(Des textes à la pratique locale) Marc TOUILLIER Docteur en droit, élève-avocat
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1 (Des textes à la pratique locale) Marc TOUILLIER Docteur en droit, élève-avocat
2 Plan de l intervention I.Des textes à la pratique : La réception des SPO par les acteurs compétents La diversification des SPO L utilisation des SPO II.De la pratique aux textes : La mise en œuvre des SPO par les acteurs compétents Du secret au partage des informations De l incitation à l instrumentalisation des soins
3 I. Des textes àla pratique : La réception des SPO par les acteurs compétents La diversification des SPO L utilisation des SPO
4 La diversification des SPO L obligation de soins L injonction thérapeutique L injonction de soins La prise charge sanitaire, sociale ou psychologique La rétention de sûreté
5 L obligation de soins Objet : permettre au juge pénal (juge d instruction, juge de jugement, JAP) d imposer à une personne mise en examen ou condamnée de se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation. Origine (ancienne)/ Evolution (faible) : Loi n du 15 avril 1954 sur le traitement des alcooliques dangereux pour autrui Loi n du 27 mars 2012 (partage systématique d infos entre autorités judiciaire et sanitaire)
6 L obligation de soins Champ d application (très large) : Crimes et délits punis d emprisonnement Individus majeurs et mineurs âgés de + de 13 ans Cadre procédural (très large aussi) : Au stade de l instruction (contrôle judiciaire / ARSE) Au stade du jugement (SME, SME-TIG, SSJ) Au stade de l exécution de la peine (PSE, placement extérieur, semi-liberté, permission de sortir, SMP, libération conditionnelle, surveillance judiciaire)
7 L obligation de soins Encadrement (très souple) : Libre appréciation du juge pénal (la loi n impose pas d avis médical ou d expertise préalable) Mise à exécution par le SPIP Liberté de choix et d action de l autorité sanitaire Durée fixée par rapport à celle de la mesure / peine sur laquelle l OS se greffe (CJ, SME, PSE, LC ) Sanction en cas de non-respect : Détention provisoire pour la personne mise en examen Révocation du sursis, du PSE, de la LC, etc. et donc incarcération, pour la personne condamnée
8 L obligation de soins Avantages : Souplesse dans son utilisation Faible coût pour la justice Inconvénients : La loi ne subordonne pas le prononcé de l OS à un avis ou une expertise préalable de l autorité sanitaire Incertitude des critères d utilisation de l OS Absence d organisation des relations Justice / Santé La mise en œuvre et le contrôle de l OS dépend du SPIP Le consentement de l individu n est pas pris en compte
9 L injonction thérapeutique Objet : permettre à l autorité judiciaire (procureur R. ou juge pénal) de contraindre un individu toxicomane ou alcoolique à suivre une cure de désintoxication ou à se placer sous surveillance médicale. Origine (relativement ancienne) / Evolution (importante) : loi n du 31 décembre 1970 (dispositif initial) loi n du 5 mars 2007 et décret n du 16 avril 2008 (refonte du dispositif sur le modèle de l injonction de soins) loi n du 13 décembre 2011 & loi n du 27 mars 2012 (dernières modifications)
10 L injonction thérapeutique Champ d application (ciblémais élargi) : Initialement le délit d'usage illicite de stupéfiants, mais désormais plus largement tous les crimes et délits punis d emprisonnement dès lors que l infraction est en lien avec la consommation de produits stupéfiants ou de boissons alcooliques Individus majeurs et mineurs âgés de + de 13 ans Cadre procédural (très large désormais) : Au stade des poursuites (composition pénale) Au stade de l instruction (contrôle judiciaire / ARSE) Au stade du jugement (SME, SME-TIG, SSJ) Au stade de l exécution de la peine (SMP, placement extérieur, semi-liberté, permission sortir, PSE, surveillance judiciaire, libération conditionnelle )
11 L injonction thérapeutique Encadrement (important) : La décision de l autorité judiciaire est subordonnée à l avis du médecinrelais (désigné par le directeur général de l ARS) Suivi médical assuré par un praticien traitant (Centres de soins d accompagnement et de prévention en addictologie ou autre médecin), sous le contrôle du médecin-relais Le médecin-relais sert d interface entre l autorité judiciaire et le praticien traitant Durée maximale de 2 ans NB : Depuis 2011, un psychologue habilité ou tout professionnel de santé également habilité par le directeur général de l ARS peut assurer le suivi de la mesure à la place du médecin-relais. Sanction en cas de non-respect : Poursuites au stade de l action publique Détention provisoire pour la personne mise en examen Révocation du sursis, du PSE ou de la LC, et donc incarcération, pour la personne condamnée
12 L injonction thérapeutique Avantages : Pour l intéressé : encadrement adapté aux besoins des personnes en situation de dépendance Pour l autorité judiciaire : réponse pénale éclairée par l avis, puis le suivi de l autorité sanitaire Pour l autorité sanitaire : respect du secret médical et structure adaptée aux individus visés (toxicodépendants) Inconvénients : Coût de la mesure (prise en charge ARS) Le consentement de l individu n est pas pris en compte
13 L injonction de soins Objet : mesure applicable lorsque la peine de suivi sociojudiciaire (SSJ) est encourue et qu une expertise médicale conclut à la possibilité de soins. Origine (assez récente)/ Evolution (importante) : Loi n du 17 juin 1998 (dispositif initial) Loi n du 12 décembre 2005 (extension à LC et SJ) Loi n 10 août 2007 (extension temporaire au SME) Loi n du 25 février 2008 (extension à SS) Loi n du 10 mars 2010 (refonte dispositif) Loi n du 27 mars 2012 (incitation aux soins)
14 L injonction de soins Champ d application (de plus en plus large) : Initialement les infractions d agressions ou atteintes sexuelles ou, s agissant de victimes mineures, de meurtres ou assassinats à connotation sexuelle Désormais aussi d autres infractions d atteintes aux personnes (enlèvements, séquestrations, violences conjugales) et aux biens (incendies volontaires) Individus majeurs et mineurs âgés de + de 13 ans Cadre procédural (de plus en plus large aussi) : Au stade du jugement (SSJ et pendant un temps SME) Au stade de l exécution de la peine (surveillance judiciaire, libération conditionnelle, surveillance de sûreté )
15 L injonction de soins Encadrement (important) : La décision de l autorité judiciaire est subordonnée à une expertise médicale Suivi médical assuré par un praticien traitant (psychiatre ou psychologuen), sous le contrôle du médecin coordonnateur Le médecin coordonnateur sert d interface entre l autorité judiciaire et le praticien traitant Durée maximale de 20 ans pour les délits, perpétuité pour certains crimes Sanction en cas de non-respect : Mise à exécution de la peine d emprisonnement déterminée au moment du prononcé de l injonction de soins
16 L injonction de soins Avantages : Pour l intéressé : encadrement important Pour l autorité judiciaire : réponse pénale éclairée par l avis, puis le suivi de l autorité sanitaire Pour l autorité sanitaire : respect du secret médical et structure adaptée aux individus visés Inconvénients : L application par principe de l IS dans les différents cadres où elle s applique Le consentement «contraint» de l individu
17 La prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique Objet : Mesure particulière qui s adresse à l auteur d une infraction commise soit contre son conjoint, concubin ou partenaire pacsé, soit contre ses enfants ou ceux de la personne avec qui il vit. Cette mesure accompagne, en cas de nécessité, la demande ou l obligation faite à l individu concerné de résider hors du domicile ou de la résidence du couple et, le cas échéant, de s abstenir de paraître dans ce domicile ou cette résidence ou aux abords immédiats du logement. Le contenu de la mesure demeure incertain. Les textes concernés s appliquent également lorsque l infraction a été commise par la personne en cause contre son «ex»ou les enfants de son «ex». Mesure applicable au stade des poursuites (not. composition pénale), de l instruction (CJ) ou du jugement (SME). Origine (récente) / Evolution (peu importante) : loi n du 12 décembre 2005 loi n du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs
18 La rétention de sûreté Objet : Placement d une personne condamnée pour certains crimes, à l issue de sa peine, en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique. Mesure controversée car fondée sur la «particulière dangerosité» de l individu caractérisée par une «probabilité très élevée de récidive» du fait d un trouble grave de la personnalité La prise en charge médicale, sociale et psychologique ne tient pas compte du consentement de l individu. Origine (récente) / Evolution (peu importante) : Loi n du 25 février 2008 Loi n du 10 mars 2010
19 Que penser de cette évolution? La diversification des SPO est symptomatique d une volonté du législateur d introduire du soin dans tout le champ pénal. => OMNIPRESENCE DES SPO : La grande délinquance serait-elle devenue une maladie? (Ph. SALVAGE) Si la gamme de mesures ainsi offerte par les SPO participe de l individualisation de la peine, elle est aussi source de confusions pour le justiciable comme pour les praticiens. => A commencer par les confusions sémantiques engendrées par les expressions retenues pour désigner les différents SPE!
20 L utilisation des SPO L utilisation quasi-systématique de l OS L inutilisation de l IT Utilisation variable de l IS Utilisation exceptionnelle de la RS
21 L utilisation quasi-systématique de l obligation de soins Recensement des principales mesures répressives susceptibles de donner lieu à une OS (SPIP de Montpellier - du 01/01/2013 au 01/03/2013) SME Sursis-TIG SSJ PE PSE LC SJ Total mesures Toutes obligations confondues Dont OS ?
22 De manière générale : Sur les 2138 mesures recensées, 1268 sont assorties d une OS, ce qui représente près de 60 % des mesures recensées. De manière spécifique aux SME : Sur les 1594 SME recensés toutes obligations confondues, 1201 mesures sont assorties d une OS, ce qui représente 75 % des SME. NB : selon une étude menée au niveau national en 1999, l OS concernait + du 1/3 des SME et ¾ des auteurs de violences sexuelles (Chauvenet et Orlic).
23 L inutilisation de l injonction thérapeutique Aucune injonction thérapeutique recensée par le SPIP de Montpellier alors que les infractions en lien avec l alcool ou les stupéfiants concernent 35 % des SME avec OS. NB : au niveau national, l IT est très peu employée (0,7 % des alternatives aux poursuites en 2009 selon les Chiffres-clés de la justice). Discordance avec la circulaire du 16/02/2012 qui énonce que l IT doit être «systématiquement envisagée lorsque les circonstances font apparaître que le mis en cause est toxico dépendant et nécessite des soins ou lorsque les circonstances de la commission d une infraction révèlent par ailleurs une consommation habituelle et excessive de boissons alcooliques».
24 L utilisation variable de l injonction de soins Au niveau national, une étude récente proposée par Infostat Justice, n Février 2013 : En 2010, le SSJ a été ordonné dans 13 % des condamnations sanctionnant une infraction passible de cette peine. Après une montée en puissance ( ), le recours au SSJ s est stabilisé autour de 9 % pour les délits (qui représentent 95 % des condamnations) et de 39 % pour les crimes (qui représentent 5 % des condamnations). Taux de recours plus élevé et durée du SSJ plus longue pour les infractions les plus graves et en cas de récidive L injonction de soins était en 2007 l obligation la plus fréquemment prononcée, puisqu elle touchait 59 % des condamnés à un suivi sociojudiciaire, soit 77 % des criminels et 46 % des condamnés pour délit. Au niveau local, l ARCLR mène une recherche pluridisciplinaire sur cette mesure. Analyse portant sur 68 questionnaires recueillis auprès de PPSMJ Complétée par 40 questionnaires émanant des acteurs compétents
25 L utilisation exceptionnelle de la rétention de sûreté Cette mesure ambivalente (peine ou mesure de sûreté?) a suscité de vives critiques de la part des magistrats, qui ne l utilisent que rarement. Un exemple récent montre néanmoins qu elle n a pas exclusivement vocation à s appliquer aux récidivistes : affaire Tony Meilhon La Conférence de consensus sur la récidive préconise son abrogation (ainsi que la SS qui se situe dans son prolongement).
26 II. La mise en œuvre des SPO par les acteurs compétents Les difficultés observées dans la pratique Une cause majeure : le glissement de l incitation à l imposition des soins
27 Les difficultés observées dans la pratique Du côtédu SPIP : Difficulté à faire face à la masse des OS qui résultent de leur caractère quasi-automatique en cas de SME Difficulté à orienter les PPSMJ en cas d OS du fait de l absence d avis ou d expertise médicale préalable Sentiment d inadéquation de l OS à bon nombre de situations qui pourraient plus utilement relever de l IT Difficulté à entrer en contact avec certains acteurs de l IS pour obtenir ou relayer des informations relatives au suivi de la mesure (PT, MC) ou tirer les conséquences du non respect de la mesure (JAP)
28 Les difficultés observées dans la pratique Du côtédes magistrats : Perte du pouvoir d individualisation de la peine sous l effet des lois qui généralisent les SPO Tentation d interpréter eux-mêmes les documents et certificats médicaux fournis par les individus en cause Importance déterminante des rapports établis par les CPIP (attention toutefois à la tentation de se faire l interprète de la santé de la PPSMJ, parfois perceptible!)
29 Les difficultés observées dans la pratique Du côtédes professionnels de santé: Sentiment d instrumentalisation dans le suivi des PPSMJ au titre d OS ou en MF (fonction réduite à la délivrance d attestations en vue de l obtention de RPS ou d aménagements de peine) Positions divisées autour de la nécessité d avoir connaissance ou non du dossier pénal du patient (désormais érigée en obligation avec la loi du 27 mars 2012)
30 Une cause majeure : le glissement de l incitation à l instrumentalisation des soins En principe, les soins, même pénalement ordonnés, devraient reposer sur le consentement de l individu (art. L CSP) L évolution du droit traduit une évolution contraire à ce principe : Tantôt le consentement n est pas pris en compte (OS, IT) Tantôt il est «contraint» (IS, RS) => C est donc avec une certaine «hostilité que le droit pénal envisage la question du consentement afin de s en accommoder ou de s en affranchir» (P. Mistretta)
31 L exemple significatif de l IS Avec la loi du 10 mars 2010 : Sanction du refus de commencer les soins après l acceptation du principe Sanction du refus de poursuivre les soins Avec la loi du 27 mars 2012 : Renforcement de l incitation aux soins en milieu fermé pour les personnes simplement concernées par un SSJ
32 Ce que traduit cette évolution : Refus de prendre le moindre risque àl égard de certaines formes de délinquance => à la tolérance zéro répond la recherche du risque zéro Corrélativement, il s agit de pouvoir rechercher un responsable en cas de défaillance (ex : affaire Meilhon) Croyance dans la «toute puissance»du soin
33 Conclusion : Des SPO omniprésents et omnipotents? Si l introduction des soins dans la justice pénale répond à des besoins impérieux, leur expansion sous la forme de SPO traduit un dévoiement des missions respectives du soin et de la justice. L importance prise par les SPO amène d un côté les magistrats et le SPIP à s immiscer dans le soin, de l autre les médecins et psychologues à s immiscer dans la justice, au risque d aboutir à un dangereux mélange des genres.
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