Un complément à la leçon sur l équation fonctionnelle de la fonction exponentielle

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Transcription:

Préparation au CAPES Strasbourg, octobre 2008 Un complément à la leçon sur l équation fonctionnelle de la fonction eponentielle Il est naturel de construire la leçon Caractérisation des fonctions eponentielles par l équation fonctionnelle f( + y) = f()f(y) en supposant connue une définition de la fonction eponentielle. En effet le terme «caractérisation» indique que cette fonction a été définie auparavant. Mais soit on l a définie comme solution de l équation différentielle y = y et y(0) = 1, et cela demande d avoir démontré l eistence et l unicité de la solution de cette équation différentielle ce qui est loin d être facile, même en connaissant le principe de la méthode d Euler. Soit on l a définie comme réciproque de la fonction logarithme, mais encore a-t-il fallu démontrer auparavant l eistence d une primitive de la fonction t 1 t ce qui est aussi loin d être évident. Nous proposons ici un théorème qui permet de démontrer l eistence de fonctions vérifiant l équation fonctionnelle en n utilisant que des propriétés fondamentales de Q et R. On pourra utiliser ce résultat soit pour définir directement l eponentielle, soit comme complément à la leçon. 1. Le théorème principal Théorème Soit a un réel strictement positif. Il eiste une unique fonction f monotone sur R telle que { (1) R, y R, f( + y) = f()f(y), ( ) (2) f(1) = a ; Démonstration Analyse : Supposons qu il eiste une fonction f vérifiant ( ). Étape 1. On déduit de (1) que les valeurs de la fonction f sont positives ou nulles car pour tout R on a f() = f( 2 )2. On déduit de (2) que la fonction f ne s annule pas car f() = 0 = f(1) = f(1 )f() = 0. De plus f(0) = 1 car f(0)f(1) = f(1) et f(1) 0. On en conclut que f(0) = 1 et R, f() > 0. Étape 2. En utilisant (1), on vérifie par récurrence sur n que pour tout R et tout entier n N on a ( f(n) = f() n d où aussi f = n) n f(). Comme f(0) = 1, on en déduit que pour n Z on a f(n) = f() n. Et en utilisant (2) on conclut que r Q, f(r) = a r. Étape 3. Cas où a = 1. Dans ce cas la restriction de f à Q est constante. Comme f est supposée monotone, elle est nécessairement aussi constante sur R et égale à 1 (tout réel est compris entre deu rationnels).

2 Nicole Bopp Étape 4. Cas où a > 1. Dans ce cas la restriction de f à Q est strictement croissante d après l étape 2. La fonction f, supposée monotone sur R, est donc nécessairement croissante. On en déduit que pour fié dans R on a (r Q et r ) = a r f(), (r Q et r ) = a r f(). L ensemble {a r r Q, r } est non vide et majoré (par a n 0 où n 0 est un entier strictement supérieur à ). Il admet donc une borne supérieure A = sup{a r r Q, r }, et de même l ensemble {a r r Q, r } admet une borne inférieure D où nécessairement B = inf{a r r Q, r }. A f() B. On déduit des définitions des bornes inférieures et supérieures, l eistence d une suite de rationnels r n et d une suite de rationnels ρ n telles que lim n arn = A et lim n aρn = B. Or la suite a ρn rn tend vers 1 pour n tendant vers l infini (voir le lemme en annee). On en déduit que A = B. Par conséquent on a nécessairement R, f() = sup{a r r Q, r } = inf{a r r Q, r }. Étape 5. Cas où a < 1. On démontre de façon analogue (il suffit de renverser les inégalités) que R, f() = inf{a r r Q, r } = sup{a r r Q, r }. Conclusion. S il eiste une fonction f vérifiant ( ) elle est déterminée de façon unique par les résultats obtenus au étapes 3 à 5. Montrons maintenant que ces formules définissent une fonction monotone sur R vérifiant ( ). C est l objet de la Synthèse : Nous la ferons uniquement dans le cas où a > 1. C est trivial dans le cas où a = 1 et analogue dans le cas où a < 1. Soit f la fonction définie par ( ) R, f() = sup{a r r Q, r }. Propriété 1. Comme la fonction r Q a r est croissante sur Q (on a supposé a > 1), on a Q, sup{a r r Q, r } = a d où f() = a, en particulier f(1) = a. Propriété 2. Soient deu réels < y. Il eiste alors deu rationnels r 1 et r 2 tels que < r 1 < r 2 < y. Puisque la fonction r Q a r est strictement croissante sur Q, on a a r 1 < a r 2. La définition de f implique alors que d où l on déduit que f() a r 1 < a r 2 f(y), la fonction f est strictement croissante sur R.

Fonctions eponentielles 3 Propriété 3. Soit R. Comme la fonction f est monotone, elle admet une limite à droite f( + ) et à gauche f( ) en et comme elle est croissante f( ) f( + ). Plus précisément on définit f( + ) = inf{f(y) y R, y} et f( ) = sup{f(y) y R, y }. Comme Q R on a donc sup{f(r) r Q, r } f( ) f( + ) inf{f(r) r Q, r}. Or les deu termes etrèmes de ces inégalités sont égau (par le lemme). On en déduit que f( + ) = f( ) c est-à-dire que f est continue au point et on conclut que la fonction f est continue R. Propriété 4. Soient et y deu réels. Comme Q est dense dans R, il eiste une suite r n de rationnels tendant vers et une suite ρ n de rationnels tendant vers y. Grâce à la propriété 1 et au propriétés de la fonction r Q a r on a pour tous n N f(r n + ρ n ) = f(r n )f(ρ n ). Comme la fonction f est continue sur R, on obtient en passant à la limite dans cette relation que R, y R, f( + y) = f()f(y). On a donc démontré l eistence (et l unicité) d une fonction f vérifiant (1) (voir propriété 1) et (2) (voir propriété 4). Elle est définie par la formule ( ). Remarquons qu on cherchait une fonction monotone et qu en prime on a récupéré une fonction continue. Cette fonction est donc le prolongement continu à R de la fonction r Q a r (un tel prolongement est nécessairement unique). C est pourquoi il est désormais licite de la noter R, f() = a. Pour le moment nous utiliserons la notation f a pour cette fonction : d une part pour noter sa dépendance par rapport au paramètre a, d autre part pour lui donner un nom qui ne contient pas la variable. L égalité ci-dessous est aisément vérifiée pour Q et par prolongement continu on a aussi R, f 1 () = f a ( ). a Il suffit donc d étudier les fonctions f a pour a > 1. Proposition Pour tout a > 1, la fonction f a est une bijection strictement croissante de R sur ]0, + [. Notons fa 1 sa réciproque. Elle est de plus dérivable et on a pour tout R f a() = f a(0)f a () ( R) et ( fa 1 ) f () = a(0) ( > 0). Démonstration. Puisque la fonction f a est strictement croissante on a pour N N R et > N = a > a N et a < a N, d où lim + a = + et lim a = 0. Et comme f a est continue, on déduit du théorème des valeurs internédiares que c est une surjection de R sur ]0, + [. La stricte croissance implique de plus que c est une injection. Par conséquent l application réciproque fa 1 est bien définie sur ]0, + [ et elle est aussi continue.

4 Nicole Bopp Comme f a est continue on peut écrire son intégrale sur un intervalle compact et on déduit de l équation fonctonnelle (1) que pour tout R f a () 1 0 f a (y) dy = 1 0 f a ( + y) dy = +1 f a (y) dy. Or la dernière epression est une fonction de la variable qui est dérivable et 1 0 f a(y) dy est une constante non nulle car strictement positive. On en déduit que f a est dérivable sur R et que fa 1 est dérivable sur ]0, + [. On peut donc dériver par rapport à y les deu membres de l égalité f a ( + y) = f a ()f a (y) et on obtient pour tous et y réels f a( + y) = f a ()f a(y). Cette epression donne pour y = 0 R, f a() = f a(0)f a (). On peut aussi dériver l égalité fa 1 (f a ()) = et on obtient ainsi > 0, ( fa 1 ) f () = a(0). Et voilà l allure du graphe des fonctions a. g b b>a 1 0 2. Et la fonction eponentielle ou la fonction logarithme népérien? Parmi les fonctions que nous avons définies ci-dessus il y en a deu qui seraient plus sympathiques, à savoir les fonctions f a et fa 1 telles que f a(0) = 1. Bien sûr, nous savons que c est pour a = e que nous obtenons ainsi la fonction eponentielle égale à f e et la fonction logarithme népérien égale à fe 1. Mais nous ne savons pas encore déterminer e.

Fonctions eponentielles 5 La question qui se pose est donc la suivante : Pour cela on remarque que pour α > 0 on a Eiste-t-il a > 0 tel que f a(0) = 1? R, f a (α) = f a α(). Il suffit de le vérifier pour α et rationnels puis de passer à la limite en utilisant la continuité de f a. On en déduit que R, f a α() = αf a(). En choisissant α = 1 f 2 = lim (0) 0 2 (par eemple) on obtient que 1 f 2 α(0) = 1. Et donc en posant e = 2 α on obtient une fonction f e définie sur R telle que et une fonction g e = f 1 e f e = f e et f e (0) = 1, définie sur ]0, + [ telle que g e() = 1 et g e(1) = 0. Conclusion Nous avons donc ainsi défini (en n utilisant que les propriétés rappelées en annee) la fonction eponentielle, à savoir f e et la fonction logarithme népérien, à savoir fe 1. Remarquons toutefois que le calcul de e défini ainsi n est pas aisé (voir Houzel). On pourrait poursuivre en caractérisant ces fonctions par l équation différentielle qu elles vérifient (il ne resterait qu à démontrer un résultat d unicité). On pourrait aussi montrer comment eprimer les fonctions a à l aide de la fonction eponentielle et de la fonction logarithme népérien. 3. Annee : les propriétés de Q et de R utilisées Nous avons utilisé le fait que Q est dense dans R et l eistence de la borne inférieure (resp. supérieure) d une partie non vide minorée (resp. majorée) de R. Nous avons aussi utilisé les propriétés de la fonction r Q a r R. Pour démontrer l eistence de a 1 n pour n N, il faut utiliser le théorème des valeurs intermédiaires sur R (il faut donc connaître quelques propriétés des fonctions continues). Il est alors facile d obtenir son sens de variation. Le seul résultat non classique que nous avons utilisé est le Lemme Soit (r n ) n N ) une suite de rationnels strictement positifs tendant vers 0. Alors pour tout réel a > 0, la suite de réels a rn tend vers 1. Démonstration. Soit ε un réel strictement positif, que l on supposera par commodité strictement inférieur à 1. On sait alors (par eemple en utilisant la formule du binôme) que lim (1 + n ε)n = + et lim (1 n ε)n = 0. Puisque a est strictement positif, il eiste un entier M tel que (1 ε) M a (1 + ε) M.

6 Nicole Bopp Puisque (r n ) est une suite de nombres strictement positifs tendant vers 0, il eiste un entier N tel que n > N = 0 < r n 1 1 d où M. M r n On déduit du sens de variation des fonctions r Q (1 ± ε) r que pour n > N (1 ε) 1 rn (1 ε) M et (1 + ε) M (1 + ε) 1 rn. Et en utilisant la croissance de la fonction b R b rn, on déduit que n > N = 1 ε a rn 1 + ε, ce qui démontre que la suite a rn tend vers 1. Références O. Debarre & N. Bopp (2006) Eponentielles et logarithmes, méthode d Euler, http://www-irma.u-strasbg.fr/ bopp/capes/inde.htm Une définition (avec une démonstration complète) de la fonction eponentielle comme solution de l équation différentielle y = y. C. Houzel (1996) Analyse mathématique, Belin Sup. On y trouve (p. 42) la construction de la fonction eponentielle par la méthode indiquée ici. La définition de e et une méthode de calcul approché sont données p. 68. T. Lambre (1998), L épreuve sur dossier à l oral du CAPES de mathématiques, II. Analyse, Ellipses. On y trouve une démonstration plus raisonnable que dans Houzel de la dérivabilité de a et diverses caractérisations de l eponentielle et du logarithme J.-D. Mercier (2007), L épreuve d eposé au CAPES de mathématiques Vol III, Publibook. Ouvrage bien connu!. Deu leçons rédigées avec beaucoup de compléments autour de ce thème.