La Cour suprême clarifie le critère à appliquer pour l examen des fusions au Canada



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Actualité juridique La Cour suprême clarifie le critère à appliquer pour l examen des fusions au Canada Janvier 2015 Droit antitrust et droit de la concurrence La Cour suprême rejette l argumentation de la commission quant aux gains d efficience, mais l arrêt nous rappelle que les documents internes ne sont pas sans danger Le 23 janvier 2015, la Cour suprême du Canada (CSC) a publié son arrêt très attendu dans l affaire Tervita Corp. c Canada (Commissaire de la concurrence) 1. En 2011, la commissaire de la concurrence (commissaire) s était opposée à la fusion de Tervita Corp. avec un concurrent éventuel, Complete Environmental Inc., et en 2012 le Tribunal de la concurrence (Tribunal) avait tranché en faveur de la commissaire et ordonné à Tervita de se départir des actifs qu elle avait acquis. La Cour d appel fédérale (CAF) a confirmé cette décision. Dans le premier arrêt qu elle rend en plus de 20 ans sur les dispositions de la Loi sur la concurrence relatives à l examen des fusionnements, la CSC a accueilli le pourvoi de Tervita et annulé les décisions antérieures. L arrêt valide en grande partie la démarche analytique de la commissaire, mais reproche à cette dernière d avoir omis de faire la preuve des effets anticoncurrentiels attribués à la transaction. L article 96 de la Loi sur la concurrence prévoit en effet qu aucune ordonnance ne peut être prononcée à l égard d un fusionnement lorsque celui-ci entraînera vraisemblablement des gains en efficience qui surpasseront et neutraliseront les effets anticoncurrentiels qui résulteront vraisemblablement de l empêchement de la concurrence causé par le fusionnement. Parce que la commissaire avait omis de quantifier les effets anticoncurrentiels, le seul fait que Tervita avait démontré des gains en efficience, même «négligeables», suffisait pour que la défense fondée sur l article 96 puisse être invoquée. On tirera plusieurs leçons importantes de cette affaire : le commissaire s opposera, dans les cas pertinents, aux fusions ou aux acquisitions qui, à son avis, empêcheront vraisemblablement la concurrence; l analyse et l évaluation des gains en efficience éventuels occuperont une place plus importante dans les fusions stratégiques lorsqu une diminution ou un empêchement de la concurrence sera possible; les petites fusions qui ne dépassent pas les seuils applicables en matière d avis préalable à une fusion ne sont pas à l abri d un examen; et un programme solide de conformité à la législation sur la concurrence comprenant de la formation sur les communications des employés peut contribuer à réduire les risques liés au droit de la concurrence.

PAGE 2 Contexte Tervita (autrefois appelée CCS Corporation) possède et exploite les deux seuls sites d enfouissement de déchets dangereux qui existent dans le nord-est de la Colombie-Britannique. Des producteurs pétroliers et gaziers utilisent ces sites pour traiter, récupérer et éliminer les déchets dangereux produits par leurs activités de forage. Le 7 janvier 2011, Tervita a acquis les actions de Complete, à qui appartenait un site (Babkirk) situé dans le nord-est de la Colombie- Britannique qui avait reçu un permis du gouvernement provincial autorisant la construction, dans la région, d un troisième site d enfouissement sécuritaire susceptible de faire concurrence à ceux de Tervita. Tervita a payé tout juste un peu plus de 6 M$ pour acquérir les actions de Complete. Par conséquent, l acquisition ne correspondait pas aux seuils financiers fixés par la Loi sur la concurrence (Loi) pour qu un avis doive obligatoirement être remis au Bureau de la concurrence (Bureau) avant la clôture de l opération d acquisition. Néanmoins, le 26 janvier 2011, le Bureau s est adressé au Tribunal pour s opposer à l acquisition de Complete par Tervita. Dans sa demande, le Bureau alléguait que l opération empêchait sensiblement la concurrence en empêchant un concurrent de Tervita de construire et d exploiter un site d enfouissement à Babkirk. Tervita soutenait quant à elle que Complete n aurait pas construit de site d enfouissement de déchets dangereux à Babkirk, mais y aurait plutôt exploité une installation de biorestauration qui n aurait pas fait concurrence aux sites d enfouissement de Tervita situés dans la région. Le 29 mai 2012, le Tribunal a tranché en faveur de la commissaire et a ordonné à Tervita de se départir du site de Babkirk. Le Tribunal a conclu que, sans le fusionnement, Complete aurait exploité une installation de biorestauration, mais que celle-ci aurait fait faillite avant un an et que Complete aurait donc construit et exploité un site d enfouissement à Babkirk (ou vendu le site à un tiers qui l aurait exploité pour l enfouissement). Le Tribunal a affirmé que ce site d enfouissement aurait fait concurrence directement aux sites d enfouissement sécuritaires exploités par Tervita dans le nord-est de la Colombie-Britannique, de sorte que l acquisition constituait un fusionnement qui permettrait selon toute vraisemblance à Tervita de continuer d exercer une puissance commerciale beaucoup plus importante et qui aurait vraisemblablement pour effet d empêcher sensiblement la concurrence. Le Tribunal a rejeté la défense de Tervita selon laquelle, conformément à la défense fondée sur les gains d efficience prévue à l article 96 de la Loi, le fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d entraîner des gains d efficience qui surpassent les effets anticoncurrentiels. Tervita a porté cette décision en appel devant la CAF. La CAF a confirmé la décision du Tribunal et maintenu l ordonnance faite à Tervita de se dessaisir du site de Babkirk en raison du fait que l opération aurait vraisemblablement entraîné une diminution sensible de la concurrence. La CAF a souscrit à la démarche suivie par le Tribunal, soit d analyser le rendement futur de l entreprise acquise selon différents scénarios pour conclure qu en fin de compte, l entreprise acquise aurait fait concurrence à celle de l acquéreur, de telle sorte que l acquisition supprimait un concurrent en devenir et avait vraisemblablement pour effet de diminuer sensiblement la concurrence. Tervita a demandé l autorisation d en appeler à la CSC, demande qui a été accueillie. Arrêt de la CSC L arrêt de la CSC s est surtout penché sur les deux principales questions suivantes : quel est le critère à appliquer pour déterminer si un fusionnement a pour effet d empêcher sensiblement la concurrence; et comment faut-il envisager la défense fondée sur les gains en efficience.

PAGE 3 Analyse de l empêchement de la concurrence La CSC a conclu que, pour déterminer si un fusionnement aura vraisemblablement pour effet d empêcher sensiblement la concurrence, il faut déterminer le concurrent éventuel, la probabilité qu il entre dans le marché en l absence du fusionnement et la probabilité qu il y ait un effet sensible 2. La première étape consiste à déterminer l entreprise que le fusionnement empêcherait d entrer dans le marché de manière indépendante (c.-à-d. le concurrent éventuel). La CSC a indiqué que, dans la plupart des cas, le concurrent éventuel est soit l entreprise acquise, soit l entreprise effectuant l acquisition. La seconde étape nécessite une analyse de l état du marché n eût été le fusionnement. Il faut déterminer si, en l absence du fusionnement, le concurrent éventuel serait vraisemblablement entré dans le marché visé et, dans l affirmative, si son entrée aurait vraisemblablement eu un effet sensible sur le marché. En ce qui concerne la première partie de cette étape, la CSC a jugé que n importe quel fait susceptible d influer sur la pénétration du marché à l égard duquel une preuve a été produite devrait être pris en compte, par exemple les plans et éléments d actif du concurrent éventuel, la conjoncture du marché actuelle et attendue et d autres facteurs énumérés à l article 93 de la Loi 3. De plus, la cour a confirmé la décision de la CAF selon laquelle, pour évaluer la pénétration éventuelle du marché, il ne faut pas limiter l analyse à la période où le fusionnement a eu lieu, mais bien tenir compte des événements futurs qui se produiront vraisemblablement après le fusionnement. La CSC a en outre confirmé les lignes directrices établies par la CAF quant à la période visée par cette analyse prospective. Ces lignes directrices établissent expressément que la pénétration éventuelle du marché doit se produire dans un délai raisonnable. Si le Tribunal conclut qu en l absence du fusionnement, le concurrent éventuel serait vraisemblablement entré dans le marché pertinent dans un délai discernable, il lui faut ensuite déterminer si cette entrée aurait vraisemblablement eu un effet sensible sur la concurrence. Pour évaluer cet effet, la CSC a affirmé qu il fallait évaluer différentes dimensions de la concurrence, notamment le prix et les extrants, de même que les facteurs énumérés à l article 93 de la Loi 4. En appliquant ces critères à l analyse des faits, la CSC a confirmé la décision du Tribunal selon laquelle le fusionnement aurait vraisemblablement eu pour effet d empêcher sensiblement la concurrence. Le Tribunal a identifié correctement Complete comme étant le concurrent éventuel. De même, il a bien utilisé l analyse prospective de l état du marché «n eût été» le fusionnement pour déterminer qu en l absence du fusionnement, Complete serait entrée sur le marché visé d une manière suffisante pour livrer concurrence à Tervita. Par conséquent, la CSC a jugé que le fusionnement aurait vraisemblablement pour effet d empêcher sensiblement la concurrence. Défense fondée sur les gains en efficience La CSC s est ensuite penchée sur la défense fondée sur les gains en efficience, laquelle commande une analyse visant à déterminer si les gains en efficience résultant du fusionnement surpassent les effets anticoncurrentiels du fusionnement. La cour a réitéré que la commissaire avait le fardeau de prouver les effets anticoncurrentiels et que les parties au fusionnement avaient le fardeau de prouver que les gains en efficience surpassaient et neutralisaient ces effets anticoncurrentiels. Tervita a soutenu que la commissaire avait le fardeau de quantifier tous les effets anticoncurrentiels qui pouvaient l être. La commissaire ne l ayant pas fait, elle ne s était pas acquittée du fardeau que lui impose l article 96. La CSC a donné raison à Tervita sur ce point et a conclu que le fardeau légal qui incombait à la commissaire consistait à «quantifier tous les effets anticoncurrentiels quantifiables qui servir[aient] de fondement à la décision 5». Étant donné que la commissaire n a pas fourni de preuve quant à la quantification des effets anticoncurrentiels du fusionnement (c.-à-d. la mesure de la perte sèche associée au fusionnement), la CSC a jugé qu elle ne s était pas acquittée du fardeau de la preuve lui incombant en vertu de l article 96 de la Loi, de telle sorte qu une pondération nulle devait être attribuée aux effets anticoncurrentiels du fusionnement. La CSC a alors étudié la décision de la CAF selon laquelle il fallait des gains en efficience plus que négligeables pour que la défense fondée sur les gains en efficience s applique. La CSC a rejeté cette conclusion, indiquant que «[s] il avait eu l intention de fixer un seuil à cet égard, le législateur aurait pu le prévoir expressément dans la loi 6». Par

PAGE 4 conséquent, il a été jugé que l article 96 exige une analyse qui constitue un exercice de pondération dans le cadre duquel les gains en efficience établis doivent être comparés aux effets anticoncurrentiels établis 7. Si aucun effet anticoncurrentiel n est établi, des gains en efficience même «négligeables» suffiront pour que les parties au fusionnement puissent invoquer avec succès la défense fondée sur les gains en efficience. En appliquant ce critère aux faits, la CSC a conclu que Tervita avait réussi à prouver des gains en efficience quantifiables «liés à la baisse des coûts indirects» résultant du regroupement des fonctions administratives et opérationnelles des parties au fusionnement. Bien que ces gains en efficience fussent «négligeables», ils respectaient néanmoins la condition de surpassement et de neutralisation prévue à l article 96 puisque la commissaire n avait pas établi d effets anticoncurrentiels quantifiables ou qualitatifs. Par conséquent, la CSC a conclu que la défense fondée sur les gains en efficience s appliquait et a autorisé l appel de Tervita, de sorte que l ordonnance de dessaisissement a été annulée et que la demande de la commissaire en vertu de l article 92 a été rejetée. Incidences Dans une déclaration qu il a faite après l arrêt, le commissaire a «accueilli positivement» l arrêt, s est «ralli[é] aux éclaircissements» qu il fournit quant à l application des dispositions relatives à l examen des fusionnements et s est déclaré «heureux» que la CSC ait confirmé les décisions du Tribunal et de la CAF sur la question de savoir si la fusion aurait eu pour effet d empêcher sensiblement la concurrence. On peut s attendre à ce que le Bureau continue d appliquer sa théorie de la prévention de la concurrence en la considérant comme justifiée dans les affaires futures. On peut également s attendre à ce que le commissaire s assure, dans les cas où la défense fondée sur les gains en efficience sera invoquée, de présenter une preuve des effets anticoncurrentiels allégués. Il est donc probable que le commissaire demandera des données économiques plus détaillées aux parties effectuant une fusion dans le cadre du processus de demande de renseignements complémentaires et que les économistes du Bureau auront fort à faire pour traiter tous les chiffres de manière à appuyer les équipes de travail affectées aux affaires de fusionnement. Cette affaire nous rappelle aussi que le Bureau ne se gênera pas pour examiner les fusions dont le montant est inférieur aux seuils de notification préalable à une fusion qui sont établis dans la Loi. Comme le déclarait l ex-commissaire Melanie Aitken, «[l]e volume des affaires n est pas le seul facteur en cause dans l examen des fusions. Nous sommes prêts à nous attaquer à tous les cas d empêchement de la concurrence, quelle que soit l ampleur des transactions». Les parties à une fusion doivent être conscientes de ce fait et ne pas se contenter d examiner les seuils établis aux fins du processus de notification avant de mettre fin à leur analyse de la concurrence. Le dossier de la preuve dans cette affaire s est révélé problématique pour Tervita. Le Tribunal s est fié à la documentation interne de Tervita et de Complete pour conclure que l entreprise de biorestauration échouerait et que l entrée éventuelle de Complete dans le marché des sites d enfouissement sécuritaires du nord-est de la Colombie- Britannique causerait des difficultés financières à Tervita et entraînerait une réduction des prix exigés des clients sur ce marché. Les parties à une fusion doivent savoir que le Bureau demandera toute la documentation interne pertinente pour appuyer ses prétentions. Cet arrêt constitue donc un précieux rappel de la nécessité, pour les entreprises, de mettre en œuvre un programme de conformité à la législation sur la concurrence qui comprend de la formation sur l étendue des pouvoirs d enquête du Bureau et sur l importance de faire preuve de prudence au moment de la rédaction de rapports portant sur d éventuelles opérations. Kevin Ackhurst Bradley K. Schneider

PAGE 5 Notes 1 2 3 4 5 6 7 Tervita Corp. c Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3 [Tervita]. Tervita au para 60. Tervita au para 67. Tervita aux para 78 et 79. Tervita au para 124. Tervita au para 151. Tervita au para 153. Pour plus de renseignements sur le sujet abordé dans ce bulletin, veuillez communiquer avec l un des avocats mentionnés ci-dessous : > Denis Gascon Montréal +1 514.847.4435 denis.gascon@nortonrosefulbright.com > Richard A. Wagner Ottawa +1 613.780.8632 richard.wagner@nortonrosefulbright.com > Kevin Ackhurst Toronto +1 416.216.3993 kevin.ackhurst@nortonrosefulbright.com > John P. Carleton Calgary +1 403.267.9406 john.carleton@nortonrosefulbright.com Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l., Norton Rose Fulbright LLP, Norton Rose Fulbright Australia, Norton Rose Fulbright South Africa Inc. et Norton Rose Fulbright US LLP sont des entités juridiques distinctes, et toutes sont membres du Verein Norton Rose Fulbright, un Verein suisse. Le Verein Norton Rose Fulbright aide à coordonner les activités des membres, mais il ne fournit aucun service juridique aux clients. Les mentions de «Norton Rose Fulbright», du «cabinet», du «cabinet d avocats» et de la «pratique juridique» renvoient à un ou à plusieurs membres de Norton Rose Fulbright ou à une de leurs sociétés affiliées respectives (collectivement, «entité/entités Norton Rose Fulbright»). Aucune personne qui est un membre, un associé, un actionnaire, un administrateur, un employé ou un consultant d une entité Norton Rose Fulbright (que cette personne soit décrite ou non comme un «associé») n accepte ni n assume de responsabilité ni n a d obligation envers qui que ce soit relativement à cette communication. Toute mention d un associé ou d un administrateur comprend un membre, un employé ou un consultant ayant un statut et des qualifications équivalents de l entité Norton Rose Fulbright pertinente. Cette communication est un instrument d information et de vulgarisation juridiques. Son contenu ne saurait en aucune façon être interprété comme un exposé complet du droit ni comme un avis juridique de toute entité Norton Rose Fulbright sur les points de droit qui y sont discutés. Vous devez obtenir des conseils juridiques particuliers sur tout point précis vous concernant. Pour tout conseil ou pour de plus amples renseignements, veuillez vous adresser à votre responsable habituel au sein de Norton Rose Fulbright. Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l. 2015