RÉPONSES DES MICROALGUES D EAUX DOUCES AUX POLLUTIONS PAR LES PESTICIDES

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1 RECHERCHE DANS LE DOMAINE DES RISQUES ET DES POLLUTIONS APR 1999 RÉPONSES DES MICROALGUES D EAUX DOUCES AUX POLLUTIONS PAR LES PESTICIDES COORDINATEUR SCIENTIFIQUE : Christophe LEBOULANGER IRD UR 167 CyRoCo, c/o UMR CNRS 5119, CC093, Université Montpellier II, Montpellier cedex 5, leboulan@mpl.ird.fr LES MICROALGUES D EAUX DOUCES: UN OUTIL D ÉVALUATION POUR LE RISQUE PESTICIDES Le projet proposé en 1999 envisageait d étudier les réactions de communautés algales naturelles, planctoniques (phytoplancton) et benthiques (périphyton), aux stress causés par les pesticides. La démarche adoptée reposait sur le principe du PICT, qui postule que les communautés soumises à des pollutions chroniques sont plus tolérantes à une augmentation provoquée de cette pollution que les communautés indemnes. Nous proposions donc d adapter des mesures physiologiques, liées au métabolisme photosynthétique (fluorescence, production primaire), pour détecter et quantifier les phénomènes de tolérance aux pesticides des communautés algales naturelles de lac et de rivière. Ces mesures physiologiques, associées à des estimations de la richesse taxonomique des communautés et à des études sur la variabilité génétique des espèces dominantes, devaient par ailleurs donner des indications précieuses sur la qualité globale du compartiment algal, et sur sa capacité de restauration suite à une pollution. Projet réalisé de 2001 à 2004 au sein de l Equipe Microbiologie Aquatique de l INRA, UMR CARRTEL, Thonon les Bains DÉROULEMENT Nous avons entrepris la mise au point et la validation de protocoles expérimentaux utilisables sur le terrain, sur des communautés algales naturelles variées, et capables de répondre à plusieurs questions : 1 - le peuplement algal étudié subit-il ou a-t-il subi récemment une pollution par un ou des pesticides déterminés? 2 - si oui, son fonctionnement et/ou sa diversité s en sont-ils trouvés altérés? 3 - le peuplement algal est-il à même de retrouver rapidement sa diversité et sa fonctionnalité initiales ( restauration ) ou est-il durablement modifié? C est dans cette optique qu a été développé le principe du PICT 1, visant à caractériser l exposition passée d une communauté algale à un polluant donné. Ce principe postule qu un organisme donné, s il se développe en contact avec un pesticide donné, va développer des phénomènes de tolérance et/ou de résistance à ce polluant (éventuellement à d autres molécules de mode d action proche) par la pression de sélection induite par ce polluant (cf. Fig. 1). Dans ce cas, l application expérimentale d une nouvelle dose de pesticide produira des effets moins intenses sur cette communauté 1 Acronyme de Pollution induced community tolerance, principe postulant qu une communauté naturelle ou artificielle exposée à une pression de pollution développe, par sélection, une tolérance accrue aux polluants impliqués (Blank H.,Wangberg S.& Molander S.1988,Pollution induced community tolerance - A new ecotoxicological tool. In Cairns Jr. J & Pratt J. R. Eds Functional testing for estimating hazards of chemicals. Vol Philadelphia ASTM STP. P ). 113

2 tolérante, que sur un peuplement similaire vierge n ayant pas le même passé de pollution. Figure 1. Trois niveaux de réponse des microalgues aux stress toxiques causés par les pesticides. La mort des cellules ( ) en elle-même n est généralement pas utilisée comme descripteur des effets toxiques dans la littérature. Sur des modèles de laboratoire (cultures monoclonales de chlorophycées) nous avons démontré qu un herbicide appliqué à dose létale (supérieure à la CE50) conduisait à la sélection dans le milieu de mutants résistants, sur lesquels nous n avons pas pu mettre en évidence de coût physiologique associé à cette résistance. La fréquence d apparition (c est-à-dire probablement de sélection de mutants préexistants par la pression exercée par le toxique) des mutants résistants est comparable à celle généralement admise pour les bactéries pathogènes face aux antibiotiques, de l ordre de Concrètement, cela veut dire qu il est hautement probable que de tels mutants existent naturellement dans le milieu et qu une pollution conduise à leur sélection. Figure 2. Illustration de l apparition de mutants dans des cultures «sauvages» de chlorelles (symboles pleins, entourés de pointillés isolées de milieux non contaminés,sous l effet de la sélection par une triazine (Irgarol 1051). La mutation, illustrée par les flèches se traduit par une augmentation de la tolérance au toxique (flèches vers le haut) et n a pas d effet prédictible sur la valeur sélective (ici le taux de croissance en milieu artificiel, augmenté, diminué, ou inchangé après mutation). Sur des communautés naturelles, nous avons appliqué divers outils d estimation de la richesse, de l abondance et de la diversité taxinomique des microalgues (microscopie classique, HPLC sur pigments, DGGE ). Ceci a permis de mettre en évidence des changements de structure et de composition des communautés, en milieu lentique ou lotique, et de relier ces changements de structure aux pressions de pollution supposées ou réelles. Sur un bassin versant exempt de pression de pollution due aux pesticides, nous avons montré que les communautés étaient diversement sensibles à l ajout de pesticides modèles, mais que la variabilité était beaucoup plus liée à la saison de l expérience 114

3 qu au site d échantillonnage et à son niveau trophique. Cela permettait a contrario de supposer que des facteurs de confusions comme la richesse en sels nutritifs et le niveau d exposition au soleil n étaient pas à même de perturber l analyse des résultats obtenus sur les milieux pollués. Sur un bassin versant à forte pression agricole, nous avons montré qu il existait un gradient amont-aval de diversité et de structure des communautés de microalgues, ainsi qu un gradient de sensibilité, liés selon toute vraisemblance au gradient de pollution détecté dans l eau de la rivière (Fig. 3). Il s agit donc d une illustration in situ du PICT et de son application en collaboration avec les gestionnaires (Agence de l Eau Loire- Bretagne). Figure 3. A. Différences de composition des communautés de microalgues périphytiques en fonction du gradient de pollution (une analyse factorielle des correspondances, effectuée sur les profils DGGE de l ARNr 18S, permet de montrer que les sites non pollués sont différenciés étoiles). Il existe par ailleurs un gradient de sensibilité croissante aval amont (B) des mêmes communautés. Dans un lac très peu touché par les pollutions de type agricole (le Léman) nous avons montré que des sources ponctuelles de pollution triazinique (en l occurrence les ports de Thonon et Lausanne) généraient localement une apparition de communautés phytoplanctoniques sélectionnées, et moins sensibles à l ajout des mêmes triazines lors des tests à court terme. C est une seconde illustration de l applicabilité du PICT. Nous espérons avoir démontré que, au delà de l utilisation de ces organismes comme simple modèles de laboratoire ou de l utilisation d indices de diversité des communautés naturelles, les microalgues pouvaient être considérées comme des indicateurs pertinents des pressions de pollution par les pesticides. Si l on dispose d un site de référence non pollué, il est possible à partir de l analyse de la structure et de la diversité des communautés, ainsi que leur sensibilité aux sur-contaminations lors de tests écotoxicologiques, de montrer s il existe une pression de sélection due à une contamination du milieu par les pesticides. Ce type d approche peut venir en complément des suivis de contamination des eaux de surfaces, effectués de façon ponctuelle avec les méthodes de chimie analytique, et l utilisation des indices de qualité normalisés. Initialement réalisé sur des modèles de pesticides en interaction avec des communautés planctoniques et périphytiques, ce programme a fourni des méthodologies transposables à d autres situations. Nous avons par exemple pu utiliser les méthodes et les savoir-faire acquis dans ce programme sur des communautés de microalgues terrestres (Bérard et al., 2004), dans des systèmes expérimentaux soumis à des lixiviats industriels (thèse de L. Volatier, ENTPE-INSA Vaulx-en-Velin-Lyon, 2004) ou encore sur d autres communautés benthiques (épipsammon, Saint-Olive et al., 2001) avec le même succès. Pour le gestionnaire, il est donc intéressant de disposer de tels outils permettant de démontrer l impact réel d une pollution 115

4 par un ou plusieurs pesticides, et dans le cadre de scénarios de pollutions variés à travers un bassin versant. Le PICT est un véritable outil d évaluation écotoxicologique, dans le sens où il possède également une signification écologique importante. Il intègre à la fois la variabilité de la communauté de microalgues (ou autres organismes) dans son ensemble, les phénomènes d adaptation physiologique des organismes, et les sélections intra- ou interspécifiques. Lors d une étude antérieure à ce programme, nous avions montré que le PICT pouvait aboutir à des end-point relevants dans le cadre d études en cosmes (mésocosmes et microcosmes) dédiées à l évaluation du risque écotoxicologique. le PICT est donc un outil qui peut se voir appliqué à l évaluation d impacts de pesticides non seulement en a posteriori mais aussi en a priori. PARTENAIRES Au cours du déroulement de ce projet, et grâce au financement assuré par le MEDD qui nous a donné une autonomie appréciable, nous avons pu développer des collaborations fructueuses avec divers organismes de recherche ou de gestion. Une étude sur la rivière Ozanne s est faite en collaboration avec l Agence de l Eau Loire-Bretagne jusqu en 2001 et des analyses supplémentaires sur les échantillons collectés ont pu être menées; un échange de savoir faire et un travail sur échantillons communs a été entrepris avec le Centre de recherche public Gabriel Lippmann du Luxembourg, et avec l Université de Kiev, sur des modèles d algues terrestres et benthiques ; nous avons très efficacement collaboré avec l Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (GECOS-ECOTOX) sur le Léman ; nous avons développé l utilisation d outils cosmes de laboratoire avec le Cemagref de Lyon et l ENTPE de Vaulx-en-Velin ; en collaboration avec l UMR 1229 Microbiologie et Géochimie des Sols, INRA/CMSE INRA/Université de Bourgogne de Dijon nous avons finalisé des techniques d extraction d ADN d algues et d amplification PCR ; avec la Fondation de la Tour du Valat nous avons pu avoir accès à des rizières de type biologique en zones protégées. PUBLICATIONS ET VALORISATIONS Publications scientifiques Bérard A., Dorigo U., Mercier I., Becker-van Slooten K., Grandjean D. & Leboulanger C. (2003). Compared ecotoxicological impact of the two triazines Irgarol 1051 and atrazine to microalgal communities of Lake Geneva. Chemosphere, 53, Bérard A., Rimet F., Capowiez Y. & Leboulanger C. (2004) First developments of indigenous soil algal assay procedures for monitoring sensitivity to pesticides. Archives of Environmental and Contamination and Toxicology. 46, Bérard A., Dorigo U., Humbert J.F & Martin F. (2005) Microalgae community structure analysis based on 18S rdna amplification from DNA extracted directly from soil as a potential soil bioindicator. Agronomie, 25, 1-7. Dorigo U., Bérard A. & Humbert J.F. (2002) Comparison of eukaryotic phytobenthic community composition in a polluted river by partial 18S rrna gene cloning and sequencing. Microbial Ecology. 44, Dorigo U., Bourrain X., Bérard A. & Leboulanger C. (2004) Seasonal changes in the sensitivity of river microalgae to atrazine and isoproturon along a contamination gradient. The Science of the Total Environment, 318, Conférences et posters principaux, périodiques Bérard, A., Saint Olive A. & Leboulanger C., (2001) L activité potentielle photosynthétique d un sol, indicatrice de la sensibilité des communautés algales telluriques à l atrazine. Bulletin du Groupe Francophone Humidimétrie et Transferts en Milieux Poreux, 47 : Bérard A., Dorigo U., Humbert J.F., Bourrain X., Cauzzi N., Druart J.C. & Leboulanger C 116

5 (2001) Révélation d une pollution diffuse par la tolérance induite chez les communautés de microalgues. Application de la méthode PICT (Pollution-Induced Community Tolerance) dans une rivière contaminée par des herbicides. XXXIe Congrès du Groupe français des Pesticides, Lyon, mai 2001 Bérard A., Rimet F. & Leboulanger C. (2002) Les microalgues édaphiques, des outils d évaluation de la qualité des sols. Forum «qualité des sols» MATE, Paris, mai Bérard A., Dorigo U., Humbert J.F & Martin-Laurent F. (2003) Utilisation des communautés de microalgues telluriques comme bioindicateurs potentiels de contamination des sols. Méthodologie d extraction et d amplification de l ADNr des algues. XXXIIIe Congrès du GFP, Aix en Provence mai 2003 Bouchez A., Villeneuve A. & Leboulanger C. (2005) Apparition de clones de microalgues résistants sous l effet d un herbicide. Caractérisation et coût de la résistance, Colloque d Ecologie Microbienne, Obernai, France, 9-12 mai 2005 Leboulanger C., Le Bihan F., Dorigo U. & Bérard A. (2002) Réactions des microalgues planctoniques aux gradients de pollution : le cas des additifs anti-fouling dans le Léman. Poster au 2 e colloque GMRE / XXXIIe congrès du GFP, Marrakech, Faculté de Médecine, Maroc, mai 2002 Leboulanger C. (2003) Use of freshwater microalgae in ecotoxicological studies. Conférencier invite au 3 rd European Phycological Congress, Belfast, Queen s University, Ulster, juillet 2003 Leboulanger C.,Villeneuve A., Bouchez A. & Humbert J.F. (2004) Effects of Irgarol 1051 on the growth of several Chlorella strains, selection of resistant mutants, cost of resistance, and consequences for microalgal communities responses to pollution. Poster au 14 th Annual Meeting SETAC Europe, Prague, Rép. Tchèque, avril 2004 Saint Olive A., Cauzzi N., Leboulanger C. & Bérard A. (2001). Utilisation des communautés de microalgues telluriques comme bioindicateurs potentiels de contamination des sols. Premiers essais sur l extraction des algues, la mesure de l activité photosynthétique d un sol et de sa sensibilité à l atrazine. XXXe Congrès du GFP, Lyon : mai 2001 Rapports de stages liés au programme Dorigo U. (2001) Methodologies to study the effects of pesticides on freshwater microphytobenthos. Tesie di Laurea de l Université de Padoue, Italie Le Bihan F. (2001) Impact de l Irgarol et du cuivre utilisés dans les peintures anti-fouling des bateaux sur les communautés phytoplanctoniques du Léman. DESS Gestion des ressources naturelles renouvelable U.CO. Angers, 48 pp. + annexes Saint Olive A. (2001) Mise au point et application de tests physiologiques pour évaluer la tolérance de communautés algales prélevées dans leur milieu. D.U. U.C.L.B. 61 pp. + annexes (UD, FLB et ASO ont participé aux travaux préalables à la mise en place de ce programme) Pernot M. (2002) Impact du chlorure sur les organismes aquatiques du lac Léman. Travail pratique de Diplôme EPFL, Lausanne 69 pp. + annexes. Jacquier T. (2003) Sensibilité de diverses espèces phytoplanctoniques à des pesticides employés en riziculture. IUT de Colmar Bonifacio S. (2003) Utilisation des signatures pigmentaires pour le suivi de la dynamique des microalgues sous l effet de xénobiotiques. BTS Biochimie Thonon les Bains Enachit M. (2003) Protocoles pour la mesure du stress chez les microalgues: développements méthodologiques, utilisation des enzymes estérases. BTS Biochimie Thonon les Bains Marzin Caroline (2003) Etude de l hétérogénéité spatiale et temporelle de la sensibilité du phytoplancton à des polluants d origine agricole.2 e année Ingénieur ISIM,Montpellier. 117

6 30 pp. + annexes Villeneuve Aurélie (2004) Apparition de mutants résistants à l Irgarol 1051 dans des clones de microalgues isolés de divers milieux. IUP Génie Environnement, Metz, 55 pp. Publications issues des travaux préalables à la mise en place du projet Bérard A Dorigo U., Humbert J.F., Leboulanger C & Seguin F. (2002). La méthode PICT (Pollution-Induced Community Tolerance) appliquée aux communautés algales. Intérêt comme outil de diagnose et d évaluation du risque écotoxicologique en milieu aquatique. Annales de Limnologie 38, Dorigo U. & Leboulanger C. (2001) A pulse-amplitude modulated fluorescence-based method to assess photosystem II herbicides effects on freshwater periphyton. Journal of Applied Phycology. 13,