Enseignants, Chercheurs, Experts sur l Asie et le Pacifique Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific

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1 Enseignants, Chercheurs, Experts sur l Asie et le Pacifique Scholars, Professors and Experts on Asia and the Pacific LA «NAISSANCE» DE L ÉCRIVAIN ADOLESCENT DANS LE JAPON CONTEMPORAIN HOW TO BECOME A TEENAGE WRITER IN JAPAN TODAY Dan Fujiwara Université de Toulouse 2 Thématique I : Construction des savoirs et des idées Theme I: The construction of knowledge and ideas Atelier I-01 : Ce que le japon nous dit de ses enfants et de la jeunesse en general Workshop I-01 : What japan tells us about its children and, more generally, about youth 4 ème Congrès du Réseau Asie & Pacifique 4 th Congress of the Asia & Pacific Network sept. 2011, Paris, France École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville Centre de conférences du Ministère des Affaires étrangères et européennes 2011 Dan Fujiwara Protection des documents / Document use rights Les utilisateurs du site s'engagent à respecter les règles de propriété intellectuelle des divers contenus proposés sur le site (loi n du 1er juillet 1992, JO du 3 juillet). En particulier, tous les textes, sons, cartes ou images du 4 ème Congrès, sont soumis aux lois du droit d auteur. Leur utilisation, autorisée pour un usage non commercial, requiert cependant la mention des sources complètes et celle des nom et prénom de l'auteur. The users of the website are allowed to download and copy the materials of textual and multimedia information (sound, image, text, etc.) in the Web site, in particular documents of the 4 th Congress, for their own personal, non-commercial use, or for classroom use, subject to the condition that any use should be accompanied by an acknowledgement of the source, citing the uniform resource locator (URL) of the page, name & first name of the authors (Title of the material, author, URL). Responsabilité des auteurs / Responsability of the authors Les idées et opinions exprimées dans les documents engagent la seule responsabilité de leurs auteurs. Any opinions expressed are those of the authors and do.not involve the responsibility of the Congress' Organization Committee.

2 LA «NAISSANCE» DE L ÉCRIVAIN ADOLESCENT DANS LE JAPON CONTEMPORAIN Dan Fujiwara Université de Toulouse 2 Introduction En janvier 2004, le prix Akutagawa qui est un des plus prestigieux prix littéraires au Japon a été attribué à deux romans : Keritai senaka (Appel du pied) de Wataya Risa (1984-) et Hebi ni piasu (Serpent et piercings) de Kanehara Hitomi (1983-). Outre que la décision du jury de ce prix littéraire peut constituer un exemple supplémentaire du succès des œuvres féminines sur la scène littéraire japonaise contemporaine, cet événement a aussi été marqué par le fait que les deux lauréates étaient très (trop?) jeunes : Wataya Risa et Kanehara Hitomi avaient respectivement 19 ans et 20 ans à cette époque. Le prix Akutagawa qui a été créé par Kikuchi Kan ( ) en 1935 n a jamais osé récompenser les auteurs aussi jeunes, alors que sa vocation initiale est censée «encourager l apparition de nouveaux et excellents auteurs et promouvoir leurs activités». Ma contribution s intéresse à ce deuxième aspect de l événement qui fait partie d un autre phénomène littéraire du Japon contemporain. En effet, depuis la fin des années 1970, et surtout au cours de ces dix dernières années, nombreux romans ou nouvelles dont les auteurs étaient alors tous mineurs selon la définition juridique du Japon (moins de 20 ans) ont été récompensées par des prix littéraires importants comme les prix Akutagawa, Bungei, Gunzô shinjin, ou Subaru, qui sont tous des «prix littéraires pour les nouveaux écrivains» (shinjinshô), mais qui n ont guère été donnés aux personnes ayant moins de 20 ans. Avec l apparition de ces auteurs adolescents, on pourrait supposer la prise de conscience de la potentialité, voire la valeur des objets culturels, en l occurrence des œuvres littéraires, produits par les adolescents dans la société japonaise contemporaine où les produits culturels «pour» les adolescents sont abondants. Cependant, si l on analyse la procédure de promotion des ouvrages par ces jeunes auteurs, c est paradoxalement cette procédure de promotion elle-même qui semble constituer une sorte d impasse. Aujourd hui, je voudrais montrer cette tension en faisant une synthèse des réactions des médias à l égard de Wataya Risa et Kanehara Hitomi. Le contexte de la jeunesse japonaise d aujourd hui et la littérature Commençons par rappeler très brièvement le contexte général de la production des ouvrages littéraires où se trouve la jeunesse japonaise d aujourd hui. Le premier élément que je voudrais évoquer est l essor des mass-médias avec la logique de l économie de marché qui a eu un impact fort sur le monde de publication littéraire à partir des années En effet, le concept de «littérature pure» (jun-bungaku) qui a été inventé dans les années 1920, face à la montée de la «littérature populaire» (taishûbungaku) et pour se démarquer de celle-ci, par une élite intellectuelle de l époque, commence à ne plus fonctionner à partir de ces années où une sorte d interaction entre littérature et image visuelle, à travers des adaptations cinématographique et télévisées, devient plus important, neutralise cette distinction entre «littérature pure» et «littérature populaire», et oblige aux maisons d édition de déveloper d autres stratégies de promotion des écrivains et de leurs ouvrages. La production des ouvrages littéraires par les auteurs adolescents se trouve tout à fait dans la continuité de cette situation. Ceci est très visible dans l existence et le fonctionnement des «prix littéraires pour les nouveaux écrivains». Car, ces prix littéraires sont généralement organisés par des revues littéraires, et des maisons d édition éditant cellesci, et ces mêmes maisons d édition se chargent de la publication sous forme de livre. Et parfois, cela aboutit à une adaptation cinématographique ou télévisée, et même à «manga». Il y a donc tout un enchaînement de production, re-production et adaptation des ouvrages Dan Fujiwara / 2

3 littéraires, qui permet aux maisons d édition d aller plus loin dans leur objectif. Mais d autres nouveaux éléments émergent ces vingt dernières années et semblent établir un nouveau rapport de forces. Il s agit de l apparition de nouvelles catégories littéraires, notamment celle de light novel (raito noberu) qui est très proche du phénomène «otaku» et qui explore des genres comme science-fiction, fantaisie ou horreur, en s inspirant de l univers des produits culturels comme jeux vidéo, animé, ou manga. Il faudra noter également une mutation des modes d accès aux ouvrages littéraires. Si le livre reste tant bien que mal une forme majeure, on commence à apparaître d autres supports de diffusion comme Internet ou téléphone portable. Ce nouveau courant littéraire qu on pourrait appeler «littérature postmoderne» exploite également, lorsqu il réussit à attirer un grand nombre de lecteurs, le même mécanisme de production et re-production, avec d adaptations cinématographiques ou télévisées, et commence à s affirmer comme une référence littéraire, voire culturelle dominante pour les jeunes générations qui commencent à se désintéresser peu à peu des ouvrages littéraires, du coup «classiques». Les débuts de Wataya Risa et Kanehara Hitomi Concrètement, en ce qui concerne le cas de Wataya Risa et celui de Kanehara Hitomi, les choses se sont déroulées de manière suivante. Wataya Risa a d abord obtenu le 38 e prix Bungei avec Insutôru (Install) en Elle avait 17 ans à cette époque. La nouvelle a été publiée dans le numéro d hiver 2001 de la revue Bungei qui organise ce prix littéraire, ensuite sous forme de livre en 2001 par la maison d édition Kawade shobô shinsha qui édite la revue Bungei. Le livre a été vendu 500 mille exemplaires (en 2001). Suite à ce succès, la maison Kawade shobô shinsha offre à Wataya de publier sa deuxième nouvelle Keritai senakai, d abord dans le numéro d automne 2003 de la revue Bungei, ensuite sous forme de livre, également en automne Quant à Kanehara Hitomi, son roman Hebi ni piasu a d abord été récompensé par le 27 e prix Subaru bungakushô en 2003, publié dans le numéro du mois de novembre de 2003 de la revue Subaru qui organise ce prix littéraire, ensuite sous forme de livre par la maison Shûeisha en janvier Et après la remise du prix Akutagawa le 15 janvier 2004, les deux ouvrages Keritai senaka et Hebi ni piasu ont été publiés dans le numéro du mois de mars 2004 de la revue Bungei shunjû. Le numéro a été vendu 1 million 180 mille exemplaires. Quant à la publication sous forme de livre, 1 million 270 mille exemplaires en 2004 pour Keritai senaka (publié chez Kawade shobô shinsha), et 600 mille pour Hebi ni piasu (publié chez Shûeisha). Cela fait longtemps qu une revue littéraire et les romans n ont pas été vendus aussi massivement. Il faudrait noter que ces trois prix littéraires (Bungei, Subaru et Akutagawa) qui ont permis le début de Wataya Risa et celui de Kanehara Hitomi sont finalement des prix qui privilégient davantage une écriture romanesque de courant «littérature pure», plutôt que celle de light novel. Même si la distinction «littérature pure» et «littérature populaire» n est plus valable, ou peut-être pour cette raison justement, on pourrait remarquer ici que ces maisons d édition ont tenté une sorte de réhabilitation du courant de «littérature pure», qui peut-être se sent menacé, du moins alerté par la montée de la nouvelle catégorie comme light novel. En effet, pour évoquer les grands traits, leurs romans sont relativement conformes à ce qu on entend par le terme de «littérature pure» : le réalisme avec une contextualisation de l action dans un cadre «réel» qui s opposent explicitement aux genres comme science-fiction, fantaisie ou horreur, le récit à la première personne privilégiant une description psychologique du narrateur. Les 130 e prix Akutagawa : un phénomène médiatique Dan Fujiwara / 3

4 Comme ce «succès» commercial nous laisse imaginer, les trois ouvrages ont fait couler beaucoup d encres des médias japonais. Pour évaluer l ampleur et les caractéristiques des réactions médiatiques, je voudrais proposer une synthèse, bien que brève, des articles (interviews, entrevues, aussi) qui traitent les deux jeunes auteures et qui ont été publiés dans les revues (ou magazines). D abord, il y a toute une série d articles concernant Wataya Risa, dont le premier remonte en 2002, juste après la remise du prix Bungei. On peut observer un changement radical avant et après la remise du prix Akutagawa en 2004, quant au nombre des interviews où la voix de Wataya elle-même est transcrite. Après la remise du prix Bungei avec Insutôru en 2001 jusqu à la veille de la remise du prix Akutagawa en janvier 2004, Wataya acceptait des interviews ou entrevues avec des écrivains connus et participait ainsi elle-même à la promotion de son ouvrage. Cependant, après la remise du prix Akutagawa, elle est très peu présente sauf les deux articles. Le premier est le numéro du mars 2004 de la revue Bungei shunjû qui publia les deux romans récompensés par le prix Akutagawa, et dans lequel elle accepte une interview, et le deuxième une entrevue avec une écrivaine Tanabe Seiko qu elle a acceptée pour le numéro du mois de juillet 2004 de la revue Bungei shunjû. En ce qui concerne le contenu de ces articles, on peut noter que l on s intéresse avant tout aux sources d inspiration de l auteur : les expériences personnelles (Internet et chat pour Install, par exemple), la lecture personnelle de Wataya. Il y a des articles plus ou moins sérieux, des magazines à sensation comme Sandê mainichi, Shûkan posuto, ou Shûkan bunshun, et puis, après la remise du prix Akutagawa, on commence à avoir des articles qui attirent davantage l attention sur la vie privée même de Wataya. Quant à Kanehara, sa présence dans la presse devient réellement intense avec la remise du prix Akutagawa. Essentiellement, il s agit d interviews ou d entrevues avec des écrivains comme Murakami Ryû, que Kanehara a acceptés et qui sont transcrits. Ce qui diffère le cas de Kanehara de celui de Wataya, c est que l enfance et l adolescence déscolarisées de Kanehara sont systématiquement citées et commentées. Plus que son œuvre même, le fait qu elle a refusé d aller à l école alors qu elle avait 10 ans, son expérience de l auto-mutilation (list cut), l alcoolisme, le jeu «pachisuro», des relations amoureuses compliquées, est repris et répété dans la plupart des articles. On évoque également le séjour aux Etats-Unis qu elle a fait à cause de l année sabbatique de son père qui est traducteur et universitaire et qui lui a appris à s intéresser à la littérature et à l écriture. Certains sont allés même interviewer son père. Enfin, plusieurs articles traitant les deux auteures ensemble ont été publiés. Il y a d abord trois articles dans des magazines à sensation comme Shûkan bunshun, Shûkan posuto. Le premier s intéresse au parcours de chaque auteure, mais en faisant des interviews auprès des parents des auteures. Le deuxième est un article par Atôda Takashi, écrivain connu et membre du jury du prix Naoki. Il commente essentiellement les deux ouvrages récompensés, de manière positive. Et puis il y a deux articles qui sont composés des commentaires par plusieurs personnalités bien connues (écrivains, universitaires, éditeurs, enseignants de lycée, mais aussi photographe, présentateurs de télévision, hommes politiques). Et dans tous les cas, il y a très peu d articles qui traitent les ouvrages de manière négative, même si on parle très peu du contenu des ouvrages en général. On pourrait remarquer nombreuses choses. Par exemple, dans tous les cas, la plupart des articles ont été publiés dans des revues ou magazines plutôt «sérieux», littéraires, et surtout destinés au public adulte, qui sont de principaux acteurs de l organisation des prix littéraires qui ont permis le début de ces jeunes auteures. Mais, je voudrais surtout retenir le point suivant. Dan Fujiwara / 4

5 C est le fait que c est avant tout la personne, plus que son œuvre, qui est mise en avant dans cette promotion médiatique des deux jeunes auteures. Une très forte attention sur la personne de chaque auteure, plus que ce qu elle écrit. Chaque article est présenté de manière quasi systématique avec un photo-portrait des auteures. Et on peut noter aussi que beaucoup d articles montrent quelle éducation, au sens large du terme, a eu chaque auteure. En témoignent quelques articles qui ont interviewé les parents ou le père des auteures. Un des premiers articles publié dans le magazine hebdomadaire Shûkan bunshun s intitulait d ailleurs : «L éducation qui a permis à nos filles d obtenir le prix Akutagawa». On évoque également l expérience de la lecture de chaque auteure qui renvoie à des références «classiques», bien connues et familières au lectorat adulte. Autrement dit, on s intéresse à la question de savoir d où viennent ces jeunes auteures, comment elles ont grandi, sans pourtant aborder la question de l impact de la culture dominante des jeunes générations. Le regard est effectivement porté sur chaque auteure, mais le point de vue est celui de ceux qui auraient avoir des enfants comme ces deux jeunes auteures. En effet, chaque article s adresse essentiellement aux lecteurs adultes, surtout la génération des parents (ou des pères) de ces auteures. Autrement dit, le sujet est problématisé à partir d un questionnement à la fois «archéologique» et «nostalgique» des adultes qui se demandent «ce qu elles ont fait», «ce qu elles étaient», et non «ce qu elles font», «ce qu elles sont», ou encore «ce qu elles vont faire», «ce qu elles désirent devenir». Conclusion Ainsi, on peut constater que la promotion des auteurs adolescents se fait certes à partir du point de vue de divers acteurs concernés (écrivains, journalistes, critiques littéraires, même ceux qui ne sont pas directement concernés, hommes politiques par exemple), mais ce sauf la voix de ceux qui appartiennent à la même (ou plus jeune) génération des jeunes auteurs, tant au niveau des personnes interviewées que sur le plan du type de revues ou magazines. Cette structure est très visible dans l exemple que j ai présenté aujourd hui. De ce point de vue, il est significatif de rappeler que les œuvres de Wataya et Kanehara (et d autres aussi) peuvent se manifester comme ironiques dans la mesure où ils ne mettent pas en scène les conflits intergénérationnels, ou tout simplement les adultes sont mis à l écart, voire absents et leur présence ne compte guère. Bien évidemment, on pourrait encore aller plus loin. Mais, pour aujourd hui, je voudrais terminer ma présentation en soulignant cette situation ambivalente de la promotion des produits culturels, en l occurrence des ouvrages littéraires, créés par les adolescents. Car, les œuvres de Wataya et Kanehara sont devenus davantage des objets culturels pour les adultes. Dan Fujiwara / 5