HISTOIRE DU CINÉMA DE HONG KONG

Transcription

1 Yann Jegodtka HISTOIRE DU CINÉMA DE HONG KONG Mon Petit Éditeur

2 Retrouvez notre catalogue sur le site de Mon Petit Éditeur : Ce texte publié par Mon Petit Éditeur est protégé par les lois et traités internationaux relatifs aux droits d auteur. Son impression sur papier est strictement réservée à l acquéreur et limitée à son usage personnel. Toute autre reproduction ou copie, par quelque procédé que ce soit, constituerait une contrefaçon et serait passible des sanctions prévues par les textes susvisés et notamment le Code français de la propriété intellectuelle et les conventions internationales en vigueur sur la protection des droits d auteur. Mon Petit Éditeur 14, rue des Volontaires PARIS France IDDN.FR R.P Cet ouvrage a fait l objet d une première publication par Mon Petit Éditeur en 2013

3

4

5 Introduction Fort de ses récents succès, tant critiques que commerciaux, le cinéma de Hong Kong perturbe le monde occidental, qui découvre cette nouvelle vision du Septième Art, pourtant née en 1909, avec deux comédies adaptées d opéras chinois. En effet, ces dernières années, ce cinéma s exporte de plus en plus en Occident, que ce soit en Europe, principalement par le biais de l Angleterre et de la France, ou aux États-Unis. Ce phénomène a toutes les raisons d intriguer le spectateur non initié. Comment peut-on expliquer une découverte si tardive, et les multiples réactions qui l ont accompagnée? Le cinéma de Hong Kong ne commence à se faire connaître du grand public occidental qu au début des années soixante-dix, avec la carrière éclair du Petit Dragon : Bruce Lee, pour retomber aussitôt dans l anonymat. Situation assez déroutante, d autant plus que, durant une période assez longue, avant d être touché par une forte crise vers le milieu des années quatrevingt-dix, Hong Kong se situe au rang de troisième producteur de cinéma dans le monde, après Hollywood et Bombay. La reconnaissance vient finalement avec les cinéastes hongkongais de la nouvelle vague, notamment John Woo. Ainsi, l Occident s ouvre tout doucement à de nouveaux horizons cinématographiques, entraînant pléthore d opinions, selon la manière dont les différents observateurs appréhendent cette exception culturelle. Une touche indicible et agréable d anticonformisme et de singularité, au sein d un paysage cinématographique parfois trop conservateur. 7

6 HISTOIRE DU CINÉMA DE HONG KONG Des aficionados qui le considèrent comme culte, des spectateurs potentiels qui l ignorent, d autres qui le suivent pensant à un phénomène de mode, certains le méprisent, des critiques qui le vilipendent ou l encensent, le cinéma de Hong Kong a véritablement semé la confusion dans les esprits. Bousculant les codes d un art qui semblait enfermé dans une certaine forme de traditionalisme, son appréhension et son acceptation furent longues et difficiles et, ne semblent aujourd hui toujours pas complètement réussies. De nos jours, ce sont les cinémas non occidentaux qui font connaître à l art cinématographique une nouvelle vitalité, apportant une révolution formelle, esthétique ou narrative dans une pluralité thématique tout à fait incroyable et à l opposé des idées reçues. Cependant, ces derniers n ont en général pas la reconnaissance qu ils méritent. Effectivement, ils souffrent de nombreux préjugés, et sont bien souvent rejetés sans que la moindre expérimentation ou analyse ait été tentée. Hong Kong est le parfait exemple de ce dénigrement injustifié, et de la difficulté, pour un style hors norme, d être accepté. Mais, pour appréhender convenablement le Septième Art hongkongais, encore faut-il le connaître. L obstacle de la définition est ici assez conséquent, pour ne pas dire colossal. Dans un premier temps, il est courant d entendre parler de "cinéma asiatique". Julien Sévéon a remarquablement bien expliqué l absurdité d une telle notion. En guise d introduction pour le numéro hors-série de Mad Movies, sur les cinémas d Asie, dont il était le rédacteur en chef, il déclare : «Si l on doit se baser sur ce que l on peut lire et entendre un peu partout, il semblerait que le cinéma asiatique ne se résume, au final, qu à deux destinations : les trois Chines (Chine pop, Hong Kong, Taïwan) et le Japon. De deux choses l une : soit nos interlocuteurs ont de très mauvaises notions de géographie, soit ils considèrent volontairement ou par méconnaissance que ce qui est produit 8

7 HISTOIRE DU CINÉMA DE HONG KONG ailleurs en Asie ne vaut pas le coup. [ ] L ambition de cette publication est donc de présenter non pas le cinéma asiatique, terme ne voulant pas dire grand-chose, mais les cinémas d Asie». Cela illustre bien le problème du cinéma de Hong Kong. Il n est pas individualisé et, par conséquent, ne peut être efficacement cerné. On ne peut réellement concevoir un fait ou une manifestation quelconque, et ainsi porter un jugement, sans avoir un minimum de connaissances en la matière. Un phénomène similaire s observe lorsque certains réalisateurs américains évoquent, en guise de références, le cinéma européen. Ils ne mentionnent pas les différents cinémas présents en Europe, mais le cinéma européen. De la même façon que les cinémas français, italien, anglais, espagnol ou allemand se distinguent les uns des autres, avec leurs styles et leurs codes propres, les cinémas chinois, coréen, japonais, thaïlandais ou indien se doivent d être considérés comme distincts. Dans un second temps, il est nécessaire de réaliser une distinction encore plus subtile en ce qui concerne le cinéma de Hong Kong. Si Hong Kong est géographiquement située en Chine, la ville a été une colonie britannique pendant 154 ans. En effet, rattachée à la couronne britannique en 1843 à l issue de la première guerre de l opium, elle n est revenue dans le giron chinois qu à la date du 1 er juillet Ainsi, le cinéma de Hong Kong est né et s est développé de manière autonome par rapport à la Chine. Sa confusion avec le cinéma chinois est une erreur qui ressemble presqu à du sophisme. Le Septième Art hongkongais est véritablement dissemblable de son homologue chinois et ne doit être en aucun cas confondu avec ce dernier pour pouvoir être correctement assimilé. Si l histoire de Hong Kong est naturellement étroitement liée à celle de la Chine, les disparités cinématographiques sont néanmoins très importantes. 9

8 HISTOIRE DU CINÉMA DE HONG KONG Si le cinéma chinois est reconnu pour ses qualités artistiques, notamment grâce aux distinctions obtenues dans les grands festivals de films (Cannes, Venise, Berlin ), Hong Kong est perçu comme "l Hollywood de l Asie". Toutefois, au-delà des sobriquets de cette nature, le cinéma de Hong Kong est surtout une expérience visuelle rare et unique au monde. Partagé entre les influences orientales et occidentales, il a été pendant de longues années à la recherche de son propre style. Il a réussi le pari insensé de s inspirer de deux cultures fondamentalement opposées, pour créer un cinéma réellement original, novateur et apportant une certaine révolution dans son domaine. Le choc de l inédit visuel causé par ce cinéma truculent est parfaitement bien mis en lumière par le journaliste et producteur Bay Logan. Ce dernier explique la réaction de spectateurs néophytes, lorsqu il leur montrait des extraits de succès tels que Opération Dragon ou Une balle dans la tête, au cours de conférences qu il organisait à Hong Kong. «Tous ces gens qui n avaient jamais vu un film hongkongais, ils étaient bouche bée» 1. Une culture différente entraîne inévitablement une vision et un état d esprit différents, dans la façon de concevoir toute chose. Pour comprendre et saisir le cinéma de Hong Kong, il est nécessaire de se soustraire à la rigidité cartésienne des schémas de pensées occidentaux, pour pénétrer dans cet espace de liberté artistique quasi absolue. C est probablement cette singularité cinématographique qui a provoqué, chez le public, aussi bien la fascination que la répulsion. Même si ce cinéma a dû évoluer et s adapter au fil du temps, s inspirant de ce qui se faisait à l étranger, il a réussi à conserver cette empreinte si spécifique et inimitable, malgré les nombreuses tentatives en la matière. 1 Interview de Bay Logan incluse au documentaire : «Hong Kong cinéma», réalisé par Hubert Niogret, diffusé sur CinéCinéma auteur,

9 HISTOIRE DU CINÉMA DE HONG KONG Sa popularité s est surtout acquise grâce à ses performances dans le domaine du cinéma d action. Malheureusement, le cinéma de Hong Kong a vite été cantonné à cette expression, alors que ce style est loin d être exhaustif de l art cinématographique hongkongais 1. C est toute la difficulté de s ouvrir à l inconnu et de s affranchir des catalogages arbitraires découlant de visions restrictives d un phénomène. Dans le domaine culturel surtout il est fréquent d assister à des assimilations grotesques et à des raccourcis faciles. La prétendue violence des mangas (bandes dessinées japonaises) en est un parfait exemple. Cet art a été longtemps critiqué comme étant beaucoup trop violent. Je préciserai juste quelques exemples de mangas annihilant cette théorie absurde par leur seule existence : Maison Ikkoku de Rumiko Takahashi (Juliette je t aime), Kimagure Orange Road d Izumi Matsumoto (Max et compagnie), Candy de Yumiko Igarashi et Kyoko Mizuki, Kimengumi de Motoei Shinzawa (le Collège fou fou fou), Cat s Eyes de Tsukasa Hojo et tant d autres. Le cinéma de Hong Kong, bien plus riche qu il n y paraît, porte les cicatrices et le vécu d un peuple, condamné à subir les affres de son refuge. Hong Kong est une ville dont l histoire a été très mouvementée. Depuis 1843 et sa colonisation anglaise, elle a sans cesse été soumise à cette double influence, sinon tutelle, orientale et occidentale. Bien évidemment, elle n a pas échappé aux nombreux conflits mondiaux et locaux, et a traversé de multiples crises, notamment financières. Ainsi, le cinéma de l île s est forgé en corrélation avec cette histoire agitée. Il est parvenu à trouver son propre style et à devenir cet espace gigantesque de liberté cinématographique, un lieu où la réalité ne semble exister que par le prisme de métaphores et d allégories. 1 Julien Sévéon, Mad Movies hors série, «Cinémas d Asie», collection thématique, Custon publishing France, décembre 2003, p

10 HISTOIRE DU CINÉMA DE HONG KONG Indubitablement, la nécessité d exportation s est rapidement présentée. Que ce soit en terme d œuvres ou de moyens humains, l industrie cinématographique hongkongaise, à l instar de celles des autres pays, a vite été dans l obligation d essayer de s affranchir de ses frontières géographiques pour s exporter. Mais la cible première restant essentiellement locale, cette volonté mercantile ne semble pas avoir eu d impact sur l esthétisme et les orientations artistiques des œuvres hongkongaises. Ces préoccupations commerciales, propres à tous les grands pays producteurs de films, et l objectif de divertissement de masse, conduisent à un cinéma de genre, marque de fabrique de l école hongkongaise, qui caractérise son style si original. Si les marchés du Sud-Est asiatique ont été l objectif initial du cinéma de Hong Kong, assez vite l ancienne colonie de sa majesté a visé plus haut. En effet, Bay Logan énonce dans le documentaire réalisé par Hubert Niogret Hong Kong Cinéma que, «suite à l écroulement du marché hongkongais, il a fallu chercher à étendre la diffusion d œuvres hongkongaises». Le rêve américain était dès lors de plus en plus présent. Toutefois, si le marché occidental a fait naître beaucoup d espoirs pour Hong Kong, il a été l origine de nombreuses désillusions, d infortunes diverses et de lourdes difficultés, dont certaines non encore résolues. 12

11 Première partie. Les caractéristiques du cinéma de Hong Kong

12

13 Le cinéma de Hong Kong est l un des plus productifs et imaginatifs au monde. Issu d une culture fondamentalement différente de la nôtre, il ne fonctionne pas selon la même logique, et utilise d autres codes. Bay Logan explique que «l attrait pour ce cinéma vient de son style ultrarapide et de son immense créativité, héritée du théâtre, que l on retrouve également dans leur façon de cuisiner». Cependant, le cinéma de Hong Kong a mis beaucoup de temps à trouver son style, aujourd hui si caractéristique, puis l a merveilleusement exploité, sans connaître toutefois une réussite homogène et exempte d accrocs.

14