LE GAZ DE SCHISTE. Ser vice national famille et société FICHE FAMILLE ET SOCIÉTÉ N 146. Département Environnement et Modes de Vie.

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1 Ser vice national famille et société Conférence des évêques de France Mai 2011 Département Environnement et Modes de Vie LE GAZ DE SCHISTE L opinion publique s est saisie récemment de la question des gaz de schiste, à cause des enjeux et des risques qu ils représentent, au point que le gouvernement a décidé un moratoire pour les projets d exploration. Cette fiche a pour but de présenter les éléments du dossier et les questions qui se posent, dans un contexte général de «développement durable», de pénurie d énergie et de changements climatiques. Cette fiche a été rédigée par François Barthélémy, Ingénieur général honoraire des mines, ancien membre de l inspection générale de l environnement, par Jean-Pierre Chaussade, ancien cadre dirigeant d EDF, diacre, et par Jean-Claude Gall, géologue, professeur émérite de Géologie et de Paléontologie à l Université de Strasbourg. Elle a bénéficié du travail de l Antenne «environnement et modes de vie», groupe d experts associé au Département environnement et modes de vie de la Conférence des évêques de France. Jean-Hugues Bartet Directeur du département environnement et modes de vie gh LES DONNÉES TECHNIQUES Le gaz de schiste constitue une source d énergie utilisée depuis peu. Son exploitation présente des particularités qui la différencie de celle des énergies fossiles conventionnelles. n L origine des gaz de schiste Le gaz naturel, le pétrole et le charbon sont qualifiés de combustibles fossiles parce que leur mise en place s est réalisée au cours des durées géologiques. Ils ne sont renouvelables qu à l aune de millions d années. Pour les géologues, il s agit de matières, solides, liquides ou gazeuses, à base de carbone et d hydrogène, résultant de la transformation de la matière organique élaborée par des animaux et des végétaux, mais également, pour une part importante, par des microorganismes (bactéries, algues microscopiques, plancton). Elles témoignent de l énergie solaire emmagasinée par le monde vivant d un passé lointain. Au cours de son enfouissement dans les profondeurs de l écorce terrestre, la matière organique subit des transformations graduelles, d abord par l activité microbienne, ensuite par l action des températures et des pressions qui croissent avec la profondeur. Elle s enrichit en carbone. À faible profondeur, la matière organique se transforme en bitume, un produit dense et visqueux (le kérogène) qui imprègne les schistes bitumineux. Entre 1000 et 3000 m de profondeur, la matière organique évolue en pétrole. Entre 3000 et 5000 m. elle donne essentiellement du gaz. Les gaz qui demeurent dispersés à l intérieur des roches étanches dans lesquelles ils ont été élaborés, constituent le gaz de schiste. Mais les gaz, tout comme les hydrocarbures, peuvent migrer à travers certaines roches vers la surface, en raison de leur densité faible. Piégés au cours de leur migration dans une roche poreuse surmontée d une roche imperméable, ils s accumulent et donnent 58, avenue de Breteuil Paris snfs@cef.fr FICHE FAMILLE ET SOCIÉTÉ N 146

2 Fiche famille et société naissance à un gisement d hydrocarbures ou à une poche de «gaz conventionnel». Le charbon, quant à lui, peut être considéré comme un hydrocarbure solide constitué à partir de restes végétaux. Contrairement au pétrole, il ne migre pas. Les veines de charbon des bassins houillers se sont développées sur le lieu même où poussait la végétation qui en est responsable. L exploitation intensive des gisements conventionnels de charbon, de pétrole et de gaz au cours des deux derniers siècles, a entraîné l épuisement progressif des réserves mondiales. Aussi se tourne-t-on aujourd hui vers la prospection et l exploitation de gisements moins riches, nécessitant des techniques d extraction plus coûteuses. Tel est l enjeu du gaz de schiste. n Techniques d exploitation des gaz de schiste Le pétrole et le gaz naturel exploités de nos jours proviennent de gisements «conventionnels». Il s agit donc de «roches-réservoirs» poreuses (souvent des sables ou des grès) recouvertes d une couche imperméable (souvent de l argile), un piège qui empêche les fluides, hydrocarbures, gaz et eau, de s échapper vers la surface et assure leur concentration et leur rétention. La recherche pétrolière classique consiste à repérer des structures géologiques susceptibles d avoir joué un tel rôle. Des forages plus ou moins profonds permettent de pomper le pétrole et le gaz à moins que leur pression ne soit suffisante pour les faire jaillir spontanément. Le gaz de schiste, constitué par du méthane, est hébergé dans des roches susceptibles de se débiter en feuillets, communément qualifiées de schistes. Par rapport aux réserves de «gaz conventionnel», il ne se trouve pas concentré dans des gisements bien circonscrits, mais dispersé dans les fissures et les interstices d un énorme volume de roches-réservoirs. Aussi, sa faible concentration exige-t-elle des techniques d exploitation spécifiques. Pour prélever ce gaz, il est nécessaire de recourir à la technique de l hydrofracturation. On réalise des forages d abord verticaux pour atteindre le niveau des schistes (généralement à plus de 2000 M. de profondeur) puis déviés horizontalement pour atteindre un plus grand volume de roche avec un seul forage. L hydrofracturation consiste en la fracturation de la roche par injection, sous très forte pression, d eau mêlée de sable (qui sert à empêcher les fractures de se refermer) et d additifs chimiques, dont certains peuvent être toxiques. La fracturation permet au gaz de circuler puis d être récupéré. Concrètement on injecte de à m3 d eau et 1500 t de sable dans des drains horizontaux de 1000 à 1500 m. comportant jusqu à 16 étapes de fracturation. 30 % de l eau est récupérée (éjectée par le gaz) puis traitée. Les additifs chimiques (0,14 % en volume) servent à rendre la fracturation hydraulique plus efficace et leur composition peut varier selon les conditions géologiques. 2

3 LE DÉBAT SUR LES GAZ DE SCHISTE S il se développe un vif débat sur les gaz de schiste, c est à la fois parce que les risques pour l environnement sont sérieux et parce que les intérêts en jeu sont considérables. n Exploitation des gaz de schiste et environnement L exploitation des gaz de schiste nécessite de très grandes quantités d eau qui sont injectées dans le sol et ne sont que partiellement récupérées, ce qui selon les régions peut soulever des problèmes de ressource en eau. L eau injectée est additionnée de divers produits chimiques. Il y a donc un risque que l eau injectée contenant des produits toxiques ne vienne contaminer les nappes phréatiques situées au-dessus des couches de schistes. Le développement très rapide de l exploitation des gaz de schiste aux États-Unis depuis quelques années a donné lieu, en effet, à des cas de contamination des nappes phréatiques superficielles par des fluides de fracturation. En plus des problèmes techniques liés à ce type d exploitation, il y a un problème d information du public et de prise en compte de ses observations. En France, ces travaux se font dans le cadre du code minier qui prévoit l attribution de permis de recherche puis de permis d exploitation et dans certains cas d autorisations de travaux avec enquête publique. Actuellement des permis de recherche ont été accordés sur de très vaste superficie (plusieurs milliers de km²). Cette procédure vise surtout à protéger les intérêts des industriels en leur donnant un droit exclusif de rechercher du gaz dans le périmètre concerné. Par contre, à ce stade, l industriel n est pas tenu de préciser le détail des travaux qu il compte entreprendre et de faire une étude d impact de ces travaux. Ensuite, lors de la réalisation des forages de prospection puis d exploitation, il y a bien des procédures de déclaration ou d autorisation mais, pour les forages, il n y a pas d enquête publique. Cette situation était déjà discutable pour les forages «classiques» dont les risques sont connus, elle est inquiétante s agissant d une nouvelle technique qui pose des problèmes d environnement du fait de la consommation importante d eau et surtout du fait de l injection dans le sous-sol de produits éventuellement toxiques. n Intérêt économique de ce type de gisement de gaz L intérêt de l exploitation de ce type de gisements de gaz est évidemment d augmenter considérablement les ressources de gaz utilisable au moment où les réserves de gaz conventionnel s épuisent. Les réserves de gaz non conventionnel sont estimées au double des réserves de gaz conventionnel. Si ces gisements n avaient pas été exploités jusqu à présent c est, d une part, que l on ne disposait pas des techniques nécessaires à cette exploitation et d autre part que le coût d exploitation de ces gisements était plus élevé que celui des gisements conventionnels et qu ils n étaient pas rentables. Avec la hausse du prix du gaz et la baisse du coût des techniques, associées à une forte progression du taux de récupération du gaz, ce type d exploitation est devenu rentable et cette technique a été largement développée depuis quelques années aux États-Unis. En 2008, puits y ont été forés, et on prévoit de forer puits d ici à Dès maintenant les gaz non conventionnels, dont les gaz de schiste, représentent 50 % de la consommation de gaz aux USA, et atteindront 64 % en Ces ressources, encore mal connues en dehors de l Amérique du Nord, sont en cours d évaluation dans plusieurs pays. L Australie, la Chine et l Inde, notamment, souhaitent développer leur potentiel. n Quelle situation en France? En mars 2010, plusieurs permis de recherche ont été accordés dans le Sud-Est de la France, selon les modalités, évoquées ci-dessus, du code minier actuel. Plus récemment, devant un mouvement d opinion hostile à ces permis d exploration rassemblant associations de protection de la nature et de l environnement, citoyens et élus de tous bords, la ministre de l environnement a annoncé un moratoire sur toute prospection. Elle a demandé à une mission conjointe du Conseil général de l industrie, de l énergie et des technologies (CGIET) et du Conseil général de l environnement et du développement durable (CGEDD) d éclairer le Gouvernement sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux des hydrocarbures de roche-mère (gaz et huiles de schiste). En effet, il existe aussi, dans certaines roches du Bassin parisien, du pétrole disséminé de la même manière. Le gaz de schiste 3

4 Fiche famille et société Dans son rapport d étape du 21 avril 2011, à la question «Ces ressources sont-elles économiquement exploitables?» la mission répond qu «en l absence de tests de rendement réalisés dans le cadre de l exploration, aucune réponse définitive ne peut être apportée à la question», mais que «d un point de vue technique et économique, la probabilité que l accès à ces gisements permette à notre pays, à un horizon temporel à préciser, de réduire très sensiblement ses importations d hydrocarbures et de limiter d autant le déficit de sa balance commerciale n apparaît pas négligeable.» Le rapport note que les grands organismes techniques français et les entreprises à l étranger «reconnaissent qu il reste des marges de progrès à réaliser [ ] pour rendre ces forages compatibles avec la protection de l environnement». n Conditions proposées pour reprendre des explorations en France Constatant qu «il serait dommageable pour l économie nationale et pour l emploi, que notre pays aille jusqu à s interdire de disposer d une évaluation approfondie de la richesse potentielle, sans pour autant préjuger des suites qu il entend y donner», la mission «suggère aux ministres de retenir les principes suivants : u Lancer un programme spécifique de recherche scientifique, dans un cadre national ou européen, sur les techniques de fracturation hydraulique et leurs impacts environnementaux ; u S agissant des Causses-Cévennes, il importera de parfaire la connaissance scientifique du fonctionnement des aquifères [ ] indispensable à une gestion optimale de la ressource en eau ; u Promouvoir la réalisation, par les industriels, d un nombre limité de puits expérimentaux «sur-instrumentés» afin de pouvoir s assurer du respect des enjeux environnementaux.» La mission demande qu un encadrement «strict» de ce programme soit assuré par un «Comité scientifique national composé d experts et d universitaires» et avec «la participation de la société civile». «Des comités locaux d information» (élus, représentants des ONG environnementales) «seront mis en place dans chaque département concerné». La mission recommande également de mettre à jour la codification du code minier et «d actualiser la réglementation afférente à l exploration et à l exploitation des hydrocarbures de roche-mère dans le sens d une amélioration de l information et de la consultation du public et des élus». C est seulement à l issue de ce programme que «l expérience acquise [ ] permettra de prendre des décisions rationnelles sur l opportunité d une exploitation de gaz et huiles de roche-mère en France». D AUTRES ENJEUX AUTOUR DES GAZ DE SCHISTE Le problème de l exploitation des gaz de schiste se situe dans un ensemble plus vaste qui est la problématique de l épuisement des réserves d énergies fossiles et du changement climatique lié à l effet de serre. Au niveau actuel de consommation des combustibles fossiles, l épuisement des réserves de gaz et de pétrole pourrait intervenir dans quelques dizaines d années. Aussi l on recherche de tous côtés de nouveaux gisements qui d une part sont beaucoup plus coûteux à exploiter mais d autre part présentent des risques d accidents ou de pollution plus importants que les gisements exploités jusqu à maintenant. C est l exemple récent de la difficulté à colmater la fuite du forage pétrolier sous-marin dans le golfe du Mexique. n Lutter contre le réchauffement climatique Mais il faut prendre en compte dans le raisonnement que le changement climatique lié à l effet de serre constitue une contrainte plus forte que l épuisement des réserves. Si l on continue à utiliser les énergies fossiles au rythme actuel, les conséquences d ici la fin de ce siècle seront extrêmement graves : montée des eaux des océans submergeant de vastes zones littorales très peuplées, désertification de certaines zones, multiplication des catastrophes climatiques etc. Il faut souligner que ces effets seraient particulièrement dévastateurs pour les pays les plus pauvres qui seraient les plus touchés par le changement climatique et auraient le moins les moyens de s en protéger. Pour limiter ces conséquences, il faudrait réduire les émissions de gaz à effet de serre de moitié au niveau mondial ce qui, compte tenu de la grande différence des niveaux d émission entre les pays les plus riches et les autres 1, implique que les pays les plus riches divisent leurs émissions par quatre. 1 Les pays les plus riches représentent 20 % de la population mondiale mais 50 % des émissions de gaz à effet de serre. 4

5 n Réduire nos consommations d énergie Ne miser que sur le développement de nouveaux gisements d énergie fossile serait une fuite en avant sans issue alors qu il faut surtout réduire la consommation d énergie et développer aussi des énergies renouvelables. Par exemple le biogaz issu de la biomasse, équivalent du gaz naturel, présente un potentiel important en France où l on a choisi de n en produire que par fermentation de déchets. Cela évite de faire appel aux cultures énergétiques comme c est le cas en Allemagne qui prévoit d assurer 10 % de son approvisionnement en gaz en 2030 par du biogaz. n Utiliser le gaz à bon escient Cependant, parmi les énergies fossiles, le gaz naturel est une énergie dont la combustion émet deux fois moins de CO² que celle du charbon ou du fioul. De ce fait, il est encouragé, de préférence à ces dernières, pour le chauffage en particulier. Actuellement, pour le gaz naturel, la France est à 95 % dépendante de l étranger, (Russie, Algérie et Pays-Bas). En outre, le prix du gaz dans les marchés de long terme est indexé sur le prix du pétrole et augmente ainsi régulièrement. Des besoins vitaux comme le chauffage des ménages, sont alors pénalisés. Si un jour on découvre en France des gisements de gaz de schiste exploitables, leur exploitation serait-elle sans risques d atteinte à l environnement? Ceci reste encore à démontrer. Mais si c était le cas, leur mise en production permettrait de diminuer le volume de nos importations, d améliorer notre indépendance énergétique et de mieux maîtriser les prix du gaz. n Vers de nouveaux styles de vie Toutefois, la recherche de nouvelles possibilités d exploitation d énergie, comme celle des gaz de schiste, ne devrait pas être une raison pour éviter de diminuer notre consommation d énergie, face aux défis du «développement durable», des pénuries d énergie et des changements climatiques. En effet, relever ces défis ne dépend pas d abord des innovations technologiques mais de notre capacité à changer nos modes de vie, pour plus de relation et moins de consommation. Comme l affirme Benoît XVI, dans l encyclique Caritas in veritate : «Les sociétés technologiquement avancées peuvent et doivent diminuer leur propre consommation énergétique» 2 ; mais «une redistribution planétaire des ressources énergétiques est également nécessaire» 3. Plaidant pour «un développement humain intégral» 4, son appel est clair : «un véritable changement de mentalité est nécessaire qui nous amène à adopter de nouveaux styles de vie dans lesquels les éléments qui déterminent les choix de consommation, d épargne et d investissement soient la recherche du vrai, du beau et du bon, ainsi que la communion avec les autres hommes pour une croissance commune» 5. 2 Caritas in veritate, N Caritas in veritate, N Caritas in veritate, N Caritas in veritate, N 51, citant Centesimus annus N 36. Le gaz de schiste 5