Outils d analyse fonctionnelle Cours 5 Théorie spectrale 22 septembre 2015
Généralités Dans tout ce qui suit V désigne un espace de Hilbert réel muni d un produit scalaire x, y. Définition Soit A une application linéaire continue de V dans V. On appelle valeur propre de A un réel λ R tel qu il existe un élément non nul x V qui vérifie Ax = λx. Un tel vecteur x est appelé vecteur propre associé à la valeur propre λ. Théorème Soit A une application linéaire continue de V dans V. Il existe une unique application linéaire continue A de V dans V, dite adjointe, telle que Ax, y = x, A y x, y V.
Généralités Définition Soit A une application linéaire continue de V dans V. On dit que A est auto-adjointe si elle coïncide avec son adjointe, c est-à-dire que A = A. Définition Soit A une application linéaire continue de V dans V. On dit que A est définie positive si Ax, x > 0 pour tout x V non nul.
Généralités On sait qu en dimension finie toutes les applications linéaires autoadjointes sont diagonalisables dans une base orthonormée. Nous allons voir qu en dimension infinie ce résultat se généralise aux applications linéaires continues auto-adjointes qui sont en plus compactes. Introduisons maintenant les notions qui permettent de définir la compacité d une application linéaire continue. Définition Un sous-ensemble K V est dit compact si, de toute suite (u n ) n 1 d éléments de K, on peut extraire une sous-suite u n convergente dans K. Un sous-ensemble K V est dit relativement compact si, de toute suite (u n ) n 1 d éléments de K, on peut extraire une sous-suite u n convergente dans V.
Généralités Lemme Si V est de dimension finie, alors les sous-ensembles compacts de V sont les fermés bornés. Ce résultat n est plus vrai en dimension infinie. En effet, un sous-ensemble compact est toujours fermé borné mais la réciproque n est pas vraie comme le montre le lemme suivant. Dans un espace de Hilbert V de dimension infinie, la boule unité fermée n est jamais compacte. Démonstration. On peut construire par le procédé de Gram-Schmidt une suite orthonormée infinie (e n ) n 1. Cette suite appartient bien à la boule unité fermée. Par ailleurs, pour n p on a e n e p 2 = e n 2 + e p 2 2 e n, e p = 2, ce qui prouve qu aucune sous-suite de e n n est une suite de Cauchy.
Généralités Définition Soit V et W deux espaces de Hilbert et A une application linéaire continue de V dans W. On dit que A est compacte si l image par A de la boule unité de V est relativement compacte dans W. De manière équivalente, une application linéaire continue A est compacte si, pour toute suite bornée x n de V, on peut extraire une soussuite telle que Ax n converge dans W. Si W ou V est de dimension finie, alors toute application linéaire continue est compacte. Ce n est plus vrai si W et V sont de dimension infinie (voir exercice).
Décomposition spectrale d un opérateur compact Théorème (Théorème spectral) Soit V un espace de Hilbert réel de dimension infinie et A une application linéaire continue, définie positive, auto-adjointe, compacte de V dans V. Alors les valeurs propres de A forment une suite (λ k ) k 1 de réels strictement positifs qui tend vers 0, et il existe une base hilbertienne (u k ) k 1 de V formée de vecteurs propres de A, avec Au k = λ k u k pour k 1. Remarque : Comme conséquence du Théorème Spectral, et avec les mêmes notations, on obtient la décomposition spectrale de tout élément v V v = + k=1 v, u k u k avec v 2 = + k=1 v, u k 2.
Décomposition spectrale d un opérateur compact Lemme Pour démontrer le Théorème Spectral nous avons besoin de deux lemmes préliminaires. Soit V un espace de Hilbert réel (non réduit au seul vecteur nul) et A une application linéaire continue auto-adjointe compacte de V dans V. On définit m = Au, u inf u V \{0} u, u et M = Au, u sup u V \{0} u, u. Alors, A = max( m, M ), et soit m, soit M, est valeur propre de A.
Décomposition spectrale d un opérateur compact Lemme Soit V un espace de Hilbert et A une application linéaire continue compacte de V dans V. Pour tout réel δ > 0, il n existe au plus qu un nombre fini de valeurs propres en dehors de l intervalle ] δ, +δ[, et le sous-espace des vecteurs propres associés à chacune de ces valeurs propres est de dimension finie. Remarque : La démonstration du Théorème Spectral est encore valable si A n est pas définie positive aux restrictions suivantes près : les valeurs propres ne sont pas nécessairement positives, les valeurs propres non nulles peuvent être en nombre fini, et ker A (le sous-espace propre associé à la valeur propre nulle) peut être de dimension infinie.
Valeurs propres d un problème elliptique Dans un espace de Hilbert V nous considérons une forme bilinéaire a(, ), symétrique, continue et coercive, c est-à-dire que a(w, v) = a(v, w), et il existe M > 0 et ν > 0 tels que et a(w, v) M w V v V pour tout w, v V a(v, v) ν v 2 V pour tout v V. Nous introduisons un autre espace de Hilbert H. Nous faisons l hypothèse fondamentale suivante { V H avec injection compacte (1) V est dense dans H.
Valeurs propres d un problème elliptique L hypothèse (1) implique que de toute suite bornée de V on peut extraire une sous-suite convergente dans H. Les espaces H et V ne partagent pas le même produit scalaire, et nous les noterons, H et, V pour éviter toute confusion. Nous considérons le problème variationnel de valeurs propres suivant (ou problème spectral) : trouver λ R et u V \ {0} tels que a(u, v) = λ u, v H ( v V ). (2) On dira que λ est une valeur propre du problème variationnel (2) (ou de la forme bilinéaire a) et que u est le vecteur propre associé.
Valeurs propres d un problème elliptique Remarque : Sous l hypothèse (1) les espaces H et V ne peuvent jamais avoir le même produit scalaire. Sinon ils seraient égaux puisque V est dense dans H. Mais cela est impossible car alors l injection de V dans H serait l identité qui n est pas compacte Exemple : Pour un ouvert borné Ω, on pose V = H0 1(Ω), H = L2 (Ω), et la forme bilinéaire symétrique est définie par a(u, v) = u v dx. Ω Les hypothèses du théorème sont vérifiées : Cc (Ω) est dense à la fois dans H0 1(Ω) et dans L2 (Ω), le Théorème de Rellich donne l injection compacte, et on a vu que cette forme bilinéaire a est bien continue et coercive sur V. On voit facilement (formule de Green) que (2) est équivalent à { u = λu dans Ω u = 0 sur Ω, c est-à-dire que λ et u sont valeur propre et fonction propre du Laplacien.
Valeurs propres d un problème elliptique Les solutions de (2) sont données par le résultat suivant. Théorème On retient les hypothèses ci-dessus sur V, H, et a. Alors les valeurs propres de (2) forment une suite croissante (λ k ) k 1 de réels positifs qui tend vers l infini, et il existe une base hilbertienne de H (u k ) k 1 de vecteurs propres associés, c est-à-dire que u k V, et a(u k, v) = λ k u k, v H v V. De plus, (u k / λ k ) k 1 est une base hilbertienne de V pour le produit scalaire a(, ).
Démonstration du théorème Démonstration. Pour f H, nous résolvons le problème variationnel trouver u V tel que a(u, v) = f, v H pour toute fonction v V. (3) Il est facile de vérifier les hypothèses du Théorème de Lax-Milgram pour (3) qui admet donc une unique solution u V. On définit une application linéaire A de H dans V qui à f associe la solution u = Af. Autrement dit, l application linéaire A est définie par Af V tel que a(af, v) = f, v H pour tout v V. (4) En prenant v = Af dans (4), on obtient ν Af 2 V a(af, Af ) = f, Af H f H Af H C f H Af V car l opérateur d injection I de V dans H est continu.
Démonstration du théorème Par conséquent, l application linéaire A est continue de H dans V. On définit maintenant une application linéaire A = IA de H dans H, qui est bien continue. Comme I est compact, le produit A est aussi compact. Pour montrer que A est auto-adjoint, on prend v = Ag dans (4) et on obtient, pour tout f, g H, f, Ag H = f, Ag H = a(af, Ag) = a(ag, Af ) = g, Af H = g, Af H, à cause de la symétrie de a, ce qui prouve que A est auto-adjoint défini positif dans H. On peut donc appliquer le Théorème spectral à l opérateur A qui en vérifie toutes les hypothèses.
Démonstration du théorème Il existe une suite décroissante (µ k ) k 1 de réels positifs qui tend vers 0, et il existe une base hilbertienne (u k ) k 1 de H formée de vecteurs propres de A, avec Au k = µ k u k pour k 1. Remarquons que, par cette égalité, les vecteurs propres u k appartiennent non seulement à H mais aussi à V. Revenons maintenant au problème aux valeurs propres (2) qui peut s écrire a(u, v) = λ u, v H = λa(au, v) v V, à cause de la définition de A, c est-à-dire a(u λau, v) = 0, donc u = λau = λau.
Démonstration du théorème Par conséquent, les valeurs propres (λ k ) k 1 du problème variationnel (2) sont exactement les inverses des valeurs propres (µ k ) k 1 de A, et leurs vecteurs propres sont les mêmes. On pose λ k = 1 µ k et v k = u k λk. Par construction, les vecteurs propres u k forment une base hilbertienne de H. On vérifie que a(v k, v j ) = a(u k, u j ) λk λ j u k, u j H = λ k = δ kj, λk λ j On en déduit que les (v k ) k 1 forment une base hilbertienne de V pour le produit scalaire a(u, v).
Démonstration du théorème Remarque : Insistons sur le fait que l opérateur A est l opérateur de résolution de la formulation variationnelle, c est-à-dire qu il est en quelque sorte l inverse de la forme bilinéaire a. C est pour cette raison que les valeurs propres λ k de la formulation variationnelle sont les inverses des valeurs propres µ k de A. Par exemple, en dimension finie la forme bilinéaire s écrit a(u, v) = Ku v et on a A = K 1. De même, pour le Laplacien on a A = ( ) 1 (seul l inverse du Laplacien est compact, pas le Laplacien lui-même).
Théorème de Courant-Fisher Donnons une caractérisation très utile des valeurs propres du problème variationnel (2), appelée principe du min-max ou de Courant- Fisher. Pour cela on introduit le quotient de Rayleigh défini, pour chaque fonction v V \ {0}, par R(v) = a(v, v) v 2. H
Théorème de Courant-Fisher Proposition (Courant-Fisher) Soit V et H deux espaces de Hilbert réels de dimension infinie. On suppose que V H avec injection compacte et que V est dense dans H. Soit a(, ) une forme bilinéaire symétrique continue et coercive sur V. Pour k 0 on note E k l ensemble des sous-espaces vectoriels de dimension k de V. On note (λ k ) k 1 la suite croissante des valeurs propres du problème variationnel (2). Alors, pour tout k 1, la k-ième valeur propre est donnée par λ k = min W E k ( ) max R(v) v W \{0} ( = max W E k 1 En particulier, la première valeur propre vérifie λ 1 = min R(v) v W \{0} ). (5) min R(v), (6) v V \{0} et tout point de minimum dans (6) est un vecteur propre associé à λ 1.
Valeurs propres du Laplacien On peut immédiatement appliquer le Théorème spectral à la formulation variationnelle du Laplacien avec conditions aux limites de Dirichlet, ce qui nous donne le résultat suivant. Théorème Soit Ω un ouvert borné régulier de classe C 1 de R N. Il existe une suite croissante (λ k ) k 1 de réels positifs qui tend vers l infini, et il existe une base hilbertienne de L 2 (Ω) (u k ) k 1, telle que chaque u k appartient à H 1 0 (Ω) et vérifie { u k = λ k u k u k = 0 p.p. dans Ω p.p. sur Ω. (7) Remarque : Si l ouvert Ω n est pas borné, le Théorème de Rellich (sur l injection compacte de H 1 (Ω) dans L 2 (Ω)) est en général faux, et on peut montrer que le Théorème n a pas lieu. En fait, il se peut qu il existe une infinité (non dénombrable) de valeurs propres généralisées au sens où les fonctions propres n appartiennent pas à L 2 (Ω).
Valeurs propres du Laplacien On peut aussi montrer que les fonctions propres du Laplacien, avec conditions aux limites de Dirichlet ou de Neumann, sont régulières. Proposition Soit Ω un ouvert borné régulier de classe C. Alors les fonctions propres solutions de (7) appartiennent à C (Ω). Nous démontrons maintenant un résultat qualitatif très important à propos de la première valeur propre. Théorème (de Krein-Rutman) On reprend les notations et les hypothèses du théorème sur les valeurs propres de. On suppose que l ouvert Ω est connexe. Alors la première valeur propre λ 1 est simple (i.e. le sous-espace propre correspondant est de dimension 1) et le premier vecteur propre peut être choisi positif presque partout dans Ω.
A relire pour ce cours Chapitre VII, sections VII.1 VII2 et VII3.