AU-DELÀ DES APPARENCES, VOYAGE EN ARNHEM LAND

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1 BRUNO CABANIS En 8 dates 1954 : Naissance à Mulhouse : Diplôme d ingénieur en informatique-électronique 1981 : Crée et dirige sa propre société d informatique : Décide de devenir photographe professionnel : Publie avec Sybil Canac le livre Paris, boutiques de toujours, puis deux autres ouvrages sur Paris : Effectue son premier séjour en Arnhem Land : Publie Horlogerie française : les artisans du temps chez Eyrolles 2014 : Publie Sculpteurs de BD, dans l atelier des créateurs de figurines, également chez Eyrolles. Bobine Tesla 1 Pièce maîtresse de la collection de machines de Jacques Emery, cette bobine Tesla est capable de produire des éclairs électriques de plus d un million de volts. L univers est un énorme système d émetteurs-récepteurs où tout être est interconnecté, explique l électricien. Regard PORTFOLIO AU-DELÀ DES APPARENCES, VOYAGE EN ARNHEM LAND Une rencontre étonnante et un parcours professionnel délibérément chamboulé ont conduit le photographe Bruno Cabanis à témoigner, après plusieurs séjours dans les zones isolées de l Arnhem Land australien, de la vie quotidienne d une communauté aborigène, écartelée entre les habitudes d un mode de vie millénaire et les sirènes du monde moderne. Yann Garret Weemol, Arnhem Land En cette fin d après-midi, deux enfants s amusent avec une poubelle et nous invitent à observer, sans jugement hâtif, le télescopage du mode de vie traditionnel des Aborigènes et du mode de vie occidental. 86 Réponses PHOTO n 280 juillet 2015 n 280 juillet 2015 Réponses PHOTO 87

2 Regard PORTFOLIO Shopping à la shop Au magasin général du village, chaque famille possède un compte alimenté par une partie des revenus que verse le gouvernement australien au titre d une allocation de revenu minimum et des royalties tirées de l exploitation minière sur les territoires aborigènes. Ce système favorise les comportements d achat compulsifs. Dans une population de chasseurs-cueilleurs semi-nomades, la sédentarisation et les profonds changements des habitudes alimentaires font exploser les problèmes de santé. Le plaisir de l instant présent Dans certaines maisons de la communauté, il est possible de trouver une semaine un billard, la semaine suivante un trampoline Dans leur mode de vie traditionnel, les Aborigènes ne se projettent pas dans le futur. Leur rapport aux objets ou à la propriété est très détendu Dans les habitations en dur qui ont remplacé les huttes traditionnelles, la télévision est souvent présente : c est un important facteur de déculturation 88 Réponses PHOTO n 280 juillet 2015 n 280 juillet 2015 Réponses PHOTO 89

3 Regard PORTFOLIO Après la saison humide, les hautes herbes sont infestées de serpents. Chaque famille brûle les parcelles qu elle possède, ce qui permet aussi d éviter de plus gros incendies. Mais le souci de sécurité n interdit pas le caractère festif de ces pratiques! 90 Réponses Réponses Photo PHOTO n 280 n 280 juillet 2015 juillet 2015 n 280 n 280 juillet juillet Réponses Réponses PHOTO Photo 91

4 Regard INTERVIEW BRUNO CABANIS Ingénieur en informatique, dirigeant de société pendant 24 ans, il rêve d une vie plus large, plus simple et plus mystérieuse. Il décide de devenir photographe professionnel, goûte d abord aux plaisirs du studio, puis s intéresse aux aventures humaines. Pouvez-vous nous raconter dans quelles circonstances vous avez pu réaliser ces photos? À l origine de ce travail, il y a ma rencontre en 2002 avec François Giner, un Français qui a vécu pendant une vingtaine d années parmi les Aborigènes du Nord de l Australie. François est quelqu un d étonnant, une sorte d aventurier à l ancienne, autodidacte, qui a bourlingué pendant des années en Afrique et en Océanie avant de se fixer auprès d une tribu de la Terre d Arnhem, à 700 km au sud de Darwin. En 2007, il a raconté ce destin incroyable dans un livre, En terre aborigène, rencontre avec un monde ancien (Albin Michel), et notamment comment il a pu vivre pendant tant d années au contact de ce clan des Ngklabon, grâce à l amitié de George Jangawanga, le sage du groupe et gardien des traditions. C est lors d une réception à l ambassade d Australie pour la sortie du livre que j ai retrouvé François, et que je lui ai proposé de mettre des images sur tout ce qu il avait raconté, et surtout de témoigner du rôle très particulier qu avait eu son ami George dans leur belle histoire. Grâce à eux, j ai donc pu, à partir de 2008, effectuer des séjours réguliers à Weemol, le village dont il est question ici. Il s agit d un sujet rarement photographié. Pourquoi? Mon premier réflexe, avant d entamer ce travail, a été de rechercher ce qui a pu être fait par le passé. Je me suis rendu compte qu il y a des centaines d ouvrages qui évoquent les Aborigènes, mais très peu de livres de photographies, sinon le travail d une photographe anglaise, Penny Tweedie, qui a réalisé, dans les années 80 et 90, des images extraordinaires, à une époque où certaines communautés avaient encore un mode de vie totalement traditionnel. C est un sujet très peu traité parce qu il nécessite d avoir une relation particulière avec les groupes aborigènes, qui forment des communautés fermées, très méfiantes, et peu enclines à collaborer avec un photographe qui sortirait de nulle part. Cérémonies funéraires Lorsque meurt un ancien, on fait toujours appel aux danses traditionnelles pour écarter les mauvais esprits et apaiser l esprit des morts. Poissons sandales Dans cette société de relative abondance qui leur est imposée, la pêche reste une activité appréciée par les adultes et distrayante pour les enfants. Pendant que le temps passe Coupés de leur passé, sans perception claire de ce que sera leur futur, les habitants de Weemol profitent de l instant, comme ici June, dans une position d attente rêveuse. Quel est votre parcours de photographe? Disons qu il a pris des chemins détournés : je ne suis photographe professionnel que depuis dix ans, après avoir travaillé dans l industrie pendant 25 ans. L histoire, c est que j ai toujours été celui qui prend les photos des autres! Mon premier appareil, à ans, a été un Agfa Iso-Rapid. Puis, j ai piqué le Rolleicord de la famille. À 18 ans, avec mes économies, je me suis acheté un Miranda, ce qui n était peut-être pas le meilleur choix Puis, j ai fait des études scientifiques, je suis devenu ingénieur en informatique, et j ai créé, en 1981, une entreprise avec un ami d école d ingénieur. Cela a été une longue aventure de 25 ans, avec beaucoup de soucis, de contraintes, de joies aussi, mais au fil du temps, je me suis senti prisonnier d une vie trop étroite, rythmée par les échéances professionnelles, à rencontrer toujours les mêmes personnes. J ai eu une énorme envie de changement, un besoin de réintroduire du mystère dans ma vie, de ne pas savoir ce que je ferais dans un an. Or, tout au long de ces années, je n ai jamais cessé de pratiquer la photo, de manière assidue même si j ai arrêté de tirer mes films. Par conséquent, au moment de décider de quoi le reste de ma vie serait fait, la photographie m est apparue comme un choix naturel. 92 Réponses PHOTO n 280 juillet 2015 n 280 juillet 2015 Réponses PHOTO 93

5 Regard PORTFOLIO Libres enfants de Weemol Aux jeux installés à leur intention, les enfants de Weemol préfèrent les baignades dans la rivière voisine. L école est à 6 km, dans le village de Bulman où se trouvent également le poste de police, l infirmerie, et la shop. Peu de photographes se sont intéressés aux communautés aborigènes de l Arnhem Land. À cause de leur isolement géographique, mais aussi parce qu il s agit de populations difficiles à aborder si l on n a pas la chance d avoir un contact sur place. Mais de photographe amateur à professionnel, comment franchit-on le pas? En 2005, donc, je me suis demandé par quel bout prendre le problème. Ma pratique me donnait l impression de ne pas avoir à repartir de zéro. Faire une école était hors de propos. Quant à devenir l assistant d un autre photographe, je pense que j avais passé l âge et que ça n aurait intéressé personne! Il y avait toutefois des techniques que je ne connaissais pas du tout, notamment l éclairage de studio. J ai donc effectué un stage de prise de vue de mode à l école Louis Lumière, ce qui m a donné de vraies bases et m a été très utile quand j ai commencé à effectuer des travaux de commande. Ensuite, c est affaire d opportunités et de rencontres. J ai eu envie de réaliser des livres, la presse me paraissant inaccessible. J ai rencontré une journaliste avec qui j ai effectué un travail sur les boutiques anciennes à Paris. Un livre a été publié, et il a très bien marché puisqu il s en est vendu exemplaires. J ai ensuite réalisé des ouvrages sur le métro parisien, sur les passages couverts, sur l horlogerie et les artisans de cet univers, sur les sculpteurs de figurines de BD Mais, parallèlement, j ai toujours aimé voyager, et m intéresser à des gens très différents, à des aventures humaines. Avec François Giner et son ami George, j estime avoir été particulièrement bien servi. Quelques mots sur votre équipement? Je ne travaille plus qu en numérique. Le numérique a renouvelé le plaisir que j ai à retravailler, à interpréter mes photos. Mon travail en Australie a été réalisé avec des boîtiers Nikon D300 et D Réponses PHOTO n 280 juillet 2015