Architectures altermodernes 2

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1 da d architectures mai 2012 d architectures mai 2012 architectures altermodernes 2 / l équipement du plafond Architectures altermodernes 2 da avec l Atelier 15 Suriya Umpansiriratana Philippe Madec Bijoy Jain Carin Smuts Salma Samara Damluji Anne Feenstra Andreas Gertsen et Yashar Handstad (TYIN) Ferroni, Hereñu, Barossi et Nakamura Rintala & Eggertsson + DOSSIER : l ÉQUIPEMENT DU PLAFOND

2 DOSSIER > ARCHITECTURES ALTERMODERNES 2 Zabbalines, Le Caire L acupuncture par la lumière Texte : Éléonore Fallot ^ En haut : plan d implantation des chandeliers du Lighting System sur la place centrale du quartier. Ci-dessus : esquisses d un premier chandelier utilisant des réflecteurs fabriqués par recyclage de tôle de bidons et accrochés à une structure en profilés soudés (dessin de Jean Besson, project assistant au Studio Mumbai). «Un Global Award, pourquoi?» s interrogeait d a dans son précédent dossier «Architectures altermodernes» en mai «Pour fédérer ces architectes dans des projets de renouvellement urbain et d auto-développement», répond Jana Revedin, présidente de LOCUS, qui a lancé un projet d intervention au Caire, avec le soutien de l Institut français d Égypte (IFE). Le projet se déroulera à Manshiet Nasser, dans le quartier des Chiffonniers du Caire, les Zabbalines. Un étonnant système d éclairage urbain, conçu par l architecte Bijoy Jain, Studio Mumbai, lauréat du Global Award en 2009, sera le premier projet bientôt terminé. Les Zabbalines collectent et recyclent les déchets d une ville, Le Caire, qui compte plus de 20 millions d habitants et produit tonnes de déchets par jour. Ils vivent dans une dizaine de quartiers informels (Unplanned Settlements) en périphérie 1. Le quartier de Manshiet Nasser, où intervient LOCUS, est le plus grand. Il compte environ Zabbalines et 700 ateliers de recyclage. L histoire de ce quartier est celle d un véritable auto-développement : il s est agrandi et consolidé en dehors de toute planification étatique. L installation au Caire de migrants coptes venus du sud de l Égypte est attestée depuis les années trente ; les premiers achetaient les déchets afin de nourrir des porcs. Une véritable filière a commencé 34 D ARCHITECTURES MAI 12

3 < Zabbalines Lighting System, projet d intervention dans le quartier des Chiffonniers du Caire. Design : Studio Mumbai, Bijoy Jain, Global Award Projet dirigé par LOCUS. Ci-contre : on distingue clairement sur la photo, en fond d image, la structure en encorbellement des immeubles (que les familles surélèvent progressivement, jusqu à 7-8 niveaux) et la configuration qu elle donne aux rues du quartier, l un des plus denses du Caire. ^ Ci-dessus, deux métiers du quartier. À gauche, un atelier de concassage et lavage des déchets PVC. Les morceaux broyés passent ensuite dans un atelier où ils sont transformés en granulés, par chauffage et fonte, tréfilage de la pâte, refroidissement puis découpe en granulés et mise en sacs. À droite, le ferronnier Yacoub devant le prototype réalisé pour le chandelier du Lighting System. À sa gauche, Ali Samir El Sayed, architecte au sein du bureau d études environnementales EQI. V Ci-dessous, une rue du quartier des Zabbalines, avec une icône suspendue : une présence et un système d accroche dont Bijoy Jain s est inspiré pour son projet. à se développer lorsque ces migrants ont entrepris de collecter eux-mêmes, en échange d une taxe, les déchets organiques qu ils acheminaient dans les porcheries, puis les déchets de toutes sortes plastiques, métaux, papiers qu ils triaient, traitaient, puis revendaient sur les marchés du recyclage. De bidonville, le quartier s est consolidé et la brique a succédé à la tôle. La force des réseaux associatifs a permis ensuite le développement d infrastructures, notamment d écoles. L économie du recyclage a lancé le développement. Le système de recyclage mis en place par les Zabbalines est aujourd hui l un des plus efficaces au monde : 80 % des déchets ramassés sont recyclés et repartent dans l économie Mais en 2009, au moment de la «grippe porcine», le gouvernement égyptien a interdit l élevage des porcs. La décision a dévasté la moitié de cette économie, alors que le quartier était devenu un laboratoire de l économie urbaine des mégalopoles du Sud. ZABBALINES : PRACTICE PROJECT N 1 C est pour rebondir que les Zabbalines ont voulu travailler avec LOCUS et relancer l histoire si particulière de leur quartier. En reprenant le fil de son histoire, explique Mounir Neamattala2 : «Et si le quartier des recycleurs devenait le premier écoquartier du Caire? C est pour cela que nous voulions travailler avec les architectes du Global Award : ils ont des convictions que nous, acteurs des Zabbalines, partageons, et des savoirs que nous voulons acquérir et mettre en œuvre.» L intervention des architectes a été précédée en septembre 2011 d une phase de sustainable mapping menée par cinquante étudiants de l université d Umea (Suède) et leurs professeurs. Le sustainable mapping est une méthode qui croise les données 35

4 DOSSIER > ARCHITECTURES ALTERMODERNES 2 physiques avec les données écologiques et humaines. Jana Revedin la décrit comme «le fait d analyser les ressources physiques et spatiales d un lieu à travers la vie humaine qu il contient». Accompagnés par cinq jeunes du quartier, les étudiants ont pu analyser la vie des habitants. Ce workshop était nourri par des cours sur Le Caire, organisés à l IFE avec les experts égyptiens. Ce premier mapping a permis de repérer une série d enjeux clés pour l avenir du quartier et de proposer des scénarios d interventions. Ainsi les étudiants ont pointé la trop grande rareté d espaces publics ou au contraire la vacance d autres espaces, tels que les toits ou les cours, vidées par le départ des porcheries. C est sur la base de ce sustainable mapping que LOCUS a mis ensuite en œuvre des «AGIR ET INTERVENIR LÀ OÙ LE BESOIN EST LE PLUS IMPORTANT, À TRAVERS DE PETITES INTERVENTIONS QUI SE DISSÉMINERONT ENSUITE.» ^ La ressource du Lighting System : les Zabbalines rapportent chaque nuit les matériaux pré-triés en ville, comme ce camion de déchets métalliques ; ceux-ci seront ensuite triés, traités puis revendus. Les Zabbalines récupèrent et recyclent aussi le papier, une tâche effectuée en majorité par les femmes, comme celui des petits métaux. < Schéma de fabrication des chandeliers avec le détail des doubles réflecteurs et simulation d une table de production des éléments dans les ateliers de l APE (dessins, Jean Besson). Acupuncture Projects, qui sont pour Jana Revedin le fait «d agir et d intervenir là où le besoin est le plus important, à travers de petites interventions bien étudiées et qui se dissémineront ensuite : apporter la lumière dans la rue, concevoir une place publique partagée là où son absence brime les habitants, planter un arbre au coin de la rue. Nous travaillons à ce changement, avec les architectes.» Elle ajoute, citant Suzie Greiss, présidente de l APE 3 et partenaire de LOCUS : «change is slow». Le premier Acupuncture Project, mis en place avec l architecte indien Bijoy Jain, est un système d éclairage public alimenté par énergie solaire, constitué d une structure en métal et de réflecteurs fabriqués avec les matériaux collectés et recyclés par les Zabbalines. Le projet combinera leur production avec les technologies du solaire, ce dernier point n étant pas une lubie d écolo, vu le sous-équipement électrique du quartier (les Zabbalines paient la taxe d éclairage mais l État n a rien installé). À moyen terme, le projet vise à lancer une nouvelle filière de recyclage et de production pour les Zabbalines en valorisant leurs ressources. Le projet a été présenté aux acteurs en janvier Ils ont choisi de l installer sur la «place centrale», lieu de travail et de commerce actif 24 heures sur 24. En mars dernier, Bijoy Jain et son assistant Jean Besson sont venus rencontrer les entrepreneurs des Zabbalines : ferronniers, collecteurs de déchets métalliques, ateliers de production recyclée de l APE. La fondation française Synergie solaire, partenaire de LOCUS, a envoyé le jeune ingénieur Guillaume Pinçon étudier la faisabilité d une première installation photovoltaïque sur les terrasses des immeubles. Le schéma d installation et de production s est simplifié à la suite de ces études. Les premiers chandeliers seront réalisés avec une structure en profil métallique, les réflecteurs avec de la tôle de bidons, découpée et polie. Synergie solaire et l association Garbage Collectors (qui assure la gestion du réseau électrique auto-développé du quartier) ont fini par abandonner la LED, efficiente mais trop chère aujourd hui en maintenance. L équipe de Bijoy Jain est repartie à 36 D ARCHITECTURES MAI 12

5 ^ Ci-dessus : les premiers essais de découpe de la tôle de bidons pour fabriquer les réflecteurs. V Chez le ferronnier : Jana Revedin, présidente de LOCUS (de dos), Éléonore Fallot, project assistant LOCUS, Bijoy Jain, Emad Farid, architecte, EQI. En bas : workshop avec les étudiants d Umea University, présentation des projets. De gauche à droite : Mounir Neamatalla, président d EQI, Jana Revedin, Gaëtan du Roy, chercheur au Cedej-IFE, Sandrine Bonnaire, IFE. Bombay mettre au point dans ses propres ateliers les techniques de pliage et d accrochage des réflecteurs sur la structure des chandeliers : «Nous avons pris connaissance des techniques disponibles, de l économie de la matière dans le quartier. Il s agit maintenant d élaborer méticuleusement un système de fabrication qui doit être capable, selon moi, de transformer vraiment la matière recyclée en matériau noble, par le polissage, le détail des découpes, etc. Car sinon les Zabbalines ne l accepteront pas et ne parviendront pas à en vendre ailleurs au Caire. C est mon travail que de créer de la valeur en concevant ces techniques de transformation.» Les artisans du Studio Mumbai fabriquent deux prototypes complets, que B. Jain et J. Besson rapporteront en mai, comme maquettes types pour former les personnes qui produiront ces éléments dans les ateliers de l APE. La pose d une première série de luminaires est prévue pour début juin En octobre, le relais sera assuré par Carin Smuts, lauréate 2008 du Global Award et praticienne chevronnée de l auto-développement, qui viendra lancer une deuxième ligne de production avec les ateliers. On l aura compris, l intervention sur ce quartier très particulier offre une grande densité d expériences, sur l écologie urbaine et sur l économie circulaire. LOCUS contribue à créer des espaces urbains et des équipements, comme le Lighting System, appropriés à ses propres besoins. À terme, l espoir est que la filière de production de luminaires lancée à Manshiet Nasser permette d équiper les autres quartiers informels de la capitale, dont les conditions de vie ne sont guère meilleures. Le sustainable mapping du quartier va se poursuivre, avec des universités internationales et égyptiennes. D autres Acupuncture Projects vont être lancés avec les lauréats du Global Award for Sustainable Architecture. Le quartier des Zabbalines voulait se réapproprier son histoire et redevenir un laboratoire de développement urbain, alors que la question des «quartiers non réglementaires» est une priorité du Grand Caire. En 2006, selon UN-Habitat, cet habitat concernait 62 % des habitants et 54 % de la surface bâtie. Sa croissance est rapide : 2,57 % par an, contre 0,4 % pour la ville «légale». Pour LOCUS, valoriser par l auto-développement ce dynamisme des quartiers non réglementaires de la capitale égyptienne est essentiel. Aussi dépourvus d équipement soient-ils, «les quartiers informels témoignent dans leur auto-organisation d une résilience qu il n est plus question de mépriser, selon Jana Revedin. Ces zones non planifiées doivent être reconnues et améliorées avec leurs habitants.» < Cet article est un condensé du rapport de travail réalisé par Éléonore Fallot, project assistant de LOCUS pour le projet Zabbaleen-Le Caire, mars < 1. Voir aussi le travail du photographe Bas Princen sur ce quartier du Caire dans la rubrique «Portfolio», au début de ce numéro. 2. Mounir Neamattala, fondateur et président de Environmental Quality International (EQI), est un acteur historique du quartier des Zabbalines puisque cet ingénieur et urbaniste a été à l initiative du premier cycle de développement urbain du quartier dans les années soixante-dix, avec sœur Emmanuelle et les représentants de la communauté. 3. The Association for Protection of the Environment (APE) est une organisation non gouvernementale fondée en 1984 qui œuvre à l amélioration des conditions de vie des chiffonniers du Caire par la scolarisation des enfants et la formation technique des femmes. L APE a créé depuis dix ans des ateliers de recyclage (papier et textiles) qui emploient les femmes des Zabbalines. Le projet est d ouvrir en 2012 de nouveaux ateliers pour la production des luminaires du Lighting System. Réagissez à cet article sur darchitectures.com 37