VIH et Discriminations au travail

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1 VIH et Discriminations au travail Interview de François, séropositif, salarié d une banque publique *** SIS : Dans quel secteur travaillez-vous? François : Je travaille dans le secteur bancaire depuis 10 ans et avant cela j ai travaillé dans l Education nationale pendant deux ans. SIS : Vous êtes séropositif. Est-ce que dans le cadre de votre travail vous l avez dit à votre hiérarchie? François : A ma hiérarchie, non, je n ai absolument rien dit pour le moment. J ai une collègue de travail qui le sait, à qui je me suis confié il n y a pas très longtemps, il y a 15 jours*. Je lui en ai parlé à la suite de nombreuses discussions autour de la santé, de la maladie. De temps en temps j ai de gros coups de pompe, ça elle le voit. Donc elle s est doutée qu il y avait quelque chose qui n allait pas très fort par moments. SIS : Donc elle l a parfaitement intégré, il n y a pas eu du tout de problème. François : Non, elle m a même dit qu elle s en doutait. Je ne sais pas si c est le fait que je sois homosexuel, ça sème forcément le doute. Mon homosexualité tout le monde est au courant. C est quelque chose que je revendique presque dans mon entreprise. Je n en fais pas mystère. Donc peut-être qu elle a fait la corrélation entre homosexualité et problèmes de santé. SIS : Avec votre hiérarchie vous ne l avez pas évoqué. C est un vrai choix. Pourquoi? François : Parce que je pensais, et je continue de penser qu ils ne sont pas tout à fait capables de le comprendre ou qu ils ont encore énormément de préjugés par rapport à la maladie. C est quelque chose qu ils ne connaissent pas et qui pourrait au final leur faire peur. Je n ai pas peur de perdre mon travail étant donné que je travaille dans un secteur bancaire mais public. Donc je n ai pas de risque de perdre mon emploi. Ensuite je n ai pas une

2 peur spécifique d être mis au placard. Je n ai pas du tout peur de ce genre de chose parce que je pense que je travaille de manière assez efficace. Je n ai pas d inquiétudes de ce côté-là. J ai plus d inquiétudes par rapport à la stigmatisation liée à ma sérologie. C est vrai que pour le moment la séropositivité est quelque chose que je n ai pas dévoilée, mais qu éventuellement je pense faire. SIS : Pourquoi? Parce que vous pensez que le moment est venu ou parce qu aujourd hui le cadre de travail le permettrait? François : Il y a deux éléments principaux. Le premier est que je suis militant en dehors et à l intérieur de mon travail étant donné que j ai des fonctions syndicales en parallèle. Je pense que d un point de vue militant c est important de faire avancer les choses sachant que je suis relativement protégé par mon statut public, que je peux faire avancer les choses, que je pense avoir les reins assez solides pour pouvoir me défendre et m imposer par rapport aux autres. Donc ça fait déjà des conditions qui sont pour le moment réunies et qui sont importantes. On ne peut pas faire ça n importe comment. Et ça rentre aussi dans tout un cadre. J ai réfléchi un long moment avant de le dire. J ai déjà fait une Reconnaissance Qualité de Travailleur Handicapé (RQTH) que je n ai pas encore donnée à mon employeur. Je pense que ça va être un premier élément que je vais donner à mon employeur qui va être ravi de pouvoir répondre à ses obligations légales et en plus ça lui donnera un indice supplémentaire sur mon statut sérologique. Par contre j échangerai ma Reconnaissance Qualité de Travailleur Handicapé contre une sensibilisation qui sera faite auprès de mes collègues. Il y a une mission handicap là où je travaille. Je dirai : si vous voulez avoir un handicapé de plus qui travaille à peu près normalement, qui est certes un peu plus fatigué que les autres, il faudra quand même faire une sensibilisation qui permettra aussi, je pense, de lever des doutes, des incertitudes, et rassurer les collègues qui auraient peur de me serrer la main ou même de me croiser dans les couloirs. Je pense que ça ne peut pas être fait n importe comment. C est pour ça que j ai élaboré une petite stratégie pour le faire. SIS : Revenons au début de votre embauche. J imagine qu il y a eu une visite médicale. Est-ce que le médecin a posé la question d une maladie chronique ou, plus directement, du VIH?

3 François : Quand j ai rencontré la première fois le médecin du travail à la visite d embauche, il m a demandé si je prenais des médicaments. Il ne m a pas demandé si j avais des pathologies particulières. Il m a juste demandé si je prenais des médicaments. Chose à laquelle j ai répondu «non». J avais le droit de ne pas le dire. Et puis j ai revu le médecin du travail deux ans après et le médecin du travail, c était assez drôle, me demande si je prends des médicaments. Je lui dis «Oui, je prends une trithérapie». Je me souviens encore, c était une femme, elle a fait un blanc puis elle m a dit «Bon ben écoutez c était une manière très positive, très gentille la manière dont elle le disait je ne le marque pas dans le dossier parce que vous savez tout peut se savoir». Et je lui ai dit «Non, vous l écrivez dans le dossier parce que si ça se sait, je vous attaque». Elle a eu un peu un moment de recul, et je lui ai demandé de l écrire dans le dossier parce que c était un peu un dossier médical et mon employeur n a pas à avoir accès à ce dossier médical, point! Et voilà depuis tout se passe bien. C est inscrit dans mon dossier médical et je constate que personne ne sait ce que j ai. SIS : Par rapport à votre employeur, il y a des rendez-vous médicaux à faire, plus ou moins régulièrement. Est-ce que cela représente des difficultés dans la gestion du temps? François : Ça a posé des problèmes quand j avais rendez-vous pour mon bilan régulier. Ça a posé des problèmes quand j étais suivi à l hôpital parce que les horaires sont plus ou moins fixes et c est assez compliqué. Donc c était poser des jours de congés ou des demi-jours de congés. C était toujours des choses plus ou moins compliquées sachant que parfois il y a du retard. Par la suite ça s est très vite réglé. Ça a été pendant un petit moment comme ça mais mon médecin à l hôpital s est installé en ville. Du coup je vais voir mon médecin qui est généraliste et spécialiste en ville, en dehors des heures de travail. Je peux le voir le soir entre 19 h et 20 h par exemple. Du coup je peux le voir plus facilement. Il faut savoir aussi que dans mon entreprise - c est une grosse entreprise, il y a une convention qui permet à toute personne qui a une qualité de Reconnaissance Qualité de Travailleur Handicapé d avoir des aménagements d horaires pour se rendre à ses rendez-vous médicaux, en particulier quand c est à l hôpital. Si j avais dû continuer d aller à l hôpital j aurais pu bénéficier de ces aménagements d horaire. Mais il faut avoir une Reconnaissance Qualité de Travailleur Handicapé, chose que peu de séropos savent. Peu de séropos savent qu ils peuvent avoir une Reconnaissance Qualité de Travailleur Handicapé parce qu ils n ont pas envie de se dire «handicapés». Ça chacun le gère comme il

4 veut. Moi je n ai pas de problème par rapport à ça. Je suis séropo, je suis handicapé dans mon travail certes, parce qu il faut quand même admettre que je suis fatigué, que je suis très fatigué. Les traitements parfois me fatiguent et parfois je ne peux pas le nier et je ne fais pas comme si ça n existait pas. C est pour ça aussi que j ai envie d aller jusqu au bout de ma démarche. SIS : Alors il y a votre statut de travailleur séropo mais de militant également. Là votre réponse va peut-être être impliquante par rapport à ce double statut. Mais aujourd hui que conseillez-vous à un séropo dans le monde du travail? De le dire? De ne pas le dire? Attendre le bon moment pour le dire? Garder le secret parce que ça ne regarde pas l employeur a priori? François : Ça c est une réponse qui doit être très intime. Je ne conseillerais jamais à personne de le dire parce que tous les milieux du travail sont différents, les individus dans le milieu du travail sont différents, donc ça peut très vite se retourner contre vous, en particulier dans le secteur privé où on peut être «lourdé» assez facilement. Ce n est pas quelque chose que je conseillerais de faire. Maintenant si la personne pense avoir une ouverture par rapport à ses responsables hiérarchiques, par rapport à ses collègues - parce que des fois ce sont les collègues qui posent plus de problèmes que les responsables hiérarchiques. On peut souffrir de stigmatisation, de discrimination, de ralentissement de la carrière ou de progression. Il faut aborder tout ça avec une certaine stratégie avant de faire quoi que ce soit. Déjà commencer par faire une Reconnaissance Qualité de Travailleur Handicapé parce que c est bénéfique pour deux points de vue. D abord pour l employeur parce qu il a des obligations légales : il sera ravi d avoir quelqu un et d arrêter de payer sa contribution à l AGEFIPH (1). Et vous ça peut vous donner une petite protection contre une éventuelle procédure de licenciement. Pour l instant hélas, à moins de faire une grande campagne de sensibilisation dans toute la France, dans toutes les entreprises pour savoir ce qu est un salarié séropositif, quels sont les problèmes afférents à une séropositivité, ou pas de problème parce qu évidemment la séropositivité est vécue de manière complètement différente par tout le monde selon les traitements, selon les effets indésirables ou non Tant que ça n est pas fait on ne peut pas arriver la fleur au fusil en disant «Coucou je suis séropo» parce que voilà parfois c est compliqué à gérer. Et puis faut voir quel métier. Si vous faites des métiers où, potentiellement,

5 vous pouvez vous couper de temps en temps, on va peut-être vous dire «Attention!». Tout ça c est très compliqué : ça dépend du milieu du travail dans lequel on évolue et des personnes avec lesquelles on évolue. Il n y a pas de solution miracle. Parfois le médecin du travail ça peut être utile pour avoir des aménagements de poste éventuellement. Maintenant il ne faut pas avoir peur de le menacer comme j ai pu avoir à le faire si ça venait à se savoir et aller jusqu au bout. SIS : Est-ce que, aujourd hui, il n y a pas un risque d auto-exclusion des séropos par rapport au milieu du travail? Est-ce que beaucoup de séropos ne craignent pas d être rejetés alors que dans la réalité ça ne le serait pas? François : Peut-être mais moi je ne vais pas le faire n importe comment. Je vais le dire à mes collègues que je suis séropositif. J ai fait une Reconnaissance Qualité de Travailleur Handicapé, je vais la donner à mon employeur. Je vais lui demander de faire une sensibilisation qui, je pense, ne me sera pas refusée. Je ne vais pas faire n importe quoi. Je ne suis pas en train de me dire «Coucou, je suis séropositif, acceptez-moi comme je suis». Non. Je vais faire aussi un travail de pédagogie vis-à-vis de mes collègues. Ça ne peut pas se faire comme ça facilement. Avec ma collègue ça s est extrêmement bien passé parce qu elle aussi elle a eu des problèmes de santé très importants et qu elle est sensibilisée à ça. Je ne peux pas vous dire à l avance si ça va bien se passer. Je prépare tout un truc, toute une «stratégie» mais je ne peux pas vous dire si ça va bien se passer. Si ça se trouve ça va très très mal se passer. Je n en sais absolument rien. Je le fais aussi parce que je suis aussi militant et que je me dis que si je ne le fais pas, personne d autre ne le fera. Et que j espère que tout se passera bien et que je pourrai vous raconter que tout se passe bien, que je suis super content de l avoir fait et que voilà mais je peux peut-être vous raconter tout l inverse dans quelques mois. Interview réalisée par Alain Miguet pour Sida Info Service - Mars 2011* 1) Association de gestion du fonds pour l insertion professionnelle des personnes handicapées - Ecouter l interview audio de François sur