Dossier 7 : Le bataillon du Pacifique : l engagement des Néo-Calédoniens dans les deux guerres mondiales

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1 Dossier 7 : Le bataillon du Pacifique : l engagement des Néo-Calédoniens dans les deux guerres mondiales À deux reprises au cours du XXe siècle, lors des deux guerres mondiales, des hommes de la Nouvelle- Calédonie participent à de durs combats. Les mobilisés dans différents régiments coloniaux et les tirailleurs Kanak dans le bataillon du Pacifique quittent l archipel pour se rendre sur différents fronts (en France, en Europe, en Orient et en Afrique du Nord) où ils s illustrent dans plusieurs batailles. Les conditions de recrutement, la formation des soldats, la participation aux combats présentent des différences entre la Première Guerre mondiale et la Seconde. Comment le bataillon du Pacifique a-t-il été mis sur pied? Comment les tirailleurs et les soldats qui le composent se sont-ils illustrés sur le front? 1-Le bataillon du Pacifique dans la Première Guerre mondiale L assassinat à Sarajevo, le 28 juin 1914, de l héritier du trône d Autriche-Hongrie, entraîne le déclenchement de la Première Guerre mondiale. Les alliances militaires se mettent en place et la France, qui fait partie de l Entente, décrète l ordre de mobilisation générale au début du mois d août La Nouvelle-Calédonie, colonie française du Pacifique, reçoit cet ordre concernant les hommes de nationalité française. Surnommés les «Niaoulis*» avant leur départ, ils sont incorporés dans les régiments d infanterie ou d artillerie coloniale. Le bataillon des tirailleurs du Pacifique qui devient ensuite le bataillon mixte du Pacifique* est créé le 3 juin 1916 avec des tirailleurs * kanaks, néohébridais et indochinois ainsi qu un Wallisien et des Polynésiens originaires des Établissements français de l Océanie. Les Kanak étant «sujets» de l empire colonial, l administration s adresse, en tribu, au chef, qui désigne des hommes pour la guerre. Trois convois sont nécessaires pour acheminer vers le front les 978 tirailleurs. Le premier, à bord du Gange quitte Nouméa le 4 juin 1916, le second le 3 décembre 1916 par le Gange et le troisième transport est assuré par l El Kantara, le 10 novembre Les tirailleurs kanak sont d abord employés, à leur arrivée en métropole, à la manutention des navires sur le port de Marseille. Le fanion à la roussette du bataillon mixte du Pacifique s illustre ensuite sur différents champs de bataille en Champagne et dans l Aisne. Les conditions de vie sont difficiles : le froid, la boue, la nourriture froide et arrivant tardivement, les poux et autres parasites, les maladies très nombreuses, et la mort. 382 tirailleurs sont «morts pour la France» dont 112 sur les champs de bataille auxquels il faut ajouter les 193 Européens mobilisés dont certains ont peu à peu intégré le bataillon du Pacifique. Le retour des premiers combattants se fait par l El Kantara, le 10 mai Le bataillon mixte du Pacifique est alors dissous. Les anciens tirailleurs indigènes attendent de recevoir une pension d ancien combattant égale à celle des Européens, des emplois réservés dans l administration (infirmiers et plantons) et surtout, sur la Grande Terre, les terres que les recruteurs leur ont promises. Les anciens combattants kanak deviennent citoyens français à partir de Le bataillon du Pacifique dans la Seconde Guerre mondiale Après avoir refusé la défaite de la France en juin 1940 et la signature de l armistice avec l Allemagne, la Nouvelle-Calédonie s engage dans la résistance avec le général de Gaulle, le 19 septembre Rapidement le gouverneur de la colonie, Henri Sautot, réorganise la défense de l archipel et prépare la recréation du bataillon du Pacifique. Dès le dernier trimestre de 1940, les volontaires néo-calédoniens de toutes ethnies s engagent dans l armée de la France Libre et les différents corps d armées alliées : terre, mer et air. Le premier contingent du bataillon du Pacifique composé de plus de 600 volontaires océaniens dont 287 Néo-Calédoniens quitte Nouméa le 5 mai Après un mois d entraînement en Australie, le bataillon du Pacifique gagne le Proche-Orient puis l Afrique du Nord où il commence à combattre en janvier 1942, en Égypte. Quelques mois plus tard, les Néo-Calédoniens participent à la défense de Bir Hakeim, en Libye, avec la Première Division française libre. Cette bataille fait des victimes dans les rangs des volontaires du Pacifique dont leur chef de bataillon, Félix Broche, tué le 9 juin Après de nouvelles opérations en Égypte et la victoire de la 1 ère DFL en Libye, les engagés de la Nouvelle-Calédonie combattent en Tunisie où le bataillon du Pacifique fusionne avec le premier

2 bataillon d infanterie de marine pour former le BIMP (bataillon d infanterie de marine et du Pacifique) dans lequel se trouvent aussi des Néo-Hébridais et des Polynésiens. Un second contingent de près de 170 hommes, Kanak pour la plupart quitte Nouméa le 3 mars 1943 pour rejoindre la Tunisie. En 1944, le bataillon combat en Italie puis, après le débarquement de Provence et la prise de Toulon et de Marseille en août 1944, il s élance à la poursuite des armées allemandes, puis franchit le Rhône et remonte jusqu en Alsace. Ensuite, il participe à la bataille de l Authion dans les Alpes de février à avril Il rejoint enfin Paris pour le défilé de la Victoire, le 8 mai Le 14 mars 1946, après de longs mois d attente, le bataillon du Pacifique embarque à bord du Sagittaire, depuis Marseille, pour regagner la Nouvelle-Calédonie, le 21 mai Le retour des engagés volontaires est fêté dans la liesse. Au cours du XXe siècle, les Néo-Calédoniens de toutes ethnies participent à la défense de la patrie, dans les deux guerres mondiales puis les guerres de décolonisation française et les opérations extérieures. Si le premier conflit montre la différence entre les citoyens français mobilisés et les sujets kanak engagés, le second conflit fonctionne avec l engagement vraiment volontaire de tous les combattants. Même si le recrutement des soldats diffère lors de la Grande Guerre en raison de leur statut au sein de la colonie, la dureté des combats, l éloignement du front, les conditions de vie difficiles sont des éléments communs aux deux guerres. Quelques dates à retenir 23 avril 1915 : départ du 1 er contingent de soldats néo-calédoniens mobilisés par le Sontay 3 juin 1916 : création du bataillon des tirailleurs du Pacifique 4 juin 1916 : départ du 1 er contingent de tirailleurs du Pacifique à bord du Gange 3 décembre 1916 : départ du deuxième contingent de tirailleurs du Pacifique par le Gange 10 novembre 1917 : départ du troisième contingent de tirailleurs du Pacifique par l El Kantara 10 mai 1919 : retour des premiers combattants du bataillon mixte du Pacifique, par l El Kantara 5 mai 1941 : départ du 1 er contingent du bataillon du Pacifique pour la Seconde Guerre mondiale 3 mars 1943 : départ du second contingent du bataillon du Pacifique 21 mai 1946 : retour à Nouméa des volontaires du bataillon du Pacifique Définitions - Le bataillon des tirailleurs du Pacifique : unité militaire d infanterie composée au départ de Nouméa, d indigènes océaniens et indochinois volontaires. Le bataillon du Pacifique est formé de deux compagnies de tirailleurs kanak et de deux compagnies tahitiennes. En 1917, il devient «bataillon mixte du Pacifique» (BMP) après l adjonction d une compagnie d artillerie pour monter au front. - «Niaoulis» : surnom des soldats néo-calédoniens d origine européenne, lors de la Première Guerre mondiale. - Tirailleurs : soldats indigènes recrutés après un appel au volontariat plus ou moins forcé dans toutes les colonies françaises. Chiffres Première Guerre mondiale Tirailleurs engagés : dont Kanak Tirailleurs effectivement embarqués pour la France : 978 (948 Kanak, 9 Néo-Hébridais, 2 Polynésiens, 18 Indochinois, 1 Wallisien). Citoyens français de Nouvelle-Calédonie mobilisés : 976 (+ 120 Français de Nouvelle-Calédonie séjournant en métropole et mobilisés sur place) Source : Sylvette Boubin-Boyer, Thèse d histoire, De la Première Guerre mondiale en Océanie, Septentrion, 2003 Seconde Guerre mondiale Engagés volontaires néo-calédoniens : 457 au BIMP, 61 dans les FNFL, 10 commandos SAS (parachutistes du Special Air Service), au moins 4 résistants en métropole. 102 Néo-Calédoniens sont «morts pour la France» au cours de la Seconde Guerre mondiale.

3 Engagés volontaires kanak (entre 1943 et 1945) : dont 68 au BIMP (au moins 24 d entre eux sont «morts pour la France»), 118 dans les Forces Navales de la France Libre (FNFL). Les autres travaillent dans les services publics ou sont recrutés par l armée américaine présente en Nouvelle- Calédonie. Source : Ismet Kurtovitch, Thèse d histoire, La vie politique en Nouvelle-Calédonie : , Septentrion, Le bataillon du Pacifique dans la Première Guerre mondiale Document 1 : les tirailleurs kanak du bataillon mixte du Pacifique avant leur départ en 1916 Collection G. Viale Cette photographie est parue dans le n de l Illustration en 1916 puis a été transformée en carte postale. Elle montre l uniforme spécifique des tirailleurs indigènes. Les sous-officiers du bataillon du Pacifique étaient des Néo-Calédoniens d origine européenne. Document 2 : télégramme du gouverneur de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, Jules Repiquet, aux présidents des commissions municipales, aux syndics des affaires indigènes pour le recrutement des indigènes. Honneur vous prier commencer recrutement indigènes volontaires pour durée guerre dès réception présent télégramme. On doit aisément lever un homme valide sur 10 canaques imposables. Grandes tribus supérieures à 100 imposables peuvent fournir un homme pour 100 et plus. Avantages sont : prime 200 frs payables Nouméa, paye journalière 0,50 frs. Ration normale à peu près comme celle troupes blanches devient encore plus forte en France, habillement complet neuf, grade accessible à tout indigène parlant, écrivant français. [ ] Récompense honorifique pour bravoure action éclat les mêmes que les troupes blanches. Télégramme du gouverneur Repiquet adressé aux Présidents des commissions municipales et autres officiers de l'administration, 21 janvier 1916.

4 Cité par Sylvette Boubin-Boyer, Thèse d histoire, De la Première Guerre mondiale en Océanie, Septentrion, 2003, p. 338 Document 3 : quelques tirailleurs récompensés pour leur courage lors des combats (citations et récompenses) Abel Maboué Amel, 1,67 m, 26 ans originaire de la tribu de Mérénémé, à Canala, croix de guerre étoile de bronze, citation à l ordre du bataillon pour sa «brillante conduite au combat de Vesles-et- Caumont, s est résolument lancé sous la position ennemie sous un feu violent de mitrailleuses et a dépassé de plus de 300 mètres l objectif chassant l ennemi à la baïonnette». Métya Souca, 1,66m, 26 ans originaire de la tribu de Nonhoué, à Canala, «Tirailleur d élite. A fait preuve d une belle vaillance et d un mordant irrésistible au combat de Vesles-et-Caumont, le 26 octobre N ayant plus de cartouche n a pas hésité à se porter au-devant de l ennemi à la baïonnette lors de la contre-attaque». Croix de guerre étoile d argent, croix du combattant volontaire. Document 4 : témoignage du fils de Naulue Qaeze, tirailleur du Bataillon mixte du Pacifique Mon père ne parlait pas beaucoup de la guerre. [ ] Quand il est parti, il était très jeune - 18, 20 ans - parmi les plus jeunes et encore célibataire. Il n était pas volontaire et ce n était pas lui qui devait partir. L État français a demandé des soldats aux grands chefs? Les grands chefs ont donné des ordres. Le frère aîné a été désigné. Il avait peur. Mon père l a vu et a décidé de prendre sa place. [ ] On disait alors : «mourir pour la mère patrie» les hommes de Lifou partaient pour mourir. C était sûr! Ils allaient mourir. La France c était si loin. [ ] En France, mon père a participé à plusieurs combats. Ils avançaient pas à pas. Il y avait des corps à corps. Parfois les soldats manquaient de munitions. Alors ils prenaient ce qu ils avaient sous la main. [ ] Lors d une bataille, mon père a reçu un éclat d obus à la tête. Tout le monde le pensait disparu. Il avait été fait prisonnier et soigné par les Allemands. [ ] Je ne sais pas comment mais il a pu revenir en Calédonie avec les autres combattants. Il n était pas guéri. Il avait la tête enveloppée. Pour leur retour, il y a eu fête dans toutes les tribus. Propos recueillis par Luc Legeard dans la tribu de Wedrumel, août 1999, catalogue , Mémoires océaniennes de la Grande Guerre, Musée de la Ville de Nouméa, Document 5 : lettre des tirailleurs des districts de Houaïlou À Monsieur le gouverneur de la Nouvelle-Calédonie et dépendances Nous avons l honneur de vous exposer la présente demande tendant à vous demander que : Quelle sera notre condition après la démobilisation et quels sont les avantages que nos tribus, par nos sacrifices, ont acquis? Nous n oublions pas le grand amour de la France ; nous avons répondu avec fierté et sommes partis volontairement pour combattre à côté de nos frères, pour la défense de la mère patrie d adoption. En rentrant dans nos foyers, et dans nos tribus, voulant garder l habitude de servir la France, comme nous avons servi en France, nous n avons aperçu aucune récompense que nous avons bien méritée. [ ] Nous vous demandons, M. le gouverneur, de nous faire naturaliser Français [ ] Acôma Nehron * Source : lettre sans date rédigée dans l entre-deux guerres, communiquée par Geneviève Leenhardt et traduite par Jean Euritein de Houaïlou pour la thèse d histoire de Sylvette Boubin-Boyer, De la Première Guerre mondiale en Océanie. * Acôma Nehron est nata et petit-chef de Waraï

5 2-Le bataillon du Pacifique dans la Seconde Guerre mondiale Document 6 : l arrivée des volontaires indigènes de Koné, Bulletin du Commerce, 22 janvier Par le Phoque, sont arrivés à Nouméa, samedi après-midi, 50 volontaires indigènes des tribus de Koné, accompagnés de leur grand chef Moïse Wabealo. À leur débarquement, ils ont été accueillis par les officiers de la garnison. En colonne par trois, précédés d une section de vingt tirailleurs, les volontaires de Koné, défilèrent dans les rues de la ville, clairons en tête. Au monument aux morts, courte cérémonie au cours de laquelle le grand chef Wabealo et deux volontaires déposèrent un bouquet de fleurs au pied de la stèle, devant les indigènes placés en ligne, au garde à vous. Après la sonnerie «aux morts» de la clique des dix clairons, auxquels s étaient joints trois volontaires clairons, le petit contingent d engagés gagna la caserne. Le capitaine Houssin, chef de corps, entouré de ses officiers les reçut et leur adressa quelques mots de bienvenue. Parmi les engagés, signalons trois fils du chef Maurice de la tribu de Tiaoué ; le grand chef Wabealo des tribus de Koné, le chef Laurent de la tribu de Koniambo et le chef Poigny d Atéou ont, chacun, un fils. Douze autres engagés sont encore à Koné et attendent l ordre pour rallier Nouméa. Bulletin du Commerce, 22 janvier Document 7 : le départ du premier contingent du bataillon du Pacifique, le 5 mai 1941 Source : RIMaP NC Le fanion du bataillon du Pacifique est remis à son chef de corps, le capitaine Félix Broche, le 3 mai Deux jours plus tard, les engagés volontaires, réunis dans l enceinte de la caserne d infanterie Gally Passebosc, s apprêtent à quitter Nouméa, accompagnés, jusqu au quai, par une foule nombreuse.

6 Document 8 : les engagés volontaires néo-calédoniens du bataillon du Pacifique, dans le désert de Bir Hakeim (Lybie) en mai-juin 1942 Source : collection Porcheron 8 juin 1942 Douze jours aujourd hui que nous résistons à ce déchaînement dantesque de bombes et d obus. Cette fois, l ennemi attaque par le nord de toute la puissance dont il dispose et appuyé par 80 stukas, qui, depuis le 5 juin nous bombardent et nous mitraillent jusqu à huit fois par jour. Le grondement de la bataille doit s entendre à des kilomètres. Lueurs fulgurantes de dépôts qui sautent, ou l éclatement d explosifs à grande puissance, véhicules en feu, vacarme assourdissant des bombes et obus qui toujours s abattent en sifflant, crépitement des armes automatiques, claquement sec des torpilles de mortier ou des grenades. Roger Ludeau, Les carnets de route d un combattant du Bataillon du Pacifique, Nouméa, Artypo, juillet 2010 Document 9 : défilé des engagés volontaires du Pacifique sur les Champs Élysées, le 8 mai 1945 Collection Dorbritz Le 8 mai 1945, la capitulation allemande marque la fin des combats en Europe. Les volontaires du Pacifique défilent alors sur les Champs Elysées à Paris en brandissant leur fanion qui s est couvert de gloire dans plusieurs combats.