Une réflexion historique et sociologique sur l activité du premier comédien-poète, Desfontaines

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1 Une réflexion historique et sociologique sur l activité du premier comédien-poète, Desfontaines Shikiko NISHIDA I. Le premier comédien-poète : Desfontaines Nicolas Mary, sieur Desfontaines ( février 1652) est le deuxième comédien-poète attesté dans l histoire du théâtre français, après Alexandre Hardy. Mais il est le premier comédienpoète après l installation permanente des deux troupes de comédiens professionnels à Paris, en Sa particularité en tant que comédien-poète, par comparaison avec d autres comédiens-poètes postérieurs, réside dans le fait qu il n accorda pas l exclusivité de sa production d auteur aux seules ambulantes auxquelles il a appartenu. En effet, ses pièces semblent être toujours créées à Paris, sous la forte pression de la concurrence entre les deux troupes parisiennes, l Hôtel de Bourgogne et le Théâtre du Marais. On présume que Desfontaines fit ses débuts d auteur dramatique vers 1636, soit à l âge de 26 ans. Après des études à l université, selon l acte notarié du 23 mars 1627 (1), il devint avocat au parlement dans les années 1630, ce dont attestent quatre autres actes (14 mars, 23 juin, 18 août, et 8 septembre 1636) (2). A cette époque, il était non seulement déjà reconnu à Paris pour la publication d un sonnet et d un roman, mais aussi il aurait déjà débuté dans la tragi-comédie. Car, en 1637, le libraire parisien Antoine de Sommaville obtint le privilège de publier ses trois premières tragicomédies ; d abord, Orphise ou la beauté persécutée (7 février 1637), puis Eurimédon ou l Illustre Pirate (30 mai 1637), et La Vraye suite du Cid (23 octobre 1637) (3). Cela signifie que ses deux premières pièces auraient été déjà créées vers 1636 (4). Si bien qu il était considéré comme l un des «jeunes auteurs quasi professionnels capables d écrire une pièce par an» (5) de cette nouvelle génération des années 1630 où naît la tragi-comédie, nouveau genre créé par Alexandre Hardy ; ces auteurs venaient souvent du milieu des avocats. Sa deuxième tragi-comédie, Eurimédon ou l illustre pirate aurait connu un certain succès à Paris, puisqu elle est au répertoire de la cinquantaine de pièces anciennes ( ) de la troupe ambulante caricaturée dans la petite comédie de Raymond Poisson, Le Baron de la Crasse, publiée en 65

2 1662 (6). Quant à sa troisième tragi-comédie, La Vraye suite du Cid, «elle fut créée en 1637 à l Hôtel de Bourgogne, pour concurrencer la tragi-comédie d Urbain Chevreau (7), La Suite et le mariage du Cid, représentée probablement au Théâtre du Marais dans le sillage du succès du Cid de Pierre Corneille (8)». (9) Sa quatrième tragi-comédie intitulée Hermogène semble avoir eu la faveur du public. Elle fut publiée le 15 avril 1639 par le libraire parisien Toussaint Quinet, un an après l obtention de son privilège (14 mai 1638), puis rééditée deux fois chez ce même. La deuxième édition parut en 1640, et la troisième en 1642, sous un nouveau titre, Le Prince Hermogène. Sa cinquième tragicomédie, Bélisaire ou la fidélité reconnue, dont le sujet romain, aurait été créée au Théâtre du Marais, puisque l Hôtel de Bourgogne faisait représenter une autre Bélisaire, à savoir la tragi-comédie de Rotrou (publiée en 1644). Le privilège en fut accordé au libraire parisien Augustin Courbé, le 20 juin 1641, et elle fut publiée, le 6 juillet Donc, entre 1637 et 1641, Desfontaines publia à Paris cinq tragi-comédies dont il est pourtant difficile de préciser le lieu de représentation. Il est certain qu il y était déjà renommé comme auteur dramatique pour ces publications. En ce qui concerne les débuts de son activité de comédien, nous n avons aucune information, en dehors des quelques faits suivants. Nous savons qu en février 1642, à l âge de 32 ans, il accompagna à Lyon la troupe des comédiens ambulants dirigée par Charles Dufresne (10), et que le 8 février 1643, il en faisait toujours partie. Par la suite, au 28 juin 1644, Desfontaines appartenait, en tant que comédien, à l Illustre Théâtre, dirigé par Molière, qui venait de s installer à Paris. Cinq mois après son ouverture (1er janvier 1644) (11), et le 24 janvier 1645, il y était encore attaché. Nous nous permettons cependant de formuler l hypothèse suivante : quand il fut recruté par Charles Dufresne en février 1642, il était peut-être déjà comédien d une autre troupe que celles de l Hôtel de Bourgogne et du Théâtre du Marais, permanentes parisiennes. Une donnée pourrait encourager cette supposition : la troupe ambulante, fondée par Charles Dufresne et nommée dès 1632 «la troupe de Monseigneur le duc d Epernon» (12), était réputée à cette époque-là, comme l une des meilleures troupes ambulantes. Or, elle s associa avec la troupe de Molière à partir de 1645, après la fermeture de l Illustre Théâtre. Charles Dufresne ne céda pas la place de directeur de la troupe à Molière, bien que ce dernier eût gagné une certaine réputation en tant qu acteur au cours de tournées en province, jusqu au moment où le succès de la première petite comédie de Molière, intitulée Les Précieuses Ridicules, se confirma à Paris en 1659 (13). Donc, si Desfontaines avait été recruté en 1642 par Charles Dufresne, il est probable qu il était déjà un comédien reconnu. 66

3 II. Desfontaines en tant que «comédien-poète» de la troupe ambulante de Charles Dufresne Entre 1642 et 1644, années durant lesquelles Desfontaines appartint à la troupe de Charles Dufresne, puis à celle de Molière, ses trois tragi-comédies, ainsi que ses deux grandes tragédies religieuses versifiées furent publiées à Paris (14). Le 13 janvier 1643, date notariée à laquelle Desfontaines était encore attaché à la troupe de Charles Dufresne, et devait donc toucher «la part de comédien» (de février 1642 au 8 février 1643), le libraire parisien Toussaint Quinet obtint «le privilège» d éditer ces deux pièces de théâtre de Desfontaines. L une est sa première tragédie hagiographique intitulée Saint Eustache ou le Martyre de Saint Eustache, et l autre est sa sixième tragi-comédie intitulée Alcidiane ou les quatre rivaux. Cela signifie que la troupe qui les avait achetées à Desfontaines l avait autorisé à les vendre au libraire, puisqu elle avait fini de les représenter, et qu elle aurait déjà acheté une autre pièce à représenter. Certes, le fait que Desfontaines était capable de vendre les copies de ses manuscrits de ces deux pièces, tout en étant attaché à la troupe ambulante de Charles Dufresne, signifie qu il n était pas de ces «poètes à gage» qui devaient laisser toutes leurs pièces à la propriété de la troupe, et engagé par le paiement d une somme forfaitaire, mais qu il était «comédien-poète», donc à la fois comédien et poète indépendant. Comme il était le poète indépendant de la troupe de Charles Dufresne, il devait avoir le droit de répondre aux commandes passées par n importe quelle autre troupe. Il est donc normal qu il l ait vendue à la troupe qui pût lui verser la meilleure somme. D où la question suivante : Desfontaines écrivit-il ces deux pièces pour la troupe ambulante de Charles Dufresne, à laquelle il appartenait à ce moment-là, ou pour une autre troupe de comédiens? Il est probable que Desfontaines les avait écrites à la commande d une des deux troupes parisiennes, soit l Hôtel de Bourgogne, soit le Théâtre du Marais, et non pas à la demande de la troupe ambulante de Charles Dufresne qui n était vraiment pas concernée par la concurrence théâtrale parisienne. Une donnée pourrait encourager cette hypothèse : ces deux pièces furent publiées à Paris, non pas en province où la troupe de Charles Dufresne avait dû les représenter. Elles y parurent à deux mois d intervalle : d abord le 20 juillet 1643, Saint Eustache ou le Martyre de Saint Eustache (chez Toussaint Quinet et Nicolas de Sercy), puis le 18 septembre 1643, Alcidiane ou les quatre rivaux (chez Du Bray et Nicolas de Sercy). De surcroît, surtout relativement à Saint Eustache ou le Martyre de Saint Eustache, Georges Forestier a formulé l hypothèse suivante (15), sans évoquer pourtant le fait que Desfontaines était lié à cette époque-là à la troupe ambulante de Charles Dufresne. Cette pièce aurait été représentée à l Hôtel de Bourgogne, afin de répliquer à la tragédie à martyre de Corneille, Polyeucte martyr, représentée avec beaucoup de succès au Théâtre du Marais, lors de la saison

4 1643 (16). C est-à-dire que Desfontaines, comme avant son entrée dans cette troupe ambulante, continua donc à vendre probablement la copie de ses manuscrits de ces deux pièces à l une des deux troupes parisiennes qui avaient toujours besoin d une nouveauté, à cause de leur forte concurrence. D autre part, Charles Dufresne, chef de la troupe ambulante, aurait profité de cette position particulière de nouveau membre de sa troupe. Bref, sa troupe avait dû représenter en province les nouvelles pièces de Desfontaines, à peine créées à Paris, sans attendre leur publication. Certes, elle n avait pas le droit de les jouer, aussi longtemps que la troupe parisienne, acheteuse des pièces de Desfontaines, n avait pas cessé de les représenter, puisqu elle en avait «l exclusivité de représentation théâtrale». Mais, quand l auteur faisait partie de la troupe, le manuscrit de ses pièces y était toujours disponible. En outre, «l exclusivité de la représentation théâtrale» ne concernait, à vrai dire, que les deux troupes parisiennes qui étaient concurrentes. En revanche, à la différence de Desfontaines, comédien-poète fortement concerné dans les années 1640 par la concurrence théâtrale parisienne, il existait des comédiens-poètes qui connurent une activité d auteur limitée dans leur troupe ambulante, dans les années 1650 ; Molière et Dorimond. Dans cet article, nous traitons le cas de Molière, parce qu il fut dix ans plus tard dans la même situation que Desfontaines dans la troupe ambulante de Charles Dufresne. Molière, le plus fameux comédien-poète du XVIIe siècle, écrivit pour elle deux grandes comédies à l italienne, L Etourdi et Le Dépit Amoureux ; l une fut créée à Lyon en 1655, et l autre à Béziers en Il se pourrait que Molière eût vendu la copie de son manuscrit de ces deux pièces à la troupe de Charles Dufresne, à laquelle il appartenait. Cependant, il semble qu il n avait pas l intention de les vendre à un libraire, afin de les faire publier, soit en province, soit à Paris, tout de suite après que la troupe avait fini de les représenter, comme le faisait Desfontaines. Jusqu en 1662, elles continuèrent à figurer au répertoire de la troupe de Molière à Paris, sans tomber dans le domaine public pour cause de publication. Par conséquent, on peut penser que, dès leur conception, ces deux pièces ne furent écrites qu à l usage de la troupe de Charles Dufresne. Cette troupe ambulante les représenta en province, autant de fois qu elle le voulut. De plus, dans les années 1650, à Paris, Molière étant inconnu en tant qu auteur dramatique, aucune troupe parisienne ne lui commanda de pièce, ni n en représenta. Même s il avait voulu faire publier ces deux pièces à Paris, aucune libraire parisien n aurait donc accepté de les publier, au contraire des pièces de Desfontaines. 68

5 III. Desfontaines et L Illustre Théâtre On ne connaît pas la date exacte de l entrée de Desfontaines à l Illustre Théâtre, mais au 28 juin 1644, il y était déjà attaché. Avant cette date, il avait vendu aux deux libraires parisiens les copies des manuscrits de deux de ses pièces, Perside ou la suite d Ibrahim Bassa et L Illustre Olympie ou le Saint Alexis, dont le lieu de représentation est incertain jusqu à présent. Mais il se pourrait qu au début de 1644, Desfontaines les ait déjà vendues pour une certaine somme, à l Illustre Théâtre, fondé à Paris au premier janvier de cette année-là, et qu elles y aient été créées. Une donnée pourrait encourager cette hypothèse : le 15 janvier 1644, deux semaines après la fondation de l Illustre Théâtre, le théâtre du Marais fut frappé par un incendie catastrophique, et les représentations furent suspendues jusqu au mois d octobre en raison des travaux de reconstruction de la salle (17). Pendant huit mois et demi, il n y eut que deux troupes permanentes à Paris : l Illustre Théâtre et l Hôtel de Bourgogne. Or, au 16 avril 1644, «le privilège» de sa septième tragi-comédie, Perside ou la suite d Ibrahim Bassa, fut accordé au libraire parisien Toussaint Quinet (cela signifie que l exclusivité de la représentation théâtrale était déjà passée). Cette pièce fut publiée à Paris au 24 mai 1644, soit avant même la réouverture du Théâtre du Marais. En conséquence, il est plus probable que Desfontaines l ait donnée à la troupe de Molière, qui aurait eu besoin d une nouveauté pour son ouverture, et à laquelle il allait s attacher, au lieu de la donner au théâtre rival, l Hôtel de Bourgogne (18). D autre part, sa deuxième tragédie hagiographique, L Illustre Olympie ou le Saint Alexis, pourrait avoir été, elle aussi, créée en hiver, par la troupe de Molière, probablement après Perside ou la suite d Ibrahim Bassa. Au 7 mai 1644, date à laquelle «le privilège» fut accordé au libraire parisien Pierre Lamy, on ignore si Desfontaines était déjà attaché à la troupe de Molière (19). Mais, le 4 décembre 1644, quand cette pièce fut publiée à Paris, il y était attaché depuis plus de quatre mois. Or, la raison de ce retard de publication (sept mois après l obtention du privilège par le libraire) est probablement due au fait que la troupe de Molière ait voulu continuer à exploiter les recettes des représentations de cette pièce, durant l été et l automne, afin de profiter encore de la vogue de la tragédie religieuse, et d empêcher son public de se déplacer au Théâtre du Marais. En octobre 1644, il venait de rouvrir, et commençait à créer la deuxième tragédie à martyre de son fidèle dramaturge, Pierre Corneille, Rodogune, vierge et martyre, et sa deuxième comédie sentimentale urbaine à l espagnole, La Suite du Menteur. (20) Quant à la deuxième tragi-comédie hagiographique de Desfontaines, L Illustre Comédien ou le Martyre de Saint Genest, on connaît la date exacte de sa création et le lieu de sa représentation, grâce à la découverte en 1984 d une affiche de l Illustre Théâtre (21). Elle fut créée le 3 novembre

6 six mois avant son impression, au jeu de paume des Mestayers, par l Illustre Théâtre. Pourtant, on ne connaît pas le montant de la somme contre laquelle Desfontaines avait vendu la copie de son manuscrit à la troupe de Molière qui en obtint désormais l exclusivité de représentation. Pendant que la troupe exploitait les recettes des représentations de cette pièce, Desfontaines pourrait avoir touché une «part de comédien», s il y jouait un rôle. Or, selon l acte notarié daté du 24 janvier 1645 (22), Desfontaines était encore lié à la troupe de Molière. Mais le 30 avril 1645, date à laquelle le libraire parisien Cardin Besogne qui avait acheté la copie du manuscrit de cette pièce à Desfontaines en obtint «le privilège» (23), celui-ci ne faisait plus partie de la troupe de Molière fortement endettée. Le 8 mai, au jour de l impression de cette pièce, il était absent de Paris. On le trouvait à Bourbon, suivant comme acteur le voyage de Gaston d Orléans, frère du roi Louis XIII, «Son Altesse Royale». A partir de cette date, Desfontaines sembla continuer à appartenir à la troupe ambulante entretenue par Gaston d Orléans, ce jusqu au 18 décembre 1646, date à laquelle il signa le contrat avec son prêteur, Cardin Besogne, à Paris. IV. Le prix de la tragédie de Desfontaines, La Véritable Sémiramis L acte notarié daté du 18 décembre 1646 nous apprend que Desfontaines se disait «comédien de Son Altesse Royale», et qu il jouait à Paris, au jeu de paume du Petit Couvert. Il était endetté auprès du libraire parisien Cardin Besogne, où il venait de faire publier sa dernière pièce, L Illustre Comédien ou le Martyre de Saint Genest ( 8 mai 1645). Et, c était à lui qu il voulait vendre la copie de son manuscrit de la nouvelle tragédie, La Véritable Sémiramis, en même temps que «le privilège de la publication» de cette pièce, afin de lui rembourser 425 livres de dettes. Voici l acte en question : «Mainlevée par Cardin Besogne, marchand libraire, bourgeois de Paris, demeurant au Mont-Saint- Hilaire, de la saisie faite à sa requête ès mains du sieur Georges, maître du jeu de paume du Petit Couvert, sur deux coffres pleins de hardes appartenant à Nicolas Mary, sieur Des Fontaines, comédien de Son Altesse Royale, avec constitution de Jean Mathée, dit Philandre, comédien du roi, demeurant rue de la Chaussée aux Marais du Temple, comme caution pour le paiement à Besogne de la moitié des 400 livres dues par Des Fontaines. Celui-ci affecte au paiement de cette somme et des 25 livres de frais le prix que Besogne devra lui verser pour la remise de la copie d une tragédie intitulée Sémiramis, ainsi que le privilège, qu il espère obtenir avant la fête des Rois 1647, pour imprimer et débiter seul cet ouvrage. Cet accord est fait en la présence de Nicolas Lion, sieur de Beaupré, aussi comédien du roi.» (24) 70

7 A ce jour, il semble que la tragédie de Desfontaines aurait été déjà retirée, ou prête à être retirée de l affiche d une troupe parisienne, probablement celle du Théâtre du Marais (25). Et, Desfontaines n en avait pas encore obtenu «le privilège» qu il demanda lui-même, et qu il voulait «avant la fête des Rois 1647», c est-à-dire l Epiphanie, soit avant le 6 janvier Cela implique que, vers la fin de sa carrière d auteur dramatique, Desfontaines essaya pour la première fois d affirmer sa propriété sur l œuvre dramatique, afin de négocier avantageusement avec le libraire parisien Cardin Besogne le prix de son manuscrit (26). Cependant, au 17 avril 1647, le privilège fut accordé, non pas à Desfontaines, ni à Cardin Besogne, mais à un autre libraire parisien Pierre Lamy. Or, selon cet acte, le libraire Cardin Besogne acceptait de renoncer non seulement à une dette de 400 livres, mais aussi aux 25 livres de frais de la procédure. S il acceptait d y renoncer, il était remboursé en gros de 425 livres de dettes. Cela veut dire que, soit aussitôt, soit quelques mois après, il avait dû vendre la copie du manuscrit de la tragédie de Desfontaines, en l occurrence à son confrère, Pierre Lamy, pour une somme égale à 425 livres, ou légèrement supérieure au prix pratiqué auparavant si cela a eu lieu quelques mois plus tard, et alors ce fut Pierre Lamy qui publia cette tragédie le 11 mai 1647 (27). Ce qui nous intéresse ici, c est que vers la fin de sa vie, Desfontaines était devenu un auteur dramatique capable de recevoir 425 livres pour une pièce de théâtre. Cela signifie qu il appartient à la catégorie «des auteurs de succès commercial moyen, quel que soit le genre» (28). Etant donné que le prix du manuscrit d une pièce de théâtre était couramment de 200 à 300 livres (29), cette tragédie de Desfontaines avait dû connaître un succès relatif. De surcroît, quand on voit que, vingt ans plus tard, en 1664, Racine reçoit 375 livres pour la vente de sa première tragédie, La Thébaïde ou les Frères ennemis (30), le prix du manuscrit de la tragédie de Desfontaines, La Véritable Sémiramis, semble être convenable pour un auteur expérimenté. Certes, on ne sait pas s il était capable de toucher la même somme vers 1636 (date du début de sa carrière comme auteur dramatique), mais il continua à faire publier une pièce de théâtre presque chaque année, entre 1637 et 1647, période durant laquelle, outre «la part de comédien», il devait toucher une certaine somme pour la vente des manuscrits de ses pièces de théâtre, non seulement aux comédiens, mais aussi aux libraires parisiens (31). Il a été vraisemblablement capable de gagner sa vie, à la fois par son activité d auteur dramatique quasi professionnel et par celle de comédien professionnel. Au cours de sa vie de comédien ambulant, qui dura jusqu à sa mort en 1652, il devint chef de sa propre troupe de campagne à Toulouse en 1649 (32). Desfontaines a dû continuer à jouer, devant le public campagnard, ses propres pièces qui gagnaient autrefois l approbation du public parisien. 71

8 Notes (1) Alan Howe, Le Théâtre professionnel à Paris , Paris, Centre historique des Archives nationales, 2000, p.275. (2) Ibid., pp.185 et (3) La publication d Orphise ou la beauté persécutée ne fut réalisée que le 17 mars 1638, après celles de ses deux autres pièces, Eurimédon ou l illustre pirate (6 juin 1637) et La Vraye suite du Cid (1 er décembre 1637). (4) En général, dès l expiration de l exclusivité théâtrale, la troupe des comédiens autorisait l auteur de vendre son manuscrit au libraire. (5) Pierre du Ryer, André Mareschal, Durval, Gougeont, Sallebray, Pierre Corneille, Tristan, Mairet, Scudéry, La Calprenède, Baro, Piche, etc... (6) Raymond Poisson, Le Baron de la Crasse, Paris, 1662, scène V. (7) Le privilège fut accordé au 31 juillet 1637, et l achevé d imprimer le 31 octobre (8) Le 7 janvier (ou le 2) 1637, Le Cid fut créé, et publié le 23 mars (9) Voir LANCASTER H.C., A History of French Dramatic Literature in the Seventeeth Century, Baltimore, John Hopkins Press, Part.II, p.145. (10) Fils d un peintre de Gaston d Orléans, Claude Dufresne, sieur du Postel. Voir Elizabeth Maxfield-Miller, «New findings on Molière and his first patron in Southern France, Bernard de Nogaret, duc d Epernon», in Romance Notes, volume X, number I, (11) Le Théâtre professionnel à Paris , op. cit., p.182. (12) Apres la mort de Jean-Louis de Nogaret, duc d Epernon, gouverneur de Guyenne, en 1643, son fils Bernard d Epernon continua à la protéger. (13) Roger Duchêne, Molière, Fayard, 1998, 2006, p (14) Les Galantes vertueuses (1642), Saint Eustache ou le Martyre de Saint Eustache (1643), Alcidiane ou les quatre rivaux, Perside ou la suite d Ibrahim Bassa, L Illustre Olympie ou le Saint Alexis (15) Georges Forestier, «Le Véritable Saint Genêt de Rotrou : enquête sur l élaboration d une tragédie chrétienne», in Dix-septième Siècle, 45, 1993, pp (16) Le succès de la tragédie religieuse de Corneille provoquait désormais à Paris la vogue de la tragédie hagiographique qui dura jusqu à l échec de sa deuxième tragédie à martyre, représentée en 1646 au Théâtre du Marais, Théodore, vierge et martyre (le privilège fut accordé au 17 avril 1646 et l achevé d imprimer le 31 octobre 1646). Durant ces trois ans, surtout dans la saison théâtrale , beaucoup de tragédies religieuses aux sujets empruntés à l histoire des martyrs ou à la vie des saints furent représentées à Paris. (17) Sophie-Wilma Deierkauf-Holsboer, Le Théâtre du Marais, Paris, Nizet, 1954, vol.i, p.95. (18) Selon l hypothèse de Lancaster, cette tragi-comédie de Desfontaines est la «suite» de celle de Georges de Scudéry, Ibrahim ou l Illustre Bassa, représentée à l Hôtel de Bourgogne, dans la saison , et elle devait être créée vers la fin de Voir LANCASTER H.C., A History of French Dramatic Literature in the Seventeeth Century, Part.II, p

9 (19) En revanche, l exclusivité de la représentation de cette pièce par telle ou telle troupe était déjà passée, juste au moment où Desfontaines en prit «le privilège». (20) Le Théâtre du Marais, op.cit., p.119. (21) Sieur DESFONTAINES, Nicolas Mary, Tragédies hagiographiques, textes établis et présentés par Claude Bourqui et Simone de Reyff, Paris, Société des textes français modernes, 2004, p.401. (22) Le Théâtre professionnel à Paris , op. cit., p.324. (23) On ne connaît pas le montant exact de livres pour lequel Desfontaines la lui a vendue. (24) Le Théâtre professionnel à Paris , op.cit., p.332. Je souligne. (25) Le 1 er juin 1647, trois semaines après la publication de la tragédie de Desfontaines (le privilège fut accordé le 17 avril 1647), celle de Gilbert intitulée Sémiramis, représentée le 13 mai 1647 à l Hôtel de Bourgogne, fut publiée. On peut en déduire que le lieu de la représentation de la tragédie de Desfontaines serait le théâtre du Marais, qui fait concurrence à l Hôtel de Bourgogne. (26) Dans quarante pour cent des cas, l auteur prenait la précaution de demander à son nom «le privilège de publication» de sa pièce, même avant de la vendre au libraire (dans ce cas-là, l auteur pouvait transférer «le privilège» au libraire pour une certaine somme, et «le privilège» devait augmenter légèrement le prix de son manuscrit). Et, dans soixante pour cent des cas, le libraire, après avoir acheté le manuscrit à l auteur, demandait «le privilège». Voir Nicolas Schapira, «Quand le privilège de libraire publie l auteur», in De la publication, entre Renaissance et Lumière, études réunies par Christian Jouhaud et Alain Viala, Paris, Fayard, 2002, pp (27) Le privilege de son onzième tragi-comédie, Bellissante ou la fidélité reconnue, fut accordé au même jour que La Véritable Sémiramis, le 17 avril, Et cette pièce fut publiée chez Pierre Lamy, en (28) Alain Viala, Naissance de l écrivain. Sociologie de la littérature à l âge classique, Paris, Minuit, 1985, pp (29) Ibid., p (30) Ibid., p (31) Dans les années 1640, après avoir vendu la copie de son manuscrit à la troupe des comédiens professionnels contre une certaine somme, l auteur ne touchait plus rien. Car, le système de «la part de l auteur» n est pas encore établi. Ce ne fut qu à partir des années 1660, que l auteur commença à toucher une part d auteur, pendant l exclusivité de la représentation théâtrale. (32) En 1648, il publie un poème pieux intitulé Le Poète chrétien passant du Parnasse au Calvaire. 73

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