LES FLEURS DU MAL, 1857, rééditées en 1862

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1 LES FLEURS DU MAL, 1857, rééditées en 1862 Charles Baudelaire, Le recueil des Fleurs du Mal n a pas été composé d un seul jet, bien loin de là. Il regroupe des poèmes publiés antérieurement dans diverses revues. Deux éditions successives : celle de 1857 qui a été condamnée lors du procès de Baudelaire (la même année que le procès attenté à Flaubert pour son roman Madame Bovary), pour immoralité aussi ; Flaubert gagna son procès alors que Baudelaire dut supprimer 6 poèmes de son recueil. Refusant de publier son recueil ainsi tronqué, il décida d attendre et rajouta une centaine de poèmes avant de décider de publier à nouveau en Ainsi les Fleurs du Mal se virentelles augmenter d une centaine de poèmes bien qu ayant perdu les six interdits en 1857! Les six ne seront réintégrés dans l ouvrage, dans la partie intitulée «Les épaves» qu au XXème siècle! Baudelaire a donc construit son recueil de façon très précise, le divisant en plusieurs parties : «Au lecteur» : Une sorte de préface poétique : qui donne toute la dimension métaphysique du livre : l homme est enfoncé dans le péché. Il ouvre d ailleurs son recueil par un long poème adressé «au lecteur» dans lequel il «explique» ce qu est la relation entre l Homme et le Mal. Pour lui l Homme est «agent» du mal conscient et le Mal inconscient, lui, est inhérent à la condition humaine, une fatalité. «Spleen et Idéal» : cette partie cherche comment échapper au Mal mais échec. Le poète montre la dualité de tout être humain déchiré entre le Spleen et l Idéal. Le spleen, c est l ennui, l insatisfaction, le cafard L Idéal, c est ce qu on voudrait et ce qu on essaie d atteindre. Dans cette partie, deux voies essentielles : l Art et l Amour. L Art est le thème qui est abordé en premier, il est le thème de la grandeur et de la misère de l artiste. L Art rencontre des obstacles : «La Muse malade», «La muse vénale», «Le mauvais moine»,»l ennemi», «Le guignon». L Amour permet d accéder à l Art. «Tableaux parisiens» : c est une tentative de communion humaine dans une ville ; d inspiration sociale, ce cycle montre la solitude humaine dans uns une ville, une communauté illusoire. «Le vin» : il est peu à peu associé aux «paradis artificiels» 1

2 «Les fleurs du Mal» : ce sont «les jeux d un artiste se plaisant à pousser à l extrême les audaces d un certain romantisme scandaleux» «Révolte» : qui est une révolte blasphématoire très profonde. «La mort» : qui est alors saluée sans horreur par le poète. Baudelaire a su donné une chronologie toute particulière à cette œuvre qui aboutit à la mort. Il narre en fait une histoire : celle d un homme déchiré entre le désir d Idéal et la réalité terrible du Spleen, ressentant dans la vie moderne des «Tableaux parisiens» une aggravation de ce déchirement, mais trouvant dans la multitude un premier échappatoire à sa solitude, et tentant des évasions successives dans l ivresse («le vin»), la débauche et la perversion («Les fleurs du Mal»), le renversement blasphématoire («Révolte») pour ne trouver une issue et une valeur que dans «la mort». Ainsi les thèmes de Baudelaire seront-ils tous portés vers l obscure et la tristesse. Le Mal : Pour lui le mal a deux aspects : 1. Le Mal conscient 2. Le Mal inconscient. Baudelaire disait que «à tout moment de la vie de l Homme, il y avait une double postulation : l une vers le Bien et l autre vers le Mal. L une vers Dieu et l autre vers Satan.» C est une philosophie très pessimiste de Baudelaire qui ne se fait aucune illusion sur l Homme. Il est très critique dans son œuvre de l Homme capable de faire le mal de façon consciente. En revanche, le pathétique est terriblement présent dans le Mal inconscient ; et le poète exalte alors l image de Satan, jusqu à l apologie du satanisme. Cette ouverture de l œuvre est très pessimiste : le poète regarde et présente le comportement humain d une manière effroyablement lucide et impitoyable. Et ce poème ne voit que l aspect le plus noir de l être humain. Il donne le ton à l œuvre entière ; il s adresse au lecteur au début et à la fin, d où son titre «Au lecteur», mais en fait s adresse à lui-même et à toute la condition humaine. C est de là que Charles Baudelaire peut apparaître comme un poète qui ouvre la porte à la poésie moderne. Il commence à écrire en 1842, période où le réalisme commence à succéder au romantisme et peu à peu va arriver le symbolisme en poésie. Baudelaire refusera toujours d être enfermé dans le carcan d une école, et pour cause! Baudelaire pourrait facilement à première lecture être catalogué de «romantique» car il l est mais de façon originale. Il 2

3 l est par son individualisme, par sa révolte constante envers les bourgeois, par sa sempiternelle inquiétude et sa recherche incessante d un ailleurs, par sa nostalgie d un monde toujours plus beau, enfin. Il a aussi le sens du Sacré, du religieux comme le prônaient les romantiques. Pour lui le seul progrès valable est un progrès moral et non matériel comme beaucoup le pensent à son époque. Mais pour lui, le vrai romantisme est encore à trouver. Baudelaire est très «personnel» et pourtant reproche aux romantiques de trop parler d eux-mêmes. «Les fleurs du mal est une peinture de la condition humaine» et non de sa propre condition. Le «je» est très rare dans l œuvre et quand il est là, il se rapporte à la condition humaine entière ; il parle alors du monde entier et c est ce que nous appelons un lyrisme impersonnel Baudelaire veut donc renouveler le romantisme et le rendre plus profond et plus moderne. «Le spleen» baudelairien est une véritable peinture du mal de vivre de tous les hommes et non de son propre mal de vivre. Pour les autres romantiques, l amour, l idéal philosophique sont toujours une échappée à ce mal de vivre ; pour Baudelaire, rien ne nous permet d échapper au mal. D où le constat terrible qu il ne peut échapper au mal. Et le spleen c est l impossibilité d accepter la vie. Sa seule consolation, son seul refuge, est l art lui-même. Pour Baudelaire la beauté artistique et le mal sont inséparables ; c est un romantisme de déchirement beaucoup plus profond que celui des autres romantiques. La poésie pour Baudelaire n a d autre but qu elle-même. Les autres poètes se réfugient dans la nature pour se consoler ou s épancher ; Baudelaire, lui, déteste la nature et se sert de la poésie pour protester contre elle. Il veut essayer de montrer une beauté éternelle et en même temps une beauté caractéristique de son époque. Baudelaire est donc un point d aboutissement car il prolonge tout le romantisme ; un point de départ car il est à la base de toute la poésie moderne. SPLEEN ET IDEAL Arthur Rimbaud appelait Charles Baudelaire «Le Premier voyant». Victor Hugo a parlé de «un nouveau frisson». «Spleen et Idéal» est une partie des Fleurs du mal qui regroupe les textes qui ont une origine sentimentale. Il y a des parties très structurées grâce à leurs thèmes. 3

4 Le Spleen Le Spleen, c est le mal de vivre. Il touche toute la condition humaine et on ne peut y échapper. Pour Baudelaire, le spleen, c est l impossibilité d accepter cette vie, l impossibilité d échapper au mal. Le spleen apparaît alors comme une sorte de maladie, un malaise moral et physique, psychologique et métaphysique. Le poète le présente comme un état de prostration. Un critique, René Vicret écrit à ce propos : «Ce n est ni la tristesse, ni le désespoir, ni l ennui, bien qu il possède quelque chose de ces états d âme. Il est plus amer que la tristesse, plus morne que le désespoir, plus aigu que l ennui, dénué à la fois de résignation et d espérance, le spleen est une sorte de violence immobile.» L ennui en est pourtant bien une des caractéristiques premières. Il prend des proportions de l immortalité et est l allié naturel de Satan pour Baudelaire. Il provoque donc une aspiration vers l abîme, vers Satan. C est donc bien un ennemi naturel pour le poète, et par lequel on explique son spleen. Dans une lettre à sa mère en 1867, peu de temps avant sa mort : «Ce que je sens, c est une absence totale de désir, une impossibilité de trouver un amusement quelconque, je me demande sans cesse à quoi bon ceci, à quoi bon cela, c est là le véritable esprit du spleen.» Les caractéristiques du spleen : Il est saisonnier : l automne et l hiver sont ses saisons de prédilection ; les temps pluvieux, brumeux. Dans «Chant d automne» il écrit «Bientôt nous plongerons dans les froides ténèbres.» Dans «La cloche fêlée», «Il est amer et doux pendant les nuits d hiver». En ces circonstances, nous pouvons dire que l âme du poète semble captive et les termes de comparaison sont éloquents : l image du cercueil, la pluie qui deviennent des barreaux. Le spleen est une obsession du temps qui passe et qui mène alors au gouffre, à l abîme, à la mort. Dans «Le goût du néant» il écrit : «Et le temps m engloutit minute par minute» Ainsi que dans le poème dont le titre même est évocateur, «L horloge» «Horloge! Dieu sinistre, effrayant, impassible / Dont le doigt nous menace et nous dit souviens-toi / Souviens-toi que le temps est un joueur avide.» 4

5 Les conséquences du Spleen baudelairien : Semblable à ce qu on nomme aujourd hui une dépression il mène à une fin inéluctable et à la recherche du suicide. Ce malaise physique et psychologique provoque un état hallucinatoire qui se construit peu à peu sur des éléments auxquels on ne peut échapper : les sensations visuelles, auditives, tactiles, olfactives Cette maladie s empare donc surtout des âmes sensibles, comme celles des poètes qui sont en correspondance permanente avec des phénomènes qu ils ne peuvent pas partager avec les autres. Charles Baudelaire possède cet art de comprendre toutes les correspondances qui l entourent voir son poème «Correspondances» : «Comme de longs échos qui de loin se confondent / Dans une ténébreuse et profonde unité / Vaste comme la nuit et comme la clarté / Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.» - mais il a bien du mal à les exprimer et du fait d être une âme hypersensible à tout ce qui l entoure, il ressent un mal existentiel profond. Il ne peut écrire ce qu il ressent et à la fin de sa vie, «l ennui» s empare totalement de lui et la crise et le délire commence comme il l a écrit dans «La cloche fêlée» : «Des cloches tout à coup sautent avec furie / Et lancent vers le ciel un affreux hurlement». La source de ce mal prend naissance dans cette impossibilité d écrire ce qu il ressent : «Riche mais impuissant» Spleen LXI «Je suis comme le roi d un pays pluvieux», et cette impuissance est source d un malaise existentiel : ses «correspondances», ne pouvant être exprimées, s accumulent, léguant un pouvoir immense qui pourtant ne peut s affirmer : «J ai plus de souvenirs que si j avais mille ans». Toutes ces données extérieures, ou «correspondances», qu il perçoit crée en lui une formidable pression : «Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle» Spleen LXII. Ces données extérieures sont d ailleurs très subjectives ; en effet le spleen peut naître d une pluie, d un brouillard, d un feu qui servent de tremplin à la création de Baudelaire. Mais sa création ne peut aboutir que dans une crise. L impossibilité d écrire ce qu il ressent le plonge dans une sorte de dépression ; il perd sa raison d être. Plus les correspondances sont fortes, plus la crise est forte : «Quand le ciel bas et lourd pèse»et là nous ressentons bien toute son angoisse ; Baudelaire sent sa crise arriver, il sait aussi qu il ne peut rien faire pour l enrayer et il connaît déjà l issue finale : «Sur mon âme inclinée plante son drapeau noir». 5

6 L Idéal Il symbolise l inspiration «positive», la joie de vivre, sa douceur. C est par la poésie que le poète entrevoit l Idéal. C est un monde entièrement conçu et rêvé par l esprit. Baudelaire pense que l homme a le goût de l infini et qu il veut trouver l Idéal. Dans l œuvre de Baudelaire, l Idéal se caractérise par la soif de pureté (cf Elévation). Cette ivresse de la «légèreté» spirituelle, c est l aspect positif du poète et ce désir de pureté se retrouve dans l évocation du paradis perdu (cf : La vie antérieure) Mais c est surtout l art qui apparaît à Baudelaire comme l instrument le plus précieux pour atteindre l Idéal. (cf : Les phares) Pour lui, les artistes qui expriment leur amertume ou les illusions de la vie sont des phares, témoins lumineux de l éternelle misère. «Car c est vraiment, Seigneur, le meilleur témoignage /que nous puissions donner de notre dignité / que cet ardent sanglot qui roule d âge en âge / et vient mourir au bord de votre éternité». L art transfigure le quotidien en s en inspirant : il est tentative pour arracher l homme au spleen! Pour lui, c est aussi par le voyage qu il s évadera. Un voyage tout spirituel qui lui permettra d échapper à la douleur. La femme aimée l accompagne dans ce voyage et le conduit dans son errance ; elle est souvent associée au navire. (cf : Le beau navire). Il va donner une impression de profondeur, d infini Le poète a la nostalgie d un pays perdu, d une époque qui aurait existé avant l apparition du mal, d où la note exotique dans ses poèmes. Par le jeu de «correspondances», il associe les parfums à l oisiveté et ils deviennent le messager idéal des sensations, qui dans l art vont toutes se réconcilier. Ils vont allier tout ce qui est fixe au mouvement, tout ce qui est immobile au mobile, l amour à la joie, les sens à l esprit. L Idéal pour Baudelaire est un pays où règne l harmonie. Les sonorités aussi participent à cette harmonie. Les couleurs dominantes seront celles du soleil, du feu et de l or mais on y trouve aussi le violet, teinte de l intimité ou le rose qui appelle la légèreté. Dans l Idéal, se mêlent toutes les couleurs qui ont de la profondeur et un rayonnement. La transparence est splendeur et va évoquer l ombre comme celle qui se dessine dans le miroir ; comme dans Le chat : Le poète se fait miroir et se reflète dans les yeux du chat : ces yeux l invitent à regarder l au-delà. Baudelaire installe une «correspondance entre les yeux «miroir» et le métal ou la pierre.tout est reflet pour lui. Mais malgré ces synesthésies, ces correspondances entre les sensations, Baudelaire ne parvient pas à échapper à sa douleur. Et il en viendra 6

7 rapidement à utiliser les drogues ; il sera aussi le premier à utiliser le rêve conscient! Ce en quoi on peut dire de lui qu il est le premier précurseur des poètes surréalistes! Il ne comprend les choses et les êtres que par les sensations qu elles provoquent. Ainsi tente-t-il d apprivoiser la profondeur 7