Transcription

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2 Taxi Driver Bruce Davidson, par exemple, et particulièrement son livre Subway). Prises avec un flash, ces photographies sont d un noir dense, aux couleurs saturées, et surtout brillantes. Scorsese prétend à un regard plus sophistiqué que celui des tabloïds. Pour les prises de vue de la rue, le taxi était équipé de multiples caméras montées à l intérieur et à l extérieur. Et bien que Scorsese fasse un usage néoréaliste de New York, incorporant des passants dans ses plans, Taxi Driver est très éloigné d un documentaire comme The Police Tapes d Alan et Susan Raymond (tourné la même année que Taxi Driver) qui fi lme la ville au moyen d une caméra vidéo et le plus souvent du siège arrière d une voiture de police. Presque chaque plan de Taxi Driver est conçu en terme d expression fi lmique. Le fi lm a déjà commencé depuis dix minutes lorsque le premier élément dramatique survient. Le chapitre d ouverture du fi lm, qui montre Travis au travail, finit avec lui allongé sur son lit. La caméra s élève et, s inclinant légèrement, plane au-dessus de lui. C est un petit mouvement, mais il est suffisamment étrange pour que l on se demande ce qui traverse l esprit de Travis lorsqu il dit en voix off : «Je ne crois pas que l on doive consacrer sa vie à la contemplation morbide de soi. Je crois qu on doit devenir une personne semblable aux autres.» Travis transforme immédiatement sa pensée en action en se focalisant sur Betsy, une grande jeune femme blonde qu il espionne devant le siège de campagne de Charles Palantine, près de Columbus Circle. (Columbus Circle, le sordide arrondissement de Times Square, est le pendant des quartiers très chics bordant Central Park). Betsy fait son apparition dans un lent mouvement baignée par la lumière du soleil. Travis fantasme : c est «un ange», «ils ne peuvent pas la toucher». Scorsese surimpose cette formule que Travis griffonne dans son journal au plan de Betsy disparaissant dans les grands bureaux vitrés du rez-de-chaussée du siège de campagne de Palantine. (Ce serait un emprunt, dit-il, au Mépris (1963) de Godard.) La scène qui suit la première apparition de Betsy se passe à l intérieur du siège de campagne de Palantine. Betsy plaisante avec Tom (Albert Brooks), son collègue ; elle se révèle à la fois plus ordinaire et plus ambitieuse que dans l imagination romantique de Travis. 39

3 L T / Cinéphilie 40 À la différence des dix premières minutes montées de façon elliptique, la scène se déroule plus ou moins en temps réel, soit un tout petit peu plus de trois minutes. Délibérément, ce sont trois minutes de néant. Bien qu elle ait une fonction d intervalle comique, la scène souligne également toute la différence entre l existence claustrophobique et rongée par l anxiété de Travis et le monde enchanté et bien-pensant auquel appartient Betsy. Interrompant leur conversation, Betsy attire l attention de Tom sur le chauffeur de taxi, qui, dit-elle, est garé à l extérieur et les regarde fi xement. Lorsque Tom s approche de Travis, celui-ci prend conscience qu il a été surpris en train de les observer et s enfuit. La nuit, Travis, l amoureux transi, observe les couples qui flirtent devant les portes d immeubles. Lorsqu il rejoint un groupe de chauffeurs dans un café ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils l appellent en plaisantant «l homme à femmes». Travis est aussi mal à l aise avec ses pairs qu en compagnie de n importe qui, ou presque. Scorsese accentue son isolement en le cadrant légèrement

4 Taxi Driver à part. Soit il est seul dans le cadre, soit, en plan large, il est loin au bout de la table, un espace notable le séparant du groupe. Il est évident que Travis aimerait participer, mais il ne sait pas comment s y prendre. Présenté à Charlie T., le seul chauffeur noir de la table, Travis le salue des yeux, dissimulant à peine son hostilité. En dépit de la présence de Charlie T., les chauffeurs discutent des dangers qu ils courent à rouler dans Harlem. «Putain de quartier de cannibales», s exclame Wizard (Peter Boyle), le philosophe du groupe. Travis se tourne pour regarder trois maquereaux noirs endimanchés assis à une autre table. Il verse alors un comprimé d Alka-Seltzer dans un verre d eau. La caméra s approche de la surface effervescente jusqu à ce qu elle occupe pratiquement tout le cadre. Le plan est une autre référence à Godard (c est l un des plans de tasse de café de Deux ou trois choses que je sais d elle (1966), mais celui-ci suggère comme les plans situés au-dessus des objets posés sur les tables (récurrents tout au long du fi lm) que Travis s est pour un moment dissocié. Quelque chose est effervescent en Travis, mais il ne sait pas ce que c est. L un des chauffeurs lui demande s il porte une arme. Il répond qu il n en a pas ; l idée, néanmoins, fera son chemin. Nous sommes de retour au siège de campagne de Palantine. Travis propose ses services, du moins c est ce qu il dit. Penché sur le bureau de Betsy, il avoue qu il ne dispose pas de beaucoup de temps pour travailler à la candidature de Palantine. Ce qu il veut, c est accompagner Betsy boire un café dehors. Elle accepte de le rencontrer au moment de sa pause. Assis à une table d un café Child, donnant sur Columbus Circle, Travis parle à Betsy presque sans s arrêter ; Travis semble la rendre perplexe, mais il l intrigue. Betsy commence à parler des problèmes d organisation qu elle rencontre dans son travail, mais Travis réoriente la conversation pour la concentrer sur ses propres problèmes d organisation (c est un passage de Bremer). Lorsqu il lui dit qu il pressent un lien entre eux, elle n exprime pas de désaccord. Elle dit qu elle n a jamais rencontré quelqu un comme lui. C est peut-être le goût de Betsy pour l inédit, ou bien son manque d expérience avec les hommes qui ne sont pas de sa classe sociale, qui la rend incapable de discerner que ce qui est étrange chez Travis n est pas 41

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