Séminaire Faire vivre la laïcité Vendredi 8 janvier ENSIP Poitiers

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1 1 Séminaire Faire vivre la laïcité Vendredi 8 janvier ENSIP Poitiers Monsieur le président de l université de Poitiers, Monsieur l inspecteur académique directeur académique des services de l Education nationale de la Vienne Monsieur l inspecteur général (M. Reverchon- Billot) Mesdames et messieurs les chefs d établissement, Mesdames et messieurs les inspecteurs, Mesdames et Messieurs, Chers collègues, 1

2 Ce début d année 2016 est l occasion de vous offrir mes vœux. Je vous souhaite à toutes à et tous de vivre une année riche en complicité humaine et culturelle avec vos élèves, en complicité pédagogique avec vos équipes, en complicité citoyenne avec l ensemble des membres de la communauté éducative. Car c est bien de cela qu il a été question dans ce séminaire : comment rendre vivant, concret et animé un principe sans provoquer l effet opposé à celui qu on escompte : le rejet ou l indifférence? L enjeu est de taille dans un contexte pour le moins difficile. Nous sommes aujourd hui le 8 janvier : cette période du 7 au 9 janvier est associée désormais à de très douloureux souvenirs : ceux des attentats de janvier A travers elle, c est l opportunité de réfléchir ensemble à ce que peut l école laïque pour lutter contre la sidération produite par de telles violences. 2 2

3 Le 7 janvier dernier en effet, deux djihadistes français assassinaient 11 personnes au journal Charlie Hebdo. Le 8 janvier, un autre français radicalisé abattait une policière municipale à Montrouge et tuait le lendemain 4 autres personnes juives dans un hyper cacher du 20 ème arrondissement. Massacrés pour leur usage de la liberté d expression ou simplement à cause de leur identité, ces personnes étaient des dessinateurs, des humoristes, des serviteurs de l Etat ou des citoyens comme tant d autres. 3 Je vous propose de leur rendre hommage en observant une minute de silence. Le lendemain des attentats a vu naître des manifestations de solidarité du monde entier et des rassemblements sans précédent dans notre histoire. 3

4 L éveil des consciences qui s est alors produit en France a donné lieu dans l Education nationale à une réaction énergique, rapide et réfléchie. 4 Au lieu de se replier sur elle-même l institution a au contraire ouvert ses portes à la société et orchestré partout où c était possible une grande mobilisation pour les valeurs de la République. De là ont émergé, entre autres, les référents et formateurs laïcité dont certains sont présents dans cette salle, les réservistes de l Education nationale dont je salue la présence à nos côtés aujourd hui. Mais ce travail de grande ampleur entrepris dans les académies avait juste commencé lorsque le 13 novembre a redoublé nos peurs : plusieurs attaques terroristes ont eu lieu à Paris provoquant plus de 130 morts. L effroi est alors encore plus grand. Devant l ampleur de l événement, le gouvernement décide de prononcer l état d urgence. 4

5 Cette situation a des conséquences visibles dans les écoles et conduit chaque responsable d établissement scolaire à prendre des mesures de sécurité renforcées. C est donc dans un contexte d exception que s est déroulé ce séminaire. Son thème, «faire vivre la laïcité», nous a invité, au-delà des modalités pratiques de mise en œuvre d actions laïques qui ont été abordées lors des ateliers de l après-midi, à chercher ce que nous pouvons faire de nos peurs sans les balayer trop vite comme une sensibilité qu il faudrait à tout prix nier. Dans cet esprit, et comme pour tenter de poursuivre le dialogue avec Voltaire qui demandait «que répondre à un homme qui est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant?», je dirais que la ferme intention de ne pas renoncer dans la mission d éducation laïque qui nous est confiée, à former, outre des hommes et des femmes, les citoyens de demain serait un bon début! 5 5

6 Mais me direz-vous, cette mission est connue depuis longtemps et nul ne pense y avoir jamais renoncé. Certes! Cependant l année 2015 nous a montré qu enseigner la laïcité (au sens où l on inculquerait l histoire de l élaboration de la loi de 1905) n était peut-être pas une pratique suffisante ou suffisamment partagée par les différentes disciplines, ni même le biais le plus efficient pour qui veut mettre à l œuvre et en œuvre une démarche citoyenne. 6 Comme l indique judicieusement Philippe Meirieu : «On n enseigne pas les valeurs, on les fait vivre dans des situations où les élèves éprouvent qu elles les protègent et les aident à grandir : la question n est pas de réaffirmer les valeurs de la République, mais de les mettre en œuvre au quotidien dans les pratiques pédagogiques.» 6

7 L enjeu de la réforme du collège passe par une telle conscience de la réflexivité nécessaire à tout enseignement et c est à quoi nous devons tous nous employer pour permettre à notre école de ne plus laisser élèves sortir du système scolaire sans diplôme chaque année. 7 Si nous voulons contribuer à faire évoluer les mentalités, si nous pensons que l école doit, pour cela, éduquer à la citoyenneté - ce qui est inscrit au cœur de ses missions - alors ce n est pas en invoquant la laïcité comme on invoque une divinité que nous y parviendrons. De telles incantations ne produisent que des effets pervers parfaitement diagnostiqués. C est aussi le risque encouru lorsque l on se targue de faciliter le vivre-ensemble sans penser à toutes les ramifications que cette vie en commun avec l autre - différent de moi - peuvent avoir. 7

8 Il nous faut construire dans tous les domaines où l éducation doit jouer un rôle en particulier celui de la formation initiale et continue une conscience libre d adhérer ou non à des croyances religieuses, politiques ou idéologiques. Permettez-moi d insister justement sur la dernière partie de notre dogme laïque : «ou non». Car certains, nombreux, au nom de la liberté de croire, oublient ou feignent d oublier ce corollaire à la liberté de croire. Notre mission est bien d expliquer aux élèves, comme aux enseignants d ailleurs, toute la portée de la laïcité «à la française». 8 La loi ne saurait en effet suffire à exhorter chacun à des pratiques respectueuses de la liberté d autrui, égalitaires et fraternelles. C est la raison pour laquelle une éducation morale est nécessaire, sans pour autant entrer dans une morale spécifique. 8

9 Dans cette perspective, la mise en œuvre de l enseignement moral et civique sera décisive pour faire entendre les voix de l éducation au jugement mais aussi à la sensibilité et du droit. 9 De même, l école ne peut pas tout toute seule : c est pourquoi, remarque J.-P. Delahaye dans son rapport sur la grande pauvreté, «il n y a pas de réussite scolaire possible sans programme plus large de «réussite éducative» qui permette de nouer des solidarités fondées sur la conjugaison des compétences et des responsabilités sur un territoire». La grande mobilisation pour les valeurs de la République est allée dans la même direction en entérinant des partenariats de longue date comme avec la Ligue de l enseignement, et en consacrant ambassadeurs de la laïcité des associations partenaires, mais aussi des élèves. 9

10 C est également le sens de la création de la réserve citoyenne, qui, aux côtés des chefs d établissement, comme des enseignants, constitue une formidable opportunité de faire connaître l engagement des membres de la société civile par le biais de témoignages comme d activités éducatives ou péri- éducatives partagées. Le 11 janvier dernier 4 millions de français sont descendus dans les rues après les attentats. Ils ont tenu à montrer leur attachement non négociable à la liberté d expression ce droit qui unit croyants et incroyants, agnostiques et indécis au sein de notre modèle républicain. A la suite du 13 novembre, ce sont des millions d individus à travers le monde qui ont manifesté leur désir de vivre et de triompher de la peur comme de l intolérance. Un tel élan fraternel est rassérénant mais il ne doit pas nous aveugler sur ce qui peut unir les hommes

11 L émotion doit toujours être analysée et l enthousiasme se muer en volonté d action et d éducation pour tous. Ce qui unit les hommes ici et maintenant en France c est une République laïque. L idée d une telle République, portée d abord par les pères de la Révolution française, puis consolidée sous la III ème République, est celle de l autonomie du corps social, nullement contraint à adhérer à un sacré. Du reste, mais ce serait un autre débat : quel sacré? Gardons-nous d engager de telles discussions au sein de l Ecole, même si ces discussions philosophiques, historiques, théologiques - sont bien entendu intéressantes! Le projet républicain de construction de la citoyenneté passe ainsi par un respect de toutes les convictions religieuses, politiques ou culturelles, mais il exclut l explosion de la nation en communautés séparées qui s ignorent les unes les autres

12 Tel est l effort de pédagogie de la laïcité qui doit être mené : expliquer pourquoi l école n enseigne aucune croyance ni naturelle, ni religieuse, ni civile et pourquoi elle n inculque pas davantage la proscription de la croyance. 12 La mission de l école n est pas d opportunisme, elle est par nature celle de faire advenir aussi des citoyens ne l oublions pas! Et l on peut bien s avouer ici que sans ce travail de pédagogie au quotidien, deux conséquences ne tardent pas à se produire : l absence de transmission du sens de la laïcité d une part, l imposition autoritariste de son principe au nom de la loi de l autre. Dans les deux cas, le sens se perd de n être pas explicité. 12

13 Mais les biais que l école prend pour ce faire, le recours à l écriture, aux mythes, à la mise en scène d un procès comme on l a vu récemment au lycée Emile Roux à Confolens pour célébrer l anniversaire de la loi de 1905, sont autant de manières relevant de la liberté pédagogique qu il convient de respecter pour faciliter le travail de sortie de l état de sidération dans lequel les attentats ont plongé les élèves comme leurs familles. Ce sont également toutes les modalités du parcours citoyen que vous inventerez et auxquelles vous avez été conviés dès aujourd hui qui permettront de préparer les élèves à ce que demain ne soit pas équivalent à cet hier sombre où certains ont préféré la mort à la vie en commun dans une République laïque. 13 Rendre la culture désirable est, par conséquent, un moyen de tendre vers la finalité de l école comme de la laïcité : à savoir la liberté. 13

14 Je ne saurai conclure sans rendre hommage à celui qui nous a fait l honneur de sa présence parmi nous aujourd hui, Henri Pena-Ruiz, philosophe et grand défenseur de la laïcité à qui j emprunte ces mots : «La croyance, c'est peut-être quelque chose de fondamental, mais l'esprit critique ou la liberté de conscience ( ) supposent qu'on puisse garder suffisamment de distance entre son être et ce à quoi l'on croit.» 14 Je vous remercie. 14