I l y a maintenant plus de six ans, j'ai fait l'acquisition d'un dictionnaire

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2 Un manuscrit lexovien du XIVe siècle inédit? A propos d'une reliure de dictionnaire du XIX siècle... Patrice LAJOYE 1 I l y a maintenant plus de six ans, j'ai fait l'acquisition d'un dictionnaire Latin-Français de François Noël, une édition datée de 1813, et imprimé à Paris chez Le Normant. Ce dictionnaire en soit ne m'intéressait pas le moins du monde, j'en possédais déjà un exemplaire, certes pas de la même édition, d'autant plus qu'il est relativement courant. Ce qui avait en fait attiré mon regard était qu'il était relié d'un manuscrit sur parchemin qui me semblait ancien. Qui plus est, il portait en fausse page de garde la mention suivante : «An 1825 Ce dictionnaire appartient à son maître qui n'est ni Capucin ni prêtre, et qui n'a point envie de l'être? Gondouin fils Ruë d'ouville n 24 à Lisieux» Sachant que ce type de dictionnaire était fourni simplement broché, et que la reliure était généralement faite par les libraires locaux, j'avais donc une chance pour que ce livre-là ait été à Lisieux dès 1813 et que donc le manuscrit qui le couvrait soit d'origine locale. 1. Membre de la Société historique de Lisieux, Patrice Lajoye est assistant-ingénieur CNRS à l'université de Caen où il est secrétaire de rédaction de la revue Histoire et Sociétés rurales.

3 , 124 BULLETIN N 69 DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE LISIEUX Curieux, j'ai donc entrepris de dé-relier le livre, de décoller soigneusement le manuscrit, et de le gratter au scalpel et au couteau émoussé, afin de le débarrasser autant que possible des traces de carton sur sa face intérieure. Le résultat valait bien ces nombreuses heures de grattage minutieux. Le manuscrit se présente en effet comme quatre pages qui se font suite, comme en témoigne l'empreinte d'une lettrine sur la page en vis-à-vis. L'écriture et la présentation sont soignées, mais le texte, en latin, est un condensé d'abréviations! Etant piètre latiniste, et surtout absolument pas paléographe, c'est sur la suggestion de Daniel Deshayes que je me suis tourné vers Michel Nortier (que je remercie vivement), qui s'étant lui-même adressé à ses anciens collègues, a fini par me donner à la fois l'auteur du texte, son titre, ainsi que la date du manuscrit lui-même. Il s'agit d'un chapitre de la Summa contra gentiles, ou Somme théologique de Thomas d'aquin, un texte rédigé entre 1258 et Le manuscrit lui-même a été écrit dans le troisième quart du XIVe siècle. Ce titre, cet auteur, et surtout la date du support ont leur importance. Car à Lisieux a vécu à la fin du XIVe siècle un personnage qui avait tout intérêt à lire ce passage de la Somme théologique, qui en effet parle d'aristote: il s'agit de Nicolas Oresme, doyen de la cathédrale de Rouen de 1364 à 1377 et surtout évêque de Lisieux de 1377 (dans les faits, 1380) à Nicolas Oresme était un grand savant, traducteur du grec, philosophe, auteur du premier traité de la monnaie. Et plus précisément, il est l'auteur d'un Commentaire sur l'éthique d'aristote et Commentaire sur la politique et les économiques d'aristote, rédigés sans doute respectivement en 1370 et 1371, donc dans le troisième quart du XIVe siècle. Mais il cite aussi Aristote dans son Livre du ciel et du monde (vers 1377). Même si ce chapitre précis de Thomas d'aquin n'est pas nécessairement directement cité dans l'oeuvre de Nicolas Oresme, il ne pouvait qu'être utile au futur évêque de Lisieux pour la rédaction de ses propres commentaires d'aristote.

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8 UN MANUSCRIT LEXOVIEN INÉDIT DU XN' SIÈCLE? 129 Résumons donc, sous forme de tableau, en rappelant qu'il ne s'agit là que d'hypothèses que seule une analyse de la graphie, en la comparant avec les manuscrits autographes de Nicolas Oresme, pourra confirmer : Le manuscrit est du troisième quart Durant le troisième quart du XIV du XIV' siècle. siècle Le manuscrit pourrait être originaire Nicolas Oresme, futur évêque de de Lisieux. Lisieux Il porte un passage de l'oeuvre de Commente et traduit à plusieurs Thomas d'aquin commentant Aristote reprises Aristote Au final, il est donc fort possible que ces quatre pages aient appartenu à un manuscrit de la bibliothèque de Nicolas Oresme, voire même qu'il ait été un autographe de ce savant, et qu'il l'ait emmené avec lui de Rouen à Lisieux, où il aurait été conservé jusqu'à la Révolution. Là, un libraire a fait comme nombre de ses confrères dans les temps post-révolutionnaires : il s'est servi du manuscrit pour relier les ouvrages qu'il vendait. On remarquera que la Société historique de Lisieux possède dans ses archives un exemplaire d'une autre édition du même dictionnaire, lui-même relié à l'aide d'un manuscrit sur parchemin du XVIe ou du XVII' siècle... Une fois ces hypothèses exprimées, je fais don de ce manuscrit à la Société historique de Lisieux, en espérant qu'il attirera la curiosité des médiévistes et curieux, qui pourront sans doute le soumettre à une étude bien plus sérieuse que je n'en suis capable. Bibliographie succincte : Sur Nicolas Oresme, on consultera : - Xavier Masson, «Nicolas Oresme et la hiérarchie des connaissances au XIV' s.», Bulletin de la Société historique de Lisieux, n 35, 1996.

9 130 BULLETIN N 69 DE LA SOCIÉTÉ HISTORIQUE DE LISIEUX - Alain Costé, «L'oeuvre scientifique de Nicolas Oresme», Bulletin de la Société historique de Lisieux, n 37, Pierre Souffrin et Alain-Philippe Segonds, Nicolas Oresme : tradition et innovation chez un intellectuel du XIV" siècle, Paris, Les Belles Lettres, 1988.