Mécanique des Fluides Franck Nicoud I3M franck.nicoud@univ-montp2.fr 1
Définition 1. Fluide: c est un milieu infiniment déformable sous l effet de forces constantes en temps. Il peut être compressible (exemple des gaz), ou incompressible (exemple des liquides). 2. Mécanique: c est la branche de la science qui étudie le mouvement des systèmes matériels et leurs déformations, en relation avec les forces qui provoquent ou modifient ce mouvement ou ces déformations. 3. Mécanique des fluides: englobe la statique des fluides ou hydrostatique (science des fluides au repos) et la dynamique des fluides (sciences des fluides en mouvement) 2
Pourquoi étudier la mécanique 1. Les fluides en mouvement sont présents «partout»: 1. Sciences de l ingénieur: aéronautique, énergétique, aérospatiale, astronomie 2. Sciences de l environnement: météorologie, océanographie, climatologie, hydrologie 3. Science du vivant: hémodynamique, biomécanique du mouvement 3
Cadre de ce cours 1. On s intéresse au mouvement d un fluide homogène (une seule espèce chimique «équivalente») vu comme un milieu continu. Cela exclut la description de phénomènes: se passant à des échelles microscopiques (intérieur d un choc par exemple), Liés à des réactions chimiques (comme dans le cas de la combustion dans un moteur) 2. L état du fluide est alors décrit complètement par la masse volumique r, la pression p, la température T et le vecteur vitesse V = V = u 1, u 2, u 3 = u, v, w, t en chaque point de l espace x = x 1, x 2, x 3 = x, y, z, t et chaque instant t 3. Ces quantités doivent être comprises comme représentatives de la «particule fluide» centrée sur la position x 4
Plan général 1. Rappels et notions de base 2. Compressibilité 3. Quelques solutions analytiques 4. Notion de turbulence 5
Variables de Lagrange et d Euler 1. Variables de Lagrange x,y,z,t : on suit l évolution d une particule fluide au cours du temps; celle-ci est repérée par ses coordonnées x(t), y(t), z(t). Toute grandeur physique f(x,y,z, t) est représentative de la particule fluide qui se trouvait à la position x 0 =x(0), y 0 =y(0), z 0 =z(0) à l origine des temps t = 0. C est le point de vue directement issu de la mécanique du point 2. Variables d Euler x, y, z, t: on s intéresse à l évolution temporelle des grandeurs physiques au point x, y, z. La valeur f(x, y, z, t) n est pas représentative d une particule fluide particulière mais uniquement de celle qui se trouve à la position x, y, z à l instant t C est le point de vue de l expérimentateur qui observe l écoulement de l extérieur MKFLU par - MI4 une sonde fixe. 6
Lignes et surfaces particulières 1. Ligne de courant: C est une ligne dont la tangente en tout point est colinéaire au vecteur vitesse à l instant t. Si on note V = u, v, w le vecteur vitesse, l équation d une ligne de courant vérifie: dx u(x,y,z,t) = dy v(x,y,z,t) = dz w(x,y,z,t) 2. Tube de courant: c est l ensemble des lignes de courant s appuyant sur un contour fermé à l instant t 7
Lignes et surfaces particulières 3. Trajectoire: C est la courbe décrite au cours du temps par une particule fluide. L équation d une telle courbe est dx dt = u x, y, z, t ; dy dt = v x, y, z, t ; dz dt = w(x, y, z, t) Rq: Lignes de courant et trajectoires sont confondues en écoulement permanent 8
Lignes et surfaces particulières 4. Ligne d émission: C est l ensemble des positions géométriques occupées à l instant t par toutes les particules fluides ayant occupé une position de référence dans le passé Particules fluides Trajectoires Ligne d émission Point d émission Rq: Lignes d émission et trajectoires sont confondues en écoulement permanent 9
Gradient de vitesse Les variations spatiales du vecteur vitesse à l instant t sont décrites à travers le tenseur gradient de vitesse: g ij = u i Ce tenseur d ordre deux peut être décomposé de manière unique en parties symétrique et anti-symétrique g ij = S ij + R ij ; S ij = 1 2 u i + u j x i ; R ij = 1 2 u i u j x i La partie symétrique est appelée tenseur des vitesses de déformation. Sa trace est tr S = S ii = u i = divv x i ATTENTION: la sommation des indices répétés est utilisée implicitement dans ce cours (S ii = u i x i = u 1 x 1 + u 2 x 2 + u 3 x 3 est alors bien la divergence du vecteur vitesse) 10
Gradient de vitesse Il est parfois utile de séparer le tenseur vitesse de déformation en partie sphérique et déviatrice: S ij = 1 3 δ ijs kk + S d ij, avec S d kk = 0 La partie anti-symétrique est liée au vecteur rotationnel Ω = rotv ; Ω k = ε ijk u i par la relation indicielle: Ω k = ε ijk R ij où δ ij est le symbole de Kronecker et ε ijk est le pseudotenseur alterné d ordre 3 11
Vorticité et circulation Le vecteur rotationnel Ω = rotv ne doit pas être confondu avec le vecteur tourbillon (ou vortex) défini par ω = 1 2 rotv Par définition, la vorticité est le module du vecteur tourbillon: ω = 1 2 rotv Formule de Stokes: on considère une surface Σ quelconque de vecteur normal n et portée par un contour fermé C orienté d élément d arc dl. La circulation du vecteur vitesse le long de C et le flux du vecteur rotationnel à travers Σ sont alors égales: V dl = 2 ω ndσ = rotv ndσ C Σ Σ 12
Cinématique On s intéresse aux perturbations que subit une parcelle de fluide élémentaire plongée dans un champ de vitesse pendant une durée élémentaire dt Le gradient de vitesse se décompose de manière générique comme suit: g ij = 1 3 δ ijs kk + S ij d + R ij avec ω k = 1 2 ε ijkr ij Rotation pure: g ij = R ij dα dy dα = ω 3 dt dx 13
Cinématique Dilatation pure: g ij = 1 3 δ ijs kk dy v y dydt dx u x dxdt Déformation pure: g ij = S ij d dβ dy dx dβ = u y dt dα dα = v x dt 14
Viscosité Cette grandeur est associée à la résistance qu oppose tout fluide à sa mise en mouvement. Dans l expérience de Couette, pour certains fluides (fluides newtoniens) et en régime permanent, le profil de vitesse est linéaire et la force F qu il faut exercer sur une portion d aire A de la paroi supérieure pour maintenir son mouvement est telle que: F = μ U 0 A h où μ est la viscosité dynamique du fluide (kg/m/s ou Pa.s) Paroi mobile dans son plan U 0 y h x Paroi fixe 15
Viscosité La quantité F est une force par unité de surface; elle est A appelée contrainte et notée τ xy = F où le premier indice (x) A repère la direction de la force et le second (y) repère la direction de la normale à la surface Pour un fluide newtonien, le tenseur des contraintes s exprime comme suit (sous l hypothèse de Stokes): τ ij = 2μS ij 2 3 μs kkδ ij où S ij = 1 2 déformation u i + u j x i est le tenseur des vitesses de 16
Viscosité On introduit souvent dans les équations la viscosité cinématique ν = μ ρ qui s exprime en m2 /s Le modèle newtonien est très représentatif de deux fluides très communs: l air et l eau. Il sera donc utilisé dans la suite de ce cours. Quelques données numériques: Fluide Masse volumique (kg/m 3 ) Viscosité dynamique (kg/m/s ou Pa.s) Viscosité cinématique (m 2 /s) Air 1.29 1.85x10-5 1.43x10-5 Eau 1000 10-3 10-6 17
Rhéologie D autres comportements rhéologiques sont utilisés pour représenter des fluides complexes τ xy Plastique de Bingham Fluide solidifiant Fluide Newtonnien (pente μ) τ 0 Fluide épaississant Fluide parfait Par exemple le sang a un comportement solidifiant dont la viscosité pour les grands cisaillements est de l ordre de 4 cpoise (soit 4 10 3 Pa.s) du dy 18
Conductivité thermique Cette grandeur est associée à la capacité d un fluide au repos de diffuser la chaleur en son sein. Dans l expérience ci-dessous similaire à celle de Couette, on observe en régime permanent et pour certains fluides que le profil de température est linéaire: T T 0 T 1 T 0 = y h Paroi fixe à température T 1 T 1 y h x Paroi fixe à température T 0 T 0 19
Conductivité thermique Pour une surface d aire A, une quantité de chaleur Q circule chaque seconde de la plaque chaude vers la plaque froide et on a: Q A = λ T 1 T 0 h, où λ est la conductivité thermique du fluide (W/m/K). Dans le cas général, le flux de chaleur est proportionnel au gradient de température (loi de Fourier): q i = λ T x i Ce flux s exprime en W/m 2 20
Conductivité thermique L équivalent de la viscosité cinématique est la diffusivité thermique a = λ qui s exprime également en m 2 /s et dans ρc p laquelle C p est la chaleur spécifique à pression constante Le nombre de Prandtl compare la capacité d un fluide à diffuser la quantité de mouvement et la chaleur: P r = ν a = μc p λ Quelques données numériques: Fluide Conductivité thermique (W/m/K) Diffusivité thermique (m 2 /s) Nombre de Prandtl Air 2.6x10-2 2.24x10-5 0.71 Eau 0.59 10-7 10 21
Fluide parfait Gaz parfait Un fluide parfait n oppose aucune résistance à sa mise en mouvement. Il est caractérisé par μ = λ = 0. Un gaz parfait est un fluide non nécessairement parfait pour lequel la masse volumique, la pression et la température vérifient l équation d état suivante: p ρ = rt, avec r une constante La constante r dépend du gaz considéré. Pour de l air, elle est de l ordre de 287 J/K/kg 22
Notion de bilan 1. L analyse d un écoulement se fait à travers l écriture de bilans issus des grandes lois de conservation masse, quantité de mouvement, énergie 2. La région sur laquelle ces bilans sont faits dépend des variables utilisées 3. Dans tous les cas, un bilan ne peut se faire que sur une région ne contenant que des particules fluides, éventuellement en contact avec une paroi solide 23
Domaine matériel En variables de Lagrange, les bilans sont réalisés sur un domaine matériel D t constitué de particules fluides (toujours les mêmes) que l on suit dans leur mouvement. Ce domaine se déforme au cours du temps et n échange pas de masse avec l extérieur D(t) D(t + t) 24
Volume de contrôle En variables d Euler, les bilans sont réalisés sur un volume de contrôle constitué de particules fluides (pas toujours les mêmes) Ce domaine ne se déforme pas au cours du temps et échange de la masse avec l extérieur t = t + t = 25
Dérivée particulaire Les principes de conservation sont écrits naturellement en variables de Lagrange (ex: la masse d une particule fluide se conserve) En variable d Euler, plus aptes à représenter le point de vue de l observateur/expérimentateur, on représente les variations prises en suivant une seule et même particule par la dérivée particulaire La quantité f(x, y, z, t) étant décrite en variable d Euler, sa différentielle est : df = f x f f f dx + dy + dz + y z t dt df = f dx x 1 + f dx 1 x 2 + f dx 2 x 3 + f 3 t dt 26
Dérivée particulaire Pour que les variations spatiales dm = dx 1, dx 2, dx 3 correspondent au déplacement physique d une particule fluide sur sa trajectoire, il faut imposer que dm/dt soit le vecteur vitesse V = u 1, u 2, u 3 On définit alors la dérivée particulaire de f: df dt = f dx 1 x 1 dt + f dx 2 x 2 dt + f dx 3 x 3 dt + f t représentative des variations de f lorsque l on suit la particule située en x 1, x 2, x 3 à l instant t En notation indicielle cela donne: df dt = f t + u j f 27
Dérivée particulaire L expression se généralise sans difficulté au cas d un vecteur en considérant les composantes du vecteur successivement On obtient ainsi l expression de l accélération d une particule fluide écrite en variables d Euler du i dt = u i t + u u i j Il faut bien noter ici que l indice j est muet Le caractère non-linéaire de ce terme est fondamental en mécanique des fluides; il est par exemple à l origine du phénomène de turbulence abordé en fin de cours L opérateur f + u f t j est appelé opérateur de convection ou d advection dans le cas particulier où f = u i 28
Ecoulement permanent Un écoulement est dit permanent si la dérivée en temps de toute quantité exprimée en variable d Euler est nulle La dérivée particulaire n est cependant pas nulle; elle devient : df dt = u f j L accélération d une particule fluide plongée dans un écoulement permanent n est donc pas nulle en général: du i dt = u j u i 29
Théorème de transport La dualité de raisonnement sur un domaine matériel D(t) ou un volume de contrôle est concrétisée par le théorème de Reynolds d dt D(t) f x, y, z, t dxdydz = t f x, y, z, t dxdydz + f x, y, z, t u i n i dσ Σ est fixe et coïncidant avec D à l instant t n i est la i ème composante du vecteur unitaire normal à la surface Σ qui englobe, orienté vers l extérieur 30
Théorème de transport En utilisant le théorème d Ostrogadski on obtient une forme légèrement différente: d dt D(t) f x, y, z, t dxdydz = t f x, y, z, t dxdydz f x, y, z, t u i + dxdydz x i L intégrale de surface est donc remplacée par une intégrale de volume portant sur la divergence du vecteur fv 31
Equations du Mouvement Elles s obtiennent en appliquant les principes de conservation (masse, quantité de mouvement, énergie) à un domaine matériel quelconque et en utilisant le théorème de transport appliqué à une fonction f bien choisie Par exemple, pour f = ρ, la conservation de la masse contenue dans le domaine matériel donne successivement continuité: ρ t + ρu i x i d dt dxdydz D(t) ρdxdydz = 0, puis = 0, et enfin l équation de ρ t + ρu i x i = 0 32
Equations du Mouvement L application du principe fondamental de la dynamique à un domaine matériel quelconque conduit, en choisissant f = ρv pour l application du théorème de transport, à l équation de la quantité de mouvement suivante: ρ u i t + ρu j u i = p + τ ij + ρf x i x i j où F i représente les forces de volume (ex: la pesanteur g) Si le fluide est Newtonien, le tenseur des contraintes est proportionnel au tenseur vitesse de déformation S ij = 1 2 u i + u j x i : τ ij = 2μS ij 2 3 μs kkδ ij 33
Energie cinétique En multipliant l équation de quantité de mouvement par la vitesse u i, on obtient l équation suivante pour l énergie cinétique e c = 1 2 u iu i : ρ e c t + ρu j e c p τ = u x i + u ij j x i + ρu i x i F i j ou encore, en posant σ ij = pδ ij + τ ij : ρ e c t + ρu e c σ ij u i u i j = + σ x ij j puissance des forces extérieures de surface puissance des forces intérieures de surface + ρu i F i puissance des forces extérieures de volume On remarque que la puissance des forces intérieures de surface liées à la viscosité est nulle en l absence de vitesse de déformation; que la puissance des forces intérieures de pression est nulle en fluide incompressible 34
Théorème de Bernoulli On considère un fluide parfait de masse volumique constante en mouvement permanent et soumis à des forces extérieures dérivant d un potentiel F i = Φ x i Le bilan d énergie cinétique conduit alors au fait que la quantité H = p + 1 2 ρu iu i + ρφ est constante le long d une ligne de courant Ce résultat se généralise dans le cas où la masse volumique n est pas constante mais ne dépend que de la pression (ρ = ρ(p); évolution barotrope) On parle de forme faible du théorème de Bernoulli car la quantité H n est conservée que sur chaque ligne de courant 35
Théorème de Bernoulli On considère un fluide de masse volumique constante en mouvement irrotationnel et soumis à des forces extérieures dérivant d un potentiel F i = Φ x i La vitesse dérive alors d un potentiel: u i = υ x i ; on montre alors que la quantité H = ρ υ t + p + 1 2 ρu iu i + ρφ est constante dans tout le domaine de l écoulement On parle de forme forte du théorème de Bernoulli car la quantité H est commune à toutes les lignes de courant 36
Equations du Mouvement L application du premier principe de la thermodynamique (la variation d énergie totale est égale à la somme du travail et de la chaleur échangés avec l extérieur) à un domaine matériel quelconque conduit, en choisissant f = ρe = ρ e + u i u i /2 pour l application du théorème de transport, à l équation de l énergie totale suivante: ρ E t + ρu j E = pu i x i puissance des forces extérieures de pression + τ ij u i puissance des forces extérieures de viscosité + q j puissance thermique + ρu i F i puissance des forces extérieures de volume 37
Equations du Mouvement Nous verrons que l équation de l énergie peut revêtir de multiples formes Par exemple, en choisissant la température comme variable transportée on obtient après quelques manipulations: ρc v T t + ρc vu j T = p u i x i + τ ij u i q j C v est la chaleur spécifique à volume constant Le flux de chaleur est usuellement modélisé par la loi de Fourier: q j = λ T 38
Equations de Navier-Stokes compressibles Masse: ρ t + ρu i = 0 x i Quantité de mouvement: ρ u i t + ρu j u i = p + τ ij + ρf x i x i avec τ ij = 2μS ij 2 j 3 μs kkδ ij Température: ρc v T t + ρc vu j T = p u i x i + τ ij u i q j avec q j = λ T Equation d état: p ρ = rt 39
Equations de Navier-Stokes Masse: Quantité de mouvement: ρ u i t + ρu j incompressibles u i x i = 0 u i = p + τ ij + ρf x i x i avec τ ij = 2μS ij j Température: ρc v T t + ρc vu j T = τ ij u i q j avec q j = λ T Equation d état: ρ = ρ 0 40
Compressible / Incompressible Le modèle compressible est un système couplé de 5 EDP non linéaires + 1 équation algébrique. Les 6 inconnues sont ρ, u 1, u 2, u 3, p, T Le modèle incompressible est constitué: d un système couplé de 4 EDP (1 linéaire + 3 non linéaires) dont les inconnues sont u 1, u 2, u 3, p d une EDP linéaire pour l inconnue T. La densité est une donnée. 41
Théorème d Euler Pour un écoulement permanent, le flux de quantité de mouvement à travers une surface de contrôle Σ fixe et délimitant un volume Δ constitué exclusivement de particules fluides est égal à la résultante des forces extérieures appliquées au fluide. C est une conséquence directe de l équation de la quantité de mouvement intégrée sur le volume Δ : Σ ρv V n dσ = ρfdv + Tdσ Un théorème similaire peut être établi pour les moments: Σ ρom V V n dσ = ρom Fdv Σ + OM Tdσ F et T sont respectivement les forces de volumes et de surface appliquées au fluide. La pression et les contraintes visqueuses contribuent à T Σ 42