Enseignants, Chercheurs, Experts sur l Asie et le Pacifique Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific
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- Paule Bruneau
- il y a 8 ans
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1 Enseignants, Chercheurs, Experts sur l Asie et le Pacifique Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific LES JEUNES DIPLÔMÉS TAIWANAIS : VICTIMES COLLATÉRALES DU RAPPROCHEMENT ÉCONOMIQUE AVEC LA CHINE? YOUNG TAIWANESE GRADUATES: COLLATERAL VICTIMS OF THE ECONOMIC RAPPROCHEMENT WITH CHINA? Tanguy LE PESANT National Central University, Chongli, Taiwan / CEFC Thématique B : Nouveaux paradigmes de la mondialisation Theme B: New Globalisation Paradigms Atelier B 01 : Richesse des états, pauvreté des nations en Asie? Conséquences sociales et politiques des Working-poors Workshop B 01: Wealthy states, poor nations in Asia? Social and political consequences of the working poors 4 ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique 4 th Congress of the Asia & Pacific Network sept. 2011, Paris, France École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes 2011 Tanguy LE PESANT Protection des documents / Document use rights Les utilisateurs du site s'engagent à respecter les règles de propriété intellectuelle des divers contenus proposés sur le site (loi n du 1er juillet 1992, JO du 3 juillet). En particulier, tous les textes, sons, cartes ou images du 4 ème Congrès, sont soumis aux lois du droit d auteur. Leur utilisation, autorisée pour un usage non commercial, requiert cependant la mention des sources complètes et celle des nom et prénom de l'auteur. The users of the website are allowed to download and copy the materials of textual and multimedia information (sound, image, text, etc.) in the Web site, in particular documents of the 4 th Congress, for their own personal, non-commercial use, or for classroom use, subject to the condition that any use should be accompanied by an acknowledgement of the source, citing the uniform resource locator (URL) of the page, name & first name of the authors (Title of the material, author, URL). Responsabilité des auteurs / Responsability of the authors Les idées et opinions exprimées dans les documents engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. Any opinions expressed are those of the authors and do.not involve the responsibility of the Congress' Organization Committee.
2 LES JEUNES DIPLÔMÉS TAIWANAIS : VICTIMES COLLATÉRALES DU RAPPROCHEMENT ÉCONOMIQUE AVEC LA CHINE? Tanguy Le Pesant National Central University, Chongli, Taiwan Centre français d études sur la Chine contemporaine (CEFC) Depuis que le Kuomintang (KMT) est revenu au pouvoir en 2008, il a lié la santé économique de Taiwan à l accélération du rapprochement avec le continent chinois. Cela s est traduit dans une libéralisation sans précédent des échanges avec la Chine dont le point d orgue a été la signature d un Accord cadre de coopération économique (ECFA), fin juin Selon le gouvernement, cette politique a permis à Taiwan de sortir rapidement de la tourmente provoquée par la crise financière de 2008 et d enregistrer un taux de croissance record de 10,88% en Pourtant, si l on s éloigne d une vision fondée sur les seuls chiffres de la croissance, la réalité est moins réjouissante : la libéralisation des échanges consolide un modèle de développement court-termiste et potentiellement dangereux car fondé en priorité sur le transfert des capacités de production taiwanaises en Chine, sur la signature de contrats de sous-traitance et sur la recherche d économies d échelle plutôt que sur l accroissement des marges. Outre l hémorragie de capitaux qu elle entraîne, cette configuration contribue fortement à la faiblesse des salaires et à la détérioration des conditions de travail à Taiwan même. Les jeunes gens nés dans les années 1980 qui accèdent aujourd hui à la vie active héritent d une situation difficile dans laquelle la Chine est devenue un paramètre incontournable mais dont l influence est ambiguë car elle est à la fois source de croissance et porteuse de menaces économiques. Les données réunies à partir de 27 témoignages et 575 réponses à un questionnaire distribué dans quinze universités de l île en 2010 permettent de mieux saisir les conditions réelles dans lesquelles les jeunes diplômés taiwanais sortant de l université avec une licence (bac+4) 1 intègrent le marché du travail. Elles éclairent aussi la façon dont ils envisagent l évolution de leur vie professionnelle. 1 Selon le Ministère de l Education de la République de Chine (Taiwan), 64,5% des ans effectuaient des études supérieures au cours de l année universitaire victimes collatérales du rapprochement économique avec la Chine? Tanguy Le Pesant / 2
3 Un modèle de croissance économique court-termiste et dangereux Comme le note Philippe Chevalérias, l économie taiwanaise souffre aujourd hui de trois faiblesses structurelles : «une croissance déséquilibrée, une trop grande dépendance vis-à-vis de l étranger en matière technologique, un manque de marques reconnues internationalement 2.» En encourageant les entreprises taiwanaises à continuer de miser sur l exploitation des faibles coûts de production chinois, le gouvernement Ma tend plutôt à accentuer ces faiblesses. La libéralisation des échanges a entraîné une hémorragie de capitaux taiwanais sans précédent. Si l on s en tient aux investissements directs autorisés, en vingt ans, Taiwan a investi plus de 100 milliards de dollars américains en Chine 3. Un tiers de ces investissements a été effectué au cours des trois dernières années. Pour la seule année 2010, les entreprises taiwanaises ont investi 14,3 milliards de dollars en Chine, soit plus des quatre cinquièmes (83, 81%) de l ensemble des investissements directs taiwanais à l étranger pour cette année-là. Une grande partie de ces investissements est le fait de groupes qui depuis le milieu des années 1990 cherchent avant tout à survivre et se développer en ouvrant des sites de production toujours plus vastes pour faire des économies d échelle et tirer profit du faible coût de la main d oeuvre chinoise. A de rares exceptions près (Acer, Asus, HTC), ces groupes restent des sous-traitants de grandes firmes étrangères. Ils n ont généralement pas voulu, ou pas su, investir dans le développement de leur propre marque (branding). C est par exemple le cas des deux premiers fabricants d ordinateurs portables au monde Quanta Computer et Compal Electronics ou du tristement célèbre Foxconn. Autour de ces grandes entreprises gravitent plusieurs dizaines de milliers de PME taiwanaises qui leur servent de fournisseurs. Aujourd hui, la Chine absorbe 40% des exportations taiwanaises. Elles sont majoritairement composées de machines outils et de produits semi-finis destinés à équiper ou à alimenter les chaînes d assemblage. Qu elles aient délocalisé une grande partie de leur production en Chine ou non, les entreprises taiwanaises sont très dépendantes de leur insertion dans une chaîne globalisée au 2 Philippe Chevalérias, «L économie taiwanaise après le miracle», Perspectives chinoises, 2010 / 3, p En avril 2011, le montant exact des investissements taiwanais en Chine autorisés par Taipei était de 102,1 milliards de dollars américains. Mais selon Lai Shin-yuan, la présidente da la Commission aux Affaires continentales, organisme taiwanais en charge de la planification des relations entre les deux rives, le chiffre réel est sans doute plus proche des 200 milliards. Lai Shin-yuan, «Taiwan s Mainland Policy: Borrowing the Opponent s Force and Using it as One s Own Turning the Threat of War into Peace and Prosperity», transcription du discours prononcé à l American Entreprise Institute, le 5 août 2010, victimes collatérales du rapprochement économique avec la Chine? Tanguy Le Pesant / 3
4 sein de laquelle elles occupent rarement la place de donneurs d ordres. Cela implique qu elles doivent maintenir une flexibilité et des coûts de production qui leur permettent de répondre aux exigences de leurs clients et de réagir aux fluctuations brutales des commandes. L impératif de produire au plus bas coût possible entraîne une pression accrue sur les salaires et les conditions de travail qui ne se limite pas aux usines installées en Chine mais a aussi des conséquences à Taiwan. Les rouages d une machine à produire des inégalités sociales Le modèle de développement qui s est progressivement mis en place au cours des vingt dernières années a trois conséquences néfastes qui accentuent le déséquilibre de la production et de la répartition des richesses à Taiwan : il accroît la concentration de l économie taiwanaise dans le secteur des technologies de l information ; il tend à tirer les salaires et les conditions de travail vers le bas ; et il encourage le gouvernement à prendre des mesures fiscales qui favorisent largement les revenus du capital, au détriment des revenus du travail. Tout d abord, l ECFA profitera certes aux grands groupes taiwanais et à leurs fournisseurs, mais il menace des milliers de P.M.E produisant pour le marché domestique dans les secteurs traditionnels (vêtements, appareils électroménagers, chaussures, literie, etc.) qui ne pourront faire face à la concurrence des produits chinois. Ensuite, la configuration actuelle donne les moyens au patronat d invoquer l impératif du maintien de la compétitivité pour justifier la stagnation des salaires. En dix ans, le salaire mensuel n a progressé que de 5,2%, passant de dollars taiwanais (NT$) en 2001 à en Les grands entrepreneurs tentent par ailleurs de faire pression sur le gouvernement via un chantage à la non délocalisation ou à la relocalisation pour obtenir la déréglementation du marché du travail. Au printemps 2010, le premier ministre Wu Dun-Yih a par exemple annoncé que le gouvernement était en train d étudier la possibilité de créer des zones économiques spéciales dans lesquelles le salaire minimum légal serait supprimé pour les travailleurs étrangers 5. Les organisations patronales ont réagi très positivement à cette annonce. Face à la levée de bouclier provoquée, le gouvernement a finalement abandonné ce projet 6. Mais les entreprises taiwanaises ont un autre moyen de faire baisser le coût réel du travail : le 4 Au printemps 2011, le taux de change se situait autour de 1 euro pour 40 NT$. 5 Taipei Times, 21 juin Taipei Times, 23 avril victimes collatérales du rapprochement économique avec la Chine? Tanguy Le Pesant / 4
5 recours aux heures supplémentaires non rémunérées. Une enquête menée au printemps 2011 montre que plus des quatre cinquièmes des employés de bureau taiwanais interrogés travaillaient entre 10 et 11 heures par jour 7. Or dans 70% des cas, ils n étaient pas payés pour les heures supplémentaires effectuées. Enfin, l accélération de l intégration économique des deux rives du détroit de Taiwan s accompagne d une fuite de capitaux qui prend des proportions inquiétantes. Lors de la campagne qu il a menée en faveur de la signature de l ECFA, le gouvernement Ma a prétendu que la poursuite de la libéralisation des échanges avec la Chine entraînerait un retour massif de capitaux taiwanais et un afflux d investissements étrangers. Au contraire, la sortie nette de capitaux s est fortement accentuée pour passer à 20,8 milliards de dollars américains par an sur la période Face à cette situation, le gouvernement a adopté plusieurs mesures destinées à encourager les investissements dans l île. Elles sont clairement inspirées des Etats-Unis et du credo libéral selon lequel la baisse des impôts stimule les investissements qui créent des emplois et génèrent de la croissance, ce qui en retour conduit à accroître les recettes fiscales de l Etat. La première de ces mesures fut de baisser à 10% l impôt sur les successions qui pouvait auparavant atteindre jusqu à 50% de la valeur de l héritage 9. La seconde mesure a consisté à réduire à deux reprises l impôt sur les sociétés pour le faire passer de 25% à 17%. Ces réductions d impôts viennent s ajouter à un système qui ne taxe pratiquement pas les revenus du capital, qu il s agisse des transactions boursières et immobilières ou des revenus fonciers. Les jeunes diplômés face à la détérioration des conditions de travail A bien des égards, la croissance d aujourd hui prépare donc un avenir difficile pour la génération qui est en train d accéder à la vie adulte et qui intègre le marché du travail. La jeunesse taiwanaise est confrontée à la stagnation de salaires déjà faibles et qui ne permettent pas de compenser la hausse des prix à la consommation ; au creusement des inégalités de revenus (en 2010, ceux des 20% les plus riches étaient 6,19 fois plus élevés que ceux des 20% les moins riches) ; à l impossibilité d accéder à la propriété dans les grands centres urbains ; à 7 Près des deux tiers (63,9%) des salariés interrogés travaillent en moyenne 10,4 heures par jour et un cinquième (21,4%) plus de 11 heures par jour. L enquête a été menée par l agence d emploi Yes123 sur un échantillon de 2140 personnes. Taipei Times, 2 mai Tung Chen-yuan, «Economic Framework helps nobody», Taipei Times, 31 août The China Post, 4 décembre victimes collatérales du rapprochement économique avec la Chine? Tanguy Le Pesant / 5
6 la dégradation des conditions de travail ; à l explosion de la dette publique. Face à cette réalité, l attitude déployée par les jeunes diplômés taiwanais est caractérisée par un mélange de résignation, d indignation et d optimisme. Le premier élément qui ressort des entretiens conduits est que le chômage n est généralement pas un sujet d inquiétude. La très grande majorité des personnes interrogées ont mis entre une semaine et un mois à être embauchées. Le plus gros risque selon eux serait l ouverture de Taiwan aux travailleurs chinois qui sont généralement considérés comme prêts à accepter des journées de travail plus longues et des salaires plus bas. La reconnaissance récente des diplômes chinois à Taiwan suscite ainsi des avis très partagés : si plus d un tiers (35,9%) des étudiants ayant répondu au questionnaire distribué en 2010 se disent «favorables» ou «très favorables» à cette mesure, un autre tiers (32,5%) étaient «contre» ou «fortement contre». Enfin, un quart (23%) estimait que «cela dépendait de la situation». Les entretiens menés montrent par ailleurs que la reconnaissance des diplômes est acceptée si elle reste limitée au cadre de la venue des étudiants chinois à Taiwan et n implique pas un droit d accès au marché du travail insulaire. Le plus difficile, selon eux, est de trouver un emploi qui s accompagne d un salaire décent et qui offre de bonnes conditions de travail. A ce titre, les jeunes interrogés estiment que la Chine exerce une influence ambiguë sur l économie taiwanaise. Les trois cinquièmes (61,7%) des personnes ayant répondu au questionnaire pensent que d un point de vue général, la Chine est une source d opportunités économiques pour Taiwan alors qu un quart d entre elles (23,8%) considèrent qu elle représente une menace économique. Ceux qui voient dans la Chine une source d opportunités développent l analyse suivante : l intégration des économies taiwanaise et chinoise implique certes des ajustements structurels (disparition des secteurs traditionnels, délocalisation des chaînes d assemblage) mais elle est indispensable pour éviter le risque d une perte de compétitivité et d une marginalisation de l économie de l île aux niveaux régional et mondial. C est donc le discours produit par le KMT et ses partisans qui prédomine. Cependant, les avis sont beaucoup plus réservés lorsque est abordée la question spécifique de l impact des délocalisations sur les conditions de travail et les niveaux de salaires pratiqués à Taiwan. Sur ce volet, les jeunes titulaires d une licence jugent l influence de la Chine plutôt néfaste pour deux raisons principales : une partie des postes à responsabilités a franchi le détroit en même temps que les usines d assemblages ; la concurrence du marché de l emploi chinois fait peser une lourde pression sur les salaires et les conditions de travail à Taiwan. Confrontés à cette réalité, ils se disent majoritairement prêts à passer quelques années en victimes collatérales du rapprochement économique avec la Chine? Tanguy Le Pesant / 6
7 Chine pour donner un coup de fouet à leur carrière et à leurs revenus. Ceux qui envisagent de franchir le détroit ne souhaitent cependant pas rester en Chine plus de deux ou trois ans, leur objectif étant de revenir ensuite s installer à Taiwan. Une enquête effectuée par une agence d emploi au printemps 2011 révèle qu en moyenne les 639 entreprises sondées étaient prêtes à verser un salaire de NT$ par mois à un employé venant d obtenir une licence 10. Les jeunes diplômés espéraient quant à eux toucher en moyenne NT$ par mois à l occasion de leur première embauche. Ce faible écart reflète un certain réalisme quant au bas niveau des rémunérations actuellement proposées. Mais les entretiens effectués montrent que les premiers salaires versés aux jeunes employés sans expérience sont souvent bien inférieurs et plutôt situés dans une fourchette de 22 à NT$. Néanmoins, les personnes interrogées font généralement preuve d une certaine résignation empreinte d optimisme lorsque la question de leur niveau de rémunération est abordée. S ils se disent impuissants face au marché du travail, ils considèrent cependant que l acquisition d une expérience professionnelle et de compétences leur permettra de gravir progressivement l échelle des salaires. En outre, leurs faibles revenus ne les privent pas d un niveau d accès à la consommation qu ils jugent acceptable. Cela s explique par le fait que les jeunes actifs taiwanais vivent le plus souvent chez leurs parents jusqu à leur mariage. Les choses se compliquent en revanche pour ceux qui ne peuvent pas s appuyer sur le capital et les ressources de leurs familles. Ces jeunes sortent souvent de l université endettés et doivent consacrer entre un quart et un tiers de leur salaire à la location d un logement de mauvaise qualité. Deux facteurs contribuent en définitive à amortir les effets de la faiblesse des revenus. Le premier est le soutien des parents qui ont pu acquérir leur logement à des prix de l ordre de trois à dix fois inférieurs à ceux du marché actuel. Le second est l existence d une pression et d attentes sociales beaucoup moins fortes que dans les sociétés occidentales quant à l établissement d une vie indépendante hors du foyer familial immédiatement après la sortie de l université. C est le mariage et non l entrée dans la vie active qui constitue encore le véritable cap impliquant la constitution d un nouveau foyer. Les jeunes diplômés se considèrent en revanche très démunis face à la dégradation des conditions de travail à Taiwan. Lors des entretiens, les critiques les plus vives reviennent régulièrement contre le «système de responsabilité au travail» (zeren zhi). Selon l article Taipei Times, 26 mai victimes collatérales du rapprochement économique avec la Chine? Tanguy Le Pesant / 7
8 de la Loi sur le travail (laodong jizhun fa), ce mode d organisation permet à un employeur de répartir les tâches entre les salariés non pas en fonction du nombre d heures effectuées par chacun au sein de l entreprise, mais en fonction d un volume donné ou d objectifs qui doivent être atteints. Autrement dit, un individu qui n a pas terminé la tâche qui lui a été confiée ne peut quitter son poste, ce qui permet de rendre la longueur des journées de travail très élastique sans que l employeur ait à payer des heures supplémentaires. La Loi sur le travail limite l application de ce système à treize catégories professionnelles. Cependant depuis quelques années, cette pratique tend à se généraliser, surtout au sein du secteur des hautes technologies 11. Conclusion : vers une justice générationnelle? Face à la détérioration rapide des conditions de travail et au creusement des inégalités sociales et générationnelles, les forces qui pourraient conduire à la refonte du modèle de développement économique taiwanais paraissent bien faibles. Les jeunes interrogés ne conçoivent pas la possibilité d une action collective. Ils ne semblent pas prêts à emboîter le pas des mouvements étudiants qui ont soulevé nombre de pays au cours des six derniers mois. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette absence de mobilisation. Tout d abord, le poids de l héritage de la dictature qui se fait encore sentir sur la société civile où la critique sociale «de gauche» autrefois sévèrement réprimée au nom de la lutte contre le communisme» reste essentiellement cantonnée aux cercles académiques et à un petit groupe d activistes «professionnels». Ensuite, le système éducatif et les valeurs confucéennes qu il véhicule toujours aujourd hui, n encouragent pas la remise en cause de l ordre établi. A cela s ajoute le fait que la socialisation politique de la jeunesse n ayant lieu ni au lycée, ni sur les campus, les jeunes actifs taiwanais nés dans les années 1980, qui constituent une génération post réformes démocratiques, n ont jamais fait l expérience de la mobilisation collective 12. Au cours des deux dernières années, l utilisation intensive des réseaux sociaux tels que Facebook contribue néanmoins à la formation de nouveaux espaces d échanges d informations et de débats qui se concrétisent parfois dans différentes formes 11 «Le système de responsabilité au travail : condamnés à ne pas être payés pour les heures supplémentaires?» (zeren zhi, zhuding lingbudao jiaban fei), Kuaile Gongzuoren Cheers, n 64, janvier 2006 et Lienhe Wanbao, 2 octobre Sur les rapports entre système éducatif et socialisation politique de la jeunesse taiwanaise, voir Jean-Pierre Cabestan et Tanguy Le Pesant, L esprit de défense de Taiwan face à la Chine. La jeunesse taiwanaise face à la tentation de la Chine, L Harmattan, 2009, p victimes collatérales du rapprochement économique avec la Chine? Tanguy Le Pesant / 8
9 d actions collectives «physiques». Mais pour l instant, leur influence reste limitée. Les deux seuls partis de gouvernement de l échiquier politique taiwanais le KMT et le Parti démocratique progressiste (PDP) développent quant à eux une vision et un discours économique très proches. Si, dans les années 1990, le PDP a joué un rôle moteur dans les réformes à caractère social, il a aussi largement contribué à la libéralisation des échanges avec la Chine populaire dans les années 2000 et il s est prononcé à plusieurs reprises en faveur de la mise en oeuvre de la plupart des mesures qui contribuent actuellement au creusement des écarts de revenus. Les médias relayent en revanche de plus en plus massivement le mécontentement et les inquiétudes populaires. Sous l effet de cette pression et à l approche des élections, le gouvernement Ma a fait passer plusieurs réformes destinées à améliorer les conditions de vie des Taiwanais les plus démunis : hausse de 3% du salaire minimum, baisse du seuil de pauvreté ouvrant droit aux aides de l Etat, taxes sur les transactions immobilières à caractère spéculatif et les achats de produits de luxe. Ces mesures ne semblent toutefois pas annoncer une refonte radicale du modèle de croissance. victimes collatérales du rapprochement économique avec la Chine? Tanguy Le Pesant / 9
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