SENSIBILITÉ DE DEUX MOUSTIQUES CULICIDÉS (ANOPHELES LABRANCHIAE ET CULEX PIPIENS) AUX INSECTICIDES (*)

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1 33 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2010, 149, SENSIBILITÉ DE DEUX MOUSTIQUES CULICIDÉS (ANOPHELES LABRANCHIAE ET CULEX PIPIENS) AUX INSECTICIDES (*) Youssef LARHBALI (1,2), Driss BELGHYTI (1), Youssef EL GUAMRI (1), Omar LAHLOU (2), Khadija EL KHARRIM (1), Zakaria KHAMRI (3), Youssef EL MADHI (1) Cinq insecticides ont été testés en laboratoire sur deux Culicidés de la province de Khémisset au Maroc, Anopheles labranchiae et Culex pipiens. Le téméphos à 0,025 mg/l est efficace contre les larves d Anopheles labranchiae avec une DL 90 de 0,015 mg/l. La perméthrine et la lambdacyalothrine sont efficients contre les adultes femelles d Anopheles labranchiae. Les adultes femelles de Culex pipiens sont très sensibles à la deltaméthrine. (*) Manuscrit reçu le 01 octobre (1) Équipe de Recherche Environnement et Parasitologie, Laboratoire de Biologie et Santé, UFR Doctorale Parasitologie comparée : Applications médicales et vétérinaires, Projet PARS BIO 148, BP 133, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofaïl, Kénitra, Maroc. belghyti@hotmail.com, elguamri3000@yahoo.fr (2) Service d Infrastructures et d Actions Ambulatoires Provincial (SIAAP). Délégation de la Santé, Khémisset, Maroc. youssef_larhbali@yahoo.fr (3) Centre de Santé Ait Yadin, Délégation de la Santé, Khémisset, Maroc. zkhamri@live.fr

2 34 INTRODUCTION Les genres Culex, Aedes et Anopheles sont des Culicidés pouvant être des vecteurs de maladies pour l Homme. Certaines espèces du genre Culex peuvent transmettre des maladies parasitaires telles la filariose et la fièvre jaune alors que certaines du genre Anopheles [ 1 ] transmettent le paludisme. Dans les campagnes de démoustication, les insecticides utilisés présentent un large spectre d action et n épargnent pas les organismes non cibles. De plus, les insectes traités deviennent résistants [ 9,15 ]. À l exception des travaux de Faraj et al. [ 6,8 ] et d Aouinty et al. [ 2 ], aucune autre étude n a été effectuée au Maroc sur les insecticides des larves de moustiques culicidés. Dans ce travail, cinq insecticides ont été étudiés sur les larves et les adultes de deux moustiques culicidés, Anopheles labranchiae et Culex pipiens. MATÉRIEL ET MÉTHODES Les larves proviennent de gites non traités situés dans différentes localités de la province de Khemisset, à 30 km de Rabat. Trois localités ont été retenues : Tifelt, Ait Haddou Said et Ikhliaane. Les larves ont été maintenues en élevage pendant cinq jours au laboratoire du paludisme du SIAAP de Khémisset dans des cuvettes en plastique (50 x 30 x 5 cm) remplies d eau de gite à C à la lumière du jour et % d humidité. Elles ont été déterminées [ 3,11 ] pendant l élevage et triées. Parmi les différentes espèces, Anopheles labranchiae et Culex pipiens ont été isolés. Pour l obtention d adultes, les larves ont été élevées dans les mêmes conditions de température et d humidité. Le téméphos a été testé sur les larves d Anopheles labranchiae Fallerouni au stade larvaire 4 à quatre concentrations (Tableau I). Quatre autres insecticides ont été évalués sur les adultes d Anopheles labranchiae ou de Culex pipiens L.

3 35 Tableau I : Insecticides testés sur Anopheles labranchiae et Culex pipiens. Insecticide Famille chimique Concentration Espèce Stade Localisation Téméphos organo phosphoré 0,00125 ; 0,0025 ; 0,0125 et 0,025 (mg/l) Anopheles labranchiae larvaire Ait Haddou Said Lambdacyalothrine pyréthrinoïde 0,05 % Anopheles labranchiae adulte Ait Haddou Said Perméthrine pyréthrinoïde 0,75 % Anopheles labranchiae adulte Ait Haddou Said Ikhliaane Deltaméthrine pyréthrinoïde 0,05 % Culex pipiens adulte Tiflet DDT organochloré 4 % Culex pipiens adulte Tiflet Les méthodes standardisées de l OMS ont été suivies pour la mesure de la sensibilité des larves [ 14 ]. On prépare une gamme de 5 à 8 dilutions à partir d une solution mère de téméphos à 156,2 mg/ml par le laboratoire de référence du paludisme à l Institut National d Hygiène du Maroc, plus un témoin, avec 5 gobelets par dilution contenant chacun 20 larves. Les larves sont soumises 24 heures à la solution insecticide. Les premiers tests sont fait sur une large gamme de concentrations, puis on travaille sur des concentrations de plus en plus rapprochées, l'idéal étant d'avoir au moins une concentration donnant 0 % de mortalité (CL 0 ), une donnant 100 % de mortalité (CL 100 ) et 4 à 6 donnant entre 0 et 100 % de mortalité pour la détermination de la droite log-probit. On prépare à l avance à l aide d une pipette à poire des lots de 20 larves déposées sur des tamis et laissées dans un peu d eau. On verse dans chaque gobelet 99 ml d'eau distillée et on dépose avec un tamis un lot de 20 larves. Les larves sont laissées au moins 30 minutes à l'issue desquelles les larves éventuellement mortes par les manipulations sont remplacées par de nouvelles. On ajoute dans chaque gobelet 1 ml des dilutions de manière à obtenir les concentrations finales de 0,005, 0,025, 0,125 et 0,625 mg/l préconisées par l'oms. Dans les témoins, on ajoute 1 ml d eau. Pour obtenir des concentrations intermédiaires, on ajoute un volume inférieur à 1 ml des dilutions et on complète à 100 ml avec de l eau.

4 36 Les DL 50 et les DL 90, doses létales correspondant à 50 et 90 % de mortalité ont été déterminées graphiquement par la relation linéaire entre le logarithme décimal des concentrations en insecticide (en abscisses) et les pourcentages de mortalité transformés en valeurs probits (en ordonnées). Pour chaque test sur les moustiques adultes, on a utilisé un tube en plastique (6 x 4 cm) tapissé de papier imprégné d huile minérale et d une solution d insecticide. Les moustiques adultes sont exposés 60 minutes à l insecticide. Pendant cette période, on note toutes les dix minutes le nombre d insectes qui tombent (knock-down). Les moustiques traités sont ensuite transférés dans de nouveaux tubes en plastique (6 x 4 cm) et laissés 24 heures à 25 C et à une humidité relative d environ 70 % en présence d un coton imbibé de jus sucré (saccharose 5 %). La mortalité est déterminée à l issue des 24 heures. L évolution du pourcentage d insectes «knock-down» a été analysée comme précédemment selon un modèle log probit. La représentation graphique des valeurs a été réalisée sur des papiers gausso-logarithmique afin de déterminer les temps de «knock-down» Kd 50 et Kd 90 correspondant à 50 et 90 % de mortalité. RÉSULTATS Tests larvaires Le taux de mortalité des larves d Anopheles labranchiae augmente avec les concentrations de téméphos (Tableau II). La DL 50 est de 0,0047 mg/l et la DL 90 de 0,015 mg/l.

5 37 Tableau II : Mortalité des larves de stade 4 d Anopheles labranchiae (capturées à Ait Haddou Said) en fonction de la concentration de Téméphos après 24 heures d exposition. Téméphos Larves Mortalité (%) DL 50 DL 90 (mg/l) n mortes observé calculé (mg/l) (mg/l) 0 (témoin) , , , , ,0047 0,0150 Si le taux de mortalité suivait une courbe logarithmique, les DL 50 et DL 90 seraient de 0,047 et 0,015 mg/l. On constate cependant que les pourcentages de mortalité calculés sont relativement faibles pour les faibles concentrations par rapport aux pourcentages observés. Tests chez les adultes La perméthrine à 0,75 % est totalement efficace avec un temps Kd 50 de 21 min et Kd 90 de 37 min sur les adultes issus de larves capturées à Ikhlianne (Tableau III). Tableau III : Mortalité de femelles adultes d Anopheles labranchiae (issues de larves capturées à Ikhlianne) 24 heures après avoir été soumises 60 minutes à la perméthrine. Adultes femelles Mortalité Kd 50 Kd 90 testés morts (%) (min) (min) Témoin Perméthrine à 0,75 % La perméthrine à 0,75 % est aussi efficace à 100 % sur les adultes issus de larves capturées à Ait Haddou Said tout comme la lambdacyalothrine à 0,05 % (Tableau IV). Les Kd 50 et Kd 90 sont voisins.

6 38 Tableau IV : Mortalité de femelles adultes d Anopheles labranchiae (issues de larves capturées à Ait Haddou Said) 24 heures après avoir été soumises 60 minutes à la perméthrine ou à la lambdacyalothrine. Adultes femelles Mortalité Kd 50 Kd 90 testés morts (%) (min) (min) Témoin Perméthrine à 0,75 % Témoin Lambdacyalothrine à 0,05 % La deltaméthrine à 0,05 % est efficace à 100 % sur les femelles adultes de Culex pipiens (Tableau V). Par contre, le DDT à 4 % est peu actif, avec des Kd très élevés. Tableau V : Mortalité de femelles adultes de Culex pipiens (issues de larves capturées à Tiflet) 24 heures après avoir été soumises 60 minutes à la deltaméthrine ou au DDT. Adultes femelles Mortalité Kd 50 Kd 90 testés morts (%) (min) (min) Témoin Deltaméthrine à 0,05 % Témoin DDT à 4 % >> 60 >> 60 DISCUSSION ET CONCLUSION Les larves d Anopheles labranchiae sont sensibles au téméphos malgré son utilisation comme seul insecticide dans la lutte antilarvaire depuis les années soixante-dix, dans le cadre d un programme national de lutte antipaludique au Maroc [ 6 ]. Un taux de résistance a pourtant été acquis chez les populations larvaires urbaines de Culex pipiens en Tunisie, après plusieurs traitements aux organophosphorés [ 13 ].

7 39 Les femelles adultes d Anopheles labranchiae sont très sensibles à la perméthrine (0,75 %) et à la lambdacyalothrine (0,05 %). On observe 100 % de mortalité après une heure de contact. Idéalement, la dose diagnostique (dose expérimentale de référence) devrait être établie pour chaque espèce de moustique et chaque insecticide. Toutefois, en tenant compte de l effet «knock-down» observé au cours de l exposition des femelles à la perméthrine, et de la mortalité de 100 % après 24 heures, on peut conclure à une sensibilité normale d A. labranchiae à la perméthrine. Nous avons calculé des Kd 50 et Kd 90 autour de 21 et 42 min. Des résultats similaires (15 et 35 min) ont été obtenus chez des adultes d A. labranchiae d autres régions du Maroc [ 6 ]. D'après Chandre [ 4 ], la baisse de l effet «knock-down» peut être considérée comme un indicateur précoce d apparition d une résistance car elle peut être significative avant même que l on observe une baisse de mortalité. La perméthrine sur des moustiquaires imprégnées avec une SC (Suspension Concentrée) à 25 mg/m 2 [ 5 ] chez Anopheles gambiae entraine une exophilie (tentative de fuite des insectes) de 46 % et une réduction du taux de gorgement (pourcentage de femelles gorgées de sang) de 64 %. Une forte sensibilité à la lambdacyalothrine a été signalée dans la province de Kénitra [ 7 ]. La dose de lambdacyalothrine utilisée (0,05 %) est la même que la dose diagnostique utilisée contre A. gambiae par Chandre [ 4 ]. Culex pipiens est sensible à la deltaméthrine à 0,05 %. Des travaux réalisés en cases expérimentales ont montré que les moustiquaires imprégnées de deltaméthrine induisent une exophilie de C. quinquefasciatus de 29 % avec une réduction du taux de gorgement de 25 % [ 10 ]. L efficacité d une moustiquaire imprégnée de deux formulations de deltaméthrine vis-àvis de C. quinquefasciatus de Côte d Ivoire dépend de la sensibilité des populations, de la formulation de l insecticide et de la dose d imprégnation [ 12 ]. Culex pipiens présente une résistance modérée au DDT avec un pourcentage de mortalité de 22,2 % pour une concentration de 4 %. Des contacts de 2 et 4 heures avec des papiers imprégnés de DDT (4 %) n ont entrainé que 83 et 91 % de mortalité chez A. labranchiae [ 6 ]. La dernière utilisation du DTT contre les insectes adultes date de 2001 dans les foyers résiduels du Rif [ 6 ] et les derniers traitements en santé publique dans la province de Khémisset ont eu lieu avant Le maintien d une résistance après l arrêt des aspersions laisse supposer l existence d une pression de sélection exercée par d autres insecticides tels les pyréthrinoïdes largement utilisés en agriculture d après Faraj et al. [ 6 ].

8 40 Au Maroc, Faraj et al. [ 8 ] ont montré que Culex pipiens développe des niveaux de résistance variables selon les provinces prospectées vis-à-vis de certains organophosphorés (Téméphos, Chloropyriphos, Fénitrothion, Pyrimiphos-méthyl) ; les taux les plus élevés ont été enregistrés à El Mohammedia et les plus faibles à Salé. Sinègre et al. [ 15 ] ont établi une corrélation entre le degré de résistance et la fréquence des traitements avec le chlorpyriphos. Nos résultats, bien que préliminaires, témoignent d une bonne efficacité de quelques insecticides au laboratoire. Le téméphos à 0,025 mg/l devrait permettre d éradiquer les larves d Anopheles labranchiae. La perméthrine et la lambdacyalothrine sont à retenir dans la lutte contre les adultes d Anopheles labranchiae et la deltaméthrine pour lutter contre les adultes de Culex pipiens. Remerciements : Nous remercions le Délégué de la santé de Khémisset et le personnel du SIAAP (Service d Infrastructures et d Actions Ambulatoires et Provincial) de Khémisset qui nous ont offert un stage de formation sur les tests de sensibilité aux insecticides. Nous remercions également les techniciens de l Unité d entomologie médicale pour leur aide technique. RÉFÉRENCES 1 - Alaoui Slimani (N.), Jouid (N.), Benhoussa (A.), Hajji (K.) - Typologie des habitats d Anopheles dans une zone urbaine (Diptera Culicidae). - Entomologiste, 1999, 55(5), Aouinty (B.), Oufara (S.), Mellouki (F.), Mahari (S.) - Évaluation préliminaire de l activité larvicide des extraits aqueux des feuilles du ricin (Ricinus communis L.) et du bois de thuya (Tetraclinis articulata (Vahl) Mast.) sur les larves de quatre moustiques culicidés : Culex pipiens (Linné), Aedes caspius (Pallas), Culiseta longiareolata (Aitken) et Anopheles maculipennis (Meigen). - Biotechnol. Agron. Soc. Environ., 2006, 10(2), document.php?id= Brunhes (J.), Rhaim (A.), Geoffroy, Hervy (J.P.) - Les moustiques de l Afrique méditerranéenne. Logiciel d identification et d enseignement. Montpellier : IRD, Tunis : IPT (Institut Pasteur de Tunis), CD-Rom «didactiques», 2000.

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10 Konan (Y.L.), Koffi (A.A.), Doannio (J.M.C.), Darriet (F.) - Résistance de Culex quinquefasciatus (Say, 1823) à la deltaméthrine et l utilisation de la moustiquaire imprégnée en milieu urbain de Bouaké, Côte d Ivoire. - Bull. Soc. Pathol. Exot., 2003, 96(2), Kooli (J.), Rhaiem (A.) - Sensibilité des larves de moustiques aux insecticides dans la région de Tunis de 1984 à Arch. Inst. Pasteur Tunis, 1989, 66(1-2), OMS (Organisation Mondiale de la Santé) - Méthode à suivre pour déterminer la sensibilité ou la résistance des larves de moustiques aux insecticides. In Résistance aux insecticides et lutte contre les vecteurs. 13 e Rapport du Comité OMS d Experts des Insecticides, Genève : OMS, Sér. Rapp. Techn., 1963, (265), Sinègre (G.), Jilien (J.L.), Gaven (B.) - Acquisition progressive de la résistance au chlorpyrifos chez les larves de Culex pipiens (L.) dans le Midi de la France. - Parasitologia, 1977, 19(1-2), ABSTRACT Sensitivity of two mosquitoes culicides (Anopheles labranchiae and Culex pipiens) to insecticides Five insecticides were tested in laboratory on two culicides in the Khemisset province (Morocco), Anopheles labranchiae and Culex pipiens mg/l temephos was efficacious against larva of Anopheles labranchiae with a DL 90 of mg/l. Permethrine and lambdacyalothrin were efficient against female adults of Anopheles labranchiae. Female adults of Culex pipiens were very sensitive to deltamethrin. Key-words: Anopheles labranchiae, Culex pipiens, insecticide, Morocco.