Plan de sauvetage chypriote Ou la revanche des oligarques
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- André Normand
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1 David Benamou david.benamou@axiom-ai.com Philip Hall p.hall@axiom-ai.com Adrian Paturle adrian.paturle@axiom-ai.com Plan de sauvetage chypriote Ou la revanche des oligarques du 16 mars 2013 "Les c***, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnaît", Michel Audiard, Les Tontons Flingueurs. Qu'ont en commun la catastrophe chimique de Bhopal, l'explosion de Tchernobyl, celle de Challenger, le naufrage de l'exxon Valdez et le bailout de Chypre? Réponse: le sommeil ou, plus précisément, les tragiques erreurs de jugement commises en pleine nuit par ceux qui n'ont pas assez dormi. Que le lecteur nous pardonne le parallèle ainsi hâtivement dressé entre des drames dont les ampleurs sont difficilement comparables, mais on ne peut que s'interroger : malgré la myriade d'études médicales confirmant ce risque, les dirigeants européens s'obstinent à prendre les décisions les plus importantes pour la zone Euro entre minuit et quatre heures du matin. Comprenne qui pourra, mais il ne faut s'étonner de la bêtise de certains choix. 1. Le plan de sauvetage Le plan annoncé dans la nuit de vendredi à samedi pour renflouer les finances chypriotes peut se résumer comme suit : Un financement public de 10Mds, essentiellement pour recapitaliser les banques qui ont été mises en quasi-faillite par les décisions de l'eurogroupe sur la Grèce. La participation du FMI reste incertaine. La dette publique chypriote doit redescendre à 100% d'ici à Hausse du taux d'impôt sur les sociétés de 10% à 12.5% (ça laisse rêveur...). Participation attendue de la Russie par l'extension à 2021 de l'échéance de son prêt de 2.5Mds et par la baisse du taux. Programme de privatisation (utilities, ports). Réduction de moitié (voire plus) de la taille du bilan des banques. Taxe immédiate de 9.9% sur la valeur des dépôts au-dessus de 100,000 et de 6.75% en-dessous de ce seuil. Il est attendu de cette taxe qu'elle génère une recette de 5.8Mds. Les déposants seront soi-disant indemnisés en actions bancaires. La taxe sera appliquée mardi et tous les transferts électroniques d'argent sont interdits d'ici là. Les banques seront fermées lundi et ce week-end. 2. Que penser de ce plan? C'est évidemment la taxe sur les dépôts qui interpelle, puisque le reste du plan est aussi prévisible et convenu qu'une conférence de presse du FMI. Nous écrivions il y a 15 jours : "La solution la plus probable est qu'un bailout à l'espagnole soit mis en œuvre avec la possibilité que les déposants non membres de l'ue subissent aussi des pertes."
2 La décision adoptée samedi matin va bien au-delà puisque tous les déposants sont affectés. Qu'on en prenne bien la mesure : la taxe représente 32% du PIB. C'est comme si la France imposait une taxe soudaine de 645Mds. 645Mds, trois ans de recettes fiscales françaises. Cela fait froid dans le dos et on comprend la colère des chypriotes qui ont trouvé les portes de toutes les agences bancaires fermées samedi matin et qui les ont parfois attaquées au bulldozer La parole est à l accusation Cette taxe est une ineptie totale. Loin d'envoyer un message fort de lutte contre le blanchiment de capitaux, comme aurait pu le faire une taxe sur les dépôts "suspicieux", elle spolie les plus démunis, ceux qui n'ont pas eu les moyens d'ouvrir un compte à l'étranger, ceux qui ont naïvement fait confiance aux déclarations rassurantes des autorités ou ceux qui n'auront pas les moyens de contester cet impôt inique. Elle se fait au mépris des principes de droit et l'équité les plus élémentaires - comme celui, consacré par la Cour Européenne des Droits de l'homme, qui interdit de taxer plus de 85% du revenu annuel, celui de confiance légitime, celui de liberté de circulation des capitaux au sein de l'union Européenne ou celui d'équivalence de traitement de créanciers seniors, tout cela au nom de la soi-disant stabilité financière qui est devenu la tarte à la crème des politiciens à la recherche de justifications pour leurs mauvais choix politiques. De manière peut-être plus préoccupante, puisque ce n est pas la première fois que ces principes sont piétinés depuis le début de la crise, en 2007, elle va à l'encontre de certaines politiques européennes antérieures : Projet de directive «bail-in» qui vise à faire des dépôts un instrument sécurisé et stable non sujet au bail-in ; Projet d union bancaire qui vise à organiser, à terme, un mécanise pan-européen de garantie des dépôts ; Renforcement et harmonisation des législations relatives à la garantie des dépôts ; Lutte contre l économie parallèle et le shadow banking. Il n'est même pas certain que la taxe frappe réellement les dépôts russes, car ceux-ci seront peut-être protégés par la myriade de conventions fiscales conclues par Chypre, sans parler des traités d'investissement bilatéraux qui protègent des expropriations. Naturellement, tout cela ne se verra qu'au bout de longues procédures juridiques, bien au-delà de l'horizon temporel du politicien moyen. Les petits déposants chypriotes, eux, n'auront même pas le mécanisme de la garantie des dépôts de pour les protéger, puisque la taxe a été imaginée en lieu et place d'une décote, précisément pour la contourner (et pour éviter les cross-defaults ou le déclenchement des CDS). Ce n'est pas l'unique précédent (l'italie en 1992, la Norvège des années 30 appartenant à une autre époque ) qui peut justifier un tel prélèvement, puisque le taux n'était alors que de 0.6%, les recettes de l'ordre de 1% du PIB, et le traumatisme suffisamment durable pour qu aucun politicien ne s y risque une seconde fois. Il ne faut pas s'étonner que ces pays développent une économie parallèle, fondée sur le cash C'est donc la mort dans l'âme que le ministre des finances chypriote a fait ces annonces, contraint et forcé par la Troïka et par les menaces de la BCE de couper le robinet à, via l arrêt des opérations monétaires usuelles ou exceptionnelle (les facilités d urgence, ELA, peuvent être interdites par le conseil des gouverneurs de la BCE à une majorité de 75%). 2
3 2.2. La parole est à la défense Comment les dirigeants européens en sont-ils arrivés là? Il y a d'abord de très importantes raisons techniques, liées à la structure du passif des banques de l île : Contrairement à la situation espagnole, il n existe pas suffisamment de dette bancaire subordonnée pour réduire significativement le coût du plan de sauvetage ; La dette senior représentait elle aussi un montant très faible (2Mds ). Un haircut de 10%, ou même 20%, sur cette dette n aurait été guère plus que l épaisseur du trait, tout en ouvrant la boite de Pandore systémique. Remplacer le haircut par une taxe était impraticable : il est à peu près impossible de taxer les porteurs obligataires, ne serait-ce que parce que leurs obligations sont généralement déposées à l'étranger ou parce que les retenues à la source sont strictement encadrées en droit européen et international. Les financements de la BCE étaient naturellement sacro-saints. Ne restaient donc que les dépôts. Or, sur ce marché des dépôts, là encore des caractéristiques techniques, en sus de la délicate question de l origine des fonds, rendaient l idée de la taxe généralisée très tentante : Compte tenu de tous les artifices juridiques utilisés par les déposants étrangers, il était très difficile de réellement séparer les dépôts dont l'ayant droit économique ultime était dans l'union de ceux qui ne l'étaient pas. Le marché des dépôts chypriotes ne ressemble pas au marché français : il existe de nombreux compte de dépôts à terme rémunérés très généreusement, parfois jusqu à 5%, contre le 0% du dépôt à vue français et le 2% du compte sur livret. Taxer 6% à quelqu un qui a été rémunéré 5% par an depuis le début de la crise paraît nettement moins outrageant Le pourcentage de dépôts non garantis (i.e. au-dessus de ) était environ de 47%. Ne taxer que les dépôts non garantis aurait porté le taux de la taxe autour de 15.5%, sans doute trop pour s assurer de l adhésion nécessaire des partenaires commerciaux de Chypre, au premier rang desquels la Russie et l Allemagne. Les chiffres macro-économiques agrégés de la zone Euro ne sont pas plus mauvais que les chiffres américains, britanniques ou japonais et la crise de la zone Euro est donc avant tout une crise de gouvernance institutionnelle. Il faut donc examiner les raisons politiques des décisions de ce week-end. Il y a, grosso modo, pour caricaturer, trois camps dans l'union européenne : les ayatollahs (par exemple, Finlande, Pays-Bas), prêts à tout et n'importe quoi pour minimiser le coût apparent des sauvetages (au risque de démultiplier le coût réel), les pragmatiques (par exemple Luxembourg, Allemagne), qui se rallient à la célèbre devise de Juncker ("Quand cela devient sérieux, il faut mentir") et les nécessiteux (par exemple France, pays périphériques) dont le seul objectif réel est de pouvoir continuer à dépenser l'argent des autres. Chypre était dans une situation tellement particulière (cf. notre précédente étude) que, pour une fois, l'allemagne s'est rangée aux idées des ayatollahs, au grand dam de Juncker, qui ne s'est pas privé de le faire savoir. Chypre était devenue un véritable enjeu politique en Allemagne : le fumet de cette petite île devenu un paradis fiscal et un centre financier international grâce à l Euro, l argent sale, l économie 3
4 parallèle hypertrophiée, les oligarques, tout cela était trop pour que l Allemagne accepte de faire un geste de solidarité européen. L'astuce de la taxe au lieu du haircut, et l insidieux contournement de la garantie des dépôts, a également pour objectif de permettre à ceux qui, comme le commissaire Rehn, avaient annoncé qu'il n'y aurait pas de décote, de sauver la face (enfin, un peu.) Il n y avait, tout compte fait, que deux options réellement ouvertes : un véritable plan de solidarité européen ou un sauvetage comportant une dose de «burden-sharing». Cette seconde option a été retenue, comme en Grèce, comme en Espagne, comme en Irlande. On peut le regretter, mais dès lors que le choix était fait, la Realpolitik commandait de taxer les dépôts ou de très sérieusement se fâcher avec les russes Et à partir de lundi? «Ils ont taxé les chypriotes? Et alors? ll était temps». C est une façon de voir les choses, peut-être finalement la plus lucide. Au-delà, que peut-on en retirer pour l'ensemble du système bancaire européen? A notre sens, quatre leçons fondamentales : 1. Tout d'abord, et c'est le plus important, la promesse de ne pas décoter la dette souveraine a été tenue, aux prix d'hallucinantes contorsions. C était là que se trouvait le principal risque systémique et il a été écarté. 2. Ensuite, et en dépit des iniquités apparentes, la situation économique et politique de Chypre est unique en Europe (cf. notre précédente étude) et son système bancaire et fiscal réellement à part en ont fait depuis longtemps une terre d accueil pour l argent louche en provenance de Russie, de Grèce, notamment Entre les pays qui ont déjà une taxe sur la fortune (France), ceux qui ont déjà nettoyé les banques à grand renfort de restructuration (Espagne, Irlande, Belgique), ceux qui ont un système bancaire fragile mais sont à l abri de la Troïka (Allemagne) ou ceux qui sont trop systémiques (Italie) on ne voit pas trop à qui cette solution pourrait s appliquer. Une généralisation de l impôt sur la fortune paraît une idée beaucoup plus raisonnable pour qui voudrait poursuivre cette ligne de pensée. En revanche, on ne parierait pas trop d'argent sur la présence de Chypre dans l'union européenne à horizon 5 ans, non pas parce que le pays serait contraint de sortir de l'euro, mais parce que la population, déjà peu europhile et ulcérée par les décisions de l'eurogroupe, pourrait très bien choisir de sortir volontairement, comme le lui permet le Traité de Lisbonne. 3. Cette nouvelle est plutôt négative pour l'ensemble des banques de la zone Euro. Elle s inscrit dans la droite ligne des mesures brutales prises en Irlande, ou plus récemment aux Pays Bas. Elle ne peut que raviver les craintes sur le financement des banques fragiles, soit dans les pays périphériques, soit dans les pays Core qui ont une approche radicale (Finlande, Pays-Bas), même si ces craintes ne sont pas rationnelles et même si les déséquilibres Target 2 sont désormais bien connus et maitrisés. Elle illustre également une fois encore l'importance de bien appréhender tous les enjeux politiques, réglementaires et financiers pour investir sur les marchés européens. C est pour mieux naviguer dans ces situations que le fonds Axiom Obligataire s est récemment doté de la possibilité de réaliser des couvertures en CDS. 4
5 4. Enfin, la Saint-Patrick est jour de fête pour les créanciers souverains de Chypre - du moins pour les maturités inférieures à 5 ans. Un pays qui lève d'un coup une taxe de 32% de son PIB est généralement mieux placé pour rembourser ses dettes. Reste deux inconnues majeures : ce que la Russie et les chypriotes diront de tout cela. Pour la Russie, les choses devraient se dérouler sans trop de heurts. On peut penser que les dirigeants européens ont pris les assurances nécessaires. On peut surtout penser que le taux de 9.9% sera finalement vu comme un des "risques du métier" pour des déposants sophistiqués qui ont choisi de laisser leur cash, malgré le risque évident. Pour réellement les dissuader, il aurait fallu adopter un taux similaire à celui de la réglementation américaine FATCA : 30%. A part quelques protestations d'usage, et une ou deux hausses des prix du gaz, la Russie ne devrait pas faire trop de difficultés... Reste le Parlement chypriote, puisque la Troïka n a pas encore trouvé le moyen d abolir ce système archaïque de représentation populaire. C est là que les choses pourraient se compliquer. L Eurogoupe a peut-être un peu hâtivement supposé que le président chypriote était maître chez lui et qu il s exprimait au nom du peuple. La situation est hélas un peu moins claire. Un premier sondage indiquait que 71% des chypriotes s opposaient au plan. Plus prosaïquement, il y 56 députés au Parlement, 20 appartiennent au parti du président, 9 à un parti allié. Les 19 communistes sont farouchement contre, de même que l unique vert. Reste deux députés centristes, à la posture indécise. Une seule défection dans la majorité, et tout le plan pourrait s écrouler. On ne sera dès lors pas surpris d apprendre que la fermeture des banques a été étendue à mardi et que, malgré la violente pression de la BCE, le président ait choisi de remettre le vote initialement prévu dimanche au lundi après-midi. Il existe une possibilité sérieuse que (a) le projet soit fortement retardé (et donc les banques fermées) ou que (b) il soit rejeté, tout cela avec des conséquences très incertaines, même si le risque de fuite généralisée des dépôts dans le reste de l UE reste très limité. Dans ces circonstances, le plan serait sans doute adouci pour réduire le taux de la taxe sur les faibles dépôts, au risque de fâcher un peu plus les russes et de voir s envoler les prix du gaz! 5
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