1 Pour une fiscalité au service du développement des villes Force est de constater que la fiscalité actuelle en Belgique connaît un certain nombre de mécanismes qui sont défavorables au développement des villes. Et Bruxelles en souffre tout particulièrement. La fiscalité encourage l exode urbain et renforce le départ des villes des classes moyennes qui en sont le moteur. Il suffit de mesurer l exode urbain des classes moyennes de la Région bruxelloise, illustré dans le tableau ci-dessous : Revenu net imposable total par habitant par région : 1999 2010 Evolution Région de Bruxelles-Capitale 9.712 EUR 12.593 EUR +29,7% Région flamande 11.277 EUR 16.599 EUR +47,2% Région wallonne 9.864 EUR 14.763 EUR +49,7% Belgique 10.669 EUR 15.598 EUR +46,2% Sources : http://economie.fgov.be/fr/statistiques/chiffres/travailvie/fisc/ Le tableau ci-dessus montre que c est dans la Région de Bruxelles-Capitale que la hausse relative des revenus par habitant est la plus faible. L écart entre Bruxelles et l évolution nationale se chiffre à 14,4 % sur 10 ans. Les chiffres présentés ci-dessus dressent une vue d ensemble de la répartition géographique des revenus. Mais, comme l indique le SPF économie, dans son «Analyse des disparités régionales en matière de revenus» 1, «ce type de ventilation occulte toutefois les disparités importantes qui peuvent apparaître au sein d une même région.» C est pourquoi, le SPF économie présente une autre analyse, se basant sur l indice de richesse. Celui-ci reflète dans quelle mesure le revenu moyen par habitant d une ville donnée se situe dessus au ou en deçà de la moyenne nationale. Ce faisant, il montre que d autres villes souffrent également de l exode urbain des classes moyennes. En effet, la majorité des villes centres étudiées connaissent un recul de leur position. Le tableau ci-dessous expose la situation de trois grandes villes belges. Indice de richesse 2000 2005 2009 2010 Evolution Région de Bruxelles-Capitale 90 84 82 81-9 Anvers 104 95 92 91-13 Liège 87 86 85 85-2 1 http://economie.fgov.be/fr/binaries/persbericht%20fiscale%20inkomens%202010-fr_tcm326-202563.pdf
2 De plus, la fiscalité belge contribue aux mauvais résultats de notre pays en matière environnementale. En effet, la Belgique souffre d une congestion croissante de ses routes et peine à respecter ses engagements en matière de politique climatique. I. Mécanismes fiscaux défavorables aux villes Les mécanismes fiscaux défavorables aux villes concernent deux domaines : le transport et le logement. A) Transport Le système fiscal belge prévoit plusieurs mécanismes de financement des frais de déplacement pour les travailleurs, et ce, pour divers types de déplacements. Ainsi, il encourage fiscalement les travailleurs qui habitent à distance de leur lieu de travail et n accorde pas les mêmes avantages aux travailleurs résidants plus proches de leur lieu de travail. Or, l emploi est concentré dans les villes. a. Distinction frais forfaitaires - frais réels Deux systèmes coexistent pour permettre aux travailleurs d obtenir une réduction du revenu imposable sur base des coûts des déplacements domicile-lieu de travail : 1. Soit une déduction forfaitaire des frais professionnels, combinée à l exonération de l intervention de l employeur dans les frais de déplacement domicile-lieu de travail et à l octroi d un forfait complémentaire pour long déplacement à condition d effectuer une distance de minimum 75 km (en aller simple) entre son domicile et son lieu de travail (le forfait s élève à respectivement 75 euros, 125 euros, ou 175 euros pour des distances parcourues de 75km à 100km, 101km à 125km, ou plus de 125km ; 2. Soit une déduction des frais professionnels réels (0,15 euro par km), combinée à une taxation de l intervention de l employeur dans les frais de déplacement domicile-lieu de travail. Les frais de déplacement entre le domicile et le lieu de travail constituent généralement la partie la plus importante des frais réels, à savoir plus de 50%. C est donc le nombre de kms parcourus entre le domicile et le lieu de travail qui déterminera le système le plus intéressant pour le contribuable. A titre d exemple, pour l année 2010, pour un revenu brut de 20.000 euros, il sera plus intéressant d opter pour la déduction des frais réels lorsque les kms parcourus entre le domicile et le lieu de travail dépassent 37 kms. Cette formule devient également plus intéressante pour les contribuables bénéficiant d un revenu brut de 50.000 euros dès que la distance domicile lieu de travail atteint 51 kms. En bref, plus le nombre de kms parcourus est grand, plus la possibilité d opter pour la déduction des frais réels s avère la plus intéressante. Ceci implique que les montants déductibles seront plus élevés et l impôt dû moins important.
3 b. Voitures de société Les dispositions fiscales afférentes aux voitures de société impliquent «qu il est plus intéressant pour l employeur de proposer une voiture de société qu une hausse de salaire à son personnel» 2. En effet, les entreprises ne payent pas de cotisations sur les véhicules de société et peuvent récupérer 50% de la TVA sur les frais d achat et d utilisation. Voici quelques-unes des répercussions de ce système sur le comportement des bénéficiaires de voitures de société : peu de kilomètres parcourus dans le cadre du travail (30% des déplacements) ; une majorité des déplacements concernant les déplacements domicile-lieu de travail ; un pourcentage particulièrement élevé (90%) d usagers utilisant la voiture de société pour se rendre au travail, contre 59% pour les autres automobilistes ; une augmentation importante du nombre de kilomètres parcourus (en moyenne 9200 kilomètres supplémentaires pour les automobilistes disposant d une voiture de société, un kilométrage moyen de 33000 kilomètres pour les voitures de sociétés contre 20000 kilomètres pour les voitures privées). L avantage qui résulte de la mise à disposition du travailleur d un véhicule de société fait l objet d une évaluation forfaitaire (Valeur catalogue X 6/7 X pourcentage CO2). Ce type de calcul a pour conséquence que, plus le nombre de kms parcouru est grand, plus l avantage réel est important. Etant donné que la majorité des kilomètres parcourus avec le véhicule de société concerne les déplacements domicile-lieu de travail, les travailleurs résidants le plus loin de leur lieu de travail bénéficieront donc d un avantage réel plus grand car le nombre de kms parcourus quotidiennement pour se rendre à leur travail est plus élevé. Et ce, d autant plus que le pourcentage de kilomètres parcourus pour effectuer les déplacements domicile lieu de travail est le plus grand chez les conducteurs résidant à plus de 20 kms de leur lieu de travail Plus la part de déplacements domicile-lieu de travail est grande dans le total des déplacements effectués avec une voiture de société, plus le domicile est éloigné du lieu de travail. En effet, ¾ des contribuables pour lesquels cette part correspond à 64% des déplacements habitent à plus de 20 kms de leur lieu de travail. 3 Cette part descend à 20 % pour 60 % des contribuables résidants à moins de 20 kms de leur lieu de travail. Dans le cadre de l ATN voitures de société, l avantage lié à la distance entre le domicile et le lieu de travail est donc en moyenne 44 % supérieur pour les citoyens résidants à plus de 20 kms de leur lieu de travail. 2 Ghysens, J.-D., «Subsides dommageables à l environnement», Fédération Inter-Environnement Wallonie 3 Castaigne et al., «Professional mobility and company car ownership (PROMOCO)», Science for a sustainable development, 2009, pp. 73-74
4 B) Logement - Déduction liée à l amortissement et aux intérêts des emprunts hypothécaires a. Coût du logement Le logement est plus cher en ville qu à la campagne. Et ce pour une raison simple, le logement en ville offre un grand avantage par rapport au logement à la campagne : il est plus proche des lieux de travail. Mais, comme il est plus cher, qu il faut emprunter plus pour acheter en ville et que les avantages fiscaux sont plafonnés, le système fiscal encourage relativement plus les acquisitions immobilières à la campagne qu à la ville. b. Taux de locataires en ville Le taux de locataires est plus élevé en ville qu à la campagne. Or, les avantages fiscaux liés au logement ne sont accordés qu aux propriétaires en fonction du montant de l emprunt hypothécaire. Ce système est donc plus plébiscité dans les campagnes car il n est pas adapté au mode d habitat urbain. Les villes accueillent en effet un plus grand nombre de locataires qui eux n ont pas droit à un avantage fiscal similaire lié au coût de leur logement. c. Revenu cadastral La fiscalité immobilière pèse également plus lourdement sur les villes dans la mesure où les revenus cadastraux sont plus élevés en ville qu à la campagne, les immeubles et les terrains y étant plus chers. Or, le revenu cadastral est ajouté aux revenus professionnels pour le calcul de l impôt dû, et taxé au taux marginal d imposition. La fiscalité pèse donc plus lourdement sur les loyers calculés sur les logements urbains, c est-à-dire sur le montant payés par les locataires des villes. II. Illustration chiffrée des avantages fiscaux Données générales : Pour les avantages transport, 4 profils : - un couple et un isolé, résidant dans un centre urbain (Liège, Bruxelles, ou Anvers), à moins de 20kms de leur lieu de travail et ; - un couple et un isolé, résidant dans une zone rurale (à 100kms de leur lieu de travail). Pour les avantages logement, 4 profils (nous partons de l hypothèse que les contribuables sont chacun propriétaire du bien à 50%, l avantage pour un isolé aurait dans ce cas été le même que celui dont bénéficie le couple) : - un couple résidant à Bruxelles ; - un couple résidant à Anvers ; - un couple résidant dans un village wallon ; - un couple résidant dans un village flamand. Lieu de travail : centre urbain. Revenus professionnels : 15.000 euros par contribuable. Précompte professionnel : 3.000 euros par contribuable.
5 1. Données calcul frais forfaitaires : Déplacements domicile lieu de travail en transport en commun. Remboursement des frais de déplacement du domicile au lieu de travail : 500 euros. Exonération du remboursement des frais de déplacement du domicile au lieu de travail : 500 euros. Profil 2 et 4 : Forfait long déplacement de 75 euros (distance domicile lieu de travail située entre 75 et 100 kms). 2. Données calcul frais réels : Remboursement frais de déplacement du domicile au lieu de travail : 500 euros. Frais réels profils 2 et 4 : 0.15 (limite par km lorsque les déplacements sont effectués en voiture) * 100 (nombre de kms) * 2 (déplacement matin et soir) * 220 (nombre de jours de travail prestés) = 6.600 euros Frais réels profils 1 et 3 : 0.15 (limite par km lorsque les déplacements sont effectués en voiture) * 20 (nombre de kms) * 2 (déplacement matin et soir) * 220 (nombre de jours de travail prestés) = 1.320 euros 3. Données calcul avantage réel voitures de société : On estime en moyenne l avantage réel net d une voiture de société à 560 euros par mois, soit 6.720 euros par an. Si l on y applique les statistiques d utilisation définies par PROMOCO, à savoir un avantage lié à la distance entre le domicile et le lieu de travail est donc en moyenne 44 % supérieur pour les citoyens résidants à plus de 20 kms de leur lieu de travail, nous pouvons estimer l avantage de chacun des profils de contribuables comme suit : Avantage réel pour les profils 2 et 4 : 660 euros par mois Avantage réel pour les profils 1 et 3 : 460 euros par mois 4. Données relatives au calcul de l avantage fiscal lié à la déduction des emprunts hypothécaires : - Prix moyen des maisons d habitations (données du SPF économie) 4 Bruxelles : 353.959 euros Flandre : 207.860 euros Anvers : 224.849 euros Wallonie : 146.519 euros - On part de l hypothèse que chaque profil achète un appartement dont le prix équivaut au prix moyen d un appartement dans sa région/commune. Chaque profil emprunte le montant total du prix de l appartement, à un taux annuel de 5%, prêt en 20 ans. - Intérêt et capital remboursé en 2012 : Bruxelles : 28.668 euros Flandre : 16.824 euros Anvers : 18.204 euros Wallonie : 11.868 euros 4 http://statbel.fgov.be/fr/modules/publications/statistiques/economie/downloads/ventes_de_biens_immobiliers.jsp
6 Isolé Couple Centre urbain (1) Zone rurale (2) Centre urbain (3) Zone rurale (4) 1. Frais forfaitaires Remboursement + 1184,05 5 + 1.216,15 + 2089,30 + 2155,45 Différence + 32,1 + 66,15 2. Frais réels Remboursement + 1131,19 (plus intéressant d opter pour les frais forfaitaires : + 1184,05 ) + 2481,05 + 1980,37 (plus intéressant d opter pour les frais forfaitaires : + 2089,30 ) + 4962,10 Différence + 1297 + 2872,8 3. Voiture de société Avantage réel 4600 6600 9200 13200 Différence + 2000 + 4000 Couple 4. Emprunt hypothécaire RBC Anvers Flandre Wallonie Avantage fiscal 2247,14 2247,14 2247,14 2247,14 En proportion du 7,8% 12,3% 13,4% 18,9% coût de l emprunt Coût réel de 26420,86 15956,86 14576,86 9620,86 l emprunt Coût supplémentaire pour les citoyens RBC 11.844 par rapport à la moyenne flamande 16.800 par rapport à la moyenne wallonne Coût supplémentaire 1.380 par rapport à la moyenne flamande pour les citoyens anversois 5 Les calculs de ce tableau ont été effectué avec l application informatique du SPF finances, Tax calc, sur base de l exercice d imposition 2013, année de revenus 2012.
7 III. Les réformes nécessaires Comme on vient de le voir, la fiscalité belge entraîne des différences significatives, largement défavorables au pouvoir d achat des citoyens résidant à proximité de leur lieu de travail. Telle qu héritée des choix du passé, la politique fiscale n est donc plus en conformité avec les priorités actuelles. L Etat subsidie non seulement la perte de temps libre pour les nombreux navetteurs mais également la mauvaise qualité de vie en ville! Tout le monde reconnaît aujourd hui la nécessité d encourager l habitat urbain, plus concentré, plus économe en ressources, et contribuant mieux à la réduction des nuisances et pollutions créées par l habitat. Les FDF souhaitent une réforme de la fiscalité qui permette de favoriser un comportement écologique des citoyens en termes de mobilité, d encourager la rénovation du parc de logements en ville, en vue d une meilleure performance énergétique, de soutenir les écoindustries et les moyens de transports collectifs, une société avec moins de transport, bref une fiscalité au service de la qualité de vie de ses citoyens dans les centres urbains. En outre, la mise en œuvre de règles fiscales pour décourager l exode urbain et les cités «dortoirs» périurbaines permettra également de réduire les nuisances générées et subies par les navetteurs (stress). Pour ce faire, la fiscalité doit, à tout le moins, être neutre par rapport au choix d habiter en ville, ou même favorable à l habitat urbain. La fiscalité doit redonner du tonus aux villes! C est pourquoi, dans le cadre de la réforme de l IPP qui s annonce, les FDF réclament une adaptation de la fiscalité reposant sur un traitement intégré de la problématique «domiciletravail». Cette adaptation pourrait se faire, par exemple, par la mise en place d un avantage fiscal «éco-proximité», alternative plus écologique aux avantages combinés logement et transport. Dans ce cadre, le plafond existant actuellement pour la déduction des emprunts hypothécaires serait augmenté légèrement et vaudrait pour la déduction des emprunts hypothécaires ou du loyer et pour le montant des avantages liés au transport. Les recettes consécutives à cette modification pourraient être affectées à une baisse de l impôt sur le travail et à l extension des déductions fiscales pour les dépenses liées à l isolation du sol et des murs, la déduction existant toujours pour les dépenses à liées à l isolation du toit.