Discours de Monsieur Gérard COLLOMB Sénateur-Maire de Lyon

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1 Discours de Monsieur Gérard COLLOMB Sénateur-Maire de Lyon A l occasion de la cérémonie commémorant le 67 e anniversaire de la Rafle de la rue Sainte-Catherine 12, rue Sainte-Catherine, Lyon 1 er Dimanche 7 février 2010 ** * 1

2 Monsieur le Sénateur, Monsieur le Représentant du Conseil régional Rhône-Alpes, Cher Thierry Philip, Monsieur le Représentant du Conseil général du Rhône, Madame l Adjointe déléguée aux Anciens Combattants et à la Mémoire, Madame le Maire du 1 er arrondissement, Chère Nathalie Perrin-Gilbert, Monsieur le Rabbin El Haddad, Monsieur le Président du Conseil Représentatif des Institutions Juives de France - Rhône-Alpes, Monsieur le Président de l Amicale d Auschwitz-Birkenau et des Camps de Haute Silésie du Rhône, Mesdames et Messieurs les Représentants des Associations d Anciens Combattants, Résistants, Déportés et Victimes de Guerre, Mesdames et Messieurs, Simon, Esther, Joseph, Madeleine, Ryfka, Samuel, Pierre, Lola, Sidonie, Israël, Alexandre C est grâce à Serge Klarsfeld qu on peut prononcer le nom des 86 victimes de la rafle de la rue Sainte-Catherine, il y a 67 ans, le 9 février De même qu il avait su redonner un visage, un état-civil, une histoire personnelle aux 44 enfants d Izieu et à leurs 7 éducateurs, Serge Klarsfeld a réussi à briser l anonymat dans lequel le bourreau avait voulu les plonger à tout jamais. 2

3 Pour cela, il lui a fallu dépouiller des milliers de dossiers ; éplucher, page après page, article après article, des milliers de documents d archives ; recouper, avec une minutie d orfèvre, quantité incalculable d informations. C est grâce à cette œuvre colossale que nous avons en particulier pu retrouver la trace des 280 enfants juifs déportés de Lyon, et réaliser, avec le Centre de Documentation sur la Déportation des Enfants Juifs de Lyon, le travail de mémoire avec les écoles de notre ville et de notre région. La rue Sainte-Catherine reste dans notre Cité un exemple parmi les plus révélateurs de la barbarie nazie. Elle met en lumière jusqu à quel point la cruauté pouvait aller dans la persécution des Juifs en France comme partout en Europe. Elle illustre cette formule de Hobbes : «L homme est un loup pour l homme.» Cruauté d un piège effroyable, implacable, qui ne devait laisser aucune chance à ses proies. L UGIF de Lyon regroupait les activités de l Œuvre de Secours aux Enfants, du Comité d Assistance aux Réfugiés, de la Fédération des Sociétés Juives de France. Ici, dans les locaux de l UGIF, on venait chercher une aide, un refuge, une main tendue. Ici s organisaient dans la plus grande clandestinité des missions de sauvetage. Les hommes, les femmes, les enfants qui venaient ici avaient fui la fureur antisémite qui s était abattue depuis déjà des années sur l ensemble des pays d Europe de l Est. L espoir, pour toutes ces personnes était d échapper au funeste destin qu avaient planifié pour eux les nazis. 3

4 Mais en février 1943, la France n était plus un refuge pour tous ces persécutés venus de Pologne, de Tchécoslovaquie, de Roumanie, d Autriche, d Allemagne, de Lettonie. La rue Sainte-Catherine était devenue cette «souricière», avec un objectif simple : faire le maximum d arrestations. Quand dans le milieu de cette matinée d hiver une douzaine de gestapistes montent dans les étages et franchissent le seuil de l UGIF, il y a déjà là-haut une trentaine de personnes. 30 personnes? Ce n est évidemment pas suffisant estiment les bourreaux qui décident alors ce piège macabre. Tapis dans l ombre, ils attendent sans un bruit, patiemment, qu un à un, tombent les Juifs entre leurs mains. Ce 9 février 1943, Léa Weiss avait 17 ans. En venant ici, elle espérait trouver un médecin pour sa mère. A la place, ce furent trois agents de la gestapo, ricanant : «Encore un chaton juif!» Parce qu ils voulaient et la fille et la mère, ils la laissèrent repartir en lui donnant rendez-vous le lendemain, Hôtel Terminus de Perrache, alors réquisitionné par les SS. C est dans ce QG, devenu centre de torture, que David Luksemberg, arrêté rue Sainte-Catherine fut expédié. Parce qu il pensait avoir à faire à un cadre de la Résistance, Barbie, le boucher de Lyon, lui fit subir les pires violences. Puis n obtenant aucune information, il lança à ses sbires cette terrible sentence : «Si c est un Juif, vous pouvez en faire ce que vous voulez!» 4

5 Dans cette rue, dans ces murs, en haut de cet immeuble, il y a 67 ans, en cette matinée du 9 février 1943, bien des souffrances, bien des larmes, bien des supplices se sont produits. Bien des vies se sont brisées. Sur les 86 raflés de la rue Sainte-Catherine, 84 furent transférés à Drancy. 80 furent déportés. 3 seulement survécurent. Quand, au printemps 1987, vint à Lyon le temps du procès Barbie, les travaux de Serge Klarsfeld s avérèrent importants pour aider à la manifestation de la vérité. Car, contrairement à d autres criminels nazis jugés avant lui en Allemagne, Barbie n eut de cesse de contester l authenticité des documents produits par les associations de victimes. Comme il n eut de cesse, d ailleurs, durant toute l instruction, de nier une quelconque participation à la persécution des Juifs et des Résistants à Lyon. Son procès fut le premier dans notre pays à juger des crimes contre l humanité. Procès historique ouvrant la voie à bien des progrès sur les chemins de la justice et de la liberté. Parmi les principaux chefs d accusation : la rafle de la rue Sainte-Catherine, bien évidemment ; celle de la colonie d Izieu, le 6 avril 1944 ; ainsi que la déportation de plus de 600 personnes par le dernier convoi du 11 août 1944, alors que pourtant la guerre était déjà perdue! A tous ces crimes, Klaus Barbie nia avoir pris la moindre part. 5

6 Lui, nazi ordinaire, mais bourreau ô combien sanguinaire, dont le règne dans notre ville ne fût que souffrances, douleurs, injustices. Lui, l auteur de plus de 7500 internements à Montluc, dont seuls 840 de ces prisonniers survécurent à la déportation. Lui, «le pire de tous», concepteur, ordonnateur, maître d œuvre de cette abjecte souricière de la rue Sainte-Catherine. Dans une tribune qu il a fait paraître à l occasion du 65 e anniversaire de l ouverture du camp d Auschwitz, le Grand Rabbin Gilles Bernheim écrit : «Le souvenir des horreurs du passé nous inspire le combat contre les horreurs d aujourd hui. A l inverse, qui veut oublier le mal se condamne à le revivre.» Mesdames et Messieurs, Il ne faut jamais oublier le mal! Ne jamais oublier qu il peut se reproduire! Avant de venir à cette cérémonie, je relisais un livre sur Hannah Arendt. Et je voyais comment un grand intellectuel, Martin Heidegger, avait pu glisser sur la voie de la collaboration avec le nazisme. Cet éminent philosophe était parti dans ses réflexions de notions bien éloignées de la tragédie de la rue Sainte-Catherine! Mais quand même Il commençait, avec d autres intellectuels de son époque, à exalter l âme du peuple allemand. Il avait inventé le mot de «völkisch». Il fallait être völkisch pour pouvoir être allemand, comprendre les racines profondes d un peuple. 6

7 Il exaltait la «Heimat», cette espèce d esprit du pays auquel on ne peut être rattaché que si on a partagé le sol et le sang. Comment ne pas voir que l élaboration de ces pensées-là aboutissaient fatalement, de proche en proche, de dégradation en dégradation, d humiliation en humiliation, à justifier, à légitimer, ce qui firent plus tard les nazis. Les choses vont vite. En 1929, Heidegger est encore un grand professeur de philosophie. En 1933, alors que le Recteur de Fribourg est chassé de son université parce qu il n accepte pas de mettre en œuvre les préceptes nazis, Martin Heidegger accepte de prendre sa place à la direction de cette université. Les leçons du passé doivent nous permettre d éclairer le présent. Eclairer le futur. L Histoire ne sert à rien si elle n est pas là pour nous enseigner. Aujourd hui devant cette rue Sainte-Catherine, là, où il y a 67 ans, le 9 février 1943, furent arrêtées, violentées, déportées 86 personnes, il faut nous souvenir, se dire qu aujourd hui, la lutte contre les idéologies nazies, les idéologies xénophobes, les idéologies antisémites, est une lutte de tous les jours. Si nous savons la mener, alors nous préparerons un avenir lumineux non seulement pour nous-mêmes, mais surtout, pour nos enfants! 7