Taxation optimale en second rang : un problème de contrat entre l Etat et les individus

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Transcription:

Chapitre 1 Taxation optimale en second rang : un problème de contrat entre l Etat et les individus Nous avons vu au chapitre précédent que pour une fonctionnelle de bien-être exprimant une aversion finie du gouvernement à l inégalité, la solution de taxation optimale en premier rang n est pas décentralisable dès lors l information relative à la compétence des agents n est pas disponible. Aborder le problème de taxation en second rang met au premier plan cette question de l information de l Etat. En raison du principe de révélation, chercher une taxation optimale de second rang revient à construire des mécanismes par lesquels les agents vont révéler leur type. 1.1 Le programme optimal Problème 1 Il s agit de maximiser l expression suivante : Z φ [U (l () T (l(),l())] df () (1.1) sous les contraintes : Z T (l ()) df () =0 (1.2) l () = arg max l U [l () T (),l()] (1.3) La difficultévientdecequelacontrainte(1.3)estunproblèmed optimisation.a-ton le droit de remplacer cette contrainte par la condition du premier ordre associée? La condition du premier ordre peut ne pas être nécessaire (solution en coin) et ne pas être suffisante. T (l ()) est ce que l on recherche, on ne veut donc pas poser de restriction a priori. L idéedemirrleesestd opérerunchangementdevariableafin denepasoptimiser 1

dans (c, l), mais dans l espace revenu disponible/revenu primaire. Ces deux variables définissent un contrat qui lie l individu à la société. On exprime le problème à l aide de deux variables observables, alors que l ne l était pas. 1.1.1 Théorie des contrats : le principe de révélation Un principal essaie de décentraliser une allocation entre n agents. Chaque agent a une information privée θ qu il n est pas disposé à divulguer. Le principal va construire un jeu de messages de telle façon que l équilibre du jeu soit précisément l allocation désirée. Soit i =1,...,n les agents de l économie considérée. M i l espace des messages de i. Un mécanisme est une relation y : Q n i=1 M i R n. Plusieurs contextes informationnels sont envisageables en ce qui concerne les messages. Chaque agent essaie de maximiser l utilité de son message, compte tenu du message des autres. L utilité du ième agent est : U i (y i (m i,m i );θ i ). Soit m i =argmaxu i (y i (m i,m i );θ i ). Si on retient l équilibre de Nash comme concept d équilibre, on aura implementé l allocation x en Nash par le mécanisme y si : y (m i,i=1,...,n)=x (1.4) On donne alors aux agents ce que l on souhaitait leur donner. En général, m i dépend du type θ i : m i (θ i). A priori, l espace des messages est très complexe. On peut se demander s il ne serait pas possible de réduire cet espace à l espace des types. On peut alors se demander si l individu n a pas intérêt à révéler son propre type. Ces deux exigences sontelles fortes? Myerson a montré que tel n est pas le cas. Si on peut mettre en oeuvre x par un mécanisme y, alors il existe un mécanisme direct, c est-à-dire tel que l espace des messages est l espace des types, qui est révélateur : chacun à intérêt à révéler son type et met en oeuvre x. Par conséquent, la contrainte d incitation devient une contrainte d autosélection. En taxation optimale au second rang, on va donc mettre en oeuvre des transferts tels que les individus révèlent leur type. 1.1.2 Réécriture du problème d optimisation Appelons V ( 0 ; ) l utilité d annoncer 0 pour un agent de type. La contrainte d autosélection est simplement : =argmaxv 0 ; (1.5) 0 c est-à-dire : V (; ) V 0 ;, 0 R + (1.6) où V ( 0 ; ) =U (c ( 0 ),y( 0 );). 1.2 La condition de Spence-Mirrlees ³ On a l () = y(). Par suite, U (c (),l()) = U c (), y() et on définit υ par : ³ υ (c (),y()) = U c (), y() υ. Par suite, c() > 0 et υ y() = 1 U l < 0. Comment 2

c 1 2 y( 1 ) = y( 2 ) y Fig. 1.1 Condition d intersection unique varieletauxmarginaldesubstitutionlorsqueletalent ³ des agents augmente? c() y() indique comment varie la pente de la contrainte budgétaire lorsque se modifie. L hypothèse de Spence-Mirrlees considère que cette variation est strictement négative : µ c() < 0 (1.7) y () Cette hypothèse signifie que les courbes d indifférence pivotent dans le sens des aiguilles d une montre lorsque le talent s accroît (Figure 1.1) : l augmentation de consommation exigée pour compenser un euro de revenu primaire supplémentaire est d autant plus faible que la personne est talentueuse. En effet, le talentueux fera peu d effort pour gagner cet euro supplémentaire de revenu primaire ; la compensation qu il demandera sera donc faible. La condition de Spence-Mirrlees, si elle paraît faible, n est pas toujours vérifiée. Exercice 1 Montrer que dans le cas quasi-linéaire, U (c (),l()) = c () v (l ()) = c () v y, la condition de Spence-Mirrlees est toujours vérifiée Preuve. U (c (),l()) = c () v, où v (l ()) > 0. On a donc : ³ y() dc dy = 1 ³ y v0 (1.8) Par conséquent : µ dc dy = 1 ³ y 2 v0 + 1 ³ y ³ 2 v 00 y = 1 2 v0 (l) 1+l v00 (l) v 0 (l) (1.9) 3

L élasticité de l offre de travail au taux de salaire, ε l/ est égale à : ε l/ = dl (1.10) d l Or la condition du premier ordre du programme de l agent est : = v 0 (l), d où l on tire : d dl = v 00 (l). On en déduit : Par suite, µ dc dy ε l/ = 1 l v 0 (l) v 00 (l) = 1 2 v0 (l) 1+ 1 {z } ε l/ <0 (1.11) (1.12) La condition de Spence-Mirrlees s écrit : µ dc < 0 1+ 1 > 0 ε dy ε l/ > 1 (1.13) l/ En l absence d effet revenu sur le travail, seul l effet de substitution importe et on sait qu il est toujours positif. Dans le cas général, la condition de Spence-Mirrlees est vérifiée lorsque la consommation est fonction croissante du taux de salaire pour tout niveau de richesse : c > 0, (1.14) 1.3 La condition de Spence-Mirrlees et les contraintes d autosélection On s intéresse aux mécanismes incitatifs. Lorsqu un agent de productivité a intérêt à annoncer son type, on a : =argmaxv 0 ; (1.15) 0 où V ( 0 ; ) est l utilité indirecte de l agent de compétence qui annonce un type 0. Par définition, V 0 ; = U c 0,y 0 ; (1.16) Les conditions du premier et du second ordres s écrivent : V ( 0 ; ) 0 =0 U c c 0,y 0 ; c 0 0 + U y c 0,y 0 ; y 0 0 =0 (1.17) 2 V ( 0 ; ) 02 0 (1.18) 4

en 0 =. Pour référence ultérieure, on note que : V ( 0 ; ) 0 = U c c 0,y 0 ; c 0 0 + U y c 0,y 0 ; y 0 0 (1.19) Proposition 1 Supposons que la condition de Spence-Mirrlees soit satisfaite. Les conditions du premier et du second ordre sont alors satisfaites si et seulement si la consommation et le revenu sont croissants en. Preuve. (1) Montrons que y 0 () > 0. En différentiant la condition du premier ordre (1.17), on fait apparaître la condition du second ordre (1.18) : 2 V ( 0 ; ) {z 02 d 0 + 2 V ( 0 ; ) } 0 d =0 (1.20) SOC Par suite, 2 V ( 0 ; ) 0 d 0 en 0 = (1.21) qui équivaut à : U c (c (),y();) c 0 ()+U y (c (),y();) y 0 () 0 y 0 c 0 () () U y + U c y 0 0 () (1.22) Pour faire apparaître la condition de Spence-Mirrlees, on exprime la condition du premier ordre en fonction de c () et y (). Par (1.17), on a : c 0 () = U y (c (),y();) U c (c (),y();) y0 () (1.23) Par conséquent, la condition de Spence-Mirrlees équivaut à : µ µ dc () < 0 U y < 0 U yu c U y U c dy () U c Uc 2 > 0 (1.24) 1 U y U y U y U c > 0 U y U c > 0 (1.25) U c U c Par (1.22), on a donc y 0 () > 0 : lorsque la condition de Spence-Mirrlees est vérifiée, le revenu brut y () s accroît avec la compétence. (2) Montrons à présent que la consommation c () s accroît avec la compétence. On sait que y 0 () > 0 et que U y(c(),y();) U c(c(),y();) > 0. Par (1.23), c0 () > 0. Proposition 2 Supposons que la condition de Spence-Mirrlees soit satisfaite. Alors les conditions du premier et du second ordre sont suffisantes pour assurer l optimum, c està-dire pour que l individu ait intérêt à révéler son type. U c 5

Preuve. On souhaite montrer que les conditions du premier et du second ordre impliquent que V ( 0 ; ) est maximale en 0 =, c.a.d., que V ( 0 ; ) est croissante en 0. Puisque V 0 ; = U c 0,y 0 ; (1.26) on en déduit, 0 ; = U c c 0,y 0 ; c 0 0 + U y c 0,y 0 ; y 0 0 (1.27) V 0 PuisquelaFOCestsatisfaiteen 0 =, ou encore en = 0, on doit avoir (1.3) vrai en 0. En substituant on obtient V 0 0 ; = U c c 0,y 0 ; U y (c 0 (),y 0 (); 0 ) U c (c 0 (),y 0 (); 0 ) y0 ()+U y c 0,y 0 ; y 0 () =0 (1.28) ou encore V 0 0 ; = y 0 () U c c 0,y 0 ; ( U y (c 0 (),y 0 (); 0 ) U c (c (),y(); 0 ) + U y (c ( 0 ),y( 0 );) U c (c ( 0 ),y( 0 );) ) En raison de la condition du second ordre, on a : y 0 () > 0. L expression entre parenthèses est du signe de 0. Corollaire 1 Sous la condition de Spence-Mirrlees, une condition nécessaire et suffisante que l individu révèle son type est que c 0 () = U y (c (),y();) U c (c (),y();) y0 () (1.29) et que le revenu brut, y (), soit croissant en. Les propositions précédentes permettent de remplacer la condition d autosélection (1.15) par les conditions suivantes : ½ Uc (c ( 0 ),l( 0 );) c 0 ( 0 )+U y (c ( 0 ),l( 0 );) y 0 ( 0 )=0 y 0 () > 0 (1.30) Le problème de taxation optimale au second rang s écrit ainsi : ½Z Z ¾ max φ [U (l () T (),l())] df (); s.c. [y () c ()] df () =0et (1.30) en pratique, on retient la condition U c (c ( 0 ),l( 0 );) c 0 ( 0 )+U y (c ( 0 ),l( 0 );) y 0 ( 0 )= 0 dans un premier temps et on vérifie ex post la condition d inégalité y 0 () > 0. Si cette inégalité est vérifiée strictement, le problème est résolu et l optimum conduit à un équilibre séparateur. En revanche, s il existe des plages de valeurs pour lesquelles y 0 () =0, on a un phénomène de bouchonnement (bunching) et il faut mettre en oeuvre des procédures spécifiques du contrôle optimal. La figure 1.2 illustre ce phénomène ; le bouchonnement induit une discontinuité du taux marginal d imposition t (y ()) en 1 =2. On a un équilibre mélangeant (pooling) où plusieurs types choisissent le même panier consommation revenu brut. Il reste alors à déterminer quel est l intervalle de types sur lequel ce phénomène se produit. 6

c 1 2 y( 1) = y( 2) y Fig. 1.2 Equilibre mélangeant 7