Alexandra GABLIN IBODE Bloc Larrey CCVT CHU d' Angers Les fumées chirurgicales : un risque connu par les infirmières de bloc opératoire? Les appareils permettant de coaguler ou de réséquer des tissus organiques au cours d'une chirurgie entraînent la production de fumées chirurgicales. Ces produits de pyrolyse sont inhalés en quantité plus ou moins importante par l'équipe chirurgicale au niveau du champ opératoire. Mais il semble y avoir un manque d'information important envers les professionnels concernant la composition de ces fumées et leur éventuelle nocivité. Une enquête auprès de différentes catégories professionnelles a permis d'évaluer et de comprendre cette situation, puis de mettre en place une projection professionnelle. I. Composition des fumées et risques associés. Les fumées chirurgicales sont composées jusqu'à 95% de vapeur d'eau selon le tissu. Cette eau va servir de moyen de transport aux autres composants 1 : les particules, les substances chimiques et les éléments biologiques. I.1. Les particules. Elles sont issues de l'aérosolisation des produits sanguins. Plus la puissance appliquée est élevée, plus la quantité de particules est importante 2. Les particules les plus fines, ou nanoparticules, peuvent aller jusqu'aux alvéoles pulmonaires, et être responsables d'une irritation aiguë ou 1 Al SAHAF O.S. ; VEGA-CARRASCAL I. ; CUNNINGHAM F.O. ; McGRATH J.P. ; BLOOMFIELD F.J. ; Chemical composition of smoke produced by high-frequency electrosurgery. Ir J Med Sci (2007). DOI 10.1007/s11845-007-0068-0. 176 : 229-232. Cité par EICKMANN Udo et Al. Fumées chirurgicales-risques et mesures de prévention. IVSS, 2011, p. 6. 2 ANDREASSON S.N. ; ANUNDI H. ; SAHLBERG B. ; ERICSSON C.-G. ; WÄLINDER R. ; ENLUND G. ; PAHLMAN L. ; MAHTEME H. ; Peritonectomy with high voltage electrocautery generates higher levels of ultrafine smoke particles. Eur J Surg Oncol (2008). DOI : 10.1016/j.ejso.2008.09.002. Cité par EICKMANN, Op. Cit., p. 7. 1
chronique des voies respiratoires, voire de cancers 3. Les risques liés aux nanoparticules n'ont pas encore bénéficié d'études suffisantes. Mais certains composants des fumées chirurgicales sont identiques à ceux retrouvés dans la pollution atmosphérique (usines, moteurs diesel...) 4, pour lesquels il a bien été établi un rôle néfaste sur la santé (allergies, pathologies repiratoires...). I.2. Les substances chimiques. De nombreuses substances chimiques ont été identifiées 5. Outre l'irritation aiguë ou chronique des voies respiratoires, elles sont susceptibles d'engendrer notamment céphalées, troubles de la vigilance, irritation oculaire, pathologies hématologiques, cancers 6. Le pouvoir mutagène des fumées chirurgicales issues de l'action d'un bistouri électrique sur 1g de tissu serait similaire à celles de six cigarettes 7 8, et à celles de trois cigarettes lors de l'utilisation d'un laser 9. I.3. Les éléments biologiques. Les fumées chirurgicales peuvent véhiculer des cellules, dont des cellules sanguines, des virus, ainsi que des bactéries 10. Deux cas de papillomes laryngés ont été décrits en 1991 11 et 2003 12 après exposition aux 3 EICKMANN, Op. Cit., p. 10. 4 EICKMANN, Op. Cit., p. 10. 5 BARRETT WL., GARBER SM., Surgical smoke a review of the literature. Is this just a lot hot air? Surg. Endoscop. 2003 ; 17:979-87. Cité par PHILIPPE Cécile. - Les fumées au bloc opératoire : risques et prévention en cœlioscopie. Interbloc Tome XXVIII, n 4, décembre 2009, p. 259. 6 EICKMANN, Op. Cit., p. 11 à 14. 7 HENSMAN C. ; NEWMAN E.L. ; SHIMI S.M. ; CUSCHIERI A. ; Cytotoxicity of electro-surgical smoke produced in an anoxic environment. Am J Surg (1998). 175: 240-1. Cité par PHILIPPE C., Op. Cit., p. 259. 8 GATTI J.E. ; BRYANT C.J. ; NOONE R.B. ; MURPHY J.B. ; The mutagenicity of electrocautery smoke. Plast. Reconstr. Surg. (1992) ; 89(5) : 781-6. Ibid. 9 TOMITA. Cité par PHILIPPE Cécile. - Fumées au bloc opératoire : risque & prévention en chirurgie laparoscopique. - DU de cœlioscopie. - Faculté de médecine du CHRU de Tours, décembre 2011, diapositive 17. 10 EICKMANN, Op. Cit., p. 8. 11 HALLMO P. ; NAESS O. ; Laryngeal papillomatosis with human papillomavirus DNA contracted by a laser surgeon. Eur Arch Otorhinolaryngol (1991). 248,7:425-427. Cité par EICKMANN Op. Cit., p. 16. 12 CALERO L. ; BRUSIS T. ; Larynxpapillomatose erstmalige Anerkennung als Berufskrankheit bei einer OP- 2
fumées produites au cours d'exérèse de papillomatoses ano-génitales. II. Mesures de prévention. Aspirer les fumées chirurgicales à la source est le plus efficace 13. Il existe différents types de dispositifs permettant de les capter localement avec filtration spécifique, pouvant être intégrés ou indépendants des pièces à mains 14. Pour la cœlioscopie, des filtres s'adaptent sur les trocarts. Ces dispositifs sont notamment proposés par les fabricants de bistouris électriques et de lasers. En cas de non mise à disposition de ces moyens spécifiques, aspirer au plus près du site opératoire avec une aspiration classique permet de diminuer la quantité de fumées inhalées. Et à défaut de filtre pour la cœlioscopie, il est recommandé de mettre une compresse sur l'orifice du trocart 15. Le masque chirurgical reste une mesure d'hygiène qui ne protège pas des composants des fumées 16. Malgré ce constat, les professionnels ne semblent pas incités à appliquer de mesure de prévention et aucune réglementation française ne les exige. III. Risque et information. L'information est un élément nécessaire pour l'évaluation et l'anticipation des risques, avec la mise en place de moyens de prévention. Elle permet une prise de conscience du danger grâce à l'acquisition de nouvelles connaissances, et d'agir en alliant efficacité et sécurité, caractéristiques essentielles des compétences des infirmières de bloc opératoire. Or nous constatons un manque d'information qui ne permet pas le processus d'évaluation des risques. Schwester. Laryngo-Rhino-Oto (2003) 82 : 790-793. Cité par EICKMANN, Op. Cit., p. 9. 13 EICKMANN, Op. Cit., p. 35. 14 EICKMANN, Op. Cit., p. 35. 15 C-CLIN Paris-Nord Endoscopie chirurgicale Guide de bonnes pratiques. Paris, octobre 2000. p. 24. 16 EICKMANN, Op. Cit., p. 38. 3
Pour en comprendre l'origine, une enquête de terrain a été menée. IV. Enquête. Cette enquête a été réalisée au sein de deux CHU. Un questionnaire a été adressé aux infirmières de bloc opératoires (IDE et IBODE). 172 exemplaires ont été distribués dans les blocs opératoires représentant toutes les spécialités, avec un taux de réponse de 43%, dont 38 IDE et 36 IBODE. Il en ressort que le manque d'information concerne 68,5% des IDE et presque 28% des IBODE. Les IBODE s'avèrent être davantage informés grâce à leur formation à l'école d' IBODE, et ce sujet semble de plus en plus souvent abordé. Les autres sources principales d'information sont la communication entre collègues et la consultation de revues professionnelles. L'aspiration des fumées est un moyen de prévention connu et relativement bien appliqué par les professionnels informés, mais le masque est perçu comme l'un d'eux alors qu'il ne protège pas des composants des fumées. Les moyens spécifiques (systèmes de captages de fumées munis de filtres spécifiques, et filtres pour trocart de cœlioscopie) n'étaient pas mis à disposition au sein des deux CHU concernés par l'enquête. En parallèle, deux cadres de bloc opératoire et deux médecins du travail ont été rencontrés au cours d'entretien semi-directifs. Dans les deux établissements, aucun des deux cadres n'a eu à transmettre d'information à ce sujet. Quant aux médecins du travail, malgré leur connaissance du risque, aucune information est donnée aux infirmières par leur intermédiaire, qui ne bénéficient donc pas non plus d'une surveillance particulière. 4
L'enquête a donc confirmé l'hypothèse que le manque d'information trouve son origine à ce niveau, et serait multifactoriel. Ce risque n'apparaît pas prioritaire, ce qui est majoré par l'absence de plainte et d'événement indésirable au sein des établissements. Le coût des équipements de protection peut représenter également un frein. Mais l'absence de cadre réglementaire apparaît déterminant. V. Propositions et perspectives professionnelles. La communication dans une équipe est primordiale. Elle est d'autant plus importante pour les IDE qui débutent au bloc opératoire, et qui ne possèdent pas toutes les données pour une utilisation optimale des différents dispositifs médicaux. En outre, l'ibode, de part son rôle de formation et d'évaluation des risques, est le garant de la sécurité de l'ide. La lecture de revues professionnelles représente une source d'information notable, et permet de nous tenir à jour des données récentes et de ré-actualiser nos connaissances. La participation aux congrès et aux formations internes permet de compléter ces données. Outre le risque spécifique concernant les fumées chirurgicales, l'importance de la spécialisation va bien au-delà. Elle nous permet d'acquérir certes un apport théorique, mais aussi et surtout la démarche intellectuelle d'aller chercher l'information. De ce fait, il est important de promouvoir la formation à l'école d'ibode. Des temps d'analyse de pratiques pourraient être mis en place. Ces questionnements en équipe permettraient un partage de connaissances, d'idées et de pratiques. Un compte-rendu écrit et mis à disposition tiendrait informés les professionnels n'ayant pu y assister. Le risque professionnel lié à l'exposition aux fumées chirurgicales est une réalité, mais il ne s'agit pas d'un risque critique qui amène les établissements de santé à mettre en place des actions de 5
prévention immédiates. L'enquête réalisée a révélé que plus de deux tiers des IDE et d'un quart des IBODE n'avaient pas été informés de ce risque. Ce manque d'information semble trouver son origine au niveau de la médecine du travail. Mais l'absence de réglementation, de survenue de maladie professionnelle dans l'établissement, ainsi qu'un probable frein économique à l'acquisition de moyens de prévention spécifiques, n'en font pas un risque inacceptable. Toutefois, un problème de santé public représenterait au final un coût probablement plus important. Outre la communication ainsi que des temps d'analyse de pratique au sein des équipes notamment, la formation à l'école d'ibode apparaît fondamentale. De plus, le questionnement et la remise en cause des connaissances participent pleinement au processus de professionnalisation : il ne suffit pas d'avoir des connaissances et des compétences, il est nécessaire de les faire évoluer perpétuellement par une démarche réflexive. Bibliographie PHILIPPE Cécile. - Fumées au bloc opératoire : risque & prévention en chirurgie laparoscopique. - DU de cœlioscopie. - Faculté de médecine du CHRU de Tours, décembre 2011. PHILIPPE Cécile. - Les fumées au bloc opératoire : risques et prévention en cœlioscopie. Interbloc Tome XXVIII, n 4, décembre 2009. EICKMANN Udo, FALCY Michel, FOKUHL Inga, et al. - Fumées chirurgicales - Risques et mesures de prévention. - Documents de travail destinés aux spécialistes de sécurité du travail. - AISS Association Internationale de la Sécurité Sociale. - Comité pour la prévention des risques professionnels dans le secteur santé. - Hambourg : IVSS 2011. - 48 p. http://www.cclinparisnord.org/guides/endoscopiechirurgicale.pdf http://www.issa.int/fre/resources/resources/surgical-smoke-risks-and-preventive-measures 6