INSUFFISANCE CARDIAQUE CHRONIQUE



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Transcription:

Département de médecine communautaire de premier recours et des urgence Service de médecine de premier recours INSUFFISANCE CARDIAQUE CHRONIQUE SOMMAIRE 1. INTRODUCTION 2. APPROCHE CLINIQUE 3. STRATEGIE DIAGNOSTIQUE 4. STRATEGIE THERAPEUTIQUE 5. LES POINTS IMPORTANTS A RETENIR 6. BIBLIOGRAPHIE

INSUFFISANCE CARDIAQUE CHRONIQUE 1 INTRODUCTION 1.1 Définition L insuffisance cardiaque (IC) est un syndrome clinique qui résulte de l incapacité de la pompe cardiaque à se remplir ou à se vider de manière adéquate, entraînant une diminution de la perfusion périphérique et une surcharge volémique systémique et pulmonaire par des mécanismes neuro-hormonaux compensateurs complexes. 1.2 Epidémiologie En Europe, la prévalence de l IC dans la population générale est de 1 à 2%, augmentant jusqu à 15% après 75 ans. En Suisse, on compte environ 100 000 patients atteints d IC avec une incidence estimée à 20'000 cas/an. Malgré les progrès thérapeutiques récents, le pronostic global des patients reste relativement sombre avec un taux de mortalité de l ordre de 50% à 4 ans. L IC due à une atteinte ischémique a un pronostic particulièrement mauvais. De ce fait, il est important de rechercher la présence d une ischémie myocardique réversible en vue d une revascularisation coronarienne. 2 APPROCHE CLINIQUE 2.1 Diagnostic Pour diagnostiquer une IC, la triade suivante doit être présente : Symptômes : dyspnée, orthopnée, dyspnée paroxystique nocturne, fatigue, OMI Signes : OMI, TJ, RHJ, râles pulmonaires, épanchement pleural, hépatomégalie, ascite, cachexie, tachycardie, tachypnée, oligurie, hypota, hypoperfusion périphérique Anomalies objectives structurelles ou fonctionnelles du cœur au repos : cardiomégalie, B3, souffle cardiaque, échocardiographie anormale, élévation du BNP ou du NT-proBNP On distingue l IC à fraction d éjection du ventricule gauche (FEVG) préservée (de >40% à >50% selon les références) et l IC à FEVG abaissée. Les termes dysfonction «diastolique» ou «systolique» ont été abandonnés car ces deux anomalies coexistent quelle que soit la FEVG. 2.2 Causes d IC Le syndrome d IC peut être causé par des atteintes du péricarde, du myocarde, de l endocarde ou encore des gros vaisseaux, mais dans la plupart des cas, une atteinte du myocarde du ventricule gauche en est responsable (tableau 1). La maladie coronarienne est responsable d environ 70% des IC, l hypertension de 20-30% ; les cardiomyopathies de 10%. Aux causes mentionnées ci-dessus, on peut ajouter les valvulopathies, responsables de 10% des IC et les tachyarythmies. HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 2

Maladie coronarienne Hypertension Cardiomyopathies Médicaments Toxiques Causes endocrines Causes nutritionnelles Maladies infiltratives Autres Manifestations diverses Souvent associée à une hypertrophie du VG et une FEVG conservée Héréditaires/congénitales ou non Hypertrophique, dilatée, restrictive, arythmogène du VD et non classifiées (non compaction ventriculaire gauche et cardiomyopathie de Takotsubo) Anticalciques, antiarythmiques, cytotoxiques Alcool, cocaïne, mercure, cobalt, arsenic Diabète, hyper-/hypothyroïdie, syndrome de Cushing, insuffisance surrénalienne, excès d hormone de croissance, phéochromocytome Déficit en thiamine, sélénium et carnitine Obésité, cachexie Sarcoïdose, amyloïdose, hémochromatose, connectivites Maladie de Chagas, HIV, cardiomyopathie péripartum, insuffisance rénale terminale Tableau 1 : Causes fréquentes d insuffisance cardiaque due à une maladie myocardique 2.3 Clinique et classifications fonctionnelles Stade A À risque de développer une IC Pas de symptôme, ni signe, ni anomalie structurelle ou fonctionnelle Stade B Anomalies structurelles, mais sans symptôme ni signe d IC Stade C IC symptomatique avec anomalies structurelles sous jacentes Stade D Anomalies structurelles avancées avec symptômes sévères au repos malgré ttt optimal NYHA I Pas de limitation de l activité physique même à l effort important NYHA II Limitation uniquement aux efforts importants (par exemple, marche en montagne) NYHA III Limitation pour l activité quotidienne (p.ex marche en ville) NYHA IV Limitation aux efforts peu importants (p.ex en se lavant) ou au repos Tableau 2 : classification fonctionnelles des IC 3 STRATEGIE DIAGNOSTIQUE En cas de suspicion clinique d IC ou de dysfonction ventriculaire gauche les examens initiaux à effectuer sont : un ECG, une radiographie de thorax et un dosage du BNP ou NT-proBNP. Si ces examens sont normaux, la fonction cardiaque/ventriculaire gauche est très probablement normale. En cas d anomalie d un de ces tests, l échocardiographie est indiquée : -Normale, elle nous rassure sur la fonction cardiaque/ventriculaire gauche. -Anormale, elle nous conduira à clarifier l étiologie de cette IC, à la quantifier, à déterminer les facteurs aggravants, à déterminer le type de dysfonction et orientera la mise en place d une thérapie. Les signes recherchés ces différents examens sont résumés ci-dessous : ECG : peu spécifique de l IC. Permet de mettre en évidence : ancien infarctus, ischémie aiguë, hypertrophie du VG, trouble du rythme ou de conduction. HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 3

Radiographie du thorax (antéropostérieure et profil) : cardiomégalie, lignes de Kerley, redistribution, ailes de papillon, épanchement pleural, infection. Laboratoire : NT-proBNP * TSH FSC, CRP Urines (protéines, glucose) Na, K, Ca, Mg, Selon anamnèse : Test HIV, Créatinine, GFR, tests hépatiques recherche hémochromatose, Glucose, tests lipidiques phéochromocytome, amyloïdose, Troponines (si suspicion de maladie rhumatismale myocardite ou ischémie) *NT-proBNP : importante valeur prédictive négative. Utilité non prouvée dans le monitoring thérapeutique mais une valeur restant élevée malgré un ttt optimal signe un mauvais pronostic : <400 pg/ml : ICC peu probable 400-2000 pg/ml : diagnostic incertain >2000 pg/ml : ICC probable Diagnostic différentiel du NT-proBNP élevé : hypertrophie du VG, tachycardie, surcharge du VD, ischémie myocardique, hypoxémie, insuffisance rénale, cirrhose, sepsis, embolie pulmonaire, BPCO, sexe féminin, > 60ans. Le NT-proBNP est abaissé chez les obèses. Echocardiocardiographie -Ventricule gauche (dimension, hypertrophie, FEVG, cinétique régionale, fonction diastolique, estimation des pressions de remplissage ventriculaires gauches). -Ventricule droit (dimension, fonction systolique, estimation des pressions artérielles pulmonaires, estimation des pressions de remplissage ventriculaires droites). -Structure et fonction des valves. -Structure et fonction du péricarde. Autres -Ergométrie ± mesures des échanges gazeux : à la recherche de signes d ischémie à l effort et pour déterminer la tolérance à l effort -IRM : Gold Standard pour explorer volumes, masses cardiaques et mouvements de paroi Avec injection de gadolinium pour explorer infiltration, inflammation et cicatrices. -Angio-CT : pour l étude des coronaires. -Scintigraphie myocardique : pour rechercher des signes d ischémie myocardique et étudier la viabilité de segments akinétiques. -Holter : recherche de TV non soutenue, fréquente en cas d IC, et de mauvais pronostic -Test de marche de 6 minutes : pour le suivi de la capacité fonctionnelle. -Cathétérisme cardiaque : coronarographie et ventriculographie si anamnèse d angor d effort, si suspicion de dysfonction du VG d origine ischémique, post ACR, ou si profil de FRCV hautement à risque (revascularisation améliore la survie et les symptômes chez les IC avec angor) cathétérisme cardiaque droit utile lors de choc cardiogène/non cardiogène d origine peu claire et répondant mal au traitement. -Biopsie endomyocardique pour les IC d origine indéterminée (en particulier si processus infiltratif ou inflammatoire suspecté). -Oxymétrie et polysomnographie si suspicion d apnée du sommeil. -Fonctions pulmonaires : pour le diagnostic différentiel de la dyspnée 4 STRATEGIE THERAPEUTIQUE Le but du traitement est de diminuer les symptômes, améliorer la qualité de vie, prévenir et traiter les facteurs ayant précipité ou aggravé l insuffisance cardiaque (maladie coronarienne, HTA, FA, obésité, anémie, infection), prévenir la progression de la maladie et ses complications, prolonger la vie et améliorer le pronostic. HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 4

Selon la littérature, 20-60% des patients n adhèrent pas à leur prise en charge pharmacologique et non pharmacologique. 4.1 Approche non pharmacologique Les patients devraient connaître les causes de l insuffisance cardiaque et de leurs symptômes, savoir les reconnaître et consulter en cas de prise pondérale rapide ( 2kg en 3j) ou d aggravation des symptômes. Il faut enseigner l utilité de chaque ttt et ses effets secondaires, encourager l arrêt du tabac, le bon contrôle des glycémies chez les diabétiques et de la TA chez les hypertendus (auto-contrôles de la TA et du pouls), la baisse de poids chez les obèses (et le maintien d un poids stable chez les IC modérés à sévères). Eviter les longs voyages en avion pour les NYHA III-IV (risque de déshydratation, d augmentation des OMI et de thrombose veineuse). Il faut décourager les voyages dans les pays chauds et humides ainsi que les séjours à une altitude de plus de 1500 m. Les patients avec IC devraient recevoir la vaccination antigrippale chaque année et antipneumococoque tous les 7 ans. La restriction en sel à 5-6 gr/jour et en liquide à 1,5-2L/24h devrait être recommandée en cas d IC sévère. Les boissons alcoolisées ne devraient pas excéder 20g/j chez les femmes et 30g/j chez les hommes (inotrope négatif, hypertenseur, proarythmique). Elles doivent être évitées si elles sont la cause de la cardiomyopathie. L exercice physique modéré et régulier doit être encouragé. L activité sexuelle peut être poursuivie et les inhibiteurs de la PDE-5 peuvent être prescrits chez les NYHA <3 (contre-indiqués en combinaison avec les nitrés). Prendre en charge les apnées du sommeil est également bénéfique. Les femmes insuffisantes cardiaques devraient éviter la grossesse. 4.2 Approche pharmacologique 4.2.1 Traitements recommandés Les patients asymptomatiques avec une FEVG abaissée devraient en tous cas recevoir un IEC. Leur maladie de base et les facteurs de risque cardiovasculaires doivent être traités. Les options possibles sont résumées dans le tableau 3. 4.2.1.1 Les inhibiteurs de l enzyme de conversion (IEC) -Effets (E) : amélioration de la fonction ventriculaire et du bien-être, baisse des hospitalisations pour acutisation (RRR 26%) et de la mortalité (RRR 27%), NNT 22 pour éviter 1 décès (NNT 7 dans les cas d IC sévère). Néphroprotection, diminution du risque de nouveau diabète de type 2, de fibrillation auriculaire et de syndrome coronarien aigu. -Contre-indications (CI) : angioedème, sténose bilatérale de l artère rénale, Kaliémie >5 mmol/l, créatinine >220 µmol/l, sténose aortique. -Suivi (S) : Créatininémie et Kaliémie avant l introduction puis à 1-2 semaines après introduction. Augmenter la dose après 2-4 semaines -Contrôler créatininémie et kaliémie à 1-2 semaines de l augmentation de dose, puis tous les 3-6 mois à la dose d entretien. Si créatinine augmente <50% : stopper les autres ttt néphrotoxiques (AINS p.ex) si <50% d augmentation de la créat ou <265 µmol/l : maintenir la dose d IEC si 265< créat <310 µmol/l : baisser l IEC de moitié si >310 µmol/l : stop IEC Si kaliémie augmente: stop autres ttt en cause si >5,5 mmol/l : baisser IEC de moitié HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 5

si >6 mmol/l : stop IEC -Effets indésirables (EI) : hypotension : baisser les diurétiques et autres antihypertenseurs ; toux : passer aux antagonistes des récepteurs de l angiotensine 4.2.1.2 Antagonistes des récepteurs de l angiotensine (ARA) -E : améliorent la FEVG, le bien-être, diminuent les hospitalisations (RRR jusqu à 24%) et la mortalité (RRR 17%) -CI : idem aux IEC sauf angioedème ; patient sous IEC et antagonistes de l aldostérone -I : insuffisance rénale, hyperkaliémie -S : idem IEC -EI : idem IEC sauf toux 4.2.1.3 β-bloquants (BB) -E : améliorent la fonction ventriculaire, le bien-être, diminuent les hospitalisations (RRR 28-36%) et la mortalité (RRR 34%) -CI : asthme, BAV 2 et 3 e degrés, dysfonction sinusale, bradycardie <50/min. -EI : hypotension orthostatique (passager)= baisser les autres anti-hta (sauf IEC/ARA) ; aggravation de l IC = augmenter les diurétiques et maintenir les BB ; bradycardie ECG, arrêt des digitaliques, baisse des BB -S : commencer à petites doses dès la phase aiguë résolue ; doubler la dose chaque 2-4 semaines en absence de bradycardie, décompensation ou hypotension symptomatique. 4.2.1.4 Diurétiques -E : réduisent la surcharge volémique pulmonaire et périphérique et les symptômes. -I : 1 ère intention : diurétiques de l anse (furosémide 20-40mg/j, dose max 240mg/j en 1-2 prises, ou torasémide 5-10mg/j, dose max 200 mg/j en 1 prise) en cas de d insuffisance cardiaque modérée à sévère. Si oedèmes résistants, rajouter thiazidiques ou métolazone (association très prudente 1-2x/semaine, 2,5 mg au début) Les thiazidiques sont inefficaces en cas de clearance à la créatinine <30 ml/min. -S : monitorer natrémie, kaliémie, magnésiémie et créatininémie Augmenter la dose peu à peu jusqu au soulagement des symptômes. Baisser la dose dès que le poids cible est atteint 4.2.1.5 Antagonistes de l aldostérone -I : spironolactone et éplérénone ne se combinent pas avec IEC et ARA -E : diminuent les hospitalisations (RRR 35%), améliorent la survie si associés aux BB et IEC/ARA (RRR 30%). Effet équipotent des 2 molécules en terme de dose -CI : kaliémie >5 mmol/l, créatininémie >220 µmol/l, prise de diurétiques d épargne potassique ou de K, prise concomitante d IEC et ARA -S : Commencer à dose faible (25mg), doser créatininémie, natrémie et kaliémie avant introduction, à 1 et 4 sem. ; augmenter dose après 4-8 sem. (50mg) et doser créatininémie, natrémie et kaliémie à 1 et 4 sem. à 2-3 et 6 mois puis chaque 6 mois -EI : hyperkaliémie : si >5,5 mmol/l : baisser dose de moitié ; si >6 mmol/l : stop Péjoration de l insuffisance rénale : si créatininémie >220 µmol/l : baisser dose de moitié ; si >310 µmol/l : stop. Gynécomastie : passer à éplérénone 4.2.1.6 Nitrés : dinitrate d isosorbide et hydralazine -I : efficacité mieux démontrée chez les Afro-Américains en classe NYHA III. -E : baissent la mortalité, diminuent les hospitalisations et améliorent la FEVG. Diminuent la dyspnée nocturne et à l effort -CI : hypota symptomatique, syndrome lupique, IR sévère. HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 6

-S : commencer à petites doses et augmenter après 2-4 semaines -EI : Hypotension (passager) ; céphalées ; arthralgies, myalgies, pleuro-péricardite, rash et fièvre = syndrome lupique = stop 4.2.1.7 Digoxine -E : améliore la FEVG, le bien-être et diminue les hospitalisations mais n améliore pas la survie. A n envisager chez les IC en rythme sinusal qu en cas de persistance de symptômes malgré le traitement IEC/ARA, antagonistes aldostérone, BB et diurétiques. -CI : BAV 2 ème et 3 ème degré sans pacemaker ; syndrome de pré-excitation ; intolérance à la digoxine. Ne devrait pas être utilisé chez les patients asymptomatiques mais présentant une baisse de le FEVG et en rythme sinusal, en raison d un mauvais rapport risque/bénéfice. -S : dose initiale et de maintien de 0,125 à 0,25mg/j (voire 0,125 mg 1j/2 si > 70 ans, chez les insuffisants rénaux et chez les patients très minces) ; digoxinémie à suivre (but 0.6-1.3 nmol/l) : CAVE interactions médicamenteuses avec amiodarone, diltiazem, vérapamil, clarithromycine et érythromycine, quinidine -EI : Bloc AV et SA. Risque d arythmie ventriculaire et atriale (en particulier en cas d hypokaliémie, hypomagnésiémie ou hypothyroïdie). En cas de surdosage : confusion, nausées, anorexie, dyschromatopsie NYHA I NYHA II NYHA Remarques III-IV IEC + + + ARA si intolérance + + + IEC ARA au lieu des IEC - + (+) β-bloquants + + + Spironolactone - - + Eplérénone - + - Après infarctus, à préférer à la spironolactone Diurétiques - + + Symptomatique Digoxine - + + Symptomatique Nitrés - (+) + Symptomatique Pacemaker de resynchronisation Défibrillateur implantable - (+)a + QRS >120ms. lors indication à défibrillateur et en présence de BBG +b + + Réduit la mort subite chez les FE 30% b en cas d ATCD de mort subite/tv. Au plus tôt 40j après infarctus Transplantation - - + Tableau 3. Thérapie recommandée selon le stade d IC HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 7

Dose initiale (mg/j) Dose cible (mg/j) IEC Captopril 3 x 6,25 3 x 50 Enalapril 2 x 2,5 2 x 10-20 Lisinopril 1 x 2,5-5 1 x 20-40 Perindopril 1 x 2 1 x 8 Ramipril 1-2 x 1,25 2 x 5 Trandolapril 1 x 0,5-1 1 x 4 Sartans Candésartan 1 x 4 1 x 16-32 Losartan 1-2 x 25 2-3 x 50 Valsartan 2 x 20-40 2 x 160 β-bloquants Bisoprolol 1 x 1,25 1 x 10 Carvédilol 1-2 x 3,25 2 x 25 Métoprolol 1 x 25 1 x 200 Nébivolol 1 x 1,25 1 x 10 Antagonistes aldostérone Spironolactone 1 x 12,5-25 max 1 x 50 Eplérénone 1 x 25 1 x 50 Tableau 4. Médicaments utiles dans l IC et leurs dosages 4.2.2 Médicaments contre-indiqués AINS, anticalciques non-dihydropyridine et anti-arythmiques sauf l amiodarone. 4.2.3 Prise en charge de l IC à FEVG conservée Aucun traitement spécifique n a été démontré efficace pour réduire la morbidité et la mortalité. Il faut donc traiter les symptômes et signes congestifs par diurétiques (prudemment pour éviter une baisse de la précharge et donc des volumes ventriculaires et du débit cardiaque), traiter l HTA et l ischémie myocardique lorsque présentes et diminuer la fréquence cardiaque (BB et anticalciques) pour augmenter le temps de remplissage ventriculaire et éviter les tachyarythmies. Il semblerait que les inhibiteurs du système rénine-angiotensine-aldostérone apportent un bénéfice sur le remplissage ventriculaire et favorisent la régression de l hypertrophie et de la fibrose myocardique 4.2.4 Autres interventions thérapeutiques Coronarographie +/- PTCA-stent ou pontage aortocoronarien chez les patients avec indice clinique ou paraclinique de maladie coronarienne. Chirurgie valvulaire chez les patients IC avec valvulopathie péjorant l IC, en particulier pour sténose aortique et régurgitation aortique. Pacemaker biventriculaire ou thérapie de resynchronisation cardiaque Le principe de la resynchronisation cardiaque est de réduire l asynchronisme de contraction intraventriculaire gauche et interventriculaire ainsi que d obtenir un délai optimal de contraction entre les oreillettes et les ventricules. La resynchronisation améliore FEVG et baisse la régurgitation mitrale. Cliniquement, elle améliore la capacité fonctionnelle, diminue les symptômes d IC, les hospitalisations et la mortalité. Indication : NYHA III-IV malgré traitement médicamenteux optimal, FEVG 35%, rythme sinusal, QRS 120ms. HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 8

L indication chez les mêmes patients, mais en fibrillation auriculaire reste discutée. Une récente étude (MADIT-CRT) a démontré les bénéfices d une resynchronisation même chez des patients en classe NYHA I-II avec FEVG 30% et un QRS 130 ms. Défibrillateur Réduit le risque de mort subite chez des patients IC sélectionnés. Indication : en prévention primaire : NYHA II-III, FEVG 35% malgré traitement médicamenteux optimal et espérance de vie d au minimum 1 an en bon état fonctionnel. Le défibrillateur ne devrait pas être posé moins de 40 jours après un infarctus ou moins de 3 mois après introduction d un traitement médicamenteux. En prévention secondaire: antécédent d arrêt cardiaque, de fibrillation ventriculaire ou de tachycardie ventriculaire hémodynamiquement instable. Transplantation cardiaque/assistances ventriculaires Dernier recours chez les insuffisants cardiaques sévères avec peu de comorbidités 5 LES POINTS IMPORTANTS A RETENIR La maladie coronarienne est la cause la plus fréquente d IC : il est important de la rechercher, d autant plus qu elle est traitable. Les IEC, les bétabloquants et les diurétiques de l anse devraient être utilisés en 1 e ligne chez tous les patients IC sauf en cas d intolérance. L introduction d antagonistes de l aldostérone, d ARA en combinaison avec les IEC, de digoxine ou de la combinaison hydralazine/nitrés est à envisager en 2 e ligne chez les IC avec persistance de symptômes. Chez les patients avec une dysfonction ventriculaire gauche sévère (FEVG 35%) symptomatique et persistante, un défibrillateur implantable est indiqué ainsi qu une resynchronisation cardiaque lorsque le QRS est large ( 120 ms). La mesure quotidienne du poids, la restriction sodée (5-6g/j) et l adhérence au traitement pharmacologique sont les 3 informations de base à rappeler aux patients à chaque consultation. L exercice physique d intensité modérée est recommandé chez tous les patients IC stables. 6 BIBLIOGRAPHIE - ESC Guidelines for the Diagnosis and Treatment of acute and chronic Heart Failure 2008, The Task Force for the Diagnosis and Treatment of Acute and Chronic Heart Failure 2008 of the European Society of Cardiology. Developed in collaboration with the Heart Failure Association of the ESC (HFA) and endorsed by the European Society of Intensive Care Medicine (ESICM) European Heart Journal (2008) 29, 2388-2442 - 2009 Focused Update Incorporated into the ACC/AHA 2005 Guidelines for the Diagnosis and Management of Heart Failure in Adults, A Report of the American College of Cardiology Foundation/American Heart Association Task Force on Practice Guidelines. Circulation, Journal of the American Heart Association, 2009; 119; e391-e479 - Recommandations pratiques pour le diagnostic et la prise en charge de l insuffisance cardiaque. 1 e partie : prise en charge ambulatoire, Groupe de travail «insuffisance cardiaque» de la Société Suisse de Cardiologie, Forum Med Suisse 2007 ; 7 (suppl 39) - John, J.V. McMurray, Systolic Heart Failure, NEJM 2010; 362: 228-238 HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 9

Date de la première édition : 15 mars 1998 par J. Sztajzel Date de la 1ère mise à jour : 29 janvier 2001 par J. Sztajzel et H. Stalder Date de la 2 ème mise à jour : 13 décembre 2002 par J. Sztajzel et H. Stalder Date de la 4 ème mise à jour, 2010 par D. Pignat, P. Meyer, M. Kossovsky Pour tout renseignement, commentaire ou question : marie-christine.cansell@hcuge.ch HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 10

Annexe : algorithme thérapeutique de l insuffisance cardiaque selon McMurray Diurétiques + IEC (ou ARA) Doses à adapter pour stabilisation clinique Béta-bloquants Persistance de signes ou symptômes? Oui Non Ajouter antagonistes de l aldostérone ou ARA ; chez les patients de couleur, envisager hydralazine-dinitrate d isosorbide Symptômes persistants? Oui Non QRS 120 ms? FEVG 35%? Oui Non Oui Non Envisager pacemaker de resynchronisation avec ou sans défibrillateur Envisager digoxine, assistance ventriculaire gauche ou transplantation cardiaque Envisager défibrillateur Pas d autre ttt nécessaire HUG - DMCPRU Service de médecine de premier recours Page 11