d environ 60 milliards de francs, à 302,1 milliards de francs en septembre 2003 (Pedergnana et Schacht, 2004). Ce recul frappe tout particulièrement les PME, qui absorbent 86% du volume total des crédits destinés aux entreprises domestiques. Remarquons que si les banques cantonales ont légèrement accru leurs activités de crédit, la baisse globale de crédits s explique par un retrait marqué des grandes banques. La montée en puissance des caisses de pension a, cependant, amplifié et accéléré la modification des circuits d investissement. D une part, au niveau de la récole de l épargne, les caisses sont aujourd hui des concurrents directs des institutions bancaires régionales et locales. D autre part, le passage par les marchés financiers modifie considérablement l orientation des investissements. Aux circuits traditionnels de placement des caisses qui géraient généralement elles-mêmes des immeubles dans la région et/ou qui plaçaient auprès de l employeur se sont largement substitués des circuits plus lointains fonctionnant selon les modalités de la finance. Ce passage est peu favorable dans les faits à certains acteurs et à certaines régions, c est-à-dire à tous ceux qui ne sont pas connectés aux marchés financiers! 24

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