La méthode Praxeme : une nouvelle approche de l Architecture d Entreprise

Transcription

1 La méthode Praxeme : une nouvelle approche de l Architecture d Entreprise De la persistance des règles métier et des indicateurs de performance à travers la transformation des modèles Thierry Biard 1, Michel Bigand 2, Jean-Pierre Bourey 2 1. AMBESAS 150 Bis chaussée Jules César F BEAUCHAMP thierry.biard@free.fr 2. Laboratoire de Modélisation et de Management des Organisations Ecole Centrale de Lille Cité Scientifique CS F VILLENEUVE D ASCQ CEDEX {jean-pierre.bourey, michel.bigand}@ ec-lille.fr RÉSUMÉ. Cet article vise à proposer une approche émergente de l Architecture d Entreprise. Après une définition de l Architecture d Entreprise et des cadres méthodologiques, la méthode Praxeme sera présentée dans ses grandes lignes : écosystème, topologie (avec ses aspects métier et techniques) et exemples d application. Puis une expérimentation sera proposée, afin de vérifier l hypothèse de la robustesse supposée de cette méthode, dans la transformation de ses modèles. La persistance des règles métier et des indicateurs de performance sera notamment vérifiée. ABSTRACT. This article aims for proposing an emergent approach of Enterprise Architecture. After Enterprise Architecture definition and methodology frameworks, the Praxeme method will be presented in its main lines: ecosystem, topology (with its business and technical aspects) and application examples. Then experimentation will be proposed, to verify the hypothesis of its supposed robustness, in model transformation. The persistence of the business rules and key performance indicators will be especially verified. MOTS-CLÉS : ARCHITECTURE ENTREPRISE PRAXEME MÉTIER TRANSFORMATION MODÈLE RÈGLES PROCESSUS INDICATEURS PERFORMANCE KPI MDA KEYWORDS: ARCHITECTURE ENTERPRISE PRAXEME BUSINESS TRANSFORMATION MODEL RULES PROCESS INDICATORS PERFORMANCE KPI MDA INFORSID 2013 n 1/2013

2 2 INFORSID Volume 1 n 1/ Introduction Modéliser l Entreprise dans sa globalité, afin d expliciter son fonctionnement complexe, puis aligner son Système d Information sur ses processus métier, tels sont les buts de l Architecture d Entreprise. Encore faut-il que les modèles soient compris par tous. Il convient de proposer des points de vue différents, mais cohérents de l Entreprise, adaptés pour chacun, qu il soit spécialiste métier ou informaticien. Avec ses 7 aspects qui semblent particulièrement bien articulés, la méthode Praxeme propose une nouvelle approche de l Architecture d Entreprise qui répond à cette problématique. Cette étude vise à démontrer son adéquation et sa robustesse. Après la définition de l Architecture d Entreprise et de ses cadres méthodologiques, la Topologie du Système Entreprise, fondement de la méthode Praxeme, sera détaillée avec ses aspects d Architecture métier, puis ses aspects d Architecture Technique. Enfin, une proposition d expérimentation, autour de la formalisation des règles métier et de la définition d indicateurs de performance pour démontrer l hypothèse de robustesse de la méthode Praxeme, sera proposée. 2. L Architecture d Entreprise et ses cadres méthodologiques L Entreprise moderne, qui veut être flexible pour pouvoir évoluer, a besoin d un cadre méthodologique pour maitriser son Architecture puis gouverner sa transformation. L Architecture d Entreprise répond à ce besoin (Club Urba-EA, 2010 ; Capirossi, 2011). Elle est composée de l Architecture Technique de son Système d Information (ses applications, ses serveurs, son réseau, etc.), mais surtout de son Architecture Métier (ses produits et ses services, son organisation, ses processus, ses règles, etc.). Idéalement, l Architecture Technique doit être parfaitement alignée sur l Architecture Métier, elle-même préalablement orientée par la Stratégie de l Entreprise, comme le Strategic Aligment Model (Henderson et Venkatraman, 1992). Rappelons qu un cadre méthodologique est constitué d un socle de référence théorique et cohérent, sur lequel une méthode peut être construite. Selon les bonnes pratiques, un cadre idéal devrait respecter certaines règles comme : la focalisation sur l Entreprise ; la prise en compte de toute sa réalité ; l unicité de tout élément dans un référentiel à l intérieur du cadre (et son corollaire, le bannissement de la redondance) ; l aide à la transformation d un modèle vers un autre ; la mise en relation des éléments les uns avec les autres et enfin l existence d un métamodèle de référence. Il existe déjà quelques cadres méthodologiques d Architecture d Entreprise d origines américaines qui se révèlent bien souvent inadaptés, car trop lourds à mettre en œuvre et parfois peu cohérents.

3 La méthode Praxeme : une nouvelle approche de l Architecture d Entreprise 3 Ainsi le cadre (framework) de Zachman, qui a le grand mérite d avoir été le premier (1987), pose le problème de l Architecture d Entreprise avec une série de 6 questions : Quoi? Comment? Où? Qui? Quand? Pourquoi? Puis il tente d y répondre selon 5 points de vue différents. La séparation des données (Quoi) et des fonctions (Comment) n est plus adaptée à une approche moderne Orientée Objet. Sa représentation matricielle donne l illusion d une approche cartésienne et rassurante. Mais au final, il ne propose pas moins de 30 aspects différents de l Entreprise (36 aspects dans la version 2011 ; Zachman, 2011), qui révèlent bien sa complexité. Quant au cadre de contenu TOGAF (Open Group, 2011), dont il faut constater la diffusion récente dans certaines grandes entreprises, il s agit plus d une liste (de type taxonomique) d activités à réaliser par les architectes, en respectant certains principes, que d un véritable cadre méthodologique pour l Architecture d Entreprise. Il faudrait en effet que TOGAF se focalise plus sur l Entreprise et propose des points de vue différents de celui des architectes. En outre, TOGAF s intéresse peu aux modèles et encore moins à leur transformation. 3. La méthode d Architecture d Entreprise Praxeme Mettant en pratique le concept de l IDM (Ingénierie Dirigée par les Modèles ; Jézéquel, 2011) popularisée par la MDA Model Driven Architecture (OMG, 2003), la méthode Praxeme, d origine française, propose une alternative émergente. Selon son étymologie, Praxeme signifie «le sens de l action». Praxeme, tout en tenant compte des évolutions de la technologie, s inscrit dans l héritage de la méthode de référence Merise (Tardieu et al., 1983). La méthode Praxeme est considérée comme complète, rigoureuse et très bien adaptée à l Architecture Orientée Services SOA (Caseau, 2011). Certains auteurs vont même jusqu à avancer que Praxeme constitue le cadre d architecture le plus avancé à ce jour (Dubray et al., 2012), ce qui reste bien entendu à démontrer dans une démarche scientifique. Depuis 2003, la méthode Praxeme s est enrichie au fil des ans des contributions successives de plusieurs organismes, qui ont accepté de mutualiser leurs investissements, engagés lors de projets de refonte de leurs systèmes d information. Praxeme est une méthode publique et ouverte dont le développement, la promotion et la formation sont assurés, depuis 2006, par une association à but non lucratif, reconnue d utilité publique, le Praxeme Institute (Praxeme, 2006). Cela constitue un écosystème original. La période du financement public d une méthode semble révolue. Toutefois, la Direction Générale de la Modernisation de l État recommande la méthode Praxeme dans son Référentiel Général d Interopérabilité (DGME, 2009).

4 4 INFORSID Volume 1 n 1/ La Topologie du Système Entreprise 4.1 Le fondement de la méthode Praxeme La méthode Praxeme, qui considère l Entreprise comme un tout, est basée sur 7 aspects. Chaque aspect est représenté par un modèle au standard UML (OMG, 2011b) le diagramme d activité peut être remplacé par un diagramme au standard BPMN (OMG, 2011a) pour la modélisation des processus métier, qui représentent la stratégie jusqu au déploiement. Une représentation structurée de ses 7 aspects est donnée dans la Topologie du Système Entreprise (partie basse de la figure 1), fondement de la méthode Praxeme. Ces aspects ou points de vue sont similaires aux «niveaux d abstraction» de Merise et au principe de «separation of concerns» préconisé dans la MDA. Figure 1 : Topologie du Système Entreprise de la méthode Praxeme avec exemple de transformation de modèles

5 La méthode Praxeme : une nouvelle approche de l Architecture d Entreprise Les aspects de l Architecture Métier Les aspects Intentionnel, Sémantique, Pragmatique et Géographique constituent l Architecture Métier de l Entreprise. Tout commence par l omniprésent aspect Intentionnel (Rolland, 2009). Puis, les aspects Sémantique et Pragmatique servent de base aux autres aspects. L aspect Intentionnel formalisera les intentions, la stratégie et les objectifs de l Entreprise, voire son éthique et ses valeurs. Dans cet aspect, il est possible de définir un ensemble cohérent d indicateurs, appelé Arbre de Performance. L aspect Sémantique est basé sur la modélisation des objets métier. Il convient souvent d extraire la sémantique des processus métier, décrits dans l aspect Pragmatique. Le paradoxe de la modélisation des objets métier, souvent appelés Fondamentaux ou Cœur du métier, est le suivant : c est le travail le plus difficile à faire, mais c est aussi le travail le plus durable, car indépendant de l organisation. L aspect Pragmatique est basé sur la modélisation des processus métier et l organisation nécessaire pour leur exécution. La séparation des aspects Sémantique et Pragmatique est la spécificité principale de la méthode Praxeme. Cette séparation originelle, qui peut se révéler complexe à effectuer, est un gage de flexibilité pour faciliter les transformations à venir. Il est évident que ces deux aspects sont indépendants de toutes technologies dont les cycles de vie sont bien plus courts qui seront utilisées pour les mettre en œuvre. Dans ces deux aspects Sémantique et Pragmatique, figurent les définitions des Règles Métier qui formalisent les différentes contraintes, exigences, mais aussi la connaissance et le savoir-faire de l Entreprise. Si nécessaire, l organisation pourra être modifiée, les processus métier reconfigurés et l Entreprise transformée. L aspect Géographique est positionné du côté de l Architecture métier, car il dépend bien souvent de l histoire, la culture et l organisation de l Entreprise. Il s agit d envisager toutes les options de déploiement, puis de définir la localisation des activités, selon la mobilité du personnel et les moyens de communication Les aspects de l Architecture Technique Les aspects Logique, Logistique, et Physique constituent l Architecture Technique de l Entreprise. L aspect Logique est le plus important : il est l intermédiaire entre l Architecture Métier (ses aspects Sémantique et Pragmatique) et l Architecture Technique ; il assure le découplage entre la solution conçue et les technologies utilisées pour la mettre en œuvre (déployées dans les aspects Logistique logiciel & matériel informatique et Physique), ce qui garantit sa pérennité. La discipline de l urbanisation devra être appliquée dans l aspect Logique, pour structurer le Système d Information et le préparer à l Architecture Orientée Services (SOA).

6 6 INFORSID Volume 1 n 1/2013 L aspect Logistique décrit la solution logicielle et matérielle (technologies, composants, équipements). Grâce au découplage apporté par l aspect Logique, les choix techniques de l aspect Logistique peuvent être substituables. L aspect Physique décrit avec précision la réalité du système choisi dans l aspect Logistique puis déployé selon l aspect Géographique (instanciation et localisation). 5. Exemples d applications de la méthode Praxeme Urbanisation de stations de contrôle de drones, refonte du système d information d un assureur du BTP (Bonnet, 2007), modélisation de systèmes de transport (Aiguier et al., 2012), tels sont les exemples d applications de la méthode Praxeme. Tandis que chaque exemple d applications ci-dessus a utilisé une partie de la méthode Praxeme, il manque un exemple d application complet qui couvre tous ses aspects, du premier aspect Intentionnel au dernier aspect Physique, et qui démontre le maintien de la cohérence et de la traçabilité des règles métier et des indicateurs de performance, à travers les transformations intermédiaires et successives. 6. Expérimentation de la méthode Praxeme 6.1 Hypothèse Les 7 modèles de la méthode Praxeme sont conformes à un métamodèle et semblent parfaitement bien articulés les uns avec les autres. Cela constitue une base solide pour mener l expérimentation suivante. La cohérence des modèles sera démontrée par la transformation d un ou deux modèles vers un autre (voir l exemple dans la partie haute de la figure 1), à partir du métamodèle de Praxeme et du langage de transformation ATL (Apache, 2012). Reconnue pour sa rigueur de traçabilité (Fournier-Morel et al., 2011) entre ses différents aspects, la principale nouveauté de cette expérimentation de la méthode Praxeme sera constituée par l étude de la persistance des règles métier et des indicateurs de performance à travers la transformation des modèles Formalisation des règles métier La chaine de traitement des règles métier peut être décomposée en plusieurs étapes : collecte des règles métier utilisées dans l Entreprise et exprimées en langage naturel ; analyse ; qualification (selon leur légitimité et le niveau de contrainte qu elles imposent) ; reformulation et enfin typage des règles métier, pour les positionner dans les modèles adéquats, afin de les formaliser. Par exemple, les règles dites de gestion agissant sur les objets métier seront positionnées sur l aspect Sémantique tandis que les règles agissant sur les organisations seront positionnées sur l aspect Pragmatique.

7 La méthode Praxeme : une nouvelle approche de l Architecture d Entreprise 7 Le respect de la règlementation introduit des exigences, types de règles particulières, obligatoires et contraignantes, à formaliser également. La couverture complète du domaine métier par ces différentes règles devra être approchée, tout en évitant les recouvrements, et en garantissant la cohérence d ensemble. La technique de vérification de l exhaustivité des cas d utilisation, basée sur l étude du cycle de vie des objets, pourrait être transposable aux règles métier. Les travaux de l OMG (Object Management Group) sur la formalisation des règles métier comme SBVR (Semantics of Business Vocabulary and Rules ; OMG, 2008) et OCL (Object Constraint Language ; OMG, 2012) seront étudiés et leur complémentarité avec la méthode Praxeme évaluée. Et l on étudiera si ces travaux sont déjà outillés afin d être directement utilisables en Entreprise. La mise en application automatique des règles métier par les outils informatiques sera étudiée : imbrication directement dans les programmes (approche classique) ou externalisation dans un moteur de règles (approche moderne) ; impact sur l Architecture en général et sur l aspect Logique en particulier ; gain potentiel sur l évolutivité grâce à la réduction du code et à la factorisation des règles métier Définition d un ensemble pertinent d indicateurs de performance Selon sa définition officielle (Garibian, 1985), l Arbre de Performance est une organisation arborescente d indicateurs rendant compte de la génération de valeur de l Entreprise et de la contribution des différents Acteurs. Il s appuie sur 4 mécanismes : interdépendance entre les indicateurs, transversalité des indicateurs, stratégie d acteurs (collectif) et facteur humain (individuel). L Arbre de Performance, relié aux objectifs & aux valeurs de l Entreprise, est localisé dans l aspect Intentionnel de la méthode Praxeme. Mais ses Indicateurs sont positionnés dans les modèles d autres aspects de la Topologie du Système Entreprise, notamment les aspects Sémantique, Pragmatique & Logique. Il peut sembler pertinent de définir les Indicateurs au fur et à mesure de la formalisation des Règles Métier plutôt qu ultérieurement. Toutefois, l Arbre de Performance nécessite une approche globale afin d obtenir un résultat cohérent : prendre du recul pour agréger les différents indicateurs pourra s avérer nécessaire. 7. Conclusion Cet article a présenté une nouvelle approche de l Architecture d Entreprise : la méthode Praxeme. La persistance des règles métier et des indicateurs de performance à travers la transformation des modèles permettra de démontrer sa robustesse et de passer d un stade conceptuel de la modélisation à un stade opérationnel. La méthode Praxeme sera approfondie, voire enrichie rappelons qu il s agit d une méthode ouverte. La principale perspective est d offrir un outil qui permet à l Entreprise d aligner son Système d Information sur son métier, afin de relever le défi de ses transformations à venir.

8 8 INFORSID Volume 1 n 1/2013 Bibliographie Aiguier M., Caseau Y., Krob D., & Rauzy A. (2012). Complex systems design & management: Proceedings of the Third International Conference on Complex Systems Design & Management CSD&M Springer, New York. Apache Foundation (2012). ATL. Bonnet P., Detavernier J.-M., & Vauquier D. (2007). Le système d information durable : la refonte progressive du SI avec SOA. Hermès science publications-lavoisier, Paris. Capirossi J. (2011). Architecture d entreprise. Hermès science publications : Lavoisier, Paris. Caseau Y. (2011). Urbanisation, SOA et BPM : le point de vue du DSI. Dunod, Paris. Club URBA-EA (2010). Urbanisme des SI et gouvernance. Dunod, Paris. DGME (2009). Référentiel Général d Interopérabilité. Dubray J.-J., Greenfield J., & Hastings G. (2012). B = MC2: Business Strategy For a Multidimensional World. Amazon. Fourier-Morel X., Grojean P., Plouin G., & Rognon C. (2011). SOA : le guide de l architecte d un SI agile. Dunod, Paris. Henderson J. & Venkatraman N. (1992). Strategic Alignment. Garibian G. (1985). Arbre De Performance. Jézéquel J.-M., Combemale B., & Vojtisek D. (2012). Ingénierie dirigée par les modèles des concepts à la pratique. Ellipses, Paris. OMG (2003). MDA Specifications. OMG (2008). SBVR OMG (2011a). BPMN OMG (2011b). UML OMG (2012). OCL Open Group (2011). TOGAF Version Praxeme Institute (2006). Initiative pour une méthode publique. Roebuck K. (2011). Enterprise architecture : high-impact strategies - what you need to know. Emereo Pty Limited, [S.l.]. Rolland C. (2009). Une perspective intentionnelle de l ingénierie des Systèmes d Information. Ross R.G. (2009). Business rule concepts : getting to the point of knowledge. Business Rule Solutions, Houston. Tardieu H., Rochfeld A., & Colletti R. (1983). La méthode MERISE: principes et outils. Editions d organisation, Paris. Zachman J. (2011) About The Zachman Framework TM.