Qu entend-on par États fragiles et en situation de post-conflit?
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- Valérie Lepage
- il y a 7 ans
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1 Le renforcement des collectivités territoriales peut-il offrir une stratégie efficace pour la reconstruction et la démocratisation dans les états fragiles et en situation post-conflit? Depuis l adoption des OMD au seuil du nouveau millénaire, le parcours vers leur réalisation en 2015 a été semé d embuches, notamment avec la récession mondiale, les défis que présentent le changement climatique et les catastrophes naturelles et les cas d instabilité et d insécurité régionales. Parmi ces difficultés, progresser vers la réalisation des OMD dans des États fragiles en situation de (post-)crise pourrait bien être le défi de développement le plus difficile à relever de notre ère. Il n est guère surprenant que les conflits, les crises, la fragilité et la pauvreté soient étroitement liés. Les États fragiles sont systématiquement en retard par rapport aux autres pays dans la réalisation des OMD, étant donné que l absence d institutions publiques fortes et de légitimité étatique ampute considérablement l efficacité des interventions du secteur public et des organismes de développement. Malgré la mise à disposition d importantes ressources financières de la part des instances militaires et des organismes internationaux de développement, le manque de progrès en termes de développement économique et de services publics dans des pays comme l Afghanistan, le Pakistan et le Yémen perpétue un cycle de sous-développement, d instabilité et de violence. Qu entend-on par États fragiles et en situation de post-conflit? Les organismes internationaux de développement et les institutions financières emploient différents termes pour désigner les États instables par nature présentant des niveaux de pauvreté extrêmement élevés et une vulnérabilité constante face aux crises et aux conflits. Au cours des de ces vingt dernières années, les termes «États fragiles», «États touchés par des conflits» et «États en situation de post-conflit» ont fait leur entrée dans notre vocabulaire, comme des descripteurs clés de la trentaine de pays profondément touchés par les conflits et la fragilité. Des éléments récurrents caractérisent ces États fragiles et en situation de post-conflit : des institutions publiques défaillantes, un produit intérieur brut (PIB) bas et des capacités et une légitimité des États limitées. En l absence d un pouvoir central fort et d institutions centrales bien établies, les collectivités locales constituent une alternative potentielle en tant qu acteurs de la lutte contre la pauvreté et que prestataires de services publics. 17
2 Qui sont les principaux acteurs intervenant dans les États fragiles et en situation de post-conflit? En l absence d institutions gouvernementales fortes et de légitimité de l État, l insécurité constitue souvent un obstacle important aux interventions de développement dans les pays fragiles et en situation de post-conflit. Ainsi, en plus de la participation habituelle des institutions financières internationales et des organismes bilatéraux et multilatéraux d aide au développement, il est fréquent d assister à l intervention directe des instances militaires dans les efforts de développement et à des actions de coopération civilomilitaire (CIMIC). De plus, il n est pas inhabituel que des organismes spécialisés de l ONU et des ONG interviennent dans des environnements fragiles et en situation de post-conflit, notamment lorsque de l aide humanitaire ou des services publics doivent être fournis aux réfugiés ou aux personnes déplacées dans leur propre pays. De quelle manière les collectivités locales peuvent-elles participer à la reconstruction des États, à la prestation de services publics et à la réalisation des OMD dans des pays fragiles et en situation de post-conflit? La réalisation des OMD dans des États fragiles et en situation de post-conflit nécessite de définir des solutions extrêmement ciblées. Les acteurs du développement intervenant dans les pays fragiles sont confrontés aux défis habituels de la pauvreté et de l affaiblissement des capacités des États, mais ils doivent en plus s adapter à un environnement fragile et souvent risqué. Bien qu il semble évident que les collectivités locales élues démocratiquement puissent jouer un rôle même dans un tel contexte, leur marge de manœuvre est grandement limitée dans des pays fragiles ou en situation de post-conflit. En effet, bien que relativement peu d éléments de recherche soient disponibles sur ce sujet, aucune collectivité locale ne semble être parvenue à obtenir des résultats probants dans des situations de conflit, quelles qu elles soient. Chose peu étonnante, l Iraq présente de grandes différences avec l Afghanistan, le Kosovo n a rien à voir avec la Sierra Leone et le Nord de l Ouganda n est pas le Timor-Leste. En effet, les réponses aux situations de post-conflit oscillent entre les stratégies de centralisation du secteur public (afin de mettre en place ou de maintenir la puissance étatique et de créer une administration publique) et les approches axées sur la décentralisation massive visant à la stabilisation du pays et à l émergence d une conscience collective. Il arrive parfois que des stratégies de centralisation et de décentralisation soient menées de front. Néanmoins, il ressort des expériences de différents pays certaines indications quant à l éventail des fonctions que les collectivités locales peuvent jouer dans des pays fragiles ou en situation de post-conflit. Par exemple, juste après un conflit ou une crise, l intervention d un organisme d aide spécialisé ou d une ONG internationale est généralement plus appropriée que celle 18
3 d un organisme du secteur public pour apporter des réponses à la crise et de l aide humanitaire. En revanche, si le pays en est au stade de chercher à revenir à une situation de fonctionnement normal à la suite d un conflit, la présence massive des ONG internationales et des donateurs peut réellement interférer avec la réappropriation par le secteur public de son rôle en tant que prestataire de services. Les organisations communautaires et les collectivités locales (ou quasi-locales) peuvent alors s avérer très utiles pour relancer la prestation de services publics et faciliter le retour des personnes déplacées. Dans de nombreux pays affaiblis, une stratégie courante consiste à introduire certains types des programmes ou de fonds de développement locaux ou communautaires. L absence d institutions publiques officielles et la faiblesse des infrastructures sociales des pays ont souvent nécessité que de telles interventions soient entreprises au niveau local afin qu elles soient participatives, responsables et efficaces. En effet, les leçons tirées de la mise en œuvre du Commune Development Fund au Cambodge, du Programme de solidarité nationale en Afghanistan et d autres fonds similaires dans des environnements en situation de post-conflit ont montré que le fait de collaborer étroitement avec les communautés est une condition importante à la réussite. Cela signifie que de telles dispositions post-conflit sont mieux adaptées à la mise en œuvre de projets d infrastructure à petite échelle qu aux interventions dont les implications sont importantes et récurrentes, telles que l éducation de base et les services de santé primaires. De plus, étant donné qu une économie fragile et en situation de post-conflit s améliore au fil du temps, ses structures de gouvernance locale ont souvent besoin d être consolidées ou réformées afin qu elles puissent s adapter aux capacités croissantes des collectivités locales de plus grande échelle pour fournir des services dans un environnement plus stable. De plus, la décentralisation et les collectivités locales jouent souvent un rôle essentiel dans la résolution des tensions politiques à l origine des situations de conflit. Ainsi, les réformes de décentralisation se sont avérées déterminantes pour contrecarrer les forces centrifuges lors de la transition russe, ainsi que lors de la crise politique en Indonésie qui a suivi l effondrement du régime de Suharto. La restructuration des collectivités locales a également joué un rôle important dans les réformes qui ont suivi l apartheid en Afrique du Sud, la fin de la guerre civile au Mozambique et les dispositions constitutionnelles récemment adoptées au Kenya. Pourquoi les collectivités locales ne sont-elles pas parvenues à réaliser leur potentiel dans les pays fragiles et en situation de post-conflit? L une des raisons principales pour lesquelles les collectivités locales ou quasi-locales ne parviennent souvent pas à réaliser leur potentiel dans un environnement fragile ou en situation de post-conflit est que bien qu elles soient plus susceptibles d être efficaces, elles sont les plus éloignées des autorités centrales et des donateurs. Souvent, à la suite de conflits ou de crises, le secteur public doit repartir de zéro, le gouvernement devant 19
4 faire face à tous les niveaux à des structures défaillantes, à l absence de personnel qualifié et à des capacités amoindries ou inexistantes quant à la prestation de services publics. De plus, les collectivités locales doivent fréquemment affronter un gouvernement central faible et précaire, disposant d un contrôle limité à la périphérie de l État (qui agit souvent sans vision d ensemble des systèmes intergouvernementaux en jeu). Il se peut que les dynamiques politiques et institutionnelles suivant un conflit accentuent les batailles intergouvernementales habituelles quant aux ressources et aux pouvoirs institutionnels, à l issue desquelles les collectivités locales en ressortent souvent perdantes. Comment libérer le potentiel des collectivités locales dans des pays fragiles et en situation de post-conflit? Parmi les divers contextes propres à chaque environnement fragile et en situation de post-conflit existant dans le monde, il semble que quelques éléments s appliquent de manière générale lorsqu il s agit de libérer le potentiel des collectivités locales en vue de soutenir le développement local et la réalisation des OMD. Tout d abord, les autorités centrales doivent reconnaître l utilité des collectivités locales et des organisations communautaires dans le processus de reconstruction et présenter une vision à long terme des relations intergouvernementales et de la gouvernance locale. Même s il ne s agit que d un plan à l état de projet, en définissant au préalable le futur rôle des collectivités locales décentralisées, les acteurs nationaux et internationaux auront une idée claire de la place qu occuperont les collectivités locales et les autres intervenants. Ensuite, plutôt que de fournir les services publics de base par l intermédiaire des organismes internationaux et des ONG nationales, les organismes de développement international devraient être enclins à faire appel aux autorités locales lorsque cela est possible. Cette approche va dans le même sens que la Déclaration de Paris et l Accord d Accra, mais surtout, le fait de rediriger les efforts internationaux vers les autorités et communautés locales permet de construire un capital social durable et une légitimité d État qu il ne serait pas possible d obtenir de la même manière avec des systèmes parallèles. Enfin, dans le contexte d un environnement fragile ou en situation de post-conflit, les conditions ne sont pas les mêmes que celles connues habituellement lorsque les organismes soutiennent la décentralisation de la gouvernance vers les collectivités. En conséquence, les systèmes intergouvernementaux «adaptés» à un environnement fragile ou en situation de post-conflit peuvent présenter d importantes différences avec ceux mis en place dans un contexte exempt de conflits, et être parfois moins efficaces ou plus limités que ces derniers. Il serait donc inapproprié de comparer l efficacité des collectivités locales agissant dans un environnement particulièrement fragile avec celle des collectivités intervenant dans un contexte de développement stable. En revanche, il serait plus judicieux de comparer les performances des collectivités locales dans des pays 20
5 fragiles et en situation de post-conflit avec l efficacité (ou l inefficacité) des institutions nationales intervenant dans le même type d environnement. Questions à débattre : 1. Quel rôle les collectivités locales peuvent-elles jouer dans un contexte de crise, de post-crise ou de vulnérabilité, et quelles sont les limites de leur champ d action? 2. Le renforcement des collectivités locales peut-il constituer une stratégie efficace pour aider à la réduction de la pauvreté et à la réalisation des OMD dans une situation de fragilité ou de post-conflit? 3. Quels éléments doivent être pris en compte lorsque l on cherche à localiser les interventions de développement dans un environnement fragile ou post-crise? 4. Ces interventions de développement au niveau local sont-elles compatibles avec un système efficace de relations intergouvernementales à long terme? 5. Quel rôle ont joué les collectivités locales dans les processus de reconstruction à long terme? Grâce à quels facteurs ont-elles été en mesure de jouer un tel rôle? À quelle étape du développement les collectivités locales sont-elles intervenues pour jouer ce rôle et à quel moment ont-elles bénéficié de la reconnaissance et du soutien de l État? 21
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