LE PROJET OU L EMERGENCE D UN NOUVEAU PARADIGME DE L INTERVENTION SOCIALE
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- Philippe Jean-Claude Larivière
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1 LE PROJET OU L EMERGENCE D UN NOUVEAU PARADIGME DE L INTERVENTION SOCIALE - Frédéric REICHHART Formateur à l Ecole Supérieure en Travail Educatif et Social (ESTES), Chargé de formation et de recherche au sein du Pôle de Ressources sur la recherche en action sociale - Rachel ZENSES Formatrice à l Ecole Supérieure en Travail Educatif et Social (ESTES) Ecole Supérieure en Travail Educatif et Social (ESTES) 3 rue Sédillot - BP Strasbourg- France Mail personnel : frederic.reichhart@wanadoo.fr Mail professionnel : frederic.reichhart@estes.fr Résumé L application de la démarche projet se démocratise au sein de l intervention sociale, notamment avec les projets individuels et d établissement font partie des pratiques et du vocabulaire professionnel de ce secteur. A partir d une étude réalisée auprès d étudiants en formation d éducateurs spécialisés, nous avons tenté d identifier les représentations associées au projet. Nos résultats affirment le projet comme un témoin de la transformation de l intervention sociale. Ils dévoilent une bipolarisation des fondements idéologiques qui souligne un changement de paradigme. 1
2 INTRODUCTION L application de la démarche projet se démocratise dans le champ de l intervention sociale. Projet individuel et projet d établissement font aujourd hui partie des pratiques et du vocabulaire professionnel de ce secteur. Pourtant, certaines critiques et craintes à l égard du projet laissent penser que l usage de ce dernier comporte des risques et constitue une dérive. A partir d une étude réalisée auprès d étudiants en formation d éducateurs spécialisés, scolarisés en Institut Régional de Travail Social (Strasbourg-France), nous avons tenté d identifier les représentations associées au projet. Dans un premier temps, notre écrit précise le contexte dans lequel notre questionnement est apparu pour devenir une problématique de recherche. Il se prolonge par la présentation de la méthodologie utilisée. Puis, dans un second temps, notre attention se porte vers les fondements institutionnels et idéologiques de l intervention sociale. Cette partie traite de l évolution du travail social, au niveau institutionnel et pédagogique en montrant comment le projet émerge et se développe pour incarner une nouvelle manière d intervenir auprès de l usager et de formaliser la relation d aide. Enfin, dans une troisième partie, nous allons présenter nos résultats et répondre à notre questionnement à savoir : le projet témoigne de la transformation de l intervention sociale ; il dévoile une bipolarisation des fondements idéologiques qui souligne un changement de paradigme. 1. PROBLEMATIQUE ET METHODOLOGIE Depuis quelques années, le travail social est confronté à l émergence de la «démarche projet» : focalisé sur l usager, le projet individuel ou projet personnalisé, selon les appellations, identifie la singularité des difficultés, du potentiel et des motivations de chaque personne prise en charge (Chavaroche, 2006). Apparaissant tout d abord auprès des enfants déficients intellectuels dans les annexes 24 dès la fin des années 1990, il se généralise à l ensemble des usagers avec la loi rénovant l action sociale et médico-sociale du 2 janvier 2002 (Danancier, 2004). Cette loi impose également la mise en place de projet d établissement définissant la mission de la structure (Loubat, 2005). En fait, c est une déclinaison de projets composée du cadre législatif, du projet associatif, du projet d établissement et du projet individuel qui détermine le suivi de l usager (Reichhart, 2007) : une démarche structurée et méthodique conditionne l intervention sociale. En même temps, en France, un courant réformateur restructure les professions du travail 2
3 social. En 2007, la réforme du Diplôme d Etat d Educateur Spécialisé (DEES) organise ce métier en quatre Domaines de Formation (DF) distincts dont le second (DF2) intitulé «Conception et conduite de projets sociaux et éducatifs» se consacre à l apprentissage de l utilisation de la démarche projet. La mise en œuvre de cette réforme au sein de l Ecole Supérieure en Travail Educatif et Social (ESTES) de Strasbourg ne s est pas fait sans heurts. Précisément, le DF2 s est heurtée à de nombreuses difficultés, réticences, résistances, incompréhensions et hostilités de la part de certains étudiants en formation d éducateurs spécialisés En tant que formateurs chargés de cet enseignement, nous nous sommes interrogés sur les raisons de ces comportements et discours. Comment expliquer ces critiques autour de l utilisation du projet dans le domaine de l intervention sociale? Quelle sont les raisons des ces craintes et hostilités? Pour apporter des éléments de réponses à ce questionnement, nous avons engagé une démarche d investigation afin de récolter des données qualitatives et quantitatives. Une partie de ces données proviennent des débats et discussions durant les enseignements. Dans le cadre d une pédagogie non directive, nous avons laissé une place importante durant les enseignements à des questions qui ont alimenté échanges et débats. Ces discussions ont fait l objet d une retranscription partielle durant les enseignements, et d une mise en forme plus approfondie post-enseignement. Lors du cours d introduction, des données complémentaires ont été recueillies provenant d un travail de groupe (6-7 étudiants) consistant à définir l articulation entre le projet et le travail social. Ce travail a aboutit, d une part, à un exposé oral de chaque groupe, présenté à l ensemble de la promotion et d autre part, à l élaboration d un écrit synthétique que nous avons récupéré. D autres données résultent d entretiens semi-directifs réalisés auprès d étudiants. Ces entretiens enregistrés et retranscrits permettent de préciser les positions et points de vue. Cette étude s est déroulée auprès des promotions d étudiants ES de première et de deuxième année bénéficiant de la réforme du DEES, durant l année 2008/2009. L étude étant actuellement toujours en cours, les résultats présentés demeurent partiels et non aboutis. 2. LES FONDEMENTS INSTITUTIONNELS ET IDEOLOGIQUES DU TRAVAIL SOCIAL 2.1.La professionnalisation de l intervention sociale 3
4 Les acteurs de l intervention sociale présentent des motivations diverses et variés relatées dans de nombreux écrits et études ; elles se réfèrent à des valeurs, des idéologies, des principes combinant charité, altruisme, philanthropie, humanisme, engagement politique, émancipation personnelle et professionnelle, militantisme, vocation, bénévolat, et parfois thérapie René Barbier décrit l engagement au sein du travail social comme une ambivalence alimentée par «une problématique de double-jeu qui conjugue les enjeux et les stratégies d'une dynamique psycho-affective, subjectiviste et explicitement apolitique avec ceux d'une dynamique plus ouvertement sociale, sous l'imposition de l'histoire, de l'economie et des rapports sociaux, plus objectiviste et ancrée dans la vie de la cité». (Barbier 1998). Ce point de vue situe l intervention sociale dans une tension entre l influence du contexte sociétal et l influence d une position individuelle, spécifique à l individu. Pendant longtemps, un nombre important de ces acteurs provenait d ordre religieux et ecclésiastique, la prise en charge de la pauvreté, de la misère, de l infirmité relevant en grande majorité des œuvres confessionnelles. A ce sujet, Georg Simmel, souligne que cette prise en charge reste intéressée : «Lorsque l'on donne aux pauvres, on ne le fait pas pour le pauvre, mais pour soi, pour le salut de son âme» (Simmel, 2007). Avec les débuts de la révolution industrielle, la charité chrétienne se métamorphose sous une forme laïque qui échappe au clergé : la philanthropie. Hauts-fonctionnaires, industriels, banquiers, confrontés au développement industriel, demeurent à l origine de multiples actions telles que la création d écoles, de logements ou de mutuelles. Si en apparence, ces actions peuvent répondre à une préoccupation humaniste qui vise à améliorer le sort de ses semblables, elles constituent aussi et surtout des solutions aux problèmes que rencontrent les entrepreneurs : il s agit de contrôler et d asservir la masse ouvrière, de la rendre plus docile (Girard, 1975) 1. D autres motivations apparaissent sous un angle plus militant et politique, concrétisées par un engagement qui défend un idéal visant l utopie d une société juste et égalitaire où chacun trouve sa place. Sous l affirmation de la défense de valeurs fortes comme l égalité et la justice, des intérêts plus individuels et personnels peuvent motiver consciemment ou inconsciemment les engagements de certains intervenants. Alain Vilbrod souligne l engagement de l éducateur spécialisé dans une logique d émancipation sociale et professionnelle. Selon lui, il s agit d une tentative de limiter et de contrer les mécanismes de reproduction sociale (Vilbrod, 1995). 1 L héritage de ce philanthropisme existe toujours ; de nombreuses personnalités fortunées (industriels, politiques, acteurs, chanteurs) soutiennent des causes sociales, écologiques, économiques pour des raisons très diverses (image médiatique, promotion, intérêt fiscal, altruisme..). 4
5 L investissement et l engagement dans la voie de l intervention sociale visent à échapper au déterminisme et à le contrer. C est dans le prolongement et la combinaison de ces motivations que se fonde l intervention sociale. A ces éléments, Alain Vilbrod ajoute le renouvellement, la persistance d un idéal vocationnel. Son ouvrage démontre, que dans les années 90, les fondements idéologies des éducateurs restent identiques à ceux des premières générations : il remarque les influences des mouvements de jeunesse et souligne les convictions éthiques, humanistes et une aspiration au dévouement. Cette dimension s accompagne de la croyance que les éducateurs possèdent des dispositions naturelles pour exercer leur métier ; les valeurs et les compétences inhérentes à ce type d engagement revêtent un caractère intrinsèque, quasiment inné (Vilbrod, 1995). L intervention sociale reste représentée comme une préservation d actions presque intuitives et spontanées qui défendent la primauté de la dimension relationnelle. Pour caractériser la pratique de l éducateur, Jean Marie Foucart parle de «bricolage et d absence de technicité» (Foucart, 1991) : dans le cadre du travail social, le bricolage s impose, tout est affaire de circonstances quand il s agit de répondre à une situation problématique, de trouver des solutions au cas par cas. Si l instituteur, le psychologue, le psychiatre... peuvent se définir à partir d un savoir objectivé ou de techniques spécifiques, cela n est pas le cas pour l éducateur, qui appuie l efficacité pédagogique de son action sur sa personne. L altruisme, l entraide, l égalité sous tendent l engagement au sein du travail social. Régis Lapauw parle de sacerdoce qui combine militantisme, altruisme 2 et relation d aide (Lapauw, 2004, 26). Selon lui, l engagement social du travailleur social comporte un aspect vocationnel voir sacerdotal qui confère un caractère sacré à la fonction. Daniel Gacoin affirme des verbes d actions tels que développer, créer, défendre, écouter, soigner comme les leit motiv de cet engagement (Gacoin, 2006). Ainsi, le socle idéologique de l intervention sociale se compose de valeurs fortes telles que le don de soi, l aide, altruisme, la générosité, la vocation. Progressivement, ce socle va connaître un processus de professionnalisation. Ce dernier débute avec la création, en 1938, d un diplôme d Etat pour les assistantes sociales et se prolonge, à partir des années 1960, par la multiplication des diplômes nécessaires et demandés pour l intervention auprès de publics dans le besoin : tout le monde ne demeure plus légitime pour intervenir. La charité, la bonne volonté, le souci de construire une société et un monde meilleur 2 René Lenoir, secrétaire d état à l action sociale, utilise l expression «fonctionnaire de l altruisme» pour désigner les travailleurs sociaux 5
6 ne suffissent plus ; il faut une formation! L intervention auprès de publics en difficulté renvoie à une qualification garantie pas le suivi d une formation, sanctionnée par l obtention d un Diplôme d Etat ou d un Certificat d Aptitude. Ainsi, dès 1959, le Diplôme d Etat d Educateur de Jeunes Enfants est crée, suivi en 1969 par celui d Educateur Spécialisé. Ensuite, les Certificats d Aptitude aux Fonctions de Moniteur-Educateur (ME) en 1970, d Aide Médico- Psychologique (AMP) en 1972 et d Educateur Technique Spécialisé (ETS) en 1976 prolongent la diversification de la professionnalisation. En somme, intervenir auprès de publics en difficulté ne demeure plus uniquement une simple vocation, un acte philanthropique, humaniste, charitable, une conduite émancipatoire mais est devenu un métier. La période des pionniers, focalisée sur l engagement personnel de type vocationnel, se prolonge par la construction de l identité professionnelle de l éducateur. Les formations diplômantes, la professionnalisation, la mise en place de référentiels métiers participent à la formalisation et reconnaissance de cette identité professionnelle ainsi que des compétences et savoirs faire spécifiques. Pourtant, des tensions entre le métier et la vocation persistent. Comme l indique Saul Karsz, nous sommes passés d une action menée par des militant altruistes, par des familles et par des religieux, découlant du dévouement et de la charité ecclésiastique, à une prise en charge institutionnelle structurée et à un accompagnement pensé et assuré par des «professionnels» formés et compétents (Karsz, 2004, p71) 2.2.Vers une recomposition de l intervention sociale Parallèlement à la professionnalisation de l intervention sociale, nous assistons à une double recomposition : au niveau de sa structuration institutionnelle et de la relation entre les bénéficiaires et les travailleurs sociaux. Cette recomposition renvoie au cadre législatif du 30 juin 1975 qui identifie et répartit clairement les compétences, les missions, le rôle de l Etat et celui des associations. Selon Michel Autès, cette répartition traduisant l émergence de l Etat social, constitue une tentative d aboutir à un compromis entre une conception interventionniste et une conception libérale qui aboutit à une action tutélaire articulant initiative privée et interventions publiques (Autès, 2004). L Etat détient la responsabilité de contrôler et de financer tandis que la mise en œuvre incombe aux associations. Ce partage des tâches et des compétences renvoie à la loi n dite d'orientation en faveur des personnes handicapées qui fixe le cadre juridique de l action des pouvoirs publics : elle affirme la nécessité d une mobilisation 6
7 partenariale et le postulat d une prise en charge globale du handicap comme une obligation nationale 3. Elle positionne le milieu associatif et le situe en tant que partenaire et acteur de la prise en charge du handicap. De son coté, la loi n relative aux institutions sociales et médico-sociales définit la structuration organisationnelle et institutionnelle de ce champ ; elle réglemente les conditions de création, de fermeture, de financement des établissements et services de ce secteur. Ultérieurement, elle sera prolongée par la loi n du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale qui introduit la mise en place et l utilisation de nouveaux d outils (charte, contrat, conseil à la vie sociale, livret d accueil, projet individuel ) afin de structurer l accompagnement socio-éducatif et garantir les droits de l usager. Effectivement, après avoir structuré l environnement institutionnel, l Etat intervient pour structurer la relation entre l usager et le travailleur social. Afin de désigner cette relation, des termes sont utilisés tels que «prise en charge» et «accompagnement». Ces deux désignations révèlent une distinction sémantique qui se répercute au niveau des pratiques et de l éthique. Le Dictionnaire de l Enseignement et de l Education Spécialisée associe ces deux termes à une forme de relation d aide, mais il les distingue par rapport à la place accordée à l usager. Tandis que la prise en charge fait référence à une dimension morale visant à «agir pour le bien», l accompagnement fait référence à une relation plus respectueuse du sujet qui s appuie sur son adhésion et son implication à la relation d aide (Jeanne et Fuster, 2001). Selon Jean-Yves Barreyre et Brigitte Bouquet, il s agit d un changement de paradigme qui passe du principe de réparation à celui de reliance. Etymologiquement, accompagner consiste à «partager le pain», c est à dire diviser la nourriture nécessaire à la survie entre les compagnons. En ce sens, l accompagnement évoque le partage. Mais, il conjugue aussi l idée de présence, «d être avec» et celle de déplacement, «aller avec» (Barreyre et Bouquet, 2006, 23) témoignant l idée de soutien et d aide. De leurs cotés, Philippe Jeanne et Philippe Fuster associent accompagnement et projet en rappelant que «l accompagnement mise sur les capacités des personnes ( ) capacités d initiatives, et de construction de projet» (Jeanne et Fuster, 2001, 6). Cette affirmation définit le projet comme une fonction médiatrice, au croisement de la mission du travailleur social et des ressources et motivations de l usager. Nous retrouvons ici la philosophie du projet telle que la loi du 2 janvier 2002 la soutient. Ce texte législatif, qui conforte l inscription du projet dans 3 La loi n du 11 février 2005 pour l égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées s inscrit dans le prolongement de cette loi en affirmant des principes de non discrimination et d intégration 7
8 l accompagnement de l usager, a pour fonction de placer l usager au centre de l accompagnement. En ce sens, le projet demeure au service de l idéologie fondatrice du travail social : il constitue un outil visant à donner la parole à l usager et à organiser les actions socio-éducatives en fonction des attentes et des capacités de la personne. Le projet affirme non seulement l usager en tant sujet de droits, mais il soutient également la nécessité de la participation de la personne au déroulement de sa prise en charge (Ladsous et Bouquet, 2007). 3. PROJET ET TRAVAIL SOCIAL : VERS LA DEFINITION D UN NOUVEAU PARADIGME Toutefois, l inscription du projet au sein du champ social apparaît ambivalente et ne suscite pas une adhésion spontanée et générale. A l inverse, elle entraine une réticence, accompagnée parfois de craintes et rejets de la part de certains intervenants. L analyse de nos données tente d expliquer cette situation. Notre étude étant en cours d élaboration, nos résultats restent partiels et feront l objet d une reformalisation ultérieure à partir des prochaines données recueillies. Cependant, les éléments récoltés laissent paraître une tension, une «dissonance», une ambivalence autour du projet : les représentations des étudiants concernant le projet se définissent dans une dialectique ; c'est-à-dire que l ensemble des modalités exprimées caractérisent un point de vue, une conception et utilisation du projet que l ont peut considérer de manière diamétralement opposée. Le projet apparaît au centre d enjeux, de représentations, de principes liés à l intervention sociale qui se réfèrent à des positions idéologiques distinctes. En nous référant aux travaux de Paul Fustier, ces positions renvoient aux idéologies de «l amour vocation» et de la «profession technicité» (Fustier, 1975, 31-34). Les discours des étudiants étayent des représentations du projet autour de ces deux pôles, en mettant en tension la technique et la relation humaine, l évaluation et le contrôle, l expérience et la théorie. Le schéma ci-dessous synthétise et modélise l ensemble de ces données : 8
9 IDEOLOGIE «AMOUR-VOCATION» Evaluation Organisation et gestion Contrainte Lourdeur Objectivité, scientificité Technique PROJET Don de soi, engagement, volonté Expérience, vécue, terrain Subjectivité, singularité Flexibilité Théorie, réflexion Compétences, référentiel métier Relation humaine Liberté Spontanéité, adaptation, intuition, initiative, inné, Contrôle IDEOLOGIE «PROFESSION-TECHNICITE» Idéologie et valeurs du projet Ainsi, il semble que le projet convoque un ensemble de représentations situées aux antipodes des valeurs et fondements idéologiques constitutifs de l intervention sociale. Il combine l idée de contrôle avec l impression de perte d initiative, d amoindrissement des libertés des intervenants ; il incarne une démarche aliénante et réductrice qui biaise la qualité de la relation à l autre. En fait, le projet illustre l évolution des «pratiques» du travail social et la mutation des fondements idéologiques. La figure idéalisée du travailleur social, «en quête de bonheur et de paix» 9
10 (Lapauw, 2004), alimentée par une dimension psycho-affective (Barbier, 1998) s oppose à la figure technicisée, voire mécanique de l «éducateur chargé de projet». Sans affirmer une crise, le travail social se transforme, évolue, se modèle. Sous la figure du projet, nous assistons à l émergence de nouvelles pratiques, modes d interventions et compétences. Une série de verbes d action inédits, autrefois inexistants comme piloter, évaluer, manager, gérer, pénètrent le champ social. L accompagnement éducatif et le suivi social s inscrivent dans une approche qui désacralise la relation à l autre et la stricte intervention pédagogique, la relation inter individuel, sans pour autant la négliger. Ils prennent place dans une problématique plus large et vaste qui consiste à «sortir du champ du travail social, pour entrer dans celui des politiques sociales publiques, globales ou sectorielles ou catégorielles» (Gacoin, 2006,15). En fait, avec le projet, nous passons d une intervention isolée, cloisonnée, locale à une intervention coordonnée, plus globale. Le rapport à l usager conserve sa dimension relationnelle mais la relation éducative demeure médiatisée par des objectifs et des moyens formalisés par des projets. L intervention sociale, autrefois spontanée et intuitive, apparaît déterminée et orientée par des cadres législatifs, des valeurs (découlant d un projet associatif), par une mission institutionnelle (définie dans le projet d établissement) et des capacités et besoins humains (formalisés par un projet individuel). En fait, deux visions du travail social s entrechoquent. D un coté, le projet fait référence à des principes techniques et méthodologiques qui contribuent à la formalisation qualitative de l intervention sociale : le professionnel devient celui qui maîtrise et organise son action à l aide du projet, c est «celui qui réfléchit à ce qu il fait». Il observe, analyse, comprend, agit et évalue. De l autre côté, l intervention sociale se construit dans la préservation d actions presque intuitives et spontanées qui défendent la primauté de la dimension relationnelle. Fondée sur une conception du travailleur social des années , elle convoque un «idéal pionnier» caractérisée par un engagement, relativement proche d une vocation, voire d un sacerdoce, mélangeant militantisme, altruisme et relation d aide (Lapauw, 2004, 26). Dans cette idéologie, le projet semble menaçant car il annihile la pureté et la spontanéité d un acte avant-tout relationnel. Pourtant, un écueil reste à éviter, celui d une position trop marquée d un coté comme de l autre : se placer comme un partisan «pro-projet», du coté du modèle «profession-technicité» ou alors un partisan «anti-projet» privilégiant le modèle amour-vocation, mène dans une impasse. A l instar de Paul Fustier qui propose un compromis sous la figure du «technicien au grand cœur» (Fustier, 1975, 31-34), il convient d adopter une position privilégiant la recherche et le maintien 10
11 de l équilibre entre l acte relationnel et l ingénierie sociale. Cela suppose de considérer le projet comme une invitation pour innover, une stratégie pour repenser et réorganiser notre rapport à l usager, une démarche pour construire autrement l accompagnement tout en préservant les valeurs fondatrices de l engagement au service d autrui. CONCLUSION Pour conclure, il nous faut souligner que le projet illustre la transformation de l intervention sociale. La fin du «fameux âge d or du social» (Deslauriers et Hurtubise, 2007) impose de nouveaux modes de fonctionnement. Comme le dit Daniel Gacoin, «le cadre d action a changé», mais le contexte aussi. Compte-tenu de la précarité de la situation économique actuelle, moins favorable que celle des Trente Glorieuses, la nécessité de rationalisation et de gestion des ressources impose des «impératifs d organisation ou de mesure, finalement d efficacité» (Gacoin, 2006, 2). Ainsi, l apparition et le développement croissant de la démarche projet dans le cadre de l intervention sociale traduisent une logique de rationalisation, de recherche d efficacité, de rentabilité, de lisibilité mais elles révèlent aussi la recherche d une amélioration de la qualité de service. L affirmation des droits des usagers au sein de textes législatifs, définit le projet comme un instrument visant à placer l usager au centre de la prise en charge. Le projet, en médiatisant la relation entre le travailleur social et l usager, devient un outil permettant d éviter certaines dérives ; avec le projet, les actions et les objectifs sont pensés avec et en fonction de la personne accompagnée. Cette démarche lutte contre une dérive possible de position dominante du travailleur social en permettant de ne pas oublier l usager, de lui faire une place. Le projet contribue à introduire de la participation, de l implication ainsi que du droit et de l éthique dans la relation professionnelle. L ensemble de ces éléments façonne le nouveau visage du travail social sous la figure emblématique du projet. Ce dernier, impliquant une logique de diagnostic, programmation et d évaluation, garantit la participation de l usager à l accompagnement socio-éducatif. Il devient un principe organisateur (Boutinet, 1992) qui symbolise l émergence d un nouveau paradigme. BIBLIOGRAPHIE 11
12 - Autès, Michel. (2e édition 2004). Les paradoxes du travail social, Dunod, Collection Action sociale. - Barbier, René. (1988).«Travail social, ambivalence et formation», in Pratiques de Formation/Analyses, n Barreyre, Jean-Yves, et Bouquet, Brigitte. (2006). Nouveau dictionnaire critique d'action sociale. Bayard. - Boutinet, Jean-Pierre (1992), Anthropologie du projet. Paris, PUF. - Chavaroche, Philippe. (2006). Le Projet individuel, Paris, Erès. - Danancier, Jacques. (2004). Le projet individualisé dans l'accompagnement éducatif, Paris, Dunod. - Deslauriers, Jean-Pierre et Hurtubise, Yves. (2007). Introduction au travail social, Presse Universitaire de Laval. - Foucart, Jean-Marie. (1991). Éducateur, Une profession en quête d identité, Bruxelles. - Fustier, Paul. (1989). L identité de l éducateur spécialisé, Psychothèque, éditions universitaires. - Gacoin, Roger. (2006). Conduire des projets en action sociale, Paris, Dunod. - Girard, Bernard. (2 ème édition, 1975). Une histoire des théories du management en France de 1800 à Jeanne, Philippe et Fuster, Philippe. (2001). Dictionnaire de l'enseignement et de l'éducation spécialisée, Bordas. - Karsz, Saul. (2006). Pourquoi le travail social? Définitions, figures, cliniques. Dunod. - Ladsous, Jacques. et Brigitte, Bouquet. (dir) (2007). L'usager au centre du travail social, Collectif Editeur : Ecole Nationale de la santé Publique. - Lapauw, Régis. (2004). Humanitaire et travail social, Paris, L harmattan. - Loubat, Jean-René. (2005).Élaborer son projet d'établissement social et médico-social, Paris, Dunod. - Muel, Dreyfus Francine. (1992). Le métier d'éducateur. Les instituteurs de 1900, les éducateurs spécialisés de 1968, Paris, Les Editions de Minuit. - Reichhart, Frédéric. (2008). La déclinaison des projets ou comment penser une méthodologie de l accompagnement des usagers du secteur médico-social? in Cahiers de l actif, n , p Simmel, Georg. (Réédition 2007). Philosophie de l'argent, Paris, PUF. 12
13 - Vilbrod, Alain. (1995). Devenir Éducateur, Une Affaire De Famille, Editions L'harmattan, Collection : Logiques Sociales. 13
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