LEÇON N 46 : Suites de nombres réels définies par une relation de récurrence. Pré-requis : Suites numériques : monotonie, convergence, divergence ; Théorème des valeurs intermédiaires ; R est complet : toute suite de Cauchy y est convergente. Notations : Soient I un intervalle non vide de R et f une application définie sur I telle que f(i) I. Il existe alors une unique suite (u n ) n N (notée simplement (u n ) dans la suite) définie par : { u0 I, On note encore F = {x I f(x) = x}. u n+1 = f(u n ), n N. 46.1 Monotonie de la suite Théorème 1 : (i) Si f est croissante sur I alors (u n ) est monotone et de plus, a. Si f(u 0 ) u 0, alors (u n ) est croissante, b. Si f(u 0 ) u 0, alors (u n ) est décroissante ; (ii) Si f est décroissante sur I, alors (u n ) n est pas monotone, mais les sous-suite (p n ) = (u 2n ) et (i n ) = (u 2n+1 ) le sont, et a. Si u 2 u 0, alors (p n ) est croissante et (i n ) décroissante, b. Si u 2 u 0, alors (p n ) est décroissante et (i n ) croissante. (i) Montrons par récurrence que pour tout entier naturel n, u n+1 u n (resp. ). L initialisation est assurée par l hypothèse. Supposons alors que u n u n 1 (resp. ). Alors f (dé)croissante f(u n ) f(u n 1 ) (resp. ) déf. u n+1 u n (resp. ). (ii) Supposons que u n 1 u n. Alors f décroissante f(u n 1 ) f(u n ) (resp. ) déf. u n u n+1 (resp. ), donc (u n ) n est pas monotone. Notons que p n+1 = f f(p n ) et i n+1 = f f(i n ), et f f est croissante. En supposant u 2 u 0 (resp., ce qui précède nous permet d affirmer que u 3 u 1 (resp. ). Par application de (i), on en déduit que (p n ) est croissante (resp. décroissante) et (i n ) décroissante (resp. croissante).
2 Suites de nombres réels définies par une relation de récurrence Représentation et interprétation graphiques Dans un repère orthonormé, on trace la première bissectrice (la droite d équation y = x) et la courbe représentative de f. Expliquer comment on construit la suite (u n ). y = x f(u 0 ) = u 1 f(u 1 ) = u 2 u 0 u 2 u 4 u 6 u 5 u 3 u 1 On place u 0 sur l axe des abscisses. On monte jusqu à la courbe, et on lit f(u 0 ) = u 1 sur l axe des ordonnées (ici il vaudrait 3). Grâce à la première bissectrice, on peut transporter cette valeur sur l axe des abscisses, et recommencer avec cette nouvelle valeur u 1! Remarque 1 : Si I est un fermé, alors toute suite (u n ) monotone converge dans I. À partir de maintenant, on suppose que I est fermé. 46.2 Comportement asymptotique de la suite Notons F l ensemble des points fixes de la fonction f. Sur l illustration ci-dessus, on observe que si I = [1, 3], on a bien f(i) I et I est un fermé. On constate que (u n ) tend vers un point l [1, 3] vérifiant f(l) = l, c est-à-dire vers un point fixe de f : Proposition 1 : Supposons f continue sur I. Si la suite (u n ) converge vers une limite finie L, alors L F.
Suites de nombres réels définies par une relation de récurrence 3 Supposons que (u n ) converge vers une limite finie L. Dans ce cas, lim u n = lim u n+1 = lim f(u n ) f cont. ( ) = f lim u n. n n n n Puisque lim n u n = L I (car I fermé), on a L = f(l) par unicité de la limite. Remarque 2 : Il en résulte, par contraposée, qu une condition nécessaire pour que (u n ) converge est que F =. 46.2.1 Cas où f est croissante D après le théorème 1, (u n ) est monotone. Si I = [a, b], alors (u n ) converge et donc F =. Étudions le cas (u n ) croissante (l autre cas s étudiant de manière analogue). Proposition 2 : (i) Si F [u 0,+ [=, alors lim n = + ; (ii) Si F [u 0,+ [ =, alors (u n ) converge en croissant vers min(f [u 0,+ [). (i) On raisonne par contraposée. Supposons u n L < +. Alors L F (proposition 1), et (u n ) est croissante implique que L u 0, d où F [u 0, + [ =. (ii) Puisque nous sommes dans le cas où f est croissante, et qu il en est de même de (u n ) par supposition, le théorème 1 nous assure que f(u 0 ) u 0. Puisque f est continue, et que F [u 0, + [ =, on en déduit qu il existe un espace entre la courbe de f et la première bissectrice (entre les abscisses u 0 et min(f [u 0, + [)), dans lequel reste l escargot de la construction de la suite (u n ) strictement croissante (en effet, si la suite possédait deux termes consécutifs égaux, c est qu à partir de ce rang, u n = min(f [u 0, + [), et la convergence est assurée). La suite (u n ) est strictement croissante et bornée dans [ u 0, min(f [u 0, + [) ], elle converge donc vers une limite finie L qui est donc un point fixe de f (proposition 1). Le seul point fixe de cet intervalle est min(f [u 0, + [). Représentations graphiques : u 0 u 1 u 2 u 3 u 4 u5 u 0 u 1 u 2 Cas (i) Cas (ii)
4 Suites de nombres réels définies par une relation de récurrence 46.2.2 Cas où f est décroissante Proposition 3 : La suite (u n ) converge si et seulement si ses sous-suites (i n ) = (u 2n+1 ) et (p n ) = (u 2n ) sont adjacentes. " " : Trivial, en utilisant le théorème 1. " " : Par la proposition 1, les suites (i n ) et (p n ) convergent chacune vers un point fixe de f f. Notons L leur limite commune et soit ε > 0. Il existe alors N N tel que n N vérifie u 2n L < ε et u 2n+1 L < ε. Par inégalité triangulaire, on trouve que u 2n u 2n+1 < 2ε. Soient p, q N tels que p < q. On a alors u p u q u p u p+1 + + u q 1 u q = (q p) 2ε, q p u p+i 1 u p+i i=1 donc (u n ) est une suite de Cauchy dans I, qui converge alors vers une valeur notée l I (I fermé). D après la proposition 1, l = f(l), donc l = f(l) = f f(l) et l est point fixe de f f, d où L = l. 46.2.3 Cas où f est contractante Définition 1 : f est dite contractante si k [0, 1[ x, y I, f(x) f(y) k x y. Théorème 2 : Si f est contractante, alors f admet un unique point fixe L vers lequel converge la suite (u n ), convergence contrôlée par l inégalité u n L k n u 0 L. Convergence : Montrons que la suite (u n ) est une suite de Cauchy. Pour tous entiers n et p, on a Posons alors S n = u n+p u n u n+i+1 u n+i ( n k i, de sorte que k u n+i u n+i 1 k i ) u n+1 u n ( ) k i+n u 1 u 0. k i+n = S n+ S n 1. f(u n+i ) f(u n+i 1 ) k i u n+1 u n ( ) k i k n u 1 u 0
Suites de nombres réels définies par une relation de récurrence 5 Or k [0, 1[, donc (S n ) est convergente, et est donc une suite de Cauchy. On en déduit que Finalement, on trouve que ε > 0, N N n N, p N, S n+ S n 1 < ε. u n+p u n S n+ S n 1 u 1 u 0 < ε u 1 u 0, nous amenant à écrire que (u n ) est une suite de Cauchy, qui converge donc vers une limite L I. Existence du point fixe : Par la proposition 1, L est point fixe de f. Unicité du point fixe : Supposons qu il existe deux points fixes distincts L et L de f. Alors ce qui est impossible. L L = f(l) f(l ) k L L < L L car k < 1, Convergence contrôlée : On vérifie l inégalité par récurrence. L initialisation au rang n = 0 est évidente. Supposons alors l hypothèse de récurrence (H.R.) vraie au rang n, et montrons qu elle l est toujours au rang (n + 1) : u n+1 L = f(u n ) f(l) k u n L H.R. k n+1 u 0 L. Remarque 3 : Soit (u n ) une suite définie par une relation de récurrence qui converge vers une limite L inconnue. À la calculatrice, lorsqu il s agit de trouver l entier N tel que n N, u n L 10 p (p donné), il faut utiliser l une des méthodes suivantes : Si (u n ) est non monotone, alors (proposition 3) les sous-suites (i n ) et (p n ) sont adjacentes, donc il suffit de comparer p n i n à 10 p. Si (u n ) est monotone, alors il est nécessaire d avoir une majoration a priori de l erreur, par exemple par le théorème 2. ATTENTION : Soit u n = 1 + 1 2 + + 1 n. À cause de la précision limitée des calculatrices (10 ou 12 chiffres, généralement) en mode "flottant" (calculs avec virgule), cette suite convergera vers la valeur 1 + 1 2 + + 1 N, 1 où N sera l entier tel que N+1 = 0 (au sens de la calculatrice!! en effet, au bout d un certain temps, le nombre n 1 devient si petit quand n augmente que la calculatrice le remplacera par 0). Or cette suite tend clairement vers + (série harmonique), donc la convergence à la calculatrice n entraîne pas celle en réalité... 46.3 Applications 46.3.1 Méthode des Babyloniens Soient a R + et la suite de Héron définie par u 0 R + u n+1 = 1 ( u n + a ), n N. 2 u n
6 Suites de nombres réels définies par une relation de récurrence (i) Montrer que pour tout entier naturel n, on a u n+1 a = (u n a) 2. (ii) En déduire que (u n ) est décroissante et que (u n ) converge vers a. Solution : (i) Soit n N. Alors (u n a) 2 = u n 2 a + a = u n 2 a + a = u n+1 a. Remarquons alors que puisqu un carré est toujours positif et que u n 0 (facile à montrer par récurrence), on a alors u n+1 a 0 pour tout n N. (ii) On a que u n+1 u n = a>0 = (u n a) 2 0 (rem. du (i)) {}}{ ( a un ) u n + a = u n 2 a + a 2 u n }{{} 0 0 {}}{ ( a + un ) 0. 2un 2 + a = a u2 n prouvant ainsi que la suite (u n ) est décroissante. De plus, elle est minorée par 0 puisque tous ses termes sont par construction positifs, donc elle converge vers une limite L qui (d après la proposition 1) vérifie L = 1 2 ( L + a ) 1 L 2 L = 1 a 2 L L2 = a, en utilisant la fonction f : R + R + x 1 ( x + 1 ). 2 x On en déduit alors que L = a, l autre solution de l équation précédente ne convient pas puisque a R +. 46.3.2 Méthode de Newton Supposons f strictement convexe sur I = [a, b] et f(a) f(b) < 0. Par le théorème des valeurs intermédiaires, il existe un unique x ]a, b[ tel que f(x) = 0. La suite définie par converge alors vers x. u 0 [a, b] u n+1 = u n f(u n) f (u n ), n N Exemple : f(x) = x 2 a, pour a > 0. On a alors f (x) = 2x, d où u n+1 = u n u2 n a = 1 ( u n + a ). 2 u n On pourra montrer, par approfondissement, que la convergence de cette suite vers a est beaucoup plus rapide qu avec la méthode des Babyloniens. c 2012 par Martial LENZEN. Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite sans l autorisation expresse de l auteur.