Portrait des journalistes indépendants québécois en 2013

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1 Portrait des journalistes indépendants québécois en

2 Portrait des journalistes indépendants québécois en

3 Points saillants Les journalistes indépendants ont en moyenne la mi- trentaine et des études universitaires. La plupart comptent sur des clients en région métropolitaine. Un journaliste indépendant gagne en moyenne 80 % des revenus d un journaliste québécois moyen. Si on ne tient compte que de ses activités journalistiques, elles ne lui rapportent en moyenne que 54 % des revenus d un journaliste «moyen». 77 % des répondants affirment se livrer à des activités professionnelles complémentaires. En 2013, les revenus totaux des journalistes indépendants ne sont plus que 69 % de ce qu ils étaient en Leurs revenus tirés uniquement du journalisme indépendant, eux, ne sont plus que 59 % de ceux qu ils étaient en Au moins 66 % des répondants qui ont vu leur pouvoir d achat reculer dans les cinq dernières années. En moyenne, les femmes gagnent 14 % de moins que les hommes au total. Leurs revenus tirés du journalisme indépendant, eux, sont près de 25 % moins élevés. Dans toutes les catégories sauf le photojournalisme, les hommes gagnent en moyenne plus que les femmes pour le même média. En écriture magazine, par exemple, les femmes gagnent en moyenne $ par an, contre $ pour les hommes. Les retards de paiement touchent plus de 60 % des répondants. Suivent la cession des droits d auteurs et moraux, qui peuvent priver les journalistes indépendants de revenus, mais aussi du droit de regard sur leurs œuvres, sur les modifications qui peuvent y être apportées et sur leur utilisation extérieure. Même si la majorité des répondants affirment refuser tout contrat entrant en contradiction avec le code de déontologie, reste que 26 % d entre eux ont répondu qu il leur «arrive tout de même d accepter des contrats qui contreviennent au code de déontologie». À la question : Songez- vous quitter le journalisme indépendant dans un horizon rapproché (2 ans), 27 % des répondants répondent par l affirmative. 21 % des répondants affirment avoir des idées pour lancer de nouveaux médias, alors que 8 % les ont déjà concrétisées et sont impliqués dans leur propre média. Sur le plan des solutions, la négociation collective, sur le modèle de l Union des artistes, est l option remportant le plus d adhésion, avec 74 % des répondants. Elle est suivie de la création d un ordre professionnel des journalistes, avec 40 % d adhésion. L entrepreneuriat et le lancement de nouveaux médias représentent une solution pour 25 % des répondants, alors que la négociation individuelle avec les clients remporte 14 % d adhésion. Seulement 3 % des répondants affirment que le statu quo est envisageable. 3

4 Introduction Depuis 30 ans, quelques coups de sonde ont été lancés dans l univers des journalistes indépendants pour évaluer leur niveau de vie et leurs conditions de pratique. L AJIQ a estimé qu il est temps de dresser à nouveau le portrait des précaires de l info, afin d éclairer les débats des États généraux du journalisme indépendant, le 28 septembre La dégradation des revenus et des conditions de travail révélée par les différents sondages depuis 30 ans se poursuit- elle? À quoi ressemble la vie d un journaliste indépendant au Québec en 2013? En 1981, c est le défunt Regroupement des journalistes du Québec qui sonde les pigistes. De cette analyse, le regroupement, affilié à la FPJQ, dévoile que les pigistes gagnent en moyenne $, dont $ par la pratique du journalisme en tant que tel. La plupart travaillent alors pour des médias écrits, nous rappelle Pierre Sormany dans un article du Trente de Pour 57 % des répondants, plus de 80 % de leurs revenus viennent du journalisme. En 1992, c est au tour de l AJIQ, fondée en 1988, de sonder les journalistes indépendants (JI), de concert avec le Groupe de recherche sur les industries culturelles et l information sociale (UQAM). Le revenu médian des répondants se situe à $ par an. Dans un autre sondage de 1991 (90 répondants), on constate qu en 10 ans, le revenu moyen des JI est passé à $, ce qui, compte tenu de l inflation, maintient tout juste leur niveau de vie. L écart entre les résultats de ce sondage et celui de l AJIQ mené à la même époque pourrait s expliquer par le fait que, dans celui qui dévoile les revenus les plus élevés, tous les contrats sont inclus : contrats à salaire (de recherchiste, par exemple), revenus de rédaction, revenus hors journalisme, etc. La médiane, elle, s élève à $ par an. Mais, une chose a changé : la portion de revenus tirés exclusivement du journalisme ne représente que $ en moyenne (médiane ), ce qui fait dire à Pierre Sormany en 2003 que, pour vivre, les JI doivent compter sur d autres activités, comme la communication, l enseignement, la rédaction Les pigistes qui bouclent leur budget grâce au journalisme presque exclusivement sont passés de 57 % en 1981 à 35,6 % en 1991 En 2002, la FPJQ mène un troisième coup de sonde (96 répondants). Les JI travaillent de plus en plus pour de moins en moins de revenus : $ en moyenne, ce qui, compte tenu de l inflation, représente une baisse de 28 % du niveau de vie par rapport à Et ce n est pas faute de bosser : 43 % des répondants disent travailler plus de 40 heures par semaine. En , l AJIQ a également sondé ses membres, avec l appui de la forme MCE Conseil. Le constat est alarmant : les revenus moyens tirés exclusivement de la pige s élèvent à $ en 2003 et à $ en Les JI arrivent à plus ou moins doubler ce salaire en s adonnant à d autres activités. 4

5 Méthodologie Ce sondage a été réalisé à l aide de la plateforme Google Drive. Ce sondage est composé d un échantillon volontaire de 106 journalistes indépendants actifs, recrutés sur le Web entre le 12 et le 26 août Cela représente 16,5 % des journalistes indépendants du Québec, se déclarant comme tel en 2011 dans l Enquête nationale sur les ménages de Statistique Canada. La diffusion du sondage a été réalisée à l aide des listes de l AJIQ, des réseaux sociaux ainsi que des bulletins de différentes associations AJIQ, FPJQ, ACS. Les répondants étaient admissibles au tirage de prix de participation. Il s agit d un échantillon non probabiliste : à la lumière des résultats, on peut croire que des groupes pourraient être sous- représentés, par exemple : Hommes (35 % de l échantillon); Journalistes de 10 à 14 ans d expérience (8 % de l échantillon); Journalistes travaillant en région (13 % de l échantillon). Un échantillon de 14 répondants ayant quitté le journalisme indépendant depuis moins de 2 ans a également répondu à quelques questions spécifiques à leur sous- groupe. Cet échantillon a également répondu à la portion du sondage portant sur l avenir du métier, portant à 120 le nombre de répondants pour cette section. Statistiques Les données ont été récupérées de la plateforme Google Drive pour être analysées dans le logiciel Microsoft Excel. Certaines données marginales poussant les moyennes vers le haut ou vers le bas ont pu être retirées de certains calculs de revenus moyens et médians. Concernant les revenus, les écarts entre les moyennes, lors de comparaisons, ne sont pas statistiquement significatifs selon le calcul des intervalles de confiance et représentent une tendance les intervalles de confiance se croisent en raison de la petite taille des sous- échantillons. On doit également interpréter avec prudence les données comparatives, étant donné la petite taille des sous- groupes (recherchistes, photojournalistes, etc.). Le calcul en dollars constants a été effectué à partir de la formule de Statistique Canada basée sur l indice des prix à la consommation, en utilisant juin 2013 comme référence pour l année en cours (122,9). 5

6 Résultats Qui sont les journalistes indépendants québécois? Les répondants ont en moyenne 38 ans, la médiane étant de 35 ans. Les femmes semblent surreprésentées dans cet échantillon (65 %), si l on compare avec les résultats de L Enquête nationale auprès des ménages de Statistique Canada : en 2010, 47 % des journalistes indépendants étaient, en fait, des journalistes indépendantes. De deux choses l une : soit les femmes ont été plus nombreuses à répondre à notre sondage, soit celles- ci sont, en 2013, plus nombreuses à pratiquer le métier à leur compte. La proportion de femmes journalistes indépendantes tend à varier, comme en témoigne le recensement canadien de 2006, lors duquel 55 % des journalistes indépendants étaient des femmes, contre 45 % lors du recensement de Les journalistes indépendants ont, pour la plupart, complété des études universitaires : La majorité des répondants sont membres de l Association des journalistes indépendants (35 %) et/ou de la FPJQ (41 %). Quelques- uns sont membres de l Association des communicateurs scientifiques du Québec (6 %) ou de l Union des écrivains québécois (UNEQ) (4 %). L expérience professionnelle des répondants s étend du statut d étudiant au journaliste d expérience, bien que les journalistes cumulant de 10 à 14 d expérience semblent sous- représentés. Il est également possible que davantage de journalistes décident de pratiquer de manière indépendante en début et en fin de carrière. 6

7 Les répondants œuvrent dans de nombreux médias différents. Le graphique montre la répartition des journalistes indépendants en fonction du média qui constitue leur donneur d ouvrage principal : Les clients des répondants se trouvent surtout en région métropolitaine, au Québec, bien qu on observe une certaine variabilité : Les intérêts des répondants sont variés. Certains se spécialisent dans un domaine en particulier : 7

8 Combien gagnent- ils? L Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada révèle qu au Québec, 640 personnes se déclarent «journalistes indépendants», dont 47 % de femmes. Selon cette enquête, les journalistes indépendants comptent pour une proportion de 15 % du total des journalistes travaillant au Québec En 2010, il y avait 4300 journalistes au Québec (Statistique Canada, 2013). Cette même enquête nous apprend qu en moyenne, un journaliste québécois (salariés et indépendants confondus) gagnait $ en 2010, salaire moyen porté à $ lorsque les avantages sociaux y sont inclus. En dollars de 2013, cela représente $. Le sondage de l AJIQ fait ressortir qu en moyenne, les journalistes indépendants québécois déclarent des revenus de $, dont seulement $ sont tirés de leurs activités de journaliste indépendant. Un journaliste indépendant gagne donc 80 % du revenu d un journaliste québécois moyen. Et encore, si on ne tient compte que de ses activités journalistiques, elles ne lui rapportent en moyenne que 54 % des revenus d un journaliste «moyen». Pas étonnant alors que, dans ce sondage, 72 % des répondants affirment être insatisfaits de leurs revenus. Pour survivre, 77 % des répondants affirment se livrer à des activités professionnelles complémentaires : enseignement (7 %), contrats en communication (30 %), journalisme à titre de salarié (17 %), par exemple. C est ce qui leur permet d obtenir un niveau de revenu plus décent, surtout si on considère que la plupart plus de 85 % ont fait des études universitaires. Ces moyennes, lorsqu on les compare aux résultats de sondages précédents, permettent de constater qu en dollars constants, les revenus des journalistes indépendants sont en chute libre depuis 30 ans. Le graphique suivant l illustre bien : En 2013, les revenus totaux des journalistes indépendants ne sont plus que 69 % de ce qu ils étaient en Leurs revenus tirés uniquement du journalisme indépendant, eux, ne sont plus que 59 % de ceux qu ils étaient en Noter que la donnée «revenus tirés du journalisme indépendant» de émane d un sondage de membres de l AJIQ uniquement, et pourrait sous- estimer la réalité. 8

9 Les revenus des journalistes indépendants croissent avec les années d expérience. Ainsi, un journaliste indépendant qui a plus de 10 ans d expérience se rapproche, sans l atteindre, du salaire moyen des journalistes au Québec. Le graphique suivant illustre cette évolution : ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ 5 000,00$ 0,00$ Étudiant 5 ans et - 5 à 9 ans 10 à 14 ans Plus de 15 ans Revenus - autres Revenus - Journalisme indépendant C est au moins 66 % des répondants qui ont vu leur pouvoir d achat reculer dans les cinq dernières années, car la majorité affirme que ses revenus ont stagné ou reculé pendant cette période : Depuis 5 ans, vos revenus... 23% 43% 34% Ont augmenté 9

10 Le fossé homme femme : une réalité qui perdure L Enquête nationale auprès des ménages de 2011 de Statistique Canada permet de dégager que les femmes journalistes, au Québec, ont un revenu moyen avec traitement de $, alors que pour les hommes, c est $. Les femmes journalistes gagnent donc en moyenne près de 17 % de moins que les hommes. Les journalistes indépendants n échappent pas à cette réalité, confirme le présent sondage. En moyenne, les femmes gagnent 14 % de moins que les hommes au total. Leurs revenus tirés du journalisme indépendant, eux, sont près de 25 % moins élevés que ceux de leurs confrères masculins. Le tableau suivant montre les revenus moyens des journalistes indépendants selon le genre, avec l intervalle de confiance. Figure 1 Les hommes gagnent en moyenne de à $, alors que les femmes gagnent en moyenne de à $. Figure 2 Les hommes tirent en moyenne $ à $ du journalisme indépendant, contre $ à $ pour les femmes. Quelques éléments peuvent expliquer, du moins en partie, cet écart. D abord, les hommes sont plus nombreux (26 %) à se consacrer plus de 40 heures par semaine au journalisme indépendant 13 % des femmes en font autant. Les femmes sont plus nombreuses à y consacrer de 16 à 35 heures par semaine (52 %) que les hommes (26 %). Mais comme ces semaines de travail ne comptabilisent pas les heures consacrées à une autre activité professionnelle, il est plutôt difficile d en tirer une conclusion ou d affirmer que les femmes travailleraient tout simplement moins. Les femmes choisissent- elles davantage l indépendance pour concilier travail et famille? C est aussi une hypothèse. Dans toutes les catégories sauf le photojournalisme, les hommes gagnent en moyenne plus que les femmes pour le même média. En écriture magazine, par exemple, les femmes gagnent en moyenne $ par an, contre $ pour les hommes. On peut se demander si les magazines féminins ou axés sur la famille, auxquels collaborent surtout des femmes, paient moins bien que la moyenne. Ou si les magazines d affaires publiques, qui offrent de meilleures conditions, donnent davantage de contrats aux hommes qu aux femmes. Des questions auxquelles ce sondage ne permet pas de répondre, mais qui présentent des avenues de recherches intéressantes pour l avenir. 10

11 Figure 3 Revenus moyens selon le média, pour les femmes (rose) et les hommes (bleu). Dans tous les secteurs sauf le photojournalisme, les hommes gagnent davantage. Cet écart entre les hommes et les femmes semble créer une certaine précarité. En effet, seulement 4,6 % des femmes en couples peuvent se vanter de gagner le salaire le plus élevé du duo, contre 21 % des hommes. Plus de 32 % des femmes journalistes indépendantes gagnent moins que leur conjoint, alors que 35 % doivent arriver avec ces revenus tout en habitant seule. Chez les hommes, seulement 18 % déclarent gagner moins que leur conjointe. Fait à noter, tous les répondants déclarant plus de dollars par an de revenus totaux étaient des hommes - bien que très peu nombreux. Le plus haut revenu total déclaré par une femme journaliste indépendante était de $ par an. 11

12 Le média influence les conditions de pratique Le photojournalisme reste le parent pauvre du journalisme indépendant. Mais cette donnée est à interpréter avec prudence, étant donné le faible nombre de répondants (5) ayant déclaré le photojournalisme comme activité principale. Suivent de peu le Web et la presse écrite. Il est également inquiétant de constater que le secteur du Web et du multimédia reste moins bien rémunéré que les secteurs traditionnels, étant donné la migration du journaliste vers les plateformes en ligne. Les secteurs du magazine et de la radio et de la télévision sont les mieux rémunérés ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ ,00$ 0,00$ Revenus - autres Revenus- Journalisme indépendant Le feuillet de 250 mots est souvent l unité de base utilisée en presse écrite et en magazine pour les tarifs. En presse écrite, le tarif moyen au feuillet déclaré par les répondants s élève à 85 $, contre 108 $ dans le secteur des magazines. Il existe encore, en 2013, des magazines qui paient 25 $ le feuillet, comme en témoigne la réponse d un répondant, alors qu au maximum, un répondant déclare recevoir 300 $ du feuillet dans un magazine. En moyenne, le pire tarif au feuillet accepté par des journalistes indépendants de la presse écrite s élève à un peu plus de 55 $, et le meilleur à 136 $. En magazine, la moyenne de pires 12

13 tarifs au feuillet acceptés est de près de 80 $, et le meilleur tarif obtenu, toujours en moyenne, est de 146 $. En presse écrite, un répondant déclare recevoir 19 $ du feuillet de son pire client, alors qu un autre rapporte recevoir 300 $ du feuillet de son meilleur client. Des problèmes récurrents Les journalistes indépendants, outre les aléas financiers, peuvent rencontrer divers problèmes dans leur pratique. Ils disent avoir été confrontés dans leur carrière aux écueils suivants. Ils pouvaient en identifier plus d un : Poursuite judiciaire 1% Obligation de contrevenir au code de déontologie Clients qui ne paient pas du tout Autre 15% 17% 18% Reproduction non autorisée 25% Cession des droits moraux 32% Cession des droits d'auteurs 44% Retards de paiement (plus de 30 jours) 62% 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% Les retards de paiement touchent plus de 60 % des répondants. Suivent la cession des droits d auteurs et moraux, qui peuvent priver les journalistes indépendants de revenus, mais aussi du droit de regard sur leurs œuvres, sur les modifications qui peuvent y être apportées et sur leur utilisation extérieure. On remarque aussi que le quart des répondants a été confronté à la reproduction non autorisée de son travail. Les factures impayées sont également relativement courantes. Un répondant a affirmé avoir de l affronter une poursuite judiciaire. L éthique parfois mise à mal Les conditions de travail des journalistes indépendants les forcent- elles à certaines entorses à l éthique professionnelle et au code de déontologie des journalistes? Même si la majorité des répondants affirment refuser tout contrat entrant en contradiction avec le code de déontologie, reste que 26 % d entre eux ont répondu qu il leur «arrive tout de même d accepter des contrats qui contreviennent au code de déontologie». Les exemples de ses accrocs sont éloquents à cet égard, comme en témoignent les réponses à la question ouverte sur le sujet. 13

14 D abord, les journalistes indépendants sont sollicités par des clients qui ignorent, intentionnellement ou non, le code d éthique journalistique : «On me dit qui interviewer. On m'informe que tel type de contenu n'est pas envisageable. On m'invite à l'autocensure.» «Un contact dans une firme de consultants m'a demandé de former ses clients dans leurs relations avec les médias. C'est une tâche qui est précisément exclue du Code de déontologie.» «Pour un petit média indépendant (avec statut d'obnl et d'organisme de bienfaisance), j'ai dû réaliser une série d'entrevues déguisées en publireportage sans que cela soit mentionné comme tel, sous pression que le média avait besoin de l'argent de cette entente. Les questions de l'entrevue étaient même écrites à l'avance.» Parfois, les journalistes indépendants sont contraints d accepter ces contrats : «Une ou deux fois par année, lors de creux, il faut accepter certains contrats pour vivre. Je parle ici de contrats en communication ou parfois des publireportages. Je tente toutefois de choisir des lieux d'activités qui sont très éloignés des sujets que je traite côté journalisme. La plupart du temps, ça fonctionne bien je tente d'être le plus fidèle possible au code, mais j'ai une famille vous savez...» «Il m'est arrivé d'accepter de réaliser le portrait d'entreprises ayant acheté de la publicité dans un journal.» «J'ai renoncé à ma carte de presse pour prendre des contrats dans le milieu que je couvre. Je parle ouvertement des conflits d'intérêts potentiels avec les éditeurs concernés et décline donc certaines commandes.» Et quand ils refusent, ce sont les revenus qui en souffrent : «À cause de ma décision de ne pas signer contrats de telles commandes, j'ai perdu et continue de perdre du travail.» Le journalisme n étant pas encadré par un ordre professionnel, certains se sentent moins contraints que d autres par le code de déontologie, même si cela semble relever de l exception : «En fait, je n'ai pas de code d'éthique comme journaliste, puisque je ne suis pas membre des associations.» On peut de demander si les conditions de pratique, qui poussent des journalistes indépendants à accepter des contrats alimentaires qui contreviennent pourtant à leur code de déontologie, ne participent pas à éroder la confiance que le public accorde à la communauté journalistique. Il 14

15 semble probable que ce soit les faibles revenus qu on peut tirer de la pratique du journalisme indépendant qui poussent certains à accepter des contrats qui se situent dans une zone grise de l éthique. La majorité des journalistes indépendants cumulent d autres activités professionnelles. Questionnés sur la proportion de leur temps de travail consacré au journalisme indépendant, voici leurs réponses : Seulement 23 % des répondants se consacrent uniquement au journalisme indépendant. Voici ce qui occupe en partie les répondants qui déclarent d autres activités professionnelles : Conséquemment, la majorité des journalistes indépendants se consacrent à cette activité à temps partiel. Voici leurs réponses lorsqu on demande aux répondants combien d heures par semaine ils consacrent au journalisme indépendant : Il faut garder en tête qu en plus de cette semaine de travail, plus de 75 % des répondants se consacrent aussi à une deuxième activité professionnelle. 15

16 Quel avenir pour le journalisme indépendant? Comment les journalistes indépendants entrevoient- ils l avenir? Comptent- ils rester dans le métier? Ont- ils des solutions à proposer? À la question : Songez- vous quitter le journalisme indépendant dans un horizon rapproché (2 ans), 27 % des répondants répondent par l affirmative. Ceux qui ont déjà quitté, un échantillon de 14 anciens journalistes indépendants, affirment s être recyclés dans les domaines suivants : 64 % de ces anciens journalistes indépendants affirment avoir quitté le métier, car leurs revenus étaient insuffisants, alors que la moitié évoque les conditions de travail inacceptables ou encore une opportunité à saisir. Seulement 5 sur 14 évoquent le manque de contrats. Les répondants pouvaient cocher plus d une affirmation à cette question. Certains réfléchissent peut- être à quitter le métier, d autres envisagent plutôt de créer de nouveaux médias. En effet, 21 % des répondants affirment avoir des idées en ce sens, alors que 8 % les ont déjà concrétisées et sont impliqués dans leur propre média. Pas étonnant : ces dernières années, plusieurs médias indépendants ont vu le jour : Nouveau Projet, le Journal Ensemble, Inouï, pour ne nommer que ceux- là, sont tous des initiatives de journalistes indépendants. Ces derniers fondent de nouveaux médias qui respectent leurs collaborateurs et offrent des conditions de travail généralement plus décentes que l industrie. L entrepreneuriat est certes une solution, mais qui ne peut régler l ensemble des problèmes vécus par les journalistes indépendants, dans un contexte où la propriété de la presse est de 16

17 plus en plus concentrée entre les mains de quelques gros joueurs? Pour améliorer les conditions de pratique du journalisme indépendant, voici les solutions retenues par les répondants : Les répondants pouvaient donner plus d une réponse à cette question. À noter, les journalistes indépendants (N=106) et ceux ayant quitté le métier depuis 2 ans moins (N=14) pouvaient répondre à cette question. La négociation collective, sur le modèle de l Union des artistes, est l option remportant le plus d adhésion, avec 74 % des répondants. Elle est suivie de la création d un ordre professionnel des journalistes, avec 40 % d adhésion. L entrepreneuriat et le lancement de nouveaux médias représentent une solution pour 25 % des répondants, alors que la négociation individuelle avec les clients remporte 14 % d adhésion. C est 7 % des répondants qui affirment avoir d autres idées. Seulement 3 % des répondants affirment que le statu quo est envisageable. *** 17

18 Quel avenir se dessine pour le journalisme indépendant au Québec? Demandait- on finalement aux répondants. Voici quelques extraits. «Il sera de plus en plus rare de voir des gens qui gagnent leur vie 100 % avec de la pige écrite. La qualité de l'information va en souffrir.» «Je pense que l'on s'en va de plus en plus vers les simples réécritures de communiqués et plus de journalisme, ce qui me fait très peur. Je pense que le métier de journaliste est indispensable dans une démocratie et que nous devons agir pour éviter que le métier ne s'éteigne.» «Mon conseil à la prochaine génération? Choisissez un autre métier.» «Très inquiétant. Les entreprises de presse vendent leur lectorat aux commanditaires publicitaires et non plus un contenu à leurs lecteurs. La qualité du contenu est maintenant secondaire. Tout le monde peut se dire journaliste sans avoir à répondre d'un code déontologique ni faire preuve de la rigueur journalistique à laquelle nous, journalistes, nous conformons.» «Rapport de force économique quasi inexistant, face à des géants sans scrupule comme Quebecor et Transcontinental, la route sera longue et pénible pour améliorer significativement les revenus des JI, si jamais on y parvient.» «Avec les contrats de plus en plus abusifs, et avec la mentalité du on veut être les premiers à le diffuser, on est en train de tuer le journalisme de qualité. Pourtant, les gens, la population veut du vrai, du bon. Les photoreportages sont aussi de moins en moins présents dans la presse écrite. Pourtant. Moi, ma clientèle en redemande.» «Je crois que de plus en plus en plus, les grands médias feront affaire avec des pigistes plutôt que d'embaucher des permanents, vu les potentiels du télétravail, ce qui augmentera le nombre de pigistes sur le marché et la compétition entre eux. Probablement que ce phénomène risque d'engendrer une stagnation des tarifs, voir peut- être une baisse, si rien n'est fait pour contrer la précarité des journalistes indépendants. La solution pourrait être politique (négo collective) ou entrepreneuriale (coopérative?).» «Malgré les conditions généralement difficiles des journalistes indépendants, je crois que l'avenir de cette profession est assez positif. Comme de moins en moins de publications engagent des journalistes permanents, les journalistes talentueux se tournent de plus en plus vers la pige et ainsi, on considèrera à l'avenir plus le travail des auteurs autonomes.» Des journalistes indépendants d expérience livrent d ailleurs leurs réflexions : «Je travaille dans le milieu de la télé depuis plus de 20 ans et ce que je constate c'est que les budgets diminuent, le temps alloué à la recherche et aux tournages aussi, alors que la charge de travail augmente. Et par conséquent, les heures travaillées. Le contenu est de moins en moins important et constitue généralement la plus petite portion des budgets. Avec l'arrivée des médias sociaux et les difficultés des médias en général, le contenu appartient à tout le monde. L'expérience a de moins en moins de valeur. On privilégie les 18

19 jeunes qui coûtent moins cher, peu importe qu'ils aient de l'éthique professionnelle ou non. Et ceux qui cumulent 2 ou 3 compétences : journaliste à la recherche ET assistante à la réalisation OU coordonnatrice de production. Les postes ouverts dans les médias sociaux exigent que l'on soit parfaitement bilingue à l'oral comme à l'écrit (!). Les contrats sont de moins en moins longs. Et tout le monde se retrouve sur le marché du travail en même temps. Bref, tout se déglingue.» «J'ai fait du journalisme indépendant depuis Ce qui était un pis aller est devenu, carrément, insupportable. La compétition a décuplé, les contraintes également. J'ai refusé une proposition d un magazine récemment, qui m'a commandé un... demi- feuillet. Une proposition qui est venue 2 mois après mes suggestions! Avec, entretemps, des tonnes de courriels d'échange pour une chiure de mouche de quelques lignes avec, en appât, un fabuleux 150 $! J'ai répondu que j'en étais à 15 $/heure et que je refusais.» «J'ai été journaliste indépendante à temps plein il y a 7-8 ans, puis j'ai eu un emploi que j'ai quitté depuis 1 an et demi pour retourner au journalisme indépendant, activité que je pratique à temps très partiel maintenant que j'élève mes enfants à temps plein, ou presque. Je remarque que les conditions se sont détériorées depuis 7-8 ans, il y a bien moins d opportunités qu'avant, et il faut signer des contrats longs comme le bras comme quoi on renonce à nos droits (et même parfois qu'on prend aussi la responsabilité en cas de problème). Les tarifs n'ont pas bougé. Mon mari est présentement le principal salaire. Si je devais vivre de mon métier, il est certain que j'opterais pour autre chose. Je pratique ce métier par passion, mais il y a des limites à aimer la pauvreté.» Plusieurs mentionnent des solutions pour sortir de ce marasme : «Il va stagner et même reculer si les journalistes ne se dotent pas d'un modèle de négociation collective apparenté à l'union des artistes, si le Conseil de presse n'a pas des dents (un vrai tribunal) et si les journalistes ne se constituent pas en un Ordre professionnel.» «Sur le front des tarifs, ils stagnent depuis 40 ans. Ce n est pas demain la veille que ça va changer... à moins que l'ajiq ne devienne l'uda des journalistes.» Si le modèle de négociation collective (basé sur le modèle de l'uda) est mis en place, cela risque d'accentuer les écarts de conditions de travail entre les journalistes établis et les nouveaux journalistes, créant une élite de journalistes privilégiés (ayant accès aux contrats et aux conditions garanties par les ententes collectives), tandis que la majorité des pigistes n'auront pas accès au travail sous «conditions AJIQ». Comme c'est le cas à l'uda aujourd'hui, seuls les journalistes déjà reconnus auront accès facilement au statut de membre régulier et beaucoup de journalistes de la relève devront rester des membres «stagiaires» pendant de nombreuses années avant d'accéder aux «contrats AJIQ». «Vivement une loi pour encadrer la pratique de notre métier. Les entreprises de presse ont prouvé que l'autorégulation, ça ne marche pas.» 19

20 «La volonté d'informer le public doit primer sur les motivations financières des entreprises de presse. Il faut que les journalistes indépendants apprennent à se brander pour remettre l'information au premier rang.» «Plus les journalistes développeront le sens des affaires, mieux ils seront outillés à faire face aux pressions des patrons.» «Tant qu'il n'y aura pas une association professionnelle forte d'une loi sur le statut des journalistes semblable à celle sur le statut des artistes, nous ne pourrons pas imposer des tarifs minimaux ni des conditions décentes, comme de refuser de renoncer à nos droits d'auteurs et moraux.» «La création d'un ordre professionnel des journalistes me semble une solution intéressante.» «L'avenir du journalisme indépendant passe, selon moi, par la mise en place de médias indépendants qui peuvent offrir aux journalistes une réelle liberté de pensée et d'action. Les modèles d'affaires pour ces nouveaux médias restent à inventer (on peut penser à des modèles de sociofinancement ou de propriété collective à but non lucratif), mais ils doivent garantir une réelle indépendance économique aux entreprises de presse et par extension aux journalistes.»

21 Conclusion Les conséquences de la précarité Ce sondage démontre la triste réalité des journalistes indépendants, des gens de passion qui travaillent avec acharnement pour offrir une information de qualité. Près du tiers quitteront la profession dans les prochaines années, d autres s adonnent à des activités de communications ou de relations publiques pour arriver à joindre les deux bouts. Et d autres doivent accepter des mandats contrevenants à leur code de déontologie : une demande d un client pour un reportage publicitaire signé, une révision d article par l annonceur avant publication, un mandat de rédaction corporative très lucratif Tout pour éviter de perdre des clients, des contrats des revenus. Il est inacceptable qu un journaliste indépendant gagne la moitié du salaire d un journaliste salarié, sans sécurité d emploi ni avantages sociaux. Et le talent n est pas en cause! Si les journalistes de grand talent quittent la profession, comment les magazines vont- ils remplir leurs pages? Le lectorat ne suivra pas que des chroniqueurs et des spécialistes. La démarche journalistique est essentielle pour une information de qualité. Il est encore moins acceptable que les journalistes indépendants doivent accepter des contrats publicitaires ou de la rédaction corporative pour arrondir les fins de mois, voire pour nourrir leur famille. Les commentaires du sondage sont troublants, dépeignent une réalité inéquitable entretenue par des entreprises de presse qui vendent des produits à un public cible, plutôt qu un contenu journalistique de qualité. Comment peut- on espérer garder une saine démocratie dans un contexte où l information objective et la démarche journalistique n ont plus de valeur? Il n est pas plus acceptable qu un journaliste indépendant doive s appuyer sur un conjoint ou accepte un mode de vie moindre pour continuer à pratiquer leur métier avec passion. Les journalistes indépendants sont majoritairement des diplômés universitaires. Comment expliquer que les femmes gagnent moins alors qu elles travaillent pour le même média, en 2013? Est- ce raisonnable de penser qu une mère qui travaille à la pige ne pourrait pas vivre de ses revenus, mais qu elle peut les justifier parce que c est seulement un revenu d appoint? Est- ce acceptable de penser que des conditions de travail font en sorte qu une personne habitant seule arrive à peine à vivre de son travail? Aucun journaliste, aucun employé, encore moins un entrepreneur au Québec accepterait d engranger 60 % moins de revenus qu en La FPJQ révélait elle aussi les résultats d un sondage sur la précarité récemment qui affirmait que six répondants sur dix craignaient d être dans une situation de précarité dans les prochaines années. On estime à 600 le nombre de journalistes qui pratiquent à la pige au Québec et cette classe de journalistes ne fera qu augmenter! Malgré ce portrait noir, il y a de l espoir. Personne ne souhaite rester dans le statu quo. Il faut agir pour améliorer les pratiques des journalistes indépendants. Depuis 25 ans, 21

22 l AJIQ souhaite offrir de meilleures conditions de pratique pour les journalistes indépendants. Nous souhaitons offrir des solutions à la stagnation des tarifs, aux clauses de contrats abusives, au rapport de force inégal entre les entreprises de presse et les journalistes. La solidarité des journalistes indépendants est capable de grandes choses, on a pu le constater récemment. TC Media a revu son contrat à la suite d une mobilisation importante de tous les collaborateurs (journalistes, photographes, illustrateurs). Mais ce genre de mobilisation ne peut se réaliser à chaque fois qu un média décide de modifier son contrat. Cet épisode montre bien que le rapport de force reste inégal. Toutes les tentatives de réforme, notamment toutes les actions et stratégies de l AJIQ depuis 25 ans, sont paralysées par un obstacle majeur : le manque d assise juridique pour amorcer une négociation avec les géants des médias, au nom des journalistes indépendants. Et la seule solution à cet obstacle, c est le gouvernement du Québec qui la tient : donner le pouvoir juridique de négocier collectivement avec les entreprises de presse, comme le gouvernement a fait pour les artistes dans les années Je n'hésite plus à l'affirmer : les conditions de pratique du journalisme indépendant mettent à mal la qualité de l'information au Québec. Il est temps d agir. Ensemble. Mariève Paradis Présidente de l AJIQ 22

23 Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ) Le sondage a été mené et rédigé par Amélie Daoust- Boisvert, membre du conseil d administration de l AJIQ 23